frontispice

La sobriété foncière par le zéro artificialisation nette (ZAN)
Une négociation à tous les étages
qui oublie l’essentiel

• Sommaire du no 15

Jérôme Dubois Aix-Marseille Université

La sobriété foncière par le zéro artificialisation nette (ZAN) : une négociation à tous les étages qui oublie l’essentiel, Riurba no 15, janvier 2024.
URL : https://www.riurba.review/article/15-foncier/la-sobriete-fonciere-par-le-zan/
Article publié le 28 oct. 2024

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Jérôme Dubois
Article publié le 28 oct. 2024
  • Abstract
  • Résumé

Land sobriety by the ZAN (Zero net artificialization): a negotiation on all levels that forgets the essential

The climate and resilience law of 22 August 2021 sets a goal of zero net artificialization (ZAN) of development policies by 2050. The spatial and social consequences of a law that forces France to move from a development model of the city based on sprawl to a gradual densification of built fabrics have been the subject of much debate. Less attention has been paid to new spaces for dialogue between all levels of public action in this new context of land scarcity. Trade-offs between sectoral policies, relations between the State and local authorities, possibility for regions to modulate the efforts of territories according to political choices and bargaining within the communal bloc, etc. demonstrate that the implementation of ZAN goes far beyond the issues of the urban form alone.

La loi climat et résilience du 22 août 2021 fixe un objectif de zéro artificialisation nette aux politiques d’aménagement d’ici 2050. Les conséquences spatiales et sociales d’une loi qui vient obliger la France à passer d’un modèle de développement de la ville fondé sur l’étalement au profit d’une densification progressive des tissus bâtis ont donné lieu à maints débats. En revanche, les nouveaux espaces de dialogue entre tous les niveaux d’action publique dans ce nouveau contexte de rareté du foncier ont fait l’objet de moins d’attention. Arbitrages entre politiques sectorielles, relations entre l’État et les collectivités, possibilité pour les régions à moduler les efforts des territoires en fonction de choix politiques, marchandage au sein du bloc communal, etc. démontrent que la mise en œuvre du zéro artificialisation nette des sols (ZAN) dépasse largement les seules questions de la forme urbaine.

Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
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À l’instar de pays plus petits comme la Suisse ou les Pays-Bas qui ont de longue date pensé la nécessité de limiter l’étalement urbain, la France a été rattrapée par le débat sur la consommation d’espaces naturels et agricoles[1]Languillon-Aussel R, Naudin M. (2023). « Sobriété foncière, évolutions et perspectives comparées. France, Suisse, Angleterre, Japon », La fabrique de la Cité, novembre, 44 p.. Ce texte revient à la fois sur la place déjà ancienne des enjeux de consommation d’espace dans les relations entre l’État et les collectivités décentralisées, et sur certaines questions laissées en suspens par la loi climat et résilience du 22 août 2021 fixant l’objectif d’atteindre le « zéro artificialisation nette des sols » (ZAN) en 2050. Cette loi a donné lieu à bien des prises de parole, pour en dénoncer le caractère comptable jusqu’à l’absurde (Offner, 2023[2]Offner JM. (2023). « De la comptabilité foncière à l’aménagement des territoires », Foncier en débat, avril.) et socialement inéquitable (Charmes, 2021[3]Charmes E. (2021). « De quoi le ZAN (zéro artificialisation nette) est-il le nom ? », Foncier en débat, juin.), ou encore comme constituant une nouvelle étape d’une mise sous tutelle de l’action des collectivités territoriales (les associations d’élus particulièrement à la manœuvre auprès du Sénat, à l’été 2023). Sans infirmer ces aspects, qui contiennent bien leur part de vérité, cet article aimerait proposer une troisième lecture, plus positive.

En remettant en cause les principes d’un aménagement reposant sur la vision d’un espace illimité, la loi offre aussi l’occasion d’un dialogue renouvelé entre l’État et les collectivités sur les objectifs des politiques d’aménagement dans un contexte de rareté du foncier. Dans cette démonstration, l’article mobilise tour à tour six enjeux de l’aménagement qui sont autant de points d’incertitude accentués par la réforme. La question n’est pas uniquement arithmétique : arbitrages entre politiques sectorielles, évaluation des zones artificialisées, relations entre l’État et les collectivités pour les projets d’envergure nationale et régionale, capacité des régions à moduler les consommations d’espaces en fonction de choix politiques et nouvelles possibilités de marchandage au sein du bloc communal démontrent que la mise en œuvre du ZAN appelle à des réflexions bien plus larges. Si la direction est donnée et les temps de négociation institués, il reste néanmoins un point capital à régler, lourd de conséquences pour l’avenir, celui du modèle économique du renouvellement urbain. Ce point est abordé en conclusion.

Vous ne pouviez pas dire que vous n’étiez pas prévenus

Convenons que le sujet n’est pas complètement nouveau. Les lois Montagne (1985) et Littoral (1986) visaient déjà à limiter la bétonisation des paysages naturels et à protéger des espaces agricoles, mais se concentraient sur certaines parties bien précises du territoire national. Il acquiert une portée nationale à l’orée du siècle, lorsque l’économie d’espace devient un objectif à part entière des politiques publiques d’aménagement. La loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (2000) fait de la limitation de l’étalement urbain une priorité. Dix ans plus tard, la loi du 12 juillet 2010, dite Grenelle II, requiert des SCoT et PLU qu’ils intègrent une analyse de la consommation d’espace : « la loi assigne désormais aux acteurs publics la mission d’assurer un contrôle effectif de la consommation de l’espace naturel, agricole et forestier » (Denizeau, 2021[4]Denizeau, Métropolitiques, [En ligne). La loi oblige déjà les collectivités à se fixer des objectifs chiffrés de consommation d’espace. En 2014, la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) y consacre un chapitre intitulé « Lutte contre l’étalement urbain et la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers[5]Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (loi ALUR). [En ligne ». Outre la suppression du COS, la loi impose aux documents d’urbanisme d’analyser les capacités de densification et les consommations d’espaces naturels.

Le concept de ZAN apparait dans la « Feuille de route pour une Europe efficace dans l’utilisation des ressources » présentée par la Commission Européenne en septembre 2011. Celle-ci préfigure déjà ce que sera la loi de 2021 : « Dans l’UE, plus de 1 000 km2 de nouvelles terres sont utilisés chaque année pour le logement, l’industrie, les infrastructures routières ou les loisirs. Environ la moitié de cette surface est en fait rendue imperméable. La disponibilité des infrastructures varie considérablement selon les régions, mais, au total, nous goudronnons tous les dix ans une surface équivalant à Chypre. Si nous voulons mettre un terme d’ici à 2050 à l’augmentation nette de la surface de terres occupée, en suivant une évolution linéaire, nous devons ramener l’occupation de nouvelles terres à 800 km2 par an en moyenne entre 2000 et 2020 », est-il écrit page 18.

En France, bien qu’intégré dans la « stratégie bas carbone 2015-2018 », le concept ne se déploie réellement que dans le cadre du Plan national biodiversité du 4 juillet 2018. Ce dernier expose notamment les mesures prises afin de « limiter la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers pour atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette ». Il invite les collectivités à « vérifier l’application des mesures de lutte contre l’étalement urbain et à en rendre compte ».

La loi ÉLAN du 23 novembre 2018 renforce les attentes de l’État à l’égard des collectivités territoriales, lesquelles se doivent de « lutter contre l’étalement urbain » dans le cadre « d’une gestion économe de l’espace ». Une instruction du gouvernement du 29 juillet 2019 relative à l’engagement de l’État en faveur d’une gestion économe de l’espace aborde explicitement la question du ZAN comme objectif à atteindre. À cette fin, la loi encourage les collectivités territoriales à développer des projets locaux d’intensification urbaine. Enfin, en juin 2019, la Convention citoyenne pour le climat fait part de 13 propositions destinées à « lutter contre l’artificialisation des sols et l’étalement urbain », dont certaines sont bien entendues par la Gouvernement qui propose alors d’inscrire dans la loi l’objectif visant à diviser par deux la consommation d’espace d’ici 2030[6]Voir la proposition de la Convention (2019) : « Lutter contre l’artificialisation des sols et l’étalement urbain en rendant attractive la vie dans les villes et les villages », en ligne.

Ces grands objectifs ont progressivement été sources de pressions et de contrôles accrus de la part des services de l’État, tant dans ses portés à connaissance que ses avis. Souvenons-nous du coup de gueule, déjà en 2014, de la Fédération nationale des intercommunalités contre la loi ALUR et la dénonciation d’une confiscation du pouvoir des élus par les nouvelles commissions de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) aux compétences élargies[7]La commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers peut être consultée sur toute question relative à la réduction des surfaces naturelles, forestières et à vocation ou à usage agricole, et sur les moyens de contribuer à la limitation de la consommation de ces espaces. Ses membres se réunissent tous les mois afin de donner des avis sur les documents de planification et d’urbanisme, les actes d’urbanisme et l’étude préalable d’un projet de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements. Son secrétariat est assuré par la DDT., un jury souvent particulièrement mal vécu par les élus et source d’inspiration pour les préfets lorsqu’ils se prononcent sur les documents d’aménagement.

Avant même l’échéancier aujourd’hui rendu obligatoire dans le cadre du déploiement du ZAN, l’analyse des avis des services de l’État donnés aux SCoT et aux PLU(I) montrerait assez facilement que pour avoir un avis favorable – sans doute avec plus ou moins de réserve – une réduction de 50 % des consommations d’espaces dans tous les nouveaux documents est devenue la norme à partir de 2017. Au point d’en devenir caricatural. Dans un projet de SCoT ou de PLU, les discussions sur le développement économique, les politiques de construction, les services urbains, le transport, etc. se sont progressivement effacées au profit d’un seul indicateur : combien d’hectares allez-vous consommer dans les dix prochaines années, quel est votre effort par rapport aux dix années écoulées ? Malheur aux territoires qui ne montraient pas leurs efforts !

Alors même qu’urbanistes, élus locaux et services de l’État se débattent aujourd’hui dans la mise en œuvre du ZAN, les chiffres les plus récents donnent à voir un changement de tendances déjà amorcé. L’exposé des motifs de la loi Objectifs de zéro artificialisation nette au cœur des territoires[8]Objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires, 7 avril 2023, Exposé des motifs [En ligne rappelle l’ampleur des évolutions les plus récentes. Le chiffre de 30 000 ha urbanisés chaque année, avancé par le CEREMA, n’est déjà plus d’actualité. « Grâce aux efforts de sobriété foncière menés par les collectivités territoriales, en particulier grâce à une meilleure maîtrise de la consommation d’espaces agricoles, naturels et forestiers au sein des documents d’urbanisme locaux, la décennie 2010-2020 a marqué une diminution progressive des surfaces artificialisées, passant d’environ 31 000 hectares à 20 000 hectares annuels environ ». Pour autant, une récente note de France Stratégie semble indiquer que cette baisse marque aujourd’hui le pas[9]Voir France Stratégie (2023). L’artificialisation des sols : un phénomène difficile à maîtriser, note d’analyse [En ligne, des chiffres qui cachent de profondes disparités entre les territoires, et des dynamiques différenciées entre urbain et rural. Sur bien des territoires, le rythme augmente plus vite que la population : « L’essentiel de l’artificialisation s’effectue précisément dans les petites communes » (Charmes, 2021[10]Op. cit.). Soixante-et-un pour cent de la consommation d’espaces est constaté dans les territoires sans tension immobilière.

C’est donc dans une France déjà avertie qu’est votée la loi climat et résilience du 22 août 2021 fixant l’objectif d’atteindre le zéro artificialisation nette des sols (ZAN) en 2050, avec une étape intermédiaire de réduction de moitié de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) dans les dix prochaines années (2021-2031). La loi a été complétée par celle du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux.

Articuler les enjeux et les priorités de l’aménagement

Le ZAN offre un premier mérite, celui de reposer la question des priorités des politiques d’aménagement. Couramment opposé par les élus locaux aux objectifs de production de logements sociaux imposés par la loi SRU, il vient aujourd’hui plus largement interroger les grands enjeux de l’urbanisme en matière de déploiement des énergies renouvelables (EnR), de réindustrialisation ou de réponse à la diversité des modes d’habité (voir la dernière partie). Soyons positif, désormais l’urbanisme devra être pensé comme un tout, et non plus comme un agencement plus ou moins heureux de zonages spécialisés dialoguant peu entre eux et éclatés dans l’espace.

Zéro artificialisation nette des sols (ZAN) et énergies renouvelables (EnR)…

La contradiction est particulièrement forte entre les ambitions de déploiement des EnR fixées par le droit européen, comme la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) française pour atteindre la neutralité carbone en 2050, et la réduction de consommation d’espace. Depuis 2009, les EnR sont entrées dans le droit des sols et doivent désormais être intégrées dans les règlements d’urbanisation. Ce faisant, pour les plus consommatrices d’espaces, elles viennent concurrencer les formes plus traditionnelles d’anthropisation des sols. C’est, à titre d’exemple, le cas des panneaux photovoltaïques. Ils ne posent pas de souci particulier lorsqu’ils sont installés en toiture ou sur site anthropisé déjà en zone U, mais s’invitent dans la consommation d’espace lorsqu’ils se déploient en site naturel.

On rappellera qu’à l’échelle de la France métropolitaine, la PPE actuelle – destinée à être revue pour plus d’ambition en conformité avec les nouveaux objectifs européens… – prévoit que le photovoltaïque devra poursuivre son développement avec un doublement de la production entre 2023 et 2028. En matière de production photovoltaïque, il est prévu de passer de 10 GW en 2020 à 20 GW en 2023 et environ 40 GW en 2028. Les documents de présentation de la stratégie française pour l’énergie et le climat mis en ligne sur le site du ministère de la Transition écologique précisent, compte tenu des rendements actuels des panneaux, que cela correspond à l’installation de 330 à 400 km2 de panneaux au sol, et entre 150 et 200 km2 de panneaux en toiture, soit la superficie totale du Territoire de Belfort.

L’enjeu n’est pas mince, comme le montrent les ambitions de déploiement du photovoltaïque en PACA. Des ambitions européennes au schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), en passant par la PPE nationale, la feuille de route est théoriquement bien tracée. Dans cette région ensoleillée, tenir les engagements de la France va nécessiter d’équiper 173 000 toitures d’ici à 2030 et 978 000 d’ici à 2050, et de déployer 2 850 hectares (1 995 terrains de foot – 3 ha/commune) d’ici à 2030 et 12 778 ha (8 900 terrains de foot – 13 ha/commune) d’ici à 2050[11]Sraddet Paca.. En matière de parcs au sol, la loi vient toutefois apporter une porte de sortie aux opérateurs et collectivités. Une installation ne sera pas considérée comme consommatrice d’espace si, d’une part, elle ne vient pas affecter durablement les fonctions écologiques du sol ainsi que son potentiel agronomique, et que, d’autre part, elle reste compatible avec l’exercice d’une activité agricole ou pastorale sur le terrain sur lequel elle est implantée lorsque la vocation de celui-ci est agricole.

Il s’agira donc d’assurer a minima « une circulation d’air et de lumière suffisante sous les panneaux pour garantir le maintien d’un couvert végétal et la perméabilité, ainsi que le démantèlement de l’installation sans avoir affecté de manière irréversible la vocation initiale du terrain, qu’elle soit agricole ou naturelle », et ce, « sur toute la durée de l’exploitation », une porte de sortie bienvenue, mais qui, à l’image des premières réflexions sur l’agrivoltaïsme, risque de susciter bien des débats.

ZAN et réindustrialisation

La presse spécialisée s’est fait l’écho de la controverse entre Bercy et les volontés du législateur en matière de ZAN durant l’été 2023. On rappellera notamment qu’auditionné par le Sénat sur le projet de loi industrie verte au printemps 2023, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, avait estimé que les projets économiques devaient primer sur l’objectif du ZAN. Adoptée le 11 octobre 2023, la loi vise à « faciliter, financer, favoriser la réindustrialisation avec zéro émission carbone » et former la population afin de « recréer une culture industrielle en France ». Les territoires sont appelés à s’impliquer, notamment en facilitant la mise à disposition de foncier le plus aménagé et le plus rapidement possible.

S’il a depuis rétropédalé, Bercy milite aujourd’hui pour dépolluer les friches industrielles afin de constituer un stock stratégique de foncier productif d’une surface totale comprise entre « 10 000 et 20 000 hectares » selon ses estimations. Il assure pouvoir les trouver dans les « 170 000 ha de friches à dépolluer[12]Assemblée Nationale, 27 juillet 2021, rapport d’information (…) sur la revalorisation des friches industrielles, commerciales et administratives. [En ligne ». Le gouvernement propose notamment « d’offrir 50 sites labellisés France 2030 » (Néau, 2023[13]Néau, La Gazette des communes, Club Finances, 16 mai.).

Louable dans l’absolu, cette stratégie ne va pas sans poser de questions. La première concerne le risque réel de concentrer le développement industriel dans des territoires disposant de friches à reconquérir et à freiner partout ailleurs le développement des activités (Chalard, 2017[14]Chalard L. (2017). « France : la géographie des plus fortes croissances urbaines », Population & avenir, n° 735. ; Dumont et al., 2022[15]Dumont, GF, Guieysse JA, Rebour T. (2022). « Villes et campagnes en France : une grande fracture territoriale ? », Les Analyses de population & avenir, n° 41(4), p. 1-22.). La carte des anciennes zones d’activités dessinerait celle des nouvelles, sans possibilité de rééquilibrer leur développement. À qui reviendra la tâche d’organiser la répartition spatiale des activités et les solidarités territoriales dans un cadre si contraint ?

La seconde interrogation porte sur les outils mobilisables sur des sites à la fois privés et pollués. Alors même que les outils permettant d’agir sur le foncier privé afin de construire du logement restent totalement sous-dimensionnés, comment penser que les premières expérimentations sur des zones d’activité fatiguées ou des friches industrielles puissent permettre de mobiliser efficacement le gisement ? Il y a là un enjeu à venir considérable pour l’action publique, tant du point de vue de l’État (Fond friche…), des régions (établissements publics fonciers (EPF)…) ou des intercommunalités en charge des politiques économiques.

Définir l’artificialisation… et repenser la densité

Rappelons-le, la mise en œuvre du ZAN sera très progressive. Le législateur a bien pris soin de laisser le temps aux territoires de se préparer.

Un premier pas de temps (2021-2030) porte sur la réduction de 50 % de la consommation d’ENAF par rapport à la consommation des dix années précédentes. Rien d’affolant donc, puisque cela fait des années que cet objectif minimal s’est imposé. De ce point de vue, la loi vient davantage rappeler à l’ordre les derniers récalcitrants que révolutionner les pratiques.

Le second pas de temps, à partir de 2031, est porteur de plus d’enjeux, puisque l’artificialisation ne concernera plus seulement les nouveaux espaces ouverts à l’urbanisation mais également les espaces naturels à l’intérieur des zones urbaines (U) et à urbaniser (AU), d’où la nécessité de les caractériser au plus fin. Au titre de la loi, l’artificialisation est définie comme l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage.

On ne reviendra pas en détail sur les péripéties des décrets d’application en partie annulés par le Conseil d’État, mais rappelons que saisi par l’association des maires de France, celui-ci a censuré le 4 octobre 2023 un premier décret devant définir ce qu’est une zone artificialisée.  Pour le Conseil d’État, le décret contesté ne comportait pas les précisions nécessaires devant permettre aux élus locaux de remplir leurs obligations ! Le gouvernement a donc revu sa copie à travers trois décrets parus le 28 novembre 2023.

Un premier décret explicite d’abord ce qui relève des surfaces artificialisées et non artificialisées dans les documents de planification et d’urbanisme. La nouvelle nomenclature est annexée à ce nouveau décret.

Sont qualifiées de surfaces artificialisées : les surfaces dont les sols sont soit imperméabilisés en raison du bâti ou d’un revêtement, soit stabilisés et compactés, soit constitués de matériaux composites, mais aussi les surfaces végétalisées herbacées à usage résidentiel, de production secondaire ou tertiaire, ou d’infrastructures. Il en est de même pour les surfaces entrant dans ces catégories, en chantier ou à l’abandon. Le décret précise ce que l’on entend par surfaces artificialisées : surface bâtie de plus de 50 m2, surfaces revêtues d’un revêtement imperméable, sols constitués de matériaux composites, jardins ou surface couverts par une végétation herbacée dès lors que moins de 25 % de la surface est arborée… Pour le législateur, l’artificialisation est uniquement définie par l’imperméabilisation (Cavailhès, 2020[16]Cavailhès J. (2020). « Artificialisation des sols : de quoi parle-t-on ? », Constructif, n° 57.), un non-sens en matière d’écologie.

Sont qualifiées comme non artificialisées : les surfaces qui sont soit naturelles, nues ou couvertes d’eau, soit végétalisées, constituant un habitat naturel ou mises en cultures, y compris les surfaces d’agriculture urbaine et les surfaces boisées ou arbustives dans l’espace urbain. Les surfaces à usage de culture agricole en friche sont également considérées comme non artificialisées. À ce titre, les parcs et jardins publics pourront être considérés comme non artificialisés. Il en va de même, à certaines conditions, nous l’avons vu, des panneaux photovoltaïques au sol.

Le décret fixe également les seuils de référence à partir desquels pourront être qualifiés les types de surfaces. On retiendra qu’à partir de 50 m2 au sol, les surfaces sont obligatoirement comptabilisées comme imperméabilisées en raison du bâti (mais alors quid d’un pavillon d’un étage de 49 m2 au sol ?) et que la caractérisation d’un espace comme perméable ou imperméable s’effectue sur une surface supérieure ou égale à 2 500 m2 (si un petit jardin privé est donc bien considéré comme artificialisé, plusieurs jardins résidentiels contigus pourront, à l’inverse, être considérés comme non artificialisés et, de ce fait, soustraits de l’urbanisation du moment qu’ils accueillent plus de 25 % d’arbres). Ainsi, dans les secteurs résidentiels peu denses, les jardins seront protégés, du moment que les arbres y seront suffisamment fréquents. Certains auteurs ont justement fait remarquer que dans les espaces ruraux comme dans les banlieues chics, de nombreux jardins de maison individuelle pourront être classés comme non artificialisés[17]Cavailhès J, Charmes E. (2019). « L’électeur “vote pour sa maison”. Quelles conséquences pour le foncier ? », Revue foncière, n° 27, p. 24-27.. À l’inverse, dans les quartiers pavillonnaires populaires, les jardins de tailles modestes seront considérés comme artificialisés (catégorie 4) et pourront donc accueillir de nouvelles constructions en densification. En suivant ce raisonnement, on pourra considérer qu’une grande copropriété arborée pourra facilement protéger son cadre de vie, alors qu’un ensemble de taille similaire géré par un bailleur social sans végétation et aux espaces libres occupés par des parkings de surface pourra, lui, être densifié…

Un second décret précise le contenu du rapport local de suivi de l’artificialisation des sols. Pour rappel, ce rapport doit être élaboré tous les trois ans par les communes ou les EPCI compétents dont le territoire est couvert par un document d’urbanisme ; le premier rapport doit être réalisé trois ans après l’entrée en vigueur de la loi. À cette fin, les collectivités pourront mobiliser les trois outils principaux disponibles en France pour les besoins de la statistique ­– celui de l’administration de l’Agriculture (Teruti Lucas), celui d’Eurostat (Corine Land Cover) et celui des fichiers fonciers du CEREMA (source fiscale DGFIP). Un gros travail d’harmonisation sera toutefois nécessaire.

Tant d’un point de vue social que technique, les débats qu’ouvre la définition des sols artificialisés sont donc immenses et ne font que commencer. Ils offrent néanmoins l’intérêt de venir réinterroger les politiques de densification dans le cadre de la chasse aux « dents creuses », parfois faites sans discernement. Cette question des 2 500 m2 non artificialisés va demander un petit effort pour repenser la nature en ville, les continuités écologiques et la lutte contre les ilots de chaleur. Ce débat existait déjà, mais il prend là une tournure très opérationnelle qui vient nuancer les discours sur la densité à tout prix. Il signe le retour de l’urbanisme, c’est-à-dire regarder au cas par cas, au risque de pointer les contradictions entre classifications administratives et esprits des lieux.

Négocier les grands projets d’envergure nationale et régionale

La diminution des droits à consommer de l’espace vient réactiver les débats entre l’État, les régions et le bloc communal dans la répartition de l’effort. Si l’effort global de la nation doit être de – 50 %, l’État, précautionneux, s’est octroyé une enveloppe réservée de 12 500 ha pour les projets d’envergure nationale selon une liste qu’il est seul à même de fixer. Dix mille hectares seront répartis dans les régions couvertes par un schéma régional d’aménagement et de développement durable et d’égalité des territoires au prorata de leur enveloppe d’artificialisation définie au titre de la période 2021-2031, et les 2 500 ha restants concernent l’Île-de-France, la Corse et les territoires ultra-marins. 

Un décret précise le contenu de ces projets d’ampleur nationale ou européenne présentant un intérêt général majeur :

les travaux ou les opérations qui sont ou peuvent être, en raison de leur nature ou de leur importance, déclarés d’utilité publique par décret en Conseil d’État ou par arrêté ministériel. Pour les infrastructures fluviales, sont concernés les travaux ou les opérations qui sont réalisés sur le domaine public de l’État ou de ses opérateurs ;

les travaux ou les opérations de construction de lignes ferroviaires à grande vitesse et leurs débranchements ;

les projets industriels d’intérêt majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique, ainsi que ceux qui participent directement aux chaînes de valeur des activités dans les secteurs des technologies favorables au développement durable ;

les actions ou les opérations d’aménagement qui sont réalisées par un grand port maritime ou fluviomaritime de l’État ;

les opérations intéressant la défense ou la sécurité nationales ;

les opérations de construction ou de réhabilitation d’un établissement pénitentiaire ;

les actions ou les opérations d’aménagement réalisées par l’État ou, pour son compte, par l’un de ses établissements publics (…) dans le périmètre d’une opération d’intérêt national ;

la réalisation d’un réacteur électronucléaire relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes ;

les opérations de construction ou d’aménagement de postes électriques de tension supérieure ou égale à 220 kilovolts.

On fera remarquer que ces 12 500 ha viennent diminuer les droits à consommer des territoires régionaux et infrarégionaux qui, de fait, devront les comptabiliser dans leur consommation réelle. On comprendra alors l’intérêt pour chaque région d’appréhender le plus explicitement possible les projets de l’État dans les domaines concernés, puisqu’ils sont imputés sur leur enveloppe globale.

Les régions ont également la faculté de préserver à leur profit une partie de l’enveloppe globale. Un décret publié au Journal officiel du 28 novembre 2023 adapte la faculté de mutualisation de la consommation ou de l’artificialisation emportée par certains projets d’envergure régionale, qui feront l’objet d’une liste dans le fascicule des règles du SRADDET. Compte tenu de son impact potentiel, cette liste devra être transmise pour avis aux établissements publics de SCoT, aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) compétents et aux communes, ainsi qu’aux départements concernés par ces projets.

Cette organisation emporte deux sources d’incertitude : quel pourcentage chaque niveau va vouloir se réserver dans l’enveloppe nationale de – 50 % attribuée à chaque région, et dans quelle enveloppe imputer un projet transversal majeur, comme le développement d’une zone d’activité portuaire ou une grande installation d’EnR, par exemple ? Ce sera le rôle de la commission régionale de conciliation sur l’artificialisation des sols, prévue dans un troisième et dernier décret paru au Journal officiel du 28 novembre 2023, que d’organiser ces concertations.

ENUMERE

Les projets concernés sont listés par un arrêté du ministre en charge de l’Urbanisme, après avis du président du conseil régional et consultation de la conférence régionale de gouvernance de la politique de réduction de l’artificialisation des sols. La région peut également formuler une proposition pour identifier un tel projet.

En cas de désaccord entre l’État et la région sur la liste nationale, la commission de conciliation instituée dans chaque région pourra être saisie. Il est précisé dans le décret que la présence du maire et du président d’un EPCI est tout particulièrement recommandée quand le projet en question a une implantation concentrée sur un périmètre communal et intercommunal bien circonscrit.

FIN ENUMERE

La région devra-t-elle arbitrer entre ses territoires ?

À une échelle plus fine, l’objectif de diviser par deux la consommation d’espace entre 2021 et 2031 peut être modulé selon les territoires. Il revient aux régions, au titre de leur compétence aménagement du territoire, de proposer des adaptations en fonction de leurs priorités de développement. Celles-ci se seraient sans doute bien passées d’ouvrir la boite de Pandore de la différenciation territoriale, et d’avoir à choisir entre métropoles et territoires ruraux, littoral et arrière-pays, petites villes périphériques ou centre bourgs… Dans les vastes régions de la réforme Hollande[18]Loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales., on imagine l’exercice d’équilibrisme auquel ont dû se livrer les responsables de SRADDET peu enthousiastes à l’idée d’assurer « le service après-vente territorial[19]Selon les termes d’un responsable régional, entretien le 1er septembre 2023. » de la réforme.

Plusieurs régions se sont tout de même essayées à construire des indicateurs territoriaux visant à fournir des critères à une modulation de l’effort. Si elles aboutissent à mettre en concurrence les territoires infrarégionaux, ces tentatives permettent également de dévoiler les différentes dynamiques régionales. Elles viennent ainsi enrichir les premières tentatives de dialogues inter-SCoT portées par les régions depuis 2017 dans le cadre des SRADDET qui, pour la première fois, avaient fait se rencontrer les différentes parties des territoires régionaux. Ces conférences territoriales changent de nature au titre de la loi du 21 août 2021. Il ne s’agit plus seulement de réunir l’ensemble des structures porteuses de SCoT mais plus largement l’ensemble des collectivités – région, intercommunalités, structures porteuses de SCoT, communes avec et sans documents d’urbanisme, départements – ainsi que les services de l’État dans une toute nouvelle conférence régionale de gouvernance de la politique de réduction de l’artificialisation des sols.

À titre d’illustration, la région PACA s’est essayée à construire les trajectoires de consommation des espaces qui la composent à partir de trois indicateurs croisés, les hectares consommés par habitant supplémentaire, par logement supplémentaire et par emploi supplémentaire, à partir des fichiers fonciers fournis par le CEREMA. Il en résulte la mise en évidence de quatre profils territoriaux, du plus vertueux au plus consommateur, qui lui servent aujourd’hui à construire sa stratégie.

Figure 1. Quand la région compare les territoires qui la composent (source : région PACA, service connaissance du territoire, SRADDET PACA, 2023).

À partir de ces indicateurs, la région propose à chaque territoire de moduler ses efforts pour la décennie en cours en fonction des efforts passés, dans une fourchette allant de – 45 % pour les territoires les plus vertueux à – 55 % pour les mauvais élèves de la décennie écoulée. Sur cette base, chaque structure porteuse de SCoT – essentiellement les EPCI – s’est vu notifier son taux d’effort personnalisé. Bien d’autres régions ont utilisé des méthodes similaires, parfois en proposant des écarts de différenciation plus importants avant arbitrages politiques. Citons la région Auvergne-Rhône-Alpes qui, avant les déclarations bien peu républicaines de son président, tablait sur un taux d’effort pouvant aller de – 43 à – 58 %, ou la région Centre-Val de Loire proposant un gradient s’étendant de – 41 à – 61 %.

Un décret publié au Journal officiel du 28 novembre 2023 est venu très récemment ajuster et compléter l’un des décrets partiellement annulés par le Conseil d’État relatif aux objectifs et aux règles générales des SRADDET. Dans son recours, l’Association des maires de France (AMF) reprochait notamment à ce texte une non-prise en compte des efforts de réduction d’artificialisation déjà réalisés. Le nouveau décret précise que, dans le rapport d’objectifs du SRADDET, les critères à considérer sont renforcés en faisant mention explicitement à la prise en compte des efforts passés, et en indiquant qu’il convient de tenir compte de certaines spécificités locales, telles que les enjeux de communes littorales ou de montagne, et plus particulièrement de ceux relevant des risques naturels prévisibles ou du recul du trait de côte. Bonne nouvelle pour les régions, le nouveau décret ne prévoit plus la fixation obligatoire d’une cible chiffrée d’artificialisation à l’échelle infrarégionale. Cela reste une simple faculté. Au vu des prises de position de certaines régions – on pense à AURA –, il est facile d’imaginer que la plupart d’entre elles n’hésiteront pas à utiliser cette toute nouvelle possibilité afin de ne pas s’attirer les foudres des territoires qui les composent.

Quelles que soient les stratégies qui seront adoptées, ces débats laisseront sans doute des traces. Ils auront permis de confronter explicitement les différentes dynamiques territoriales infrarégionales et d’ouvrir une controverse – courtoise mais ferme – entre les composantes régionales[20]On pense ici à la conférence inter-SCoT PACA suivie par l’auteur, qui s’est régulièrement réunie entre 2021 et 2023 et a pu donner lieu à bien des échanges entre les représentants des métropoles – « il faut nous donner les moyens fonciers de nous développer car nous sommes le sens de l’histoire »– et les territoires périurbains et ruraux – « mais les gens veulent s’installer chez nous, pas chez vous ! »..

Le grand marchandage intercommunal

Ces efforts territorialisés peuvent également être mis en œuvre à l’échelle des intercommunalités. Ainsi, rien n’interdit à un EPCI de reventiler entre les communes de son territoire le taux d’effort prévu par les décisions régionales. La loi a même prévu pour ce faire une commission de conciliation. Celle-ci pourra se réunir à la demande d’un établissement public de SCoT, d’un établissement public de coopération intercommunale ou d’une commune compétente en matière de documents d’urbanisme, dans le cadre de l’évolution d’un document d’urbanisme visant à y intégrer les objectifs de réduction de l’artificialisation des sols. La révision de la plupart des documents d’aménagement, qui devra être effective en février 2027 pour les SCoT et en 2028 pour les PLU(I), pourrait donner lieu à de vastes discussions entre les communes et nécessitera sans doute d’importants arbitrages en matière d’armature urbaine comme de densités minimales. Autant d’occasions de mettre en discussion les priorités spatiales et thématiques des projets d’aménagement dans bien des territoires ayant ignoré jusqu’à présent ces enjeux de consommation d’espace.

Les communes qui n’utiliseront pas l’ensemble des droits qui leur sont alloués[21]Dont la fameuse garantie universelle d’un hectare, attribué à toutes les communes françaises par la loi du 20 juillet 2023, visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux. pourront proposer de les mutualiser à l’échelle intercommunale. Dans ce cas, il revient à la conférence des maires ou au bureau de l’EPCI d’élaborer les critères de répartition des terrains non consommés.

Grâce à ces possibilités, il est tentant d’imaginer la création d’une banque intercommunale dans laquelle les droits à consommer de l’espace pourraient être marchandés. Une solution envisagée sérieusement par des services aménagement de grandes intercommunalités comme moyen de faire baisser la pression au cas par cas sur des territoires très tendus. Il n’en demeure pas moins que le cout de l’hectare, ou sa contrepartie, n’est pas évoqué par la loi. Difficile d’anticiper aujourd’hui la forme que pourront prendre les compromis territoriaux.

À la fois créateur d’incertitude mais potentiellement séduisant parce qu’imposant une nouvelle occasion de dialoguer, ce principe souffre néanmoins d’une faiblesse majeure. Dans la pratique, les transactions sur une réaffectation des droits à consommer ne pourront venir fragiliser l’armature urbaine et la répartition des efforts de construction portés par les documents d’aménagement. Si des petites communes périphériques ne souhaitant pas se développer pourront toujours « donner » leurs droits à consommer aux pôles de centralité, à l’inverse, une commune centre pourra difficilement s’exonérer de ses devoirs de centralité en reventilant ses droits à des communes périurbaines.

Vers un renouveau de l’action publique ?

Il est deux points qui sont bien peu abordés dans les débats actuels autour de la mise en œuvre du ZAN. Le premier concerne la nécessité de considérablement muscler l’action publique pour faire la ville en renouvellement, et le second le risque de renchérissement du cout de la construction, rendant encore plus difficile l’accès au logement d’une partie croissante de la population.

Le renouvellement urbain devra être accompagné. Ce n’est pas uniquement une question de forme urbaine ou d’acceptabilité sociale, c’est un nouveau modèle économique de développement. Chacun a pu trouver son compte dans la France pavillonnaire pendant de longues décennies. Les propriétaires terriens valorisaient leur foncier au-delà du raisonnable, les élus locaux confiaient la réalisation des nouveaux quartiers à des lotisseurs privés sans que les nouveaux quartiers viennent peser directement sur les finances locales, et les ménages pouvaient acquérir des parcelles libres de constructeur, pas trop chères, où bâtir à leur rythme et selon leurs possibilités. Cette belle mécanique permettait ainsi de renvoyer au privé, promoteurs et ménages toujours plus endettés et dépendants de leur voiture individuelle, une grande partie du cout de l’aménagement. L’augmentation déraisonnable des temps de déplacement et la crise énergétique sont venues fragiliser ce modèle, que le ZAN contribue également à détricoter. Mais par quoi le remplacer ? La mise en œuvre du ZAN, combinée à l’augmentation des couts de construction et des taux d’intérêt consécutive à l’actualité internationale, pose aujourd’hui bien des questions de recherche. Sans aucune prétention à l’exhaustivité, relevons-en quatre.

La première concerne la possibilité pour l’action publique de libérer du foncier en renouvellement. Nous avons déjà évoqué ce point pour les zones d’activités supra, mais la question se pose d’un point de vue plus général. Dans des zones urbaines à forts enjeux, l’action publique sait mobiliser les outils d’urbanisme opérationnel pour accompagner les mutations de la ville, physiques et sociales. OIN, ZAC, GOU, PPA… sont autant de procédures exceptionnelles pour des territoires exceptionnels. Quid du reste du territoire, de la ville ordinaire ? En matière de maitrise foncière, le développement des actions des EPFR ces vingt dernières années, toujours au plus près des territoires, permet d’esquisser quelques pistes. Mais ces interventions restent en nombre limité, soit qu’elles constituent un démonstrateur devant convaincre le marché privé, soit qu’elles permettent d’intervenir ponctuellement sur un foncier particulièrement stratégique. À quelle condition pourra-t-on multiplier ces interventions dans un marché qui reste essentiellement privé ?

Le défi des interventions foncières est tout autant quantitatif que qualitatif. Celles-ci devront davantage accompagner le marché dans un contexte où le foncier est plus rare, notamment dans les territoires périurbains ou ruraux peu préparés aux mutations qui s’amorcent. Le déploiement de la densité des constructions en périurbain n’est pas le seul enjeu. Les urbanistes devront plus globalement accompagner la diversification des productions dans des territoires souvent « accros » à la villa individuelle de propriétaire afin de pouvoir répondre à l’ensemble des attentes sociales. Accompagner le marché périurbain va notamment consister à développer le rôle des investisseurs institutionnels dans du collectif (retour du Pinel ou du PTZ ciblé ?), de développer fortement le locatif sous toutes ses formes face aux difficultés croissantes de l’accession et pour fluidifier le marché du logement, penser des productions ciblées (logements pour jeunes actifs, pour séniors…) dans des tissus n’offrant que peu de diversité, de parfois réguler des résidences secondaires qui poussent le marché vers le haut… autant de défis qui viennent rappeler la nécessité de construire une véritable ingénierie territoriale et une capacité d’action, même dans la France périphérique. C’était bien le sens de la montée en puissance des intercommunalités ou d’un programme national comme Petites villes de demain. Mais un long chemin reste encore à faire pour pouvoir multiplier des opérations en dentelles qui n’intéressent pas nécessairement les majors de l’immobilier.

La troisième concerne la gestion de la consommation masquée ou les modes de contournement des usages. En réduisant les surfaces d’urbanisation, le ZAN pourrait exacerber les tensions sur des fonciers non constructibles. La démonstration a été faite récemment par le directeur régional de la SAFER PACA qui témoignait des conflits d’usage sur les terres agricoles autour du littoral méditerranéen[22]Neuf novembre 2023, préfecture de région/DREAL, journée d’études « Accompagner les territoires pour concilier développement et sobriété foncière : feuille de route partenariale 2021-2024 », IMVT, « Les conditions de la sobriété foncière dans le périurbain ».. La SAFER s’intéresse de longue date à l’acquisition ou l’occupation de foncier agricole pour des usages de loisir ou d’activités artisanales, notamment ceux qui ont un fort impact sur la quantité des terres de bonne qualité disponibles. Elle s’inquiète ainsi d’un phénomène qu’elle nomme « consommation foncière masquée » qui, bien que très présent, n’entre pas dans le calcul des ENAF et de l’artificialisation.  Si ces consommations sont aujourd’hui étudiées, leurs conséquences en matière de réduction des surfaces productives, de mitage des espaces, de dégradation des milieux naturels et des ressources, ou de conflits d’usage sont peu appréhendées. Ces consommations masquées posent également de nombreuses difficultés aux collectivités en charge de la planification et du droit des sols. S’il est difficile à combattre, le phénomène peut en partie se mesurer grâce à l’analyse des prix de vente. En PACA, et notamment sur le littoral méditerranéen, compte tenu de la forte demande sociale, les prix des différentes terres vendues (bois, terres irriguées, terres en AOP, champs d’oliviers…) se retrouvent multipliés par deux ou par trois, un signe facile à interpréter.

La dernière, enfin, relève de l’augmentation du cout des logements en densification au fur et à mesure que ceux-ci vont devenir la norme. Le pavillon périurbain n’était pas qu’une lubie de propriétaires égoïstes/hédonistes, il était aussi un calcul économique parfaitement pertinent. Les travaux d’Arnaud Bouteille et Jean Cavailhes dans la revue foncière[23]Bouteille A, Cavailhès J. (2016). « Quels surcouts de construction ? », Revue foncière, n°12, p. 6-20. viennent nous rappeler que la densité coute cher, et d’autant plus cher qu’elle est accompagnée d’une politique de qualité urbaine. Les constructions actuelles livrées par les promoteurs respectant la RE 2020 et correctement équipées coutent bien plus cher qu’une carcasse périurbaine, or le marché ne va plus produire que cela… Le risque est donc de faire rendre insolvable un nombre important de primo-accédants. Les auteurs avaient parfaitement quantifié ce surcout il y a quelques années, en moyenne nationale. Compte tenu du renchérissement aujourd’hui des couts de construction, les montants de 2015 peuvent prêter à sourire (ou à pleurer, c’est selon), mais ce sont bien les écarts types entre les différents produits qui sont les plus intéressants.

Tableau 1. Prix moyen des constructions hors Île-de-France selon leur type, en euros HT le m2 habitable[24]Tableau inséré dans Charmes E. (dir.). (2021). Métropole et éloignement résidentiel. Vivre dans le périurbain lyonnais, Paris, Autrement, p. 23..

Si construire en densité coute en moyenne deux fois plus cher qu’une maison individuelle hors d’eau et hors d’air, qui paiera la différence ? Sûrement pas les ménages, a fortiori dans la période actuelle où les taux d’intérêt ont dépassé 6 % et où les prix de la construction ont augmenté de 35 %.

Chacun aura en tête des opérations de renouvellement portées par la puissance publique qui corroborent ces chiffres. Sur nos territoires d’études provençaux, citons, par exemple, le plan Marseille en Grand qui mobilise 274 millions d’euros pour une première tranche de 10 000 logements rénovés, soit 24 000 euros par logement, la réhabilitation d’immeubles dégradés dans le centre de la petite ville provençale de Manosque pour 40 000 euros par logement ou en périurbain, la mobilisation du Fonds friche pour 700 000 euros pour une opération en centre-ville de la petite commune de Volx, soit 30 000 euros par logement. L’intensification n’est pas qu’un modèle de forme urbaine ou de droit des sols, c’est un bouleversement du marché de la production de logement. On fera enfin remarquer que ces chiffres, à prendre pour des ordres de grandeur, ne tiennent pas compte des investissements publics, alors même que la densité devra sans doute être accompagnée par des politiques publiques qualitatives afin que les acheteurs arbitrent dans le sens attendu, ce qui contribue encore à renchérir le modèle.

Conclusion

Le ZAN se prête à bien des lectures qui font les délices des spécialistes de l’action territoriale, mais un point au moins semble absent des débats : quelles conséquences pour les Français ? Et si les enjeux du ZAN étaient en définitive plus financiers qu’intellectuels ? Reconnaissons que si ça renâcle encore un peu, les politiques et projets d’aménagement se mettent en ordre de bataille progressivement. Le mouvement n’est sans doute pas linéaire, mais la direction est tracée. Ce qui interroge l’observateur, c’est plutôt le modèle économique de la construction de logements reposant sur un quadruple défi du renouvellement foncier, de la densification du bâti, de la standardisation par le haut des normes constructives et de l’effort public sur les aménités urbaines. Le ZAN vient nous rappeler pourquoi les Français préfèrent la villa de lotissement en périphérie libre de constructeur ou l’ancien : le neuf en densité n’est tout simplement pas accessible.

Le débat social et politique devra bien affronter ces nouvelles réalités économiques. Il ne s’agit plus seulement de convaincre les habitants que la ville qui se dessine n’est pas nécessairement une punition et qu’il existe un modèle alternatif à la maison individuelle, encore faut-il leur donner les moyens d’y accéder. Les mêmes questions se posent d’un point de vue politique. Comment persuader les élus locaux d’accompagner un marché en pleine reconfiguration dans un contexte de raréfaction du foncier, souvent à l’encontre des volontés de leurs électeurs, si les opérations sont structurellement déficitaires. Compte tenu de la nécessité de mobiliser les outils lourds pour maîtriser le foncier, avec prise de risque financier et montage complexe de subventions publiques, ce type d’opération reste exceptionnel.

Penser l’urbanisme à l’heure du ZAN et de l’intensification urbaine dépasse de loin la simple pédagogie. Toutes les opérations exemplaires mises en avant par les services de l’État, les agences d’urbanisme ou les EPF resteront des cas isolés tant que la question du coût du logement ne sera pas mise au centre des débats.


[1] Languillon-Aussel R, Naudin M. (2023). « Sobriété foncière, évolutions et perspectives comparées. France, Suisse, Angleterre, Japon », La fabrique de la Cité, novembre, 44 p.

[2] Offner JM. (2023). « De la comptabilité foncière à l’aménagement des territoires », Foncier en débat, avril.

[3] Charmes E. (2021). « De quoi le ZAN (zéro artificialisation nette) est-il le nom ? », Foncier en débat, juin.

[4] Denizeau C. (2011). « Le nouveau PLU issu de la loi Grenelle II : densifier sans s’étaler ! », Métropolitiques, [En ligne].

[5] Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (loi ALUR). [En ligne].

[6] Voir la proposition de la Convention (2019) : « Lutter contre l’artificialisation des sols et l’étalement urbain en rendant attractive la vie dans les villes et les villages », en ligne.

[7] La commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers peut être consultée sur toute question relative à la réduction des surfaces naturelles, forestières et à vocation ou à usage agricole, et sur les moyens de contribuer à la limitation de la consommation de ces espaces. Ses membres se réunissent tous les mois afin de donner des avis sur les documents de planification et d’urbanisme, les actes d’urbanisme et l’étude préalable d’un projet de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements. Son secrétariat est assuré par la DDT.

[8] Objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires, 7 avril 2023, Exposé des motifs [En ligne].

[9] Voir France Stratégie (2023). L’artificialisation des sols : un phénomène difficile à maîtriser, note d’analyse [En ligne].

[10] Op. cit.

[11] Sraddet Paca.

[12] Assemblée Nationale, 27 juillet 2021, rapport d’information (…) sur la revalorisation des friches industrielles, commerciales et administratives. [En ligne].

[13] Néau C. (2023). « Ce qu’il faut retenir du projet de loi industrie verte pour les collectivités », La Gazette des communes, Club Finances, 16 mai.

[14] Chalard L. (2017). « France : la géographie des plus fortes croissances urbaines », Population & avenir, n° 735.

[15] Dumont, GF, Guieysse JA, Rebour T. (2022). « Villes et campagnes en France : une grande fracture territoriale ? », Les Analyses de population & avenir, n° 41(4), p. 1-22.

[16] Cavailhès J. (2020). « Artificialisation des sols : de quoi parle-t-on ? », Constructif, n° 57.

[17] Cavailhès J, Charmes E. (2019). « L’électeur “vote pour sa maison”. Quelles conséquences pour le foncier ? », Revue foncière, n° 27, p. 24-27.

[18] Loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales.

[19] Selon les termes d’un responsable régional, entretien le 1er septembre 2023.

[20] On pense ici à la conférence inter-SCoT PACA suivie par l’auteur, qui s’est régulièrement réunie entre 2021 et 2023 et a pu donner lieu à bien des échanges entre les représentants des métropoles – « il faut nous donner les moyens fonciers de nous développer car nous sommes le sens de l’histoire »– et les territoires périurbains et ruraux – « mais les gens veulent s’installer chez nous, pas chez vous ! ».

[21] Dont la fameuse garantie universelle d’un hectare, attribué à toutes les communes françaises par la loi du 20 juillet 2023, visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux.

[22] Neuf novembre 2023, préfecture de région/DREAL, journée d’études « Accompagner les territoires pour concilier développement et sobriété foncière : feuille de route partenariale 2021-2024 », IMVT, « Les conditions de la sobriété foncière dans le périurbain ».

[23] Bouteille A, Cavailhès J. (2016). « Quels surcouts de construction ? », Revue foncière, n°12, p. 6-20.

[24] Tableau inséré dans Charmes E. (dir.). (2021). Métropole et éloignement résidentiel. Vivre dans le périurbain lyonnais, Paris, Autrement, p. 23.