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Cet appel à articles porte sur les spécificités de l’atelier dans la pédagogie en aménagement et urbanisme. La pratique de l’atelier est un objet de recherche paradoxal à plus d’un titre. Elle est très présente dans l’organisation des parcours de formation, à peu près universellement répandue et fortement associée à l’identité de l’urbanisme, alors qu’elle tire son origine d’autres disciplines comme l’architecture et les beaux-arts (Schön, 1984 ; Long, 2012). Forme traditionnelle de l’enseignement de l’urbanisme, considérée un temps comme obsolescente dans certains pays comme les États-Unis (Lang, 1983), elle concentre pourtant plusieurs modalités jugées innovantes aujourd’hui dans l’enseignement supérieur : l’enseignement par le projet ou par la pratique, la classe inversée, le portfolio étudiant… Enfin, la littérature scientifique anglophone sur la pédagogie de l’atelier est d’autant plus abondante (pour une revue de littérature sur le sujet, voir Bastin et Scherrer, 2018) qu’elle est rare dans les publications en français. Néanmoins des publications récentes viennent donner un nouvel élan à la recherche sur l’enseignement de l’urbanisme (no 9 des Cahiers Rameau, no 39-40 de Territoires en mouvement), en particulier sur l’atelier (Carriou, 2018 ; Gomes et Bognon 2018).

Le numéro de la revue devrait permettre de dresser un état des lieux du point de vue de la recherche francophone sur un certain nombre de thématiques de recherche déjà présentes dans la littérature internationale. Les articles attendus peuvent reposer sur des études de cas, comparatives ou non, menées à différentes échelles et alimenter des réflexions théoriques. Ils peuvent s’inscrire dans une ou plusieurs des thématiques proposées.

Thématique 1 : La pédagogie de l’atelier à l’épreuve de sa commande

Dans les formations en urbanisme et aménagement, les ateliers ont une visée professionnalisante et sont souvent menés dans le cadre de commandes réelles avec des institutions publiques et privés du monde de l’aménagement. Ces commandes externes (souvent financées) visent à placer les étudiants en situation d’apprentis urbanistes et de les familiariser avec la pratique professionnelle. Elles reposent alors sur des dispositifs pédagogiques singuliers, au sens où ils introduisent un troisième acteur, le commanditaire professionnel, dans la relation pédagogique entre enseignants et étudiants. Leurs effets ne sont pas neutres sur les pratiques pédagogiques et les apprentissages (Carriou, 2018; Bognon et Gomes, 2018).

Quels objectifs pédagogiques sont associés à ces ateliers sur commande ? En quoi la situation de commande modifie-t-elle les pratiques pédagogiques et les relations entre enseignants et étudiants ? Quelles en sont les implications sur les apprentissages ? Les articles peuvent traiter du cadre des commandes (publiques et privées, réelles et fictives), des interactions entre commanditaires, enseignants et étudiants, des rôles de l’enseignant et les effets de ces situations pédagogiques singulières sur les apprentissages. Ce thème invite également à discuter des apports, mais également de certaines ambiguïtés de ces ateliers sur commandes, orientés par des objectifs de professionnalisation des étudiants pouvant entrer en tension avec d’autres enjeux pédagogiques.

Thématique 2 : Les relations et dispositifs pédagogiques entre enseignants et apprenants

La pédagogie de l’atelier mobilise des formes d’apprentissage spécifiques fondées sur l’éducation par projet et la pratique réflexive (Schön, 1984 ; Balassiano, 2011). Le dispositif pédagogique de l’atelier confronte les étudiants à la résolution d’un problème ouvert, les invite à trouver des modalités de travail collectif et à expérimenter des pratiques urbanistiques innovantes. Les connaissances acquises au cours de l’atelier sont co-construites par les étudiants et l’enseignant et laissent une place à l’expérience au-delà de la transmission de savoirs et savoir-faire génériques (Senbel, 2012). Ainsi, apprendre et enseigner par l’atelier requiert un travail d’adaptation à cette situation d’apprentissage dans laquelle les relations enseignant-apprenant sont redéfinies.

Comment les étudiants se projettent-ils dans cet exercice ? Comment font-ils groupe et quels rôles l’enseignant peut-il jouer pour accompagner la diversité des expériences des apprenants ? Quels dispositifs mettre en place pour permettre à la fois la transmission d’un habitus professionnel, le développement de pratiques créatives et encourager le recul critique ? Ce thème offre l’occasion d’interroger les relations entre apprenants et enseignants comme le rôle de l’enseignant face aux projections des étudiants d’un côté et aux attentes du commanditaire de l’autre. Il permet de présenter également des dispositifs pédagogiques originaux, tant dans les pratiques interdisciplinaires développées que dans le suivi des étudiants mis en place.

Thématique 3 : L’interdisciplinarité dans la pratique pédagogique de l’atelier

La pratique pédagogique de l’atelier est depuis longtemps partagée par différentes disciplines historiquement liées à l’art de la composition, en particulier l’architecture, l’architecture de paysage et le design, tandis que la diffusion récente des méthodes d’apprentissage par le projet, la pratique ou le terrain, dans des disciplines plus académiques, fait foisonner de nouvelles pratiques proches de l’atelier. Au-delà d’une généalogie commune avec l’atelier d’architecture, l’atelier en urbanisme s’est doté de caractéristiques distinctives (place différente dans le cursus, travail individuel/collectif, apprentissages théoriques, professionnalisation..) qui ne sont pas toujours bien comprises de l’extérieur comme de l’intérieur de la discipline (Long, 2012 ; Senbel, 2012). Le détour interdisciplinaire est devenu une façon proactive de renouveler les apprentissages de l’atelier traditionnel, de faire émerger des méthodes nouvelles que les étudiants pourront diffuser au cours de leur pratique future (Neuman, 2016), et de développer de nouvelles compétences de l’urbaniste à la croisée d’expertises différentes (Onk, 2016).

Qu’est-ce que la généalogie de l’atelier peut nous apprendre de l’identité disciplinaire de l’atelier d’urbanisme ? A quels champs de pratiques et de savoirs a-t-il emprunté au cours du temps pour en arriver à sa formulation actelle ? Aujourd’hui, la question reste posée de savoir à quel stade et pour quel objectif faire intervenir l’interdisciplinarité dans l’atelier. Comment identifier le rôle pédagogique différent de l’atelier dans des disciplines qui collaborent dans un même dispositif ? Peut-on simuler des situations concrètes de coopérations interprofessionnelles dans l’atelier ? Comment se servir du mélange des disciplines pour mieux saisir la complexité des enjeux et des projets territoriaux ?

Thématique 4 : L’atelier et son contexte, vus d’ailleurs

Il est généralement reconnu que l’atelier joue un rôle de « pont entre communautés académique et professionnelle » (Brandt et al., 2013), où une « communauté d’apprenants » se familiarise aux normes, aux valeurs de la profession et se forge un habitus professionnel. Or les pratiques professionnelles comme le rôle de l’urbanisme sont encore très différenciées selon les cadres nationaux et les contextes culturels et socio-économiques, ce qui se traduit aussi dans les pratiques pédagogiques de l’atelier. Tout comme les modèles urbanistiques, les modèles pédagogiques circulent et s’échangent autour du globe, au même titre que les étudiants et les enseignants. La diffusion comme la réception de ces modèles pédagogiques sont encore peu explorés du point de vue de la recherche. L’atelier vu d’ailleurs recouvre également une pratique pédagogique volontaire qui fait du déplacement/décentrement son instrument principal, mettant en valeur la dimension transformatrice de l’atelier, lieu d’expérimentation de plus grande prise de risque des étudiants et d’ouverture de leurs propositions (Loukaitou-Sideris et Mukhija, 2016).

Comment adapter tout à la fois un modèle urbanistique et son enseignement en atelier dans un contexte profondément différent de celui de son origine ? Quelle compétences nouvelles (agilité, ruse..) déployer pour réussir le décentrement d’un atelier, et quels apprentissages nouveaux peut-on mesurer en retour pour les étudiants ? Quelle leçon tirer de pratiques récurrentes ou au contraire émergentes d’ateliers internationaux par leur public ou leur terrain ?

Bibliographie

GOMES P. et BOGNON S. (2018) « L’atelier pédagogique en urbanisme : apport des commanditaires à l’apprentissage par problèmes appliqués », Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement, 39-40. [En ligne] 

BALASSIANO K. (2011) “Tackling « Wicked Problems » in Planning Studio Courses”, Journal of Planning Education and Research, 31-4, p. 449-460.  

BASTIN, A. et SCHERRER, F. (2018) « La pédagogie de l’atelier en urbanisme : une revue de la littérature scientifique internationale », note de recherche, Revue internationale d’urbanisme, no 5 [En ligne] 

BOSMAN C. et al. (2010) “First Year Experience and Planning Studio Pedagogics” dans 

ANZAPS (2010) Proceedings, Lincoln University, New-Zealand, [en ligne] 

BRANDT C.B. et al. (2013) “A Theoretical Framework for the Studio as a Learning Environment”, International Journal of Technology and Design Education, 23-2, p. 329-348. 

CARRIOU C. (2018), « L’expérience des « commandes financées » au sein du master d’urbanisme de l’université Paris-Nanterre. » dans Cohen C. et Devisme L. (dir.) L’architecture et l’urbanisme. Au miroir des formations. Cahiers Rameau, n°9. Paris : Editions La Villette.

HEUMANN Leonard F. , WETMORE Louis B. (1984) “A Partial History of Planning Workshops : The Experience of Ten Schools from 1955 to 1984”, Journal of Planning Education and Research,4-2 p. 120-130. 

HIGGINS M. et al. (2009) “The Pedagogy of the Planning Studio: A View from Down Under”, Journal for Education in the Built Environment, 4-1, p. 8-30. 

INAM A. (2010) “Navigating Ambiguity: Comedy Improvisation as a Tool for Urban Design Pedagogy and Practice”, Journal for Education in the Built Environment, 5-1, p. 7-26. 

LANG J. (1983) “Teaching Planning to city planning students. An argument for the studio/workshop approach”, Journal of Planning Education and Research, 2-2, 122-129. 

LONG G. J. (2012) “State of the Studio: Revisiting the Potential of Studio Pedagogy in US-based Planning Programs”, Journal of Planning Education and Research, 32-4, p. 431-448. 

LOUKAITOU-SIDERIS A. et MUKHIJA V. (2016) “Responding to Informality Through Urban Design studio Pedagogy”, Journal of Urban Design, 21-5, p. 577-595

NEUMAN M. (2016). “Teaching collaborative and interdisciplinary service-based urban design and planning studios”, Journal of Urban Design, n° 21(5), p. 596-615

OONK C et al. (2016). “Educating collaborative planners: Strengthening evidence for the learning potential of multi-stakeholder regional learning environments”, Planning Practice and Research, n° 315, p. 533-551

ROOIJ R. et FRANCK A.I. (2016) “Educating spatial planners for the age of co-creation: the need to risk community, science and practice involvement in planning programs and curricula”, Planning Practice and Research, 31-5, p. 473-485. 

SCHÖN D.A. (1984) The Reflective Practitioner: How Professionals Think in Action. Basic Books : New York, 384 p. 

SENBEL M. (2012) “Experiential Learning and the co-creation of Design Artifacts: A Hybrid Urban Design Studio for Planners”, Journal of Planning Education and Research, 32-4, p. 449- 464. 

SHEPHERD A. et COSGRIFF B. (1998) “Problem-based Learning: a Bridge between Planning Education and Planning Practice”, Journal of Planning Education and Research, 17-4, p. 348- 357.