frontispice

Quand la pandémie révèle la médiocrité de nos enveloppes d’urbanité
Habit, habitat, habitacle, habitèle

• Sommaire du no 9

Dominique Boullier Institut d’études politiques, Paris

Quand la pandémie révèle la médiocrité de nos enveloppes d’urbanité : habit, habitat, habitacle, habitèle, Riurba no 9, janvier 2020.
URL : https://www.riurba.review/article/09-objets/pandemie/
Article publié le 1er janv. 2020

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Dominique Boullier
Article publié le 1er janv. 2020
  • Abstract
  • Résumé

How the pandemics highlights the weaknesses of our urban envelopes: habit, habitat, habitacle, habitèle

The masks that pandemics forces us to wear deeply affect the social and urban life that we experience and this change will last far beyond this crisis. But did we take care enough of our envelopes while all innovations were dedicated to extending networks and connectivity? The paper scrutinizes each of our technical skins (habit, habitat, habitacle, habitèle) and shows how disqualified was their decisive role for producing a true internal experience, one that allows us to inhabit our digital ecosystems too.

Les masques que la pandémie nous contraint à porter modifient notre expérience d’urbanité en profondeur et sont appelés à durer. Mais avons-nous suffisamment pris soin de nos enveloppes, alors que toutes les innovations urbaines ont été tournées vers les réseaux, vers la connectivité ? En examinant tour à tour chacune de nos peaux techniques (l’habit, l’habitat, l’habitacle et l’habitèle), nous montrons qu’elles ont toutes été sous-estimées dans leur rôle de production d’un intérieur de qualité, qui nous permet d’habiter aussi nos écosystèmes numériques.

Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
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Le confinement créé par les pouvoirs politiques en réaction au coronavirus constitue une expérience limite, celle d’un renforcement inédit de nos enveloppes. Il suscite ainsi la même réaction immunitaire excessive que celle de nos organismes (Derrida parlait de « maladie auto-immune » à propos des réactions américaines au 11 septembre 2001). Les flux de la globalisation ont sans aucun doute amplifié la propagation du virus, mais les gouvernements ont mis tous ces flux en panne et ont arrêté non seulement le virus mais toute la circulation des corps. Cette réaction immunitaire excessive (même si sans doute nécessaire) indique bien que pendant toute la phase d’équipements de notre globe en réseaux, des porte-containers à Internet en passant par les lignes aériennes, le capitalisme désormais financiarisé n’a jamais pensé stock et plutôt valorisé la fluidité et même la liquidité. Mais il n’a pas non plus pensé enveloppes, c’est-à-dire le contrepoint des réseaux, ces barrières qu’on demande désormais à chacun d’appliquer au corps : rappelons que « l’abaissement des barrières douanières » constitue même un dogme de la globalisation.

Mais ces enveloppes sont désormais nécessaires et visibles, et par ce passage à la limite forcé, nous pouvons vérifier la qualité des enveloppes que nous avons construites, pour mieux préparer une nouvelle politique immunitaire. Car on ne peut pas vivre en réseau si l’on ne dispose pas d’enveloppes. Or le bilan n’est guère brillant si l’on fait le tour de toutes les peaux techniques que notre époque a conçues et qui devraient nous permettre d’habiter des enveloppes vivables : pour les vêtements qui doivent être nos habits, pour nos logements qui devraient être notre habitat, pour nos véhicules qui deviennent des habitacles et pour nos réseaux qui pourraient devenir notre habitèle. Toutes ces peaux techniques nous permettent de produire des intérieurs et donc de nous approprier ces enveloppes, plus ou moins proches du corps et plus ou moins étendues dans l’espace. Mais leur médiocrité de conception explique la profondeur de la crise que nous vivons et l’échec de ce progrès, soi-disant sans alternative, à produire des intérieurs vivables. S’il nous faut réinventer toute notre civilisation immunitaire, comme le proposait Sloterdijk (2005[1]Sloterdijk P. (2005). Sphères. Tome 3 : Écumes, Paris, Libella Maren Sell.), il faudra prendre soin de chacune de ces enveloppes, tout autant que des droits de douane ou la relocalisation.

Prenons chacune de ces enveloppes une à une pour voir comment le virus révèle leurs insuffisances, et comment de nouveaux designs de nos intérieurs sont déjà possibles pour nos habits, nos habitats, nos habitacles, nos habitèles. Cette approche avait été annoncée en 1999 dans mon ouvrage L’urbanité numérique, avec la proposition du néologisme « habitèle » pour notre possiblité d’habiter un réseau numérique. Elle s’inscrivait dans la filiation des travaux de Jean Gagnepain[2]Gagnepain J. (1994). Leçons d’introduction à la théorie de la médiation, Anthropo-logiques n° 5, Louvain-la-Neuve, Peeters [En ligne sur la schématique, comme art d’équiper le sujet, de lui constituer une peau appropriable, pour l’habit et pour l’habitat. Le point clé est ici cette appropriation d’une enveloppe technique qui transforme les deux parties vers un couplage inédit, ou une forme de concrétisation, aurait dit Simondon (1989[3]Simondon G. (1989). L’individuation psychique et collective, Paris, Aubier ; Simondon G. (1969). Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier-Montaigne.). La dimension spatiale de l’enveloppe est indéniable mais, à travers les différentes études de terrain conduites pour valider cette théorie, les questions de rythme, au sens où Henri Lefebvre (1992[4]Lefebvre H. (1992). Éléments de rythmanalyse. Introduction à la connaissance des rythmes, Paris, Syllepse.) vantait la « rythmanalyse », sont devenues tout aussi importantes. La pulsation intérieure de chacune de ces enveloppes est donc décisive pour vérifier qu’un couplage s’est effectivement produit, ce que les Beach Boys auraient appelé « good vibrations » ! Comme on le voit, nous avons depuis longtemps dépassé la thématique des usages, qui se voulait descriptive, ethnographique ou porteuse des arts de faire (de Certeau, 1980[5]Certeau (De) M. (1980). L’invention du quotidien. Tome 1. Arts de faire, Paris, UGE (10/18).), des inouïs, voire de leur résistance. La question est devenue celle de l’appropriation et du couplage (Boullier, 2006[6]Boullier D. (2006). « Aide-toi, l’aide t’aidera. Prise et emprise dans les aides homme-machine », Intellectica, n° 44, p. 17-44.), où la technique et sa puissance propre sont prises en compte mais où les réinventions sont mises en œuvre et suivies de façon très opérationnelle, touchant ainsi plus au design stratégique qu’au commentaire poétique ou subversif. La théorie de l’habitèle permet, pour une partie de ces objets – ceux qui produisent des intérieurs et non pour tous –, de fournir un cadre conceptuel à cette activité matérielle d’appropriation qui soutient les identités et les échanges.

Nos habits : ne pas perdre la face

Nos « habits » sont la version appropriée des vêtements, qui sont, eux, la version technique de la protection. Cette nouvelle peau technique ne fait enveloppe que si elle est appropriée, c’est-à-dire transformée, réinventée et adaptée à chaque expérience singulière. Or les vêtements types de la pandémie sont tout sauf des habits. Les combinaisons étanches des soignants sont standardisées et immédiatement jetées ou désinfectées mais ne sont jamais appropriables. Il s’agit même du contraire d’un système immunitaire qui permet de gérer des échanges. Dans ces vêtements techniques, aucun échange ne doit être permis, car tout est à risque élevé. Les gants, les surblouses et les masques, tous jetables, remplissent la même fonction de protection qui ne permet pas une appropriation. Peut-on envisager de généraliser un tel équipement professionnel à toute une population ? Certes non, mais les contraintes de distance physique ont changé, et nous ne reviendrons pas à l’Ancien Régime, on peut en être sûr, à temps plein ou pour des temps et des lieux spécifiques comme pour les transports. Les enjeux culturels d’une telle transformation de nos relations interpersonnelles sont considérables. Plusieurs pays asiatiques ont pris l’habitude de porter des masques, cela n’a pas pour autant transformé ces derniers en éléments d’un habit. Dans ces pays, le port du masque provient à la fois de la pollution considérable dans les mégalopoles, d’un souci hygiéniste plus ancré que dans les pays occidentaux, en raison d’expériences de nombreuses épidémies et d’un principe de respect des personnes en contact. Cependant, ces masques restent des prothèses contraignantes, provisoires, qui changent les règles des relations en public. Dans les traditions occidentales, le port du masque était réservé au théâtre, et il avait pour fonction d’amplifier la voix. « Per sonare » disait-on, ce qui constitue l’étymologie de la personne et qui doit nous alerter sur l’impasse que constituerait la revendication d’authenticité pour refuser le masque : comme le montrait A. Strauss dans son ouvrage Miroirs et masques (1959[7]Strauss A. (1959). Mirrors and Masks: The Search for Identity, Sage, 1959 (trad. fr. Miroirs et masques, Paris, Metailié, 1992).), nos relations en public sont toujours affaire de masques, quand bien même on y présente sa face. Mais on la présente cependant, on affiche « sourire authentique », « moues » et autres « mimiques » qui aident à la communication tout autant qu’elles la manipulent, et cela sans parler du « maquillage », du « fard », qui disent tout l’art du travestissement de soi qu’est la présentation de la face.

Pourtant, la disparition de la face dans les rencontres, que l’on dit « face-à-face » précisément, est une épreuve culturelle importante, puisque tous ces savoir-faire (et donc savoir simuler ou détecter) peuvent devenir obsolètes. Les masques dont nous disposons pour le grand public au moment de cette crise sont soit des copies des masques professionnels, soit des masques artisanaux où commencent à poindre parfois des choix stylistiques qui pourraient donner lieu à des modes et à des appropriations différentes et tendre ainsi vers l’habit. Cependant, cela ne ferait qu’entériner la perte de la face, et l’on sait que « perdre la face » n’est pas sans conséquence, comme Goffman (1973[8]Goffman E. (1973). La mise en scène de la vie quotidienne, Paris, Éditions de Minuit.) a pu le montrer. Elle suppose une norme partagée qui régule la relation regard/visage, puisqu’on ne doit pas « dévisager », par exemple, et cependant être capable de regarder dans les yeux dans certaines circonstances, toutes normes variables selon les circonstances et les cultures des groupes sociaux. Mais « perdre la face » s’étend parfois à l’honneur de la personne et nécessite alors des échanges réparateurs, qui doivent être, lorsqu’ils se déroulent en public, démonstratifs autant pour la victime que pour l’audience. La reconnaissance réciproque doit cependant pouvoir circuler avec l’appui de la présentation des faces, même si le dévoilement de la face est une forme de prise de risque mais aussi un gage de la confiance dans l’autre. Or le débat public a été contaminé depuis près de vingt ans, en France en particulier, par une obsession autour du voile islamique. Dans ces conditions, l’exposition publique de soi à travers sa face s’est trouvée réaffirmée comme norme sociale fondamentale pour la confiance dans les relations en public, notamment pour contrer la dissimulation assimilée au terrorisme. Ce principe a été parfois étendu jusqu’au foulard, qui ne concerne pas la face pourtant, et à tous les signes religieux. De fait, ce débat se retrouve bousculé par l’extension, obligatoire ou facultative selon les situations, du port du masque. Si nous voulons garder ce principe de l’exposition de la face dans les relations interpersonnelles, voire en public, il faudra réinventer les masques pour qu’ils restent compatibles avec nos interactions ordinaires en public, avec notre urbanité, au-delà des seuls enjeux sanitaires et religieux. En effet, il nous faut admettre que nous devrons vivre avec le virus, « devenir avec » selon l’expression/programme de Donna Haraway (2007[9]Haraway D. (2007). Manifeste cyborg et autres essais. Sciences, fictions, féminismes. Anthologie établie par Laurence Allard, Delphine Gardey et Nathalie Magnan, Paris, Exils.) à propos des espèces compagnons, et mieux encore, avec les virus (5 000 connus, dont plusieurs se transmettent en effet par voie orale, et cela sans parler des bactéries). Le moment est venu de tenter des expérimentations techniques et normatives pour faire de ce masque un habit, c’est-à-dire pour le rendre appropriable selon nos impératifs culturels, dans toute leur diversité.

Admettons que le masque technique que nous connaissons chez les professionnels (FFP2 et chirurgical) bloque délibérément les vecteurs de communication que sont la bouche et les expressions associées (sans parler de la gêne certaine pour l’expression orale). Certains pourront dire que « les yeux parlent », encore faut-il apprendre à les décoder, et qu’il vaut mieux apprendre alors à les amplifier comme on le fait au théâtre avec les masques de la Comedia dell’arte ! Cela aurait pu devenir un problème pour les tenants de la reconnaissance faciale et tous ceux qui prônaient l’interdiction des masques pendant les manifestations. Mais les firmes qui commercialisent ces services ont aussitôt affirmé que la reconnaissance faciale permettrait d’identifier un visage, même lorsqu’il se restreint à la partie haute du visage. Il faudrait donc accepter d’être « dévisagé » par un système technique à notre insu pendant des situations en public mais il faudrait en plus s’obliger à porter un masque qui perturbe profondément nos relations interpersonnelles sans pour autant bloquer l’intrusion des systèmes de surveillance. Comme on le voit, ces injonctions paraissent contradictoires mais trouvent toujours des solutions techniques pour les tenants de la surveillance à tout prix. Or tous ces débats qui émergent au même moment indiquent bien qu’un grand bouleversement de nos enveloppes est en cours, mis en forme par le libéralisme autoritaire, comme l’a décrit Grégoire Chamayou (2018[10]Chamayou G. (2018). La société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire, Paris, La Fabrique.). État d’urgence anti-terroriste et état d’urgence sanitaire semblent ainsi se renforcer pour modeler un univers de surveillance urbaine appelé à durer, et accompagné désormais des drones, dont Chamayou (2013[11]Chamayou G. (2013). Théorie du drone, Paris, La Fabrique.) avait fait d’ailleurs une remarquable « théorie ». Déléguer totalement décisions et responsabilité à l’intelligence artificielle revient à les déléguer à certaines firmes, qui elles-mêmes, ne l’oublions pas, les délèguent à des armées d’esclaves numériques qui sont chargés d’entraîner les algorithmes pour des revenus de misère (Casilli, 2019[12]Casilli A.A. (2019). En attendant les robots. Enquête sur le travail du clic, Paris, Le Seuil, 394 p.). La doctrine de la visibilité à tout prix devrait ainsi obliger à dévoiler cette arrière-cuisine peu ragoutante et très low tech d’une technologie, l’Intelligence Artificielle (IA), présentée comme la dernière merveille du progrès inéluctable. C’est la condition d’un débat informé.

Pour reconstituer la reconnaissance interhumaine en face à face et permettre de s’approprier le masque, il nous faudra poser comme condition, dans les cahiers des charges futurs, la transparence du masque. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il soit réalisé en plastique, ce qui accentuerait notre dépendance au pétrole, alors qu’il pourrait très bien exploiter d’autres ressources naturelles qui produisent des enveloppes quasi équivalentes au plastique (cf. les sacs des supermarchés). Les tentatives faites avec des visières plastiques peuvent constituer une piste dans ce domaine. Il ne s’agit pas seulement de bricolage, ni d’un détail esthétique. Cet accès à la face des autres est essentiel pour garder nos capacités de communication en public. Certains amateurs ont produit avec leurs imprimantes 3D des visières avec des feuilles de classeurs, et d’autres ont produit des masques avec une partie transparente permettant aux sourds de continuer à lire sur les lèvres. Les designers ont aussi des idées passionnantes sur la question, comme celle du studio Production Club ou celle postée sur Designboom[13]Voir « Bubble shield ». Designlibero imagines a solar-powered personal space [En ligne. Elle n’est pas sans rappeler la proposition de Fred Vargas[14]Voir (2020) « Il n’y aura pas de masques : quand Fred Vargas défendait sa cape antivirus » L’Obs, 8 mai 2020 [En ligne € (romancière et épidémiologiste), en 2006, d’une cape transparente, qui apparaît désormais visionnaire (elle prenait même en compte la difficulté à respirer en installant deux fermetures Éclair à hauteur de la bouche pour créer une ouverture lorsqu’il n’y a personne en face !).

Cette proposition est remarquable car elle intègre l’impératif de transparence du masque au-delà du masque et offre une solution plus générale qui fait abri, protection contre les intempéries, ce qui est la base même de tout vêtement, et cela pourra être utile pour nos véhicules, à vélo par exemple, comme nous le verrons. La notion de bulle avait été déjà mobilisée par Goffman dans les interactions en public ou encore par Sloterdijk dans sa philosophie générale des sphères. Le premier tome de cette série, intitulé Bulles (2002[15]Sloterdijk P. (2002). Sphères. Tome 1 : Bulles, Paris, Libella Maren Sell.), fait notamment l’histoire de « l’apparition de la sphère intime interfaciale » (chapitre II) et pourrait nous conduire à la mise en cause de l’intime par cette obligation du masque. Car le « prosopon », le visage en grec, « désigne ce que l’on apporte à la vision des autres » (idem, p. 211) et son retrait, contre le portrait, conduit à mettre en cause les conditions de l’intersubjectivité, que l’expérience urbaine équipe et démultiplie à la fois. Sloterdijk développe ensuite dans le tome 3 (2005[16]Op. cit.) le concept d’écume, en rappelant que nous sommes des bulles cofragiles affectées par le mouvement de cette écume. Il emploie aussi l’expression de « connected isolations », et la visibilité permise par cette bulle restitue la connexion, qui pourra être renforcée encore par les dispositifs numériques de l’habitèle, comme nous le verrons. Il sera notamment primordial d’éviter que cette transparence, indispensable pour la reconnaissance réciproque, autorise l’accès aux systèmes de surveillance, qu’ils soient thermiques, infrarouges, caméras, plus ou moins équipés d’IA. C’est pourquoi les dispositifs de masque avec QR-code qui trompe les capteurs devront constituer un pré-requis pour la sauvegarde des libertés dans un capitalisme de surveillance. La dernière fiction d’Alain Damasio, Les furtifs[17]Damasio A. (2019). Les furtifs, Paris, La Volte., pousse cette situation à son extrême conflictualité et créativité, à travers des glyphes qui doivent produire cette furtivité, et cela dans des environnements urbains totalement maîtrisés par les firmes qui donnent même leurs noms aux villes (Civin pour Lyon et Orange… pour Orange !). Mais dès aujourd’hui, les militants de Hong-Kong ont fait preuve de grandes capacités d’innovation de ce point de vue, avec leurs masques et leurs lasers. Il faudra donc coupler transparence et dispositif de brouillage[18]McMullan T. (2017). « This strange AI “camouflage” can stop you being identified by facial detection software », Alphr [En ligne, ce qui donne un espace considérable pour l’innovation. Notons enfin que ces bulles pourront être associées aux lunettes qui sont déjà des barrières acceptées en public (même les lunettes de soleil). Elles seront certes numériques mais devront réviser totalement les principes que Google avait tenté de mettre en œuvre et être équipées elles aussi par des systèmes de brouillage contre toute intrusion non acceptée explicitement.

L’ancienne définition fonctionnelle des vêtements ne suffit plus face à l’expérience durable de la contamination mais ce n’est pas en réduisant notre capacité d’habit que nous allons pouvoir reprendre la main sur ces environnements plus exigeants. Le design de ces enveloppes doit au contraire renforcer la capacité d’habit, celle qui fait du vêtement un habit personnel unique et communiquant avec les autres, dans une relation double de distinction et de participation aux modes et aux groupes affinitaires. Le couplage sera long à mettre en place pour parvenir à la « concrétisation » que Simondon considère comme l’aboutissement de ces processus d’évolution technique. Ce sera l’occasion de revoir les modes de production des vêtements contemporains qui poussent à son paroxysme la circulation mondiale effrénée et en flux tendu telle que pratiquée par Zara (Long, 2020[19]Long O. (2020). « Biologistique des corps », Lundimatin, n° 237 [En ligne). De plus, tous les effets environnementaux et sociaux de ce mode de production textile devront être revisités. Précisons en effet que la bulle ne doit pas nécessairement être totalement transparente puisque nous avons insisté sur le rôle de la face avant tout, alors que les fonctions de régulation de la pudeur et de distinction peuvent continuer à s’appliquer à tout le reste du vêtement. La bulle technique peut elle-même se transformer en habit dès lors qu’on peut la personnaliser dans ses formes et ses couleurs et dans ses connexions (wearable devices) qui ajouteraient des variations infinies. Bref, nous ne sommes qu’au début d’une révision de nos façons de déployer nos habits, et ainsi d’interagir en public dans les situations urbaines les plus ordinaires.

Notre habitat empêché

La production de logements a été industrialisée au XXe siècle, et pourtant des villes entières comportent de larges bidonvilles (Lagos), slums (Dharavi, Mumbai), favélas (Rocinha, Rio), pour ne parler que de certaines que je connais personnellement. Dans une grande majorité de villes, les logements sont de médiocre qualité et empêchent d’habiter, c’est-à-dire de s’approprier ces logements, ces abris techniques. C’est ce qui est apparu dans toute son inégalité lors du confinement. Cette médiocrité des logements rend l’épreuve du confinement difficilement supportable. On doit occuper un espace restreint à plusieurs, espace lui-même peu isolé des voisins et sans sas vers l’extérieur, où l’on retrouve immédiatement les effets de la foule ou de la coexistence contrainte. Occuper un espace, loger, n’est pas habiter, quand bien même les humains font des merveilles pour s’adapter aux ressources limitées et parviennent avec le temps à habiter une favéla, un slum ou un terrain vague, voire parfois un camp provisoire-qui-dure, comme le font les migrants dans plusieurs endroits de la planète. Mais cela demande un grand effort, un soutien du collectif, à condition de récupérer de façon dégradée certaines des capacités des nomades qui savent habiter alors que leur logement est provisoire. Le mât y joue pour eux un rôle important et les itinéraires répétitifs aussi, ce qui engendre un couplage avec leur environnement qui n’est pas du tout l’expérience vécue par les migrants (Radkowski, 2002[20]Radkowski GH. (2002). Anthropologie de l’habiter : vers le nomadisme, Paris, PUF.).

La pandémie ne fait que mettre à jour une épreuve permanente qui s’est aggravée dans les métropoles depuis que le logement est devenu objet de spéculation effrénée sous l’emprise de la finance. Lelogement n’est plus l’objet de l’investissement, ni même l’habitat, on parle alors d’investissement « dans la pierre ». Le terme dit bien la déshumanisation de cette marchandisation générale alors qu’il s’agit pourtant d’une dimension anthropologique essentielle. L’homme habite, lui, et ne se contente pas de trouver un gîte, comme le font les animaux. Et cet habitat qui repose sur une habituation doit permettre de s’approprier l’enveloppe technique, qui fait abri mais ne suffit pas à devenir appropriée pour faire habitat. Même l’hôtel qu’on propose aux soignants ou à certains malades, à l’évidence, n’est pas un habitat mais un logement provisoire, et encore plus, pour les patients, la chambre d’hôpital qui relève plutôt de la capsule technique que de la chambre habitée, car la capacité des hôpitaux est déjà réduite (sans parler du couloir où l’on entrepose les lits en temps de crise aiguë et qui choque tant). On pense encore cependant qu’il est important de favoriser les chambres individuelles comme une marque résiduelle de respect de cette capacité humaine d’habitat, alors que, en temps ordinaire, les personnels entrent et sortent à volonté, indiquant bien ainsi que ces espaces sont les leurs et que tout est fait pour encourager le départ, dans ce principe ambulatoire qui est géré désormais par les bed managers qui ne pensent plus en chambres ni en enveloppes (Velut, 2020[21]Velut S. (2020). L’hôpital, une nouvelle industrie. Le langage comme symptôme ?, Paris, Gallimard.).

La cohabitation prend cependant une tournure bien plus problématique lorsque l’alternance domicile-travail s’interrompt et que l’école ne prend plus en charge les enfants. La qualité des espaces individuels au sein d’un logement que l’on habite collectivement se révèle très inégale : entre quartiers, selon les revenus, selon les générations et à l’intérieur des familles. On comprend alors qu’habiter est distribué selon les membres d’un « ménage » (pour reprendre les catégories de l’INSEE, ce qui permet d’éviter l’idée de « famille ») et cela inégalement. Les adolescents sont depuis toujours les cas les plus problématiques car contraints de cohabiter quand ils rêvent de pouvoir manifester leur capacité autonome d’habiter (avec toute l’ambivalence qui les caractérise à cette étape de la vie). L’absence de modularité des logements rend ainsi difficile d’habiter de façon plus partagée. Cependant, un élément du cadre bâti a pris une valeur importante comme exemple de modularité : le balcon. Pour applaudir les soignants, il faut pouvoir être visible des autres, tout en restant confiné à l’intérieur du logement. Le balcon est la synthèse la plus confortable de ces deux contraintes, comme le sont tous les espaces de transition que l’on peut ajouter à un logement, tels qu’un jardinet au rez-de-chaussée, voire même une coursive extérieure. Ces transitions entre espace public et espace privé donnent des occasions de mise en scène de soi que certains artistes ont exploitées pendant le confinement. La sociabilité de balcons et de fenêtres a retrouvé des lettres de noblesse au-delà de sa caricature comme mode de surveillance et de ragot. C’est dire qu’habiter ne consiste pas à produire une bulle fermée sur elle-même, mais – et surtout en période de confinement – à profiter de tout ce qui peut permettre de faire une enveloppe poreuse, qui joue ainsi son rôle immunitaire de filtre. L’exemple des habitats coopératifs dont l’architecture a été pensée pour favoriser cette urbanité prend ici tout son sens, comme à Genève.

Le télétravail renforce la pression sur tous les cohabitants lorsqu’aucun aménagement préalable n’a été prévu. Les pièces de travail existent souvent dans les maisons individuelles, du grenier à la cave, du garage au cabanon, et cela permet d’habiter de façon différenciée selon les activités dans lesquelles on est engagé. Mais le plus souvent, l’espace de travail simulé dans l’appartement n’a aucun effet d’enveloppe secondaire, malgré le casque, le micro et la caméra qui découpent un espace propre très fragile (et l’on voit que l’habit et l’habitèle sont affectés). On peut alors parler d’écume et de cofragilité, assez voisine somme toute de celle qu’on expérimente en open space dans les lieux dédiés au travail que sont les bureaux. Bien d’autres lieux de travail sont indéménageables, mais la quantité d’activités de bureau qui se révèlent déménageables est devenue nettement plus visible durant cette expérience limite. Cela aura nécessairement des effets sur l’immobilier de bureau. Les professionnels du secteur sont très avertis, avant même la pandémie, de ces mutations et ont imaginé ce qu’habiter un bureau peut vouloir dire et si cela dépasse l’utilisation d’une machine à café collective. Les solutions d’allègement de l’occupation des plateaux sont souvent avancées (4m2 par personne !), mais on peut imaginer aussi que la bulle casque/écran soit encore renforcée sur le plan sanitaire en inventant des dispositifs de cloche, avec divers degrés de transparence. Déjà, les poignées de porte ont été remplacées par des pédales et pourraient l’être par des commandes vocales. Le design détaillé des espaces et des mobiliers devra donc être revu à la lumière de ces contraintes nouvelles. L’enjeu consiste surtout à ne pas le réduire à sa dimension sanitaire ou de performance technique mais à parvenir à augmenter dans le même temps la capacité d’habiter qui était souvent médiocre. La faisabilité d’un télétravail de masse ainsi expérimentée, avec les technologies de communication qui conviennent, va nécessairement obliger à revoir tant les espaces domestiques que les espaces de bureau. La simulation parfois difficile de l’espace de travail au sein de l’univers domestique peut aussi fournir une piste puisque les univers virtuels qui étaient tendance à la fin des années 2000 avec Second Life pourraient retrouver un intérêt, à condition d’être équipés de réels dispositifs immersifs, ce qui s’observe dans le renouveau pour des plateformes comme Minecraft ou Fortnite ou encore pour les métaverses. Cependant, habiter ces univers virtuels reste une question complexe comme l’avait bien étudié Jean-François Lucas (2018[22]Lucas JF. (2018). « Les figures de l’habitant dans les mondes virtuels », Sciences du jeu, octobre [En ligne).

Mais ce possible télétravail affectera aussi directement tout l’écosystème des mobilités qui ne peuvent plus prétendre reposer sur une alternance domicile-travail à base de transports en commun, dès lors que le zoning fonctionnel a été adopté en séparant toujours plus travail et domicile. Il faudrait donc admettre que la distribution des zones fonctionnelles puisse se retrouver… au sein même du logement ! Plus largement, le débat sur la concentration urbaine est déjà relancé. Dans le but de réduire la consommation de surface agricole et de réduire les émissions de CO2 dues aux déplacements, on a pris l’habitude de vanter la concentration urbaine et la verticalité des villes, créant ainsi pour les écologistes des contradictions certaines. Mais si l’on y ajoute l’impératif du droit non pas au logement mais à l’habitat, ce qui suppose – on vient de le voir – certaines conditions techniques élémentaires, il devient particulièrement difficile d’éviter soit l’étalement urbain pour des logements plus individuels, soit un urbanisme vertical renforcé avec des tours d’habitation très bien équipées, comme on peut le voir au Brésil, par exemple, (y compris avec des services collectifs partagés dans l’immeuble). La possible relance de l’activité des villes moyennes est aussi évoquée puisque le télétravail permet de réduire les commutations à quelques-unes par semaine ; tout cela suppose malgré tout une redéfinition des priorités des systèmes de transport.

Dans tous les cas, cela suppose de changer le statut du logement pour en faire un droit essentiel, en interdisant la spéculation, pour que l’habitat soit possible. Et ce droit d’habiter, dès lors qu’il serait étendu à tous les pays du monde (!), exigerait des investissements urbains colossaux, qui relèvent des plans d’urgence que les États s’avèrent finalement capables de mettre sur pied pour lutter contre le coronavirus et la crise économique qui l’accompagne. Or sur le plan épidémiologique, il est avéré que certaines maladies contagieuses à transmission via la voie oro-fécale (peste, typhus, tuberculose, poliomyélite, choléra) ont grandement disparu non seulement par la vaccination mais aussi grâce aux mesures d’hygiène qui dépendent largement de la qualité urbaine en général – et de l’eau et de l’assainissement en particulier (Frioux, 2013[23]Frioux S. (2013). Les batailles de l’hygiène. Villes et environnement de Pasteur aux Trente Glorieuses, Paris, PUF, 388 p.).

Si la condition humaine de l’anthropocène suppose d’accepter d’être à l’intérieur d’un cosmos qu’on ne maîtrise pas et qui nous affecte, il faut que notre conception de l’habitat prenne cela en compte et ne traite pas ces problèmes seulement en temps de crise. Le lestage, le filtrage et l’arbitrage sont les trois qualités nécessaires à l’habiter. Lester, c’est trouver ses repères, être ordonné verticalement dans un sol et vers un ciel, même si l’équipement de ce lestage se limite à un mât. Pour la ville, c’est sa dimension de centralité (Lefebvre, 1972[24]Lefebvre H. (1972). Espace et politique. Tome 2 : Le droit à la ville, Paris, Anthropos.). Par contraste, l’horizontalité abusive prônée par les réseaux de transport ou de télécommunications engendre cette prolifération générale des contacts sans principe, si ce n’est la prédation des milieux et des esprits. Filtrer, c’est développer une politique immunitaire, qui n’est pas fermeture mais sélection et échange contrôlé. Pour cela, des conditions techniques, politiques et sociales sont à réunir, c’est ce que nous avons mis en avant précédemment. Pour la ville, c’est sa dimension d’accessibilité, qui implique aussi contrôle d’accès qui devient clé. Enfin, arbitrer, c’est mettre en place un climat qui régule les priorités en faveur de la vie qui circule entre les habitants et avec son cosmos. Ce que peut faire le Feng shui, cette recherche de l’équilibre, il faut le retrouver, alors que l’expérience de confinement nous a mis en face de ce que sont nos vies et nos priorités, et du climat que nous créons « entre les êtres », là où commence la politique, disait Arendt. Or la question de la « distance sociale » (qui est en fait physique) est précisément créatrice de tensions et d’obligations de réguler toutes nos distances, comme ce sera le cas dans les mouvements de foule des concerts ou des matchs de foot ou dans les restaurants et surtout dans les transports. Comme nous allons le voir, ce dernier point relève d’une autre enveloppe, celle de l’habitacle.

Nos habitacles : le succès paradoxal de l’automobile
sera-t-il amplifié par l’épidémie ?

Il peut paraître étrange de prétendre que l’on habite sa voiture. Et pourtant, le processus d’appropriation est analogue à celui de l’habitat. Une voiture produite industriellement est un véhicule mais elle devient très vite notre habitacle, au sens où nous y inscrivons des habitudes, un couplage particulier, et ces habitudes vont faciliter la vie et produire la singularité de ce véhicule pourtant industriel. Le succès de l’automobile comme habitacle est indéniable et constitue le principal obstacle à tout changement profond de nos modes de transport. Laurent Fouillé souligne même que cet attachement automobile qui fait l’objet de ses travaux peut même devenir un obstacle au déconfinement écologiquement responsable (Fouillé, 2020[25]Fouillé L. (2020). « Déconfinement. Nous devons nous démobiliser », Libération, 28 avril [En ligne). La crainte de la promiscuité des transports en commun qui ne parviennent jamais à faire habitacle mais seulement véhicule partagé, plus proche en temps de congestion du wagon à bestiaux que de la voiture, peut engendrer une réaction « autosoliste » (car même la cohabitation dans le même habitacle avec le covoiturage pourrait devenir menaçante). Là encore, cette expérience de la limite provoquée par le confinement ne provoque pas la dégradation de notre capacité d’habitacle, elle révèle à quel point nous sommes très souvent empêchés de faire habitacle, c’est-à-dire de produire une enveloppe que nous nous approprions. L’automobile le permet paradoxalement « trop »bien si on l’examine du point de vue des conséquences sur l’environnement. Voilà la contradiction dans laquelle nous nous trouvons, la seule enveloppe vraiment réussie a entraîné tout l’univers urbain dans une dérive très difficile à rattraper bien que le confinement semble, en première approche et à court terme, une occasion à ne pas manquer pour les modes de déplacement alternatifs au tout automobile. Un retour à la captivité automobile serait catastrophique, non seulement pour les émissions de CO2 mais aussi à cause de l’espace ainsi occupé dans la ville et du temps perdu par l’effet systémique des embouteillages.

Le vélo peut prétendre occuper la place de véhicule d’avenir mais il se heurtera à son incapacité à offrir un abri technique (intempéries ou chocs) et donc à permettre de produire un habitacle. Là encore, il faudra innover. Dans mon livre L’urbanité numérique, publié en 1999[26]Boullier D. (1999). L’urbanité numérique, Paris, L’Harmattan, 184 p., j’avais annoncé le triomphe d’un mode de déplacement individuel : je pensais à l’époque aux patins à roulettes (aujourd’hui les giroroues, les Segway…), dont on pourrait copier les fonctions techniques en équipant le patineur d’une coque, d’une bulle, tout à fait proche de celle que l’on a vu précédemment pour l’habit. Admettons en effet que, dans les conditions actuelles de surpopulation, toute prétention des transports en commun à offrir des aménagements permettant de faire enveloppe (et donc habitacle personnalisé ou partagé au sein des véhicules que sont les transports en commun) demeurera peu réaliste à moyen terme. Il faut donc préparer cet avènement d’un véhicule individuel à consommation énergétique très faible (comme le vélo électrique[27]Boullier D, Crepel M. (2014). « Vélib and data: a new way of inhabiting the city », Urbe, vol. 6, 2014, p. 47-56.) que l’on équipe progressivement de fonctionnalités qui permettent de le transformer en habitacle. L’innovation dans ce domaine doit à la fois exploiter les potentiels des technologies numériques mais aussi des techniques de design qui prennent en compte l’absence de propriété juridique (la location éphémère), la modularité de l’objet (avec chargement possible de bagages et d’autres personnes), la protection contre les intempéries, les fonctions du nouvel habit immunitaire, les exigences de sécurité des personnes jusqu’ici très sous-estimées (cf. les accidents de trottinette…). L’enjeu n’est donc pas de peupler les véhicules autonomes, d’autant moins si on les réplique directement du modèle de la voiture à quatre places, elle-même héritée des cabriolets. Le cahier des charges proposé ci-dessus devrait s’appliquer entièrement à ces véhicules autonomes, pour qu’ils puissent se convertir en habitacles partagés et modulaires écologiquement responsables et non pour prolonger l’effet diligence de cette vieille innovation qu’est l’automobile, pourtant si performante à rendre possible un habitacle.

Il reste que des voyages à plus longue distance peuvent encore mobiliser les techniques classiques du train et de l’avion. Mais il deviendra désormais inadmissible d’accepter d’être parqué et entassé dans des cabines sans place pour les genoux ni les coudes, comme des poulets de batterie, alors que l’on voudrait pouvoir faire habitacle, dans le bus, le train ou l’avion. Les justifications écologiques de la réduction des vols avaient déjà gagné des points ces dernières années. Désormais, s’y ajouteront les justifications immunitaires qui devraient obliger les compagnies aériennes à revoir leur offre commerciale avec pour effet de réduire considérablement ces déplacements au long cours, qu’ils soient d’affaire ou de tourisme. Il faut bien reconnaître que les choix faits au cœur de la crise pour sauver à tout prix ce mode de déplacement n’augurent rien de bon dans ce sens. L’antiglobalisation antiaérienne devra devenir une pratique collective, voire un mouvement social avant d’espérer une décision politique. Les ressources des réseaux numériques seront aussi disponibles comme alternatives à certaines des activités dans ce domaine, la connectivité venant au secours de l’accessibilité. Encore faut-il qu’on ne remplace pas l’automaticité des voies aériennes par la prolifération des communications en réseaux, sous peine de rendre ce monde tout aussi invivable que celui qui nous empêche de faire habitacle.

L’habitèle sous emprise des plateformes

L’expérience numérique des mois de confinement aura atteint une intensité tout à fait inédite. Elle aura mis en évidence aussi les profondes inégalités d’accès à ces ressources qui ont pu faire perdre pied à certains élèves, par exemple (Pasquier, 2018[28]Pasquier D. (2018). L’Internet des familles modestes. Enquête dans la France rurale, Paris, Presses des Mines.). Mais la connexion au réseau ne suffit pas à la littératie numérique, comme on le sait, car il existe beaucoup de raisons pour ne pas parvenir à prendre sa place dans le rythme intense de la vie des réseaux numériques. Le traitement du problème en termes de réseaux est déjà un indicateur de l’insuffisante compréhension de ce qui se joue dans notre relation à l’écosystème numérique. Nous sommes à l’intérieur de cet écosystème numérique et nous ne parvenons pas à y habiter, nous sommes empêchés de faire habitèle[29]Néologisme que j’ai forgé il y a 20 ans et qui a fait l’objet de nombreux articles (Boullier D. (2004). « Portables en tous genres et prises sur le monde », Consommation et société, n° 4. [En ligneUrbe, vol. 6(1), p. 13-16 ; Boullier D. (2017). « Habiter son enveloppe numérique », dans Lussault M et al., Constellation.s, habiter le monde, Paris, Actes Sud ; Boullier D, Crepel M, Lohard A, Chaudet C. (2014). Habitèle. Identités numériques portables, ANR, juillet, 415 p.) fondés sur des enquêtes de terrain (2014, 2017) que j’ai conduites avec mes collègues du médialab de Sciences Po dans dix pays différents.. En régime médiatique normal, les plateformes stimulent notre engagement permanent en suscitant des réactions et en valorisant tous les contenus qui choquent et font réagir sans hiérarchiser l’information : les LOL et les fake news prolifèrent ainsi et captent notre attention (Citton, 2014[30]Citton Y. (2014). Pour une écologie de l’attention, Paris, Seuil.). Ce régime d’attention (Boullier, 2009[31]Boullier D. (2009). « Les industries de l’attention : fidélisation, alerte ou immersion », Réseaux, n° 154, p. 231-246.) que j’appelle le régime de l’alerte mise tout sur l’intensité du choc d’attention. Mais durant l’épidémie, c’est une autre forme de captation de l’attention qui est apparue, ce que j’appelle le régime de l’immersion et qui se traduit par cet effet « machine à laver » où les mêmes thèmes, les mêmes sujets, les mêmes mesures sont proposées tout au long de la journée et notamment sur les chaînes d’information répétitives (nombre de morts, manque de masques, etc.). Nous sommes pris à l’intérieur de cette machine à réplications que sont Twitter ou les chaînes d’information répétitives et nous ne parvenons pas à reprendre la main sur ces flux. Là encore, notre habitat numérique est ouvert à tous les vents et ne permet pas de faire enveloppe. Ce qui ne veut pas dire que, comme pour l’automobile, nous ne soyons pas attachés à ce rythme effréné, à cette haute fréquence et à cette répétition qui génèrent tour à tour soit de l’adrénaline, soit de la dopamine, soit une forme de sidération. D’autant plus que tous ces services sont annoncés comme personnalisés, adaptés à nos goûts, que les plateformes connaissent mieux que nous. Et pour cause, puisqu’elles exploitent toutes les traces que nous laissons pendant nos parcours, à partir du plus infime de nos comportements. Là aussi, cette prédation de nos traces personnelles ne peut en aucun cas permettre d’habiter le numérique, de faire habitèle, malgré l’aide récente du Règlement Général de Protection des Données (RGPD).

Car que voudrait dire « faire habitèle », c’est-à-dire habiter notre écosystème numérique ? Cela supposerait de pouvoir filtrer, à volonté et en le sachant, ce qui entre et qui sort de notre champ attentionnel, ce qui circule dans nos réseaux, grâce à notre enveloppe numérique, la forme technique de notre appropriation du réseau. Pour des raisons de sécurité, les entreprises installent des firewalls, principe immunitaire par excellence : on devrait aussi inventer son équivalent pour nos esprits, et cette fois-ci sans le penser comme un mur mais plutôt comme une membrane filtrante, identique à tout dispositif immunitaire. À n’en pas douter, cela ralentit les flux. Or la vitesse est le dogme vital de tous ces réseaux et plateformes, dans le but d’éliminer toute réflexion, toute délibération, tout consentement éclairé et d’encourager la réactivité et l’achat « en un seul clic ». Nos filtres doivent pouvoir contrôler :

les contenus, selon les sources auxquelles chacun de nous fait confiance, comme le propose la solution de TrustedOut,[32]TrustedOut, créé par les fondateurs de NetVibes, permet d’indiquer quels sont nos critères (personnels ou institutionnels) de confiance dans une source d’information, avec une description assez fine des propriétés des contenus. Une fois cet investissement de départ effectué, il devient possible de déléguer à l’IA de TrustedOut la sélection des messages sur un thème donné qui respecte nos critères de confiance personnels quant aux sources émettrices. De ce fait, on peut combiner pilotage personnalisé de son monde de référence et automatisation du moissonnage des informations. Comme on le voit, une enveloppe de confiance peut ainsi être créée et se transformer en habitèle de ses références fiables (ce que j’ai appelé une doxatèle), toujours singulière et pourtant équipée techniquement par la puissance de calcul d’une IA asservie, ce que j’appelle un design organisationnel où tout le monde apprend, et non seulement la machine, car le seul fait de devoir expliciter ses critères de confiance constitue un exercice de réflexivité extrêmement formateur. et non selon un classement universel et a priori des sites de confiance, ni en se contentant de suivre les médiateurs traditionnels qu’étaient les autorités ;

les rythmes, avec des ralentisseurs de vitesse de réaction, comme je le propose dans mon livre à paraître (2020[33]Boullier D. (2020). Comment sortir de l’emprise des réseaux sociaux. L’ère du réchauffement médiatique, Paris, Le Passeur.), où l’on aurait un crédit limité de retweets ou de likes par jour ;

les données personnelles, en étendant les exigences du RGPD sur les données personnelles aux traces de comportement les plus minimes comme les clics, les likes et les temps de passage sur une page.

Les réseaux numériques auraient dû permettre de réinventer un espace public, moins dépendant des médiateurs institués comme autorités et pourtant lui aussi institué avec d’autres règles. Or cet espace est devenu un espace tribal et non plus public, il favorise les conflits et la réactivité abusive et empêche ainsi tout débat public. L’intelligence collective ne se trouve pas sur ces réseaux qui sont entièrement opaques dans la façon dont ils exploitent nos traces pour générer des fils d’actualité qui ne sont en rien des sources de débats mais des incitations à l’engagement, c’est-à-dire à la réactivité immédiate. Il existe donc de grandes marges de progression vers des innovations qui serviraient enfin cette intelligence collective que Wikipédia représente si bien, dans son créneau propre des connaissances. Pour le débat et l’échange, le fondateur de Wikipédia, Jimmy Wales, a d’ailleurs mis en place WTSocial (WikiTribune Social) avec un fil d’actualité chronologique et sans l’opacité des algorithmes qui exciteraient l’engagement. Mais il faut reconnaître qu’il peine encore à le rendre dynamique, comme tout réseau social dont l’amorçage est la phase la plus difficile.

Nos gouvernements (mais aussi les data scientists et les firmes technologiques) préfèrent penser le numérique au temps de la pandémie dans le registre de la surveillance, avec une course effrénée pour inventer l’application miracle qui finirait par détecter tous nos microcomportements potentiellement affectés par une coprésence avec des porteurs du virus. Cette dérive est systématique et fait partie des stratégies du choc (Klein[34]Klein N. (2008). La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, Paris, Actes Sud.) des libéralismes autoritaires (Chamayou, 2018[35]Op. cit.) : profiter de ces chocs pour installer des mesures de contrôle toujours plus précises qui dureront au-delà de l’urgence, malgré la démonstration systématique que ces solutions techniques ne traitent en rien le problème d’origine. Imaginer un monde où le croisement au hasard dans la rue est en fait tracé par nos téléphones portables pour ensuite être rapporté à un système d’information qui peut nous rendre suspect du jour au lendemain ne semble pas choquer, alors qu’on connaît dans l’histoire les effets terribles de ces signalements de groupes de personnes particulières qui engendrent discrimination mais aussi suspicion généralisée.

Ces risques sur les données personnelles, sur des filtrages abusifs et non contrôlés par les intéressés se traduisent aussi dans les interfaces, dans les notifications qui peuvent encore se multiplier avec ces systèmes d’alerte qui fonctionnent comme les systèmes anti-intrusion de la surveillance au domicile. La qualité des interfaces et leur design doivent permettre de naturaliser notre enveloppe numérique. À condition que les effets attentionnels ne deviennent pas eux-mêmes invasifs, comme on le voit dans la « connectivite » aiguë qui est si répandue et qui se traduit par une attention permanente aux moindres signaux sur les portables. Le design de ces prothèses évoluera sans nul doute radicalement dans les dix ans à venir avec l’appui des objets connectés qui étendent encore notre système de captation, et cela dans les deux sens : captation du monde environnant et captation de nos comportements par les systèmes d’information.

Nous en revenons ainsi à la question de l’habit qui faisait notre point de départ. Pour obtenir un couplage étroit et naturel avec notre enveloppe, il est probable que des dispositifs comme les « Google Glasses » reviendront dans la course, mais il faudra alors inventer les dispositifs ou les moments où leur usage puisse être considéré comme convivial et non sécuritaire ou intrusif. Les lunettes peuvent ainsi être intégrées aux masques et produire des effets de brouillage quand une intrusion est repérée : il est ainsi possible de retourner les lunettes non comme des dispositifs de surveillance mais comme des dispositifs de protection, de filtrage, à condition d’inscrire cette dimension dans le cahier des charges de ces innovations. Cet ensemble masque/lunettes devrait aussi permettre de projeter des informations mais aussi de s’autofilmer, car la demande de selfie est devenue aussi prégnante et surtout parce que la communication vidéo s’est banalisée en temps de confinement. Ainsi, l’utilisation professionnelle de la vidéo dans des conf calls ou même pour l’enseignement, avec l’explosion des usages de plateformes comme Zoom, a donné lieu à de nouveaux formats sémiotiques collectifs qui comportent une part d’affichage de soi en public. Les expériences de cadrage, de lumière, de prise de son ont été souvent truffées de ratages plutôt amusants, mais elles indiquent bien que nous allons devoir apprendre de nouvelles normes et techniques de présentation de soi en vidéo publique et non plus seulement en public. Cette immobilité devant un PC, assez contradictoire avec l’expérience des portables, ne saurait d’ailleurs durer longtemps. Le design des interfaces, l’assistance à la publication de son image font désormais partie du cahier des charges de l’habitèle, qui nous permet de piloter notre enveloppe, cette autre présentation de notre face.

Conclusion

La pandémie a placé la moitié de l’humanité en situation de stress et de rupture des normes d’échange pendant plusieurs semaines. Cette expérience extrême a révélé les failles de nos existences, les faiblesses de nos enveloppes, alors que tous nos investissements avaient été jusqu’ici orientés vers la fluidité et les réseaux. Les enjeux géopolitiques que l’on peut associer à cette dérive de la globalisation (dépendance à la Chine, conséquences sociales et environnementales des chaînes logistiques trop longues, etc.) ont un pendant interpersonnel qui se manifeste dans toutes nos enveloppes sociotechniques, ces objets très particuliers et vitaux pour l’urbanité car ils produisent des intérieurs : l’habit, l’habitat, l’habitacle et l’habitèle. Les exigences du confinement révèlent à quel point, à l’exception fâcheuse de l’habitacle automobile, la qualité de ces enveloppes a été négligée voire même totalement ignorée au profit d’un pur traitement technique, souvent même de mauvaise qualité, imposé par la rentabilité à court terme et l’urgence. Le chantier de réinvention de nos enveloppes est devant nous : en raison des conditions sanitaires nouvelles qu’il faudra respecter pendant quelques années avant de découvrir un vaccin mais aussi parce que des possibles sont apparus, en matière de déplacements, de télétravail, de communication interpersonnelle à distance, et de protection dans les relations. Il est possible d’inventer un monde à la fois communicant et immun (termes apparemment contradictoires mais qui ont pourtant la même racine), qui ne soit ni l’épreuve radicale du confinement, ni le rétablissement de la fluidité incontrôlée qui a engendré notre impuissance pour chacun des dispositifs techniques qui font notre capacité d’enveloppe. Mais il est essentiel d’adopter ce point de vue de la « qualité des intérieurs » que nous créons dans nos enveloppes techniques pour ne pas nous précipiter sur des solutions purement techniques (Morozov, 2013[36]Morozov E. (2014). Pour tout résoudre, cliquez ici : l’aberration du solutionnisme technologique, Limoges, FYP, ‎352 p.) : les masques sanitaires pour tout le monde, le télétravail comme solution urbaine, le véhicule autonome qui change la donne, ou des applications de surveillance supplémentaires pour notre bien et notre santé. Le rétrécissement de nos vies à l’occupation des places assignées qui nous empêche d’habiter nos intérieurs a bien été mis en évidence, et les exigences des enveloppes appropriées devraient désormais guider toutes les innovations dites responsables.


[1] Sloterdijk P. (2005). Sphères. Tome 3 : Écumes, Paris, Libella Maren Sell.

[2] Gagnepain J. (1994). Leçons d’introduction à la théorie de la médiation, Anthropo-logiques n° 5, Louvain-la-Neuve, Peeters [En ligne].

[3] Simondon G. (1989). L’individuation psychique et collective, Paris, Aubier ; Simondon G. (1969). Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier-Montaigne.

[4] Lefebvre H. (1992). Éléments de rythmanalyse. Introduction à la connaissance des rythmes, Paris, Syllepse.

[5] Certeau (De) M. (1980). L’invention du quotidien. Tome 1. Arts de faire, Paris, UGE (10/18).

[6] Boullier D. (2006). « Aide-toi, l’aide t’aidera. Prise et emprise dans les aides homme-machine », Intellectica, n° 44, p. 17-44.

[7] Strauss A. (1959). Mirrors and Masks: The Search for Identity, Sage, 1959 (trad. fr. Miroirs et masques, Paris, Metailié, 1992).

[8] Goffman E. (1973). La mise en scène de la vie quotidienne, Paris, Éditions de Minuit.

[9] Haraway D. (2007). Manifeste cyborg et autres essais. Sciences, fictions, féminismes. Anthologie établie par Laurence Allard, Delphine Gardey et Nathalie Magnan, Paris, Exils.

[10] Chamayou G. (2018). La société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire, Paris, La Fabrique.

[11] Chamayou G. (2013). Théorie du drone, Paris, La Fabrique.

[12] Casilli A.A. (2019). En attendant les robots. Enquête sur le travail du clic, Paris, Le Seuil, 394 p.

[13] Voir « Bubble shield ». Designlibero imagines a solar-powered personal space [En ligne].

[14] Voir (2020) « Il n’y aura pas de masques : quand Fred Vargas défendait sa cape antivirus » L’Obs, 8 mai 2020 [En ligne €].

[15] Sloterdijk P. (2002). Sphères. Tome 1 : Bulles, Paris, Libella Maren Sell.

[16] Op. cit.

[17] Damasio A. (2019). Les furtifs, Paris, La Volte.

[18] McMullan T. (2017). « This strange AI “camouflage” can stop you being identified by facial detection software », Alphr [En ligne].

[19] Long O. (2020). « Biologistique des corps », Lundimatin, n° 237 [En ligne].

[20] Radkowski GH. (2002). Anthropologie de l’habiter : vers le nomadisme, Paris, PUF.

[21] Velut S. (2020). L’hôpital, une nouvelle industrie. Le langage comme symptôme ?, Paris, Gallimard.

[22] Lucas JF. (2018). « Les figures de l’habitant dans les mondes virtuels », Sciences du jeu, octobre [En ligne].

[23] Frioux S. (2013). Les batailles de l’hygiène. Villes et environnement de Pasteur aux Trente Glorieuses, Paris, PUF, 388 p.

[24] Lefebvre H. (1972). Espace et politique. Tome 2 : Le droit à la ville, Paris, Anthropos.

[25] Fouillé L. (2020). « Déconfinement. Nous devons nous démobiliser », Libération, 28 avril [En ligne].

[26] Boullier D. (1999). L’urbanité numérique, Paris, L’Harmattan, 184 p.

[27] Boullier D, Crepel M. (2014). « Vélib and data: a new way of inhabiting the city », Urbe, vol. 6, 2014, p. 47-56.

[28] Pasquier D. (2018). L’Internet des familles modestes. Enquête dans la France rurale, Paris, Presses des Mines.

[29] Néologisme que j’ai forgé il y a 20 ans et qui a fait l’objet de nombreux articles (Boullier D. (2004). « Portables en tous genres et prises sur le monde », Consommation et société, n° 4. [En ligne] ; Boullier D. (2014). « Habitèle: mobile technologies reshaping urban life », Urbe, vol. 6(1), p. 13-16 ; Boullier D. (2017). « Habiter son enveloppe numérique », dans Lussault M et al., Constellation.s, habiter le monde, Paris, Actes Sud ; Boullier D, Crepel M, Lohard A, Chaudet C. (2014). Habitèle. Identités numériques portables, ANR, juillet, 415 p.) fondés sur des enquêtes de terrain (2014, 2017) que j’ai conduites avec mes collègues du médialab de Sciences Po dans dix pays différents.

[30] Citton Y. (2014). Pour une écologie de l’attention, Paris, Seuil.

[31] Boullier D. (2009). « Les industries de l’attention : fidélisation, alerte ou immersion », Réseaux, n° 154, p. 231-246.

[32] TrustedOut, créé par les fondateurs de NetVibes, permet d’indiquer quels sont nos critères (personnels ou institutionnels) de confiance dans une source d’information, avec une description assez fine des propriétés des contenus. Une fois cet investissement de départ effectué, il devient possible de déléguer à l’IA de TrustedOut la sélection des messages sur un thème donné qui respecte nos critères de confiance personnels quant aux sources émettrices. De ce fait, on peut combiner pilotage personnalisé de son monde de référence et automatisation du moissonnage des informations. Comme on le voit, une enveloppe de confiance peut ainsi être créée et se transformer en habitèle de ses références fiables (ce que j’ai appelé une doxatèle), toujours singulière et pourtant équipée techniquement par la puissance de calcul d’une IA asservie, ce que j’appelle un design organisationnel où tout le monde apprend, et non seulement la machine, car le seul fait de devoir expliciter ses critères de confiance constitue un exercice de réflexivité extrêmement formateur.

[33] Boullier D. (2020). Comment sortir de l’emprise des réseaux sociaux. L’ère du réchauffement médiatique, Paris, Le Passeur.

[34] Klein N. (2008). La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, Paris, Actes Sud.

[35] Op. cit.

[36] Morozov E. (2014). Pour tout résoudre, cliquez ici : l’aberration du solutionnisme technologique, Limoges, FYP, ‎352 p.