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La vie nocturne : privilège des métropoles ?
Pour une approche graduelle et non catégorielle des villes

• Sommaire du no 10

Magali de Raphélis Université de Reims Champagne-Ardenne

La vie nocturne : privilège des métropoles ? Pour une approche graduelle et non catégorielle des villes, Riurba no 10, juillet 2020.
URL : https://www.riurba.review/article/10-metropoles/nocturne/
Article publié le 1er fév. 2022

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Magali de Raphélis
Article publié le 1er fév. 2022
  • Abstract
  • Résumé

Is nightlife specific to metropolises? Towards a gradual and non-categorical approach to cities

This article questions the relevance of using the categories of “metropolises”, “intermediate cities” and “medium-sized cities” by analyzing the lifestyle of their inhabitants. It focuses on differences in nightlife, as festive nightlife is often described as specific to metropolises. Based on a detailed analysis of the results of the Time Use survey, this article shows that festive nightlife is less important in small towns than in large cities but is not limited to the metropolises. Often criticized, the criterion of the size of the city therefore remains a relevant criterion for studying the differences between cities. Yet, it should be used according to a gradual approach, not a categorical one.

Cet article propose d’interroger la pertinence des catégories de « métropoles », « villes intermédiaires » et « villes moyennes » en les analysant au prisme du mode de vie de leurs habitants. Il s’intéresse en particulier aux différences de mode de vie nocturne des habitants de ces différents types de villes, la vie nocturne festive étant souvent considérée comme un privilège des métropoles. Au moyen d’une exploitation fine des résultats de l’enquête « Emploi du temps », cet article montre que la vie nocturne festive ne se limite pas aux seules métropoles mais est moins importante dans les petites villes que dans les grandes. Souvent critiqué, le critère de taille de la commune-centre reste donc un critère pertinent pour étudier les différences entre les villes, à condition qu’il soit utilisé selon une approche graduelle et non catégorielle.

Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
post->ID de l’article : 2705 • Résumé en_US : 2749 • Résumé fr_FR : 2745 •

Introduction

Les catégories de « métropoles », « villes moyennes » et plus récemment de « villes intermédiaires » sont régulièrement utilisées dans la recherche en géographie et urbanisme pour désigner des « types » de villes regroupées en raison de similitudes. Pour autant, leurs définitions restent encore mal établies, certaines s’appuyant sur des critères de taille aux bornes toujours réinterrogées, d’autres sur des critères fonctionnels ou d’équipement, et d’autres encore sur des considérations politiques. La ville de Grenoble est par exemple classée parmi les métropoles par l’INSEE qui utilise le nombre de cadres dans les fonctions métropolitaines présents dans l’aire urbaine pour la catégoriser (Brutel, 2011[1]Brutel C. (2011). « Un maillage du territoire français : 12 aires métropolitaines, 29 grandes aires urbaines », INSEE Première, n° 1333.), de même que par le programme POPSU qui s’appuie sur son statut politique[2]Grenoble Alpes Métropole [En ligne, tandis que le groupe de prospectiveTerritoires 2040 de laDATAR, qui considère la taille de la commune, de l’unité urbaine et de l’aire urbaine, la catégorise parmi les « villes intermédiaires » (Aubert et al., 2011[3]Aubert F, George-Marcelpoil E, Larmagnac C. (2011). « Les villes intermédiaires et leurs espaces de proximité. État des lieux et problématiques ». Territoires 2040, n° 3, p. 101-119.). De même, en fonction des critères retenus, la ville de Bar-le-Duc peut être catégorisée parmi les « petites villes » – dans la mesure où son unité urbaine dispose de moins de 20 000 habitants (Laborie, 1978[4]Laborie JP. (1978). « Les petites villes dans le processus d’urbanisation », thèse d’État, université Toulouse-Jean Jaurès, France, sous la direction de Bernard Kayser. ; Édouard, 2007[5]Édouard JC. (2007). « La petite ville “objet géographique”, enjeux, stratégies, acteurs », mémoire d’habilitation à diriger des recherches.) –, les « villes moyennes » – dans la mesure où son aire urbaine réunit plus de 30 000 habitants (Roo, 2007[6]Roo P de. (2007). Les villes moyennes françaises : enjeux et perspectives, Paris, La Documentation française.) – ou les « villes intermédiaires » (Aubert et al., 2011[7]Op. cit.). Faut-il alors renoncer à utiliser ces catégories ? Plusieurs auteurs suggèrent de combiner les critères pour définir l’appartenance d’une ville à une catégorie ou une autre. Parmi ces critères, le mode de vie des habitants a peu été interrogé. C’est ce que propose de faire cet article, en s’intéressant notamment au mode de vie nocturne des individus.

La vie nocturne est régulièrement présentée comme étant le privilège des grandes métropoles : Paris, Berlin, Barcelone, sont quasi systématiquement mises en avant dès lors que l’on aborde les activités festives nocturnes. Comme le formulent bien Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, « Une ville qui vit la nuit est une vraie ville. Les villes de province, “c’est mort le soir” selon l’opinion commune» (Pinçon et Pinçon-Charlot, 2000, p. 15[8]Pinçon M, Pinçon-Charlot M. (2000). « Les nuits de Paris », Les Annales de la recherche urbaine, n° 87(1), p. 15-24.). À la « vraie ville » s’opposent donc les « villes de province » rassemblées en un tout indistinct, et où les activités nocturnes seraient inexistantes. Le niveau d’activité nocturne permettrait ainsi, selon ce lieu commun, de distinguer les « vraies villes », les villes dynamiques et attractives, des autres villes qui ne seraient que des demi-villes car ne vivant que la moitié du temps. Or, dans le langage commun, la vraie ville, c’est de plus en plus souvent la « métropole », un terme utilisé pour souligner le caractère dynamique et citadin d’une ville, qui tend à se répandre et à être appliqué à des contextes urbains diversifiés dans un objectif de marketing territorial. Les métropoles se caractériseraient ainsi, entre autres, par leur animation nocturne. L’activité nocturne d’une ville pourrait-elle alors servir de critère pour classifier les villes ? C’est cette hypothèse que cet article propose de tester.

Il entend ainsi répondre à un double objectif. D’une part, il interroge la pertinence des différentes catégories de villes en les analysant au prisme du mode de vie nocturne de leurs habitants. D’autre part, il vise à vérifier l’exactitude du lieu commun selon lequel les villes petites, moyennes et intermédiaires seraient « mortes » la nuit, ce qui peut avoir des conséquences sur l’attractivité de ces villes, dans la mesure où le niveau de vie nocturne représente désormais un facteur d’attractivité.

Afin de répondre à ces interrogations, nous nous appuyons sur une méthodologie quantitative, exploitant les résultats de l’enquête « Emploi du temps », qui permet de décrire précisément le mode de vie des individus à l’échelle nationale. L’accès aux données non anonymisées de l’enquête, par l’intermédiaire du Centre d’Accès Sécurisé aux Données (CASD), permet d’étudier le mode de vie nocturne selon une catégorisation fine des villes et agglomérations de résidence.

Dans une première partie, cet article reviendra sur les catégories de villes couramment utilisées dans la recherche – les « métropoles », « villes moyennes » et « villes intermédiaires » –. Il montrera que ces catégories sont mal définies car elles sont issues de dispositifs politiques. Parmi les critères utilisés, celui du nombre d’habitants est souvent retenu. Les bornes utilisées pour délimiter les catégories varient toutefois d’un auteur à l’autre et peinent à être justifiées. Nous proposons donc de tenter de les définir en nous appuyant sur le mode de vie nocturne des résidents. Dans une deuxième partie, nous testons ce critère à l’échelle de l’agglomération et montrons qu’il existe peu de différences de mode de vie nocturne entre les agglomérations de tailles différentes, quel que soit le pays observé. Toutefois, nous montrons dans une troisième partie qu’à l’échelle de la commune, on observe un effet graduel, les sorties nocturnes étant d’autant plus intenses que la ville est grande. Finalement, cet article montre que si la vie nocturne festive est moins importante dans les petites villes que dans les grandes, elle ne se limite pas pour autant aux seules métropoles. La taille de la ville reste donc un critère pertinent pour analyser les différences interurbaines puisqu’elle peut donner des informations quant au mode de vie de ses habitants, mais elle doit être adoptée selon une approche graduelle et non catégorielle.

Métropoles, villes intermédiaires et villes moyennes :
des catégories politiques mal définies

Les catégories de « métropoles », « villes moyennes » et « villes intermédiaires » sont régulièrement utilisées dans la recherche, mais leur définition est mal établie, notamment parce qu’il s’agit de catégories issues de politiques publiques. Si l’imprécision des catégories de « métropoles » (Bourdeau-Lepage et Huriot, 2005[9]Bourdeau-Lepage L, Huriot JM. (2005). « La métropolisation : thème et variations », dans Buisson MA, Mignot D, Concentration économique et ségrégation spatiale, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, p. 39-64. ; Bourdin, 2017[10]Bourdin A. (2017). « Être métropole dans un monde incertain. Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines », colloque international Popsu, Paris.) et « villes moyennes » (Brunet, 1997[11]Brunet R. (1997). Territoires de France et d’Europe : raisons de géographe, Paris, Belin. ; Santamaria, 2000[12]Santamaria F. (2000). « La notion de “ville moyenne” en France, en Espagne et au Royaume-Uni, Annales de géographie, n° 109(613), p. 227-239.) a déjà été maintes fois discutée, celle des « villes intermédiaires », qui tend à être utilisée en remplacement du terme de « villes moyennes », a peu été étudiée. C’est donc sur cette catégorie que nous nous attarderons en priorité, afin de mieux préciser les contours de cette notion.

Les métropoles : d’une catégorie scientifique
à une catégorie politique

Le terme de métropole renvoie étymologiquement à une idée simple de « ville mère » : il s’agit de la ville la plus importante pour un territoire, la ville de référence située en haut de la hiérarchie urbaine, qui concentre les pouvoirs économiques et politiques. Dès lors, le terme est polysémique dans la mesure où il peut être appliqué à plusieurs échelles : une métropole peut être internationale, européenne, nationale, régionale, départementale. De ce point de vue, le critère de taille est généralement suffisant pour définir les métropoles. Depuis la fin du XXe siècle, on observe toutefois un glissement sémantique dans un contexte de mondialisation, la métropole se définissant de plus en plus par son rôle dans les échanges intermétropolitains s’établissant à l’échelle internationale[13]Saint-Julien T. « Métropole », Hypergeo. [En ligne. Il s’agit de la ville issue de la métropolisation, un terme lui-même polysémique (Bourdeau-Lepage et Huriot, 2005[14]Op. cit.), et qui peut agir sur ce processus (Bourdin, 2017[15]Op. cit.). La « métropole » ne désigne donc plus nécessairement la ville qui polarise un territoire mais celle qui dispose de fonctions et d’infrastructures supplémentaires par rapport à une agglomération ordinaire, qui lui permettent de jouer un rôle de nœud dans le système urbain mondialisé (Mangin, 2009 ; Vandermoten, 2009, cités dans Di Méo, 2010[16]Di Méo G. (2010). « La métropolisation. Une clé de lecture de l’organisation contemporaine des espaces géographiques », L’Information géographique, n° 74(3), p. 23-38.). La métropole désigne alors la ville bien intégrée dans le système de villes qui s’établit à l’échelle internationale, la ville qui participe aux échanges internationaux.

Au-delà d’une position dans la hiérarchie urbaine et dans un réseau de villes, le terme de « métropole » renvoie également à une réalité sociale, notamment chez les sociologues allemands du début du XXe siècle puis chez les sociologues de l’école de Chicago. Chez Simmel, elle désigne le siège de l’économie monétaire mais exprime aussi « en même temps, sur le plan culturel, une intellectualisation de la vie du citadin et un nouveau lieu d’émergence de l’homme rationnel » (Fuzessery et Simay, 2008, p. 64[17]Füzesséry S, Simay P (dir.). (2008). Le choc des métropoles : Simmel, Kracauer, Benjamin, Paris, L’Éclat.). D’un point de vue social, la métropole désigne la « forme de la civilisation des individus » (Bourdin, 2005[18]Bourdin A. (2005). La métropole des individus, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube.).

Polysémique en raison de ses multiples critères de définition possible – géographiques, démographiques, économiques, sociologiques –, la définition du terme de métropole a aussi et surtout été obscurcie par son usage politique. Dès 1960, les métropoles ont désigné une catégorie d’action publique dans le cadre de la politique des « métropoles d’équilibre » qui visait à rééquilibrer le territoire en amenuisant la polarisation francilienne. Une définition politique est ainsi venue s’ajouter aux autres définitions. À partir de la fin des années 1990, le terme de métropole a été abondement utilisé par les élus pour nommer leurs intercommunalités (Silvestre, 2012[19]Silvestre P. (2012). « Dire pour agir : les mots de la métropole »,  Métropolitiques. [En ligne), les collectivités misant sur l’effet performatif du terme. Mais c’est surtout les lois du 16 décembre 2010 et du 28 février 2017 qui ont introduit une confusion. La loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales a conféré au terme de métropole un nouveau sens administratif, celui-ci désignant depuis lors un type d’Établissement Public de Coopération Intercommunale (EPCI). Surtout, en 2017, la loi du 28 février 2017 sur le statut de Paris et l’organisation métropolitaine a creusé l’écart entre la définition scientifique et politique du terme en élargissant les conditions d’accès au statut de métropole. Cette dernière loi a notamment ouvert la possibilité aux intercommunalités organisées autour de Dijon, Clermont-Ferrand, Orléans, Tours, Metz, Saint-Étienne et Toulon de devenir des métropoles au sens politique du terme, portant le nombre total de métropoles françaises à vingt-deux (figure 2). Ces agglomérations n’ont pourtant ni les fonctions, ni l’importance démographique des métropoles. En 2011, en s’appuyant sur des critères de taille de la population, de nombre d’emplois dans les fonctions métropolitaines et de nombre d’emplois de cadres dans ces fonctions, l’INSEE distinguait 12 « aires métropolitaines » et 29 « grandes aires » (Brutel, 2011[20]Op. cit.). Si les 15 métropoles créées avant l’adoption de la loi de 2017 correspondaient presque parfaitement avec les 12 aires métropolitaines identifiées par l’INSEE à partir de critères fonctionnels et de taille (à l’exception de Brest, Rouen et Nancy), une part importante des 22 métropoles actuelles correspond à des « grandes aires » : c’est le cas de Dijon, Clermont-Ferrand, Brest, Rouen, Metz, Nancy, Toulon, Saint-Étienne, Tours, Orléans (voir les figures 1 et 2 pour comparer). En raison de leur statut administratif, ces villes sont désormais intégrées au programme de recherche-action « POPSU métropole »[21]Popsu Métropoles : programme [En ligne ainsi qu’au rapport « Métroscope » publié par la Fédération nationale des agences d’urbanisme[22]Métroscope 2020 [En ligne, si bien que cette loi a eu un effet direct sur les catégories mobilisées dans la recherche et l’action publique pour définir des types de villes. Cette confusion liée à une utilisation politique du terme de métropole se retrouve en outre dans d’autres pays, notamment en Italie (Rivière, 2015[23]Rivière D. (2015). « Métropoles et territoires institutionnels : quelques pistes d’analyse à partir des cas français et italien », L’Espace Politique, n° 27(3). [En ligne).

Figures 1 et 2. Les métropoles politiques créées depuis depuis 2017 : des « grandes aires urbaines » plus que des « aires métropolitaines » au sens de l’INSEE.

Les villes moyennes :
une catégorie politique et relative

La catégorie des villes moyennes est également polysémique, comme l’ont déjà souligné de nombreux chercheurs (Commerçon, 1996[24]Commerçon N. (1996). « Les villes moyennes », Norois, n° 171(1), p. 487-493. ; Brunet, 1997[25]Op. cit. ; Santamaria, 2000[26]Op. cit. ; Demazière, 2017[27]Demazière C. (2017). « Le traitement des petites et moyennes villes par les études urbaines », Espaces et sociétés, n° 168-169, p. 17-32.). Les villes moyennes désignent une catégorie de villes que les auteurs définissent prioritairement par leur taille, sans toutefois que les seuils ne soient arrêtés : selon les auteurs, elles sont définies comme les unités urbaines de 20 000 à 100 000 habitants (Lajugie, 1974, cité par Demazière, 2017[28]Op. cit.), de 20 000 à 200 000 habitants (Santamaria, 2012[29]Santamaria F. (2012). « Les villes moyennes françaises et leur rôle en matière d’aménagement du territoire : vers de nouvelles perspectives ? », Norois, n° 223, p. 13-30.), comme les aires urbaines de 30 000 à 200 000 habitants (Roo, 2007[30]Op. cit.), etc. En plus d’un critère démographique, les villes moyennes se définissent également par leur rôle de « desserte d’un espace infrarégional dépassant cependant le rayonnement strictement local » (Santamaria, 2012[31]Op. cit.). Comme pour les métropoles, il s’agit donc d’une catégorie « relative au contexte local et régional », qui désigne des villes qui « par leur taille et par leurs fonctions, apparaissent en deçà des niveaux des villes capitales et des métropoles régionales majeures » (Saint-Julien, 2003[32]Saint-Julien T. (2003). « Les villes moyennes en Europe, contextes et défis », dans Villes moyennes et mondialisation : renouvellement de l’analyse et des stratégies, Montréal, Trames, Université de Montréal.). Selon la densité du tissu urbain dans lequel elles sont insérées, deux villes d’une même taille pourront être qualifiées de « petite » pour l’une et de « moyenne » pour l’autre (Lajugie, 1974, cité par Demazière, 2017[33]Op. cit.).

Le caractère flou qui entoure la définition des villes moyennes provient donc, d’une part, de son caractère relatif mais aussi et surtout du fait qu’il s’agit d’une catégorie qui a émergé dans le cadre d’une politique publique. C’est la politique des « contrats de villes moyennes » mise en place au cours des années 1970 qui a suscité l’intérêt des chercheurs pour cette catégorie de villes (Commerçon, 1996[34]Op. cit.). La catégorie des villes moyennes est donc une catégorie politique avant d’être une catégorie scientifique. Plus récemment, la politique « Action cœur de villes » a encore eu recours au terme de villes moyennes pour désigner sa cible. Ces politiques ont contribué à véhiculer un certain nombre de représentations sur les villes moyennes, préférant à une description scientifique une « description affective et flatteuse fondée sur la seule prise en considération d’apparences ou d’impressions subjectives, d’où la “ville moyenne” ressort parée d’attraits, de qualités, de vertus » (Michel, 1977, cité par Demazière, 2017[35]Op. cit.). Ni les seuils, ni l’échelle d’observation (commune, unité urbaine, aire urbaine), ni les critères (nombre d’habitants, nombre d’emplois, fonctions, etc.) à observer ne font donc consensus pour définir la ville moyenne.

Les villes intermédiaires : une catégorie politique
visant à compléter ou remplacer
celle des villes moyennes ?

Depuis peu, afin de remédier à l’approximation de la notion de « ville moyenne », la notion de « ville intermédiaire » est parfois utilisée en remplacement de cette dernière (Aubert et al., 2011[36]Op. cit. ; Giroud et al., 2012[37]Giroud M, Mainet-Valleix H, Édouard JC. (2012). Les mobilités spatiales dans les villes intermédiaires : territoires, pratiques, régulations. Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal. ; Mainet et Rieutort, 2020[38]Mainet H, Rieutort L. (2020). Métropoles, villes intermédiaires et espaces ruraux : quelles interactions au service du développement territorial ?, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal.). Les chercheurs entendent ainsi substituer une définition fonctionnelle à une définition relative et insister sur la nécessité d’analyser les villes moyennes en tant que membre d’un réseau de villes. Toutefois, ce remplacement introduit une nouvelle confusion, dans la mesure où le terme de villes intermédiaires ne recouvre pas exactement celui de villes moyennes. Afin de réduire ces imprécisions, il convient de revenir sur les origines et évolutions de la notion de villes intermédiaires.

Elle a émergé au début des années 1980, dans l’objectif de permettre des comparaisons internationales. Elle a d’abord été appliquée aux pays dits du Tiers-monde (Rondinelli, 1982[39]Rondinelli DA. (1982). « Intermediate cities in developing countries: a comparative analysis of their demographic, social and economic characteristics », Third World Planning Review, n° 4(4), p. 357-386. ; Hardoy et Satterthwaite, 1986[40]Hardoy JE, Satterthwaite D (dir.). (1986). Small and intermediate urban centres: their role in regional and national development in the Third World, Boulder, Westview Press.), dans des travaux qui cherchaient à souligner le potentiel des villes occupant le niveau intermédiaire de l’armature urbaine, situées entre les grandes et les petites villes, pour le développement économique de ces pays. En Europe, la notion a commencé à être utilisée à la suite du colloque organisé à Poitiers à l’initiative de la ville et du district de Poitiers et du ministère de l’Équipement, qui portait sur les « villes intermédiaires pour l’Europe ». Ce colloque visait à réfléchir à une stratégie de développement pour les villes qui « se sent[aient] menacées par la concurrence européenne » (Roullier, 1989, p. 12[41]Roullier JE. (1989). « Préface », dans Gault M, Villes intermédiaires pour l’Europe, Paris, Syros Alternatives, p. 9-13.) en misant sur la spécialisation et la mise en réseau des villes. En France, il s’agissait notamment de réfléchir à une mise en réseau de Poitiers, Angoulême, Niort et La Rochelle afin d’assurer leur développement. Le recours à la notion de ville intermédiaire avait pour objectif d’insister sur la mise en relation des villes et de changer l’image associée à ces villes en les faisant passer du statut de villes endormies, condamnées au déclin, au statut de villes dynamiques, porteuses d’une stratégie de développement (Gault, 1989, p. 20[42]Gault M. (1989). Villes intermédiaires pour l’Europe, Paris, Syros-Alternatives.). La définition de la ville intermédiaire a donc été gardée volontairement large afin d’inclure un maximum de villes et de garder ouvertes de nombreuses possibilités de coopérations. Cela permettait également d’adapter la définition à chaque contexte national. D’un point de vue démographique, elle pouvait désigner des villes allant de 10 000 à 400 000 habitants selon les contextes et les pays. D’après les participants au colloque, tandis qu’au Royaume-Uni et en RFA, elle concernait des conurbations rassemblant entre 150 000 et 700 000 habitants, en Irlande ou au Danemark, elle désignait surtout des centres urbains de moins de 100 000 habitants.

Dans le contexte français, le terme de villes intermédiaires a été utilisé au cours des années 1990 pour désigner des villes comme Angers, Le Mans (Jeanneau, 1996[43]Jeanneau J. (1996). « Villes moyennes et grandes villes intermédiaires dans les Pays de la Loire », Norois, n° 171(1), p. 647-658.), Bayonne (Laborde, 1996[44]Laborde P. (1996). « Bayonne, ville moyenne ou ville intermédiaire de l’Arc atlantique ? », Norois, n° 171(1), p. 607-616.) ou Avignon (Grasland et al., 1999[45]Grasland L, Auriac F, Charre J, Grosso R. (1999). « Avignon, ville intermédiaire », dans Commerçon N, George P (dir.), Villes de transition, Paris, Anthropos, p. 5-30), par des auteurs réalisant des monographies. L’usage du terme a été chaque fois justifié par la non-adéquation des termes de ville moyenne et de métropole pour qualifier ces villes que les auteurs cherchaient à décrire. Selon P. Laborde, Bayonne ne pouvait, par exemple, pas être qualifiée de ville moyenne dans la mesure où certaines villes moyennes dépendaient d’elle pour certaines fonctions, mais elle restait trop peu importante nationalement pour être considérée comme une métropole. Elle était donc une « ville intermédiaire, ni ville moyenne parce qu’elle [avait] des attributs supérieurs, ni métropole parce qu’elle n’en [avait] ni la taille ni les fonctions » (Laborde, 1996, p. 616[46]Op. cit.). Le terme de « ville intermédiaire » permettait ainsi de désigner les villes disposant d’un rôle important à l’échelle régionale, sans toutefois disposer d’un rôle national. À la fin des années 1990, Nicole Commerçon considérait ainsi que la notion de ville intermédiaire était utilisée pour désigner le « niveau supérieur de la fourchette des villes moyennes, ou celui inférieur des grandes villes, selon le regard porté » (Commerçon, 1999[47]Commerçon N. (1999). « Introduction », dans George P, Commerçon N (dir.), Villes de transition, Paris, Anthropos, p. 1-4.).

À la fin des années 1990, l’intérêt de la notion de « villes intermédiaires » a été réaffirmé dans le cadre du programme international CIMES organisé à l’initiative de l’UIA (Union Internationale des Architectes), l’UNESCO, le ministère des Affaires Étrangères espagnol et le maire de la ville de Lleida (Espagne). Comme pour le colloque de Poitiers, il s’agit d’un programme qui n’était « ni académique ni scientifique, mais plutôt professionnel » (Bellet et Llop, 1999, p. 27[48]Bellet C, Llop J. (1999). « Ciudades intermedias y urbanizacion mundial », rapport. [En ligne) qui visait à réfléchir aux possibilités de développement commun des villes intermédiaires à l’échelle mondiale en créant « un cadre de coopération, information et débat entre les différents techniciens, professionnels et académiques qui travaillent sur la pratique de l’urbanisme dans les villes intermédiaires » (Bellet et Llop, 2002, p. 272[49]Bellet C, Llop J. (2002). « Villes intermédiaires. Profils et lignes », deuxième phase du programme UIA-CIMES, rapport. [En ligne). Dans ce programme, les « villes intermédiaires » sont encore définies de façon relativement floue afin de pouvoir adapter la définition à chaque situation nationale. Elles sont définies comme des villes occupant une « situation intermédiaire » au sein d’une hiérarchie urbaine donnée, et se caractérisent à la fois par leur taille – pouvant varier de 20 000 à 2 millions d’habitants – mais aussi et surtout par leur rôle d’« intermédiation » entre « ce qu’il y a de local, leurs territoires, et ce qu’il y a de global » (Idem, p. 274). Cette définition européenne est reprise et précisée en France par Jean-Claude Carrière, en 2008, pour désigner des villes amenées à jouer un rôle clé pour répondre aux objectifs d’organisation spatiale polycentrique en Europe fixés par le Schéma de Développement de l’Espace Communautaire (SDEC), en 1999. Les villes intermédiaires sont alors définies comme des villes assurant un rôle de pivot dans les échanges, aussi bien matériels qu’immatériels, établis entre les villes petites et moyennes situées à leurs alentours et les métropoles. Les villes intermédiaires correspondent ainsi à des villes fortement lisibles à l’échelle nationale mais encore peu lisibles à l’échelle européenne ou mondiale (Carrière, 2008[50]Carrière JP. (2008). « Les villes intermédiaires européennes et l’Europe polycentrique », Annales des Mines. Réalités industrielles, n° 1, p. 18-26), tandis que les villes moyennes bénéficient d’une lisibilité surtout à l’échelle régionale. En s’appuyant sur cette définition, Fabien Nadou considère que les villes intermédiaires correspondent en France aux aires urbaines comptant entre 100 000 et 500 000 habitants (Nadou, 2010[51]Nadou F. (2010). « La notion de “villes intermédiaires”, une approche différenciée du rôle des villes moyennes : entre structuration territoriale et spécificités socioéconomiques », communication dans le cadre du colloque « Villes petites et moyennes, un regard renouvelé », Tours, les 9 et 10 décembre. [En ligne).

La notion de « ville intermédiaire » a ainsi émergé puis a été théorisée à l’occasion d’études portant sur la construction européenne. Elle désigne des villes susceptibles de participer à la construction européenne pour peu qu’elles soient mises en réseau. Comme pour la catégorie de « ville moyenne », cette notion a ainsi été définie politiquement avant d’être utilisée dans la recherche, ce qui explique son imprécision.

Depuis peu, le terme de « ville intermédiaire » est également utilisé dans la recherche française en remplacement du terme de « ville moyenne », afin de proposer une définition de cette catégorie de ville par les fonctions et non par la taille. Cette tendance fait notamment suite aux travaux menés par le programme de prospective « Territoires 2040 » de la DATAR, en 2011. Dans ces travaux, les « villes intermédiaires » désignent les villes qui remplissent une fonction d’intermédiation « entre des métropoles aux fonctions supérieures d’un côté et des espaces ruraux de l’autre » (Aubert et al., 2011[52]Op. cit.), et non plus entre les métropoles et les villes moyennes. Cela conduit le groupe de travail à inclure dans sa définition des villes intermédiaires les unités urbaines comprises entre 30 000 et 500 000 habitants – quelques critères de taille de la ville-centre et de l’aire urbaine, de nombre d’emplois et de fonctions administratives étant également pris en compte pour les villes situées aux marges de ces seuils. Il s’agit ainsi d’une définition qui regroupe finalement sous un même terme les « villes moyennes » telles que définies habituellement (Santamaria, 2012[53]Op. cit.) et les « villes intermédiaires » telles que définies par F. Nadou (2010[54]Op. cit.). Les villes sont ensuite distinguées en fonction de leur spécialisation ou position : tertiaire, industrielle, rurale, littorale, périmétropolitaine, transfrontalière. De même, dans l’appel à communication du colloque intitulé « Les mobilités spatiales dans les villes intermédiaires », qui s’est tenu en novembre 2010 à Clermont-Ferrand, les organisateurs du colloque utilisent le terme de villes intermédiaires pour désigner « à la fois des villes qui sont intégrées à des logiques d’agglomération (villes périurbaines, en situation intermédiaire dans l’organisation spatiale métropolitaine, selon un gradient quartiers centraux/espaces périphériques) et celles qui sont en situation intermédiaire dans la hiérarchie urbaine (villes petites et moyennes) »[55]« Les mobilités spatiales dans les villes intermédiaires », appel à contribution, Calenda, publié le 26 février 2010. [En ligne. Le terme de villes intermédiaires est ainsi utilisé pour désigner la fonction d’intermédiation des villes à plusieurs échelles, ce qui conduit à élargir grandement la catégorie des villes intermédiaires par rapport à ses premières utilisations, qui désignaient une position intermédiaire ou une fonction d’intermédiation à l’échelle européenne. Dans l’appel à communication du colloque intitulé « Métropoles, villes intermédiaires et espaces ruraux », qui s’est tenu en novembre 2017 à Clermont-Ferrand, les organisateurs du colloque se réfèrent quant à eux à la définition de ville intermédiaire de la DATAR et justifient l’emploi du terme de « villes intermédiaires » plutôt que de « villes moyennes » uniquement par le fait qu’il « apporte une vision plus dynamique liée à la capacité de mise en relation et en réseau [de la ville] au sein d’un système territorial élargi »[56]« Métropoles, villes intermédiaires et espaces ruraux : quelles interactions au service du développement territorial ? », appel à contribution, Calenda, publié le mercredi 26 avril 2017. [En ligne. Utilisé en remplacement du terme de « ville moyenne », le terme de « ville intermédiaire » ne semble finalement pas résoudre le problème d’imprécision de la catégorie des villes moyennes mais introduit au contraire une nouvelle confusion puisque la fonction d’intermédiation est le propre de toute ville. Ainsi définie, toute ville peut donc être intégrée à la catégorie des villes intermédiaires.

Qu’il s’agisse des « métropoles », des « villes moyennes » ou des « villes intermédiaires », les définitions des différents types de villes ne sont pas arrêtées. L’imprécision de ces catégories est liée en grande partie à leur utilisation politique, les catégories de « villes moyennes » et « villes intermédiaires » ayant d’ailleurs été prioritairement définies dans le cadre de politiques publiques. Afin de mieux préciser ces catégories, de nombreux auteurs préconisent de combiner plusieurs critères. Toutefois, si les critères fonctionnels et de taille sont régulièrement utilisés, rares sont les travaux qui utilisent le mode de vie des habitants. Pourtant, les grandes villes donnent lieu à une organisation sociale particulière et sont associées à un mode de vie spécifique. En particulier, comme on l’a dit plus haut, le lieu commun veut que les « grandes villes » soient associées à un mode de vie nocturne spécifique, qu’elles soient propices à la sortie festive. L’analyse du mode de vie des habitants, et plus précisément de leur mode de vie nocturne, pourrait-elle alors permettre de préciser les seuils à retenir pour définir les catégories ? C’est cette hypothèse que nous proposons de tester dans les parties suivantes, d’abord pour distinguer les types d’agglomérations puis les types de communes.

Le mode de vie nocturne,
un critère peu discriminant entre les agglomérations

L’un des critères les plus utilisés pour définir les catégories de villes est celui du nombre d’habitants, en raison de sa simplicité d’utilisation. Ce critère a l’avantage de refléter la position de la ville dans la hiérarchie urbaine tout en informant approximativement sur ses fonctions, puisque la taille de la ville semble positivement corrélée à la complexité des fonctions présentes (Rondinelli, 1982, p. 359). Est-elle également corrélée au mode de vie nocturne des habitants, et si oui, des seuils se dégagent-ils ? Afin de répondre à ces interrogations, nous exploitons ici les résultats de la dernière version de l’enquête « Emploi du temps » réalisée en France (2009-2010), celle-ci permettant de décrire précisément le mode de vie des individus à l’échelle nationale (voir encadré).

L’enquête « Emploi du temps »,
une rare occasion d’observer les modes de vie
à large échelle.

Réalisée en France par l’INSEE, à une périodicité décennale depuis sa première version en 1966, l’enquête « Emploi du temps » a pour objectif de décrire l’usage que les individus font de leur temps tout au long de la journée, de la semaine et de l’année. Pour cela, un échantillon d’individus représentatif de la population française est invité à noter l’ensemble des activités qu’il réalise au cours d’une journée dans un « carnet », en précisant à chaque fois le but de l’activité réalisée, le type de lieu dans lequel il se trouve (parmi 7 types : au domicile personnel, sur le lieu de travail, chez une autre personne, dans un bar ou restaurant, dans sa résidence secondaire, dans un autre lieu, en trajet), et les personnes présentes. L’ensemble des journées décrites, équitablement réparties dans le temps, permettent ainsi d’analyser la vie quotidienne des Français dans ses multiples dimensions et à une large échelle, en observant notamment les différences de mode de vie d’un type de ville à l’autre et entre groupes sociaux. En 2010, 25 860 journées ont ainsi été décrites par des individus âgés de 15 ans et plus et résidant en France métropolitaine. Dans la version semi-publique de l’enquête (transmise sous condition de recherche via l’Adisp), les informations concernant le lieu de résidence sont cependant faibles : elles indiquent uniquement la taille de l’agglomération de résidence, en regroupant en une même catégorie toutes les agglomérations de plus de 200 000 habitants hors Paris. De telles informations ne permettant pas d’identifier les résidents des villes intermédiaires (définies ici comme les unités urbaines de 200 000 à 400 000 habitants, ou comme les communes de 100 000 à 200 000 habitants), la base utilisée ici correspond aux données non anonymisées de l’enquête, auxquelles nous avons pu accéder par l’intermédiaire du Centre d’Accès Sécurisé aux Données (CASD) et après accord du comité du secret statistique (CNIS). La base utilisée contient donc pour chaque répondant le nom/code de sa commune de résidence, ce qui nous a permis de catégoriser la taille de la ville ou agglomération de résidence selon une typologie plus fine. Afin de faciliter la lecture, nous utilisons les termes de « métropoles », « villes intermédiaires », « villes moyennes », « petites villes », « très petites villes » dans la suite de l’article pour désigner des catégories de ville définies uniquement par leur taille, dans un ordre décroissant.

Observé à l’échelle de l’unité urbaine, il apparaît que le mode de vie nocturne est similaire quelle que la soit la taille de l’agglomération. La part d’individus présents à leur domicile évolue, par exemple, de manière très proche dans l’ensemble des agglomérations au cours de la nuit (figure 3e) : les résidents des petites villes ne semblent pas se replier sur leur domicile plus que les résidents des grandes villes, et le rythme des retours au domicile est similaire d’un type d’agglomération à l’autre, les écarts entre les courbes étant minces. Les autres types de lieux sont également fréquentés en soirée dans des proportions relativement équivalentes dans l’ensemble des agglomérations. En particulier, à l’inverse des idées reçues, les résidents des petites agglomérations ne semblent pas moins fréquenter les bars et les restaurants que les résidents des grandes agglomérations. Si une observation rapide peut laisser croire que la fréquentation augmente avec la taille de l’agglomération, la faible fréquentation des bars et restaurants observée dans les unités urbaines de 50 000 à 100 000 habitants et la fréquentation relativement élevée observée dans les unités de moins de 20 000 habitants viennent contredire ce phénomène (figure 3b). De même, le temps moyen passé par chaque habitant dans un bar ou restaurant en soirée (entre 19h et 6h) est globalement supérieur pour les habitants des grandes agglomérations (plus de 100 000 habitants) que pour ceux des petites et moyennes agglomérations, mais l’idée d’un seuil est contredite par le fait que ce temps moyen est plus élevé pour les habitants des très petites agglomérations (moins de 20 000 habitants) que pour ceux des agglomérations intermédiaires (100 000 à 400 000 habitants) (figure 3b). La taille de l’agglomération de résidence ne semble donc pas avoir d’effet clair sur la fréquentation des bars et restaurants en soirée. Concernant les autres lieux semi-publics, leur fréquentation est également équivalente dans l’ensemble des agglomérations. Plus largement, les activités de sociabilité et les sorties culturelles et de loisirs sont autant pratiquées par les habitants des grandes que des petites agglomérations : les temps moyens consacrés à ces activités sont très proches quelle que soit l’heure et ne font pas apparaître d’effet de seuil ou de gradient (figure 3a), et les temps moyens consacrés à ces activités sont globalement équivalents quelle que soit la taille de l’agglomération de résidence (figure 3d). Ces similitudes se retrouvent également concernant les autres types d’activités (repas, sommeil, réception ou visite d’amis, etc.). Malgré leurs réputations différenciées, les grandes comme les petites agglomérations semblent donc donner lieu à des usages similaires de l’espace, la nuit.

Lecture (graphique a) : À 21h, en moyenne 2,4 % des résidents de l’unité urbaine de Paris (courbe en violet) sont dans un bar ou restaurant, quand cela concerne 1,4 % des résidents d’une unité urbaine de 20 000 à 50 000 habitants (courbe en vert foncé) et 1,9 % des résidents d’une unité urbaine de moins de 20 000 habitants.
Lecture (graphique b) : Les résidents d’une unité urbaine de plus de 400 000 habitants (hors Paris) passent en moyenne 6 minutes chaque nuit dans un bar ou restaurant entre 19h et 6h.
Champ : personnes âgées de 15 ans et plus vivant en ménage ordinaire, France métropolitaine.
Source : enquête Emploi du Temps 2009-2010, INSEE. Calculs de l’auteure. Résultats pondérés.

Figure 3. Une utilisation similaire du temps nocturne dans les différents types d’agglomération (source : auteure).

Ces mêmes résultats se retrouvent en Italie et en Espagne, où les mêmes analyses ont été réalisées. Les catégories retenues dans les enquêtes « Emploi du temps »de ces deux pays sont toutefois larges et ne permettent pas d’apprécier les différences entre les plus grandes villes, raison pour laquelle nous n’avons pas reproduit ici les graphiques concernant ces pays[57]En Espagne, l’ensemble des villes de plus de 100 000 habitants sont, par exemple, regroupées au sein d’une même catégorie de ville : si des distinctions existent entre, d’une part, les habitants des agglomérations de 100 à 200 000 habitants et, d’autre part, ceux des agglomérations de plus 200 000 habitants, celles-ci ne sont donc pas visibles. En Italie, ce sont toutes les villes de plus 50 000 habitants qui sont rassemblées, à l’exception des « aires métropolitaines » (qui correspondent aux villes de Turin, Milan, Gêne, Venise, Bologne, Florence, Rome, Naples, Bari, Palerme, Catane et Cagliari). Il n’est donc pas non plus possible d’observer d’éventuelles différences au sein des grandes villes de plus de 50 000 habitants hors de ces douze villes..

Le mode de vie nocturne :
des différences graduelles et non catégorielles
selon la taille de la commune

Observé à l’échelle de l’agglomération, le mode de vie nocturne des habitants varie peu en fonction de la taille de l’agglomération de résidence. Il apparaît ainsi être un critère peu discriminant et donc peu adapté pour définir des catégories de ville. En France, les résultats sont toutefois tout autres si on observe les différences de mode de vie nocturne selon la taille de la commune et non plus de l’unité urbaine de résidence : on constate alors un effet graduel.

Un rythme de vie nocturne légèrement plus tardif
dans les plus grandes villes

Le rythme de vie apparaît tout d’abord influencé par la taille de la commune de résidence : plus la commune dans laquelle les individus résident est petite, plus ils ont tendance à dîner tôt dans la soirée. Les sommets des courbes représentant la part d’individus en train de manger au cours de la soirée sont en effet atteints de façon plus précoce dans les plus petites communes (graphique 4a). À 19h30, 37 % des résidents des communes de moins de 2 000 habitants sont, par exemple, déjà en train de dîner, quand cela ne concerne que 30 % des résidents des villes moyennes (50 à 100 000 habitants), 35 % des villes intermédiaires (100 à 200 000 habitants), 24 % des résidents des métropoles (plus de 200 000 habitants hors Paris), et 19 % des Parisiens. Les résidents des petites villes ont également tendance à se coucher et à se lever plus tôt que les résidents des grandes villes (figure 4b) et à partir plus tôt de leur lieu de travail. Les bornes temporelles de la nuit différent ainsi d’un type de ville à l’autre, la nuit commençant et terminant plus tôt dans les petites communes que dans les grandes.

Figure 4. Des bornes temporelles de la nuit légèrement décalées en fonction de la taille de la commune de résidence (source : auteure).

Des différences graduelles de fréquence
des sorties nocturnes
selon la taille de la commune de résidence

Au-delà de ces différences de rythme, on retrouve également une différence de nature dans les activités réalisées et les lieux fréquentés au cours de la soirée et de la nuit. Un effet graduel peut être observé, les résidents des plus grandes communes ayant davantage tendance à sortir le soir pour des activités festives, sociales ou culturelles, que les résidents des plus petites villes. Quelle que soit l’heure de la soirée entre 20h et 1h, la participation à des activités de vie sociale ou de sorties culturelles[58]Les activités de vie sociale ou de sortie culturelle ou de loisirs comprennent les activités suivantes : Repas au domicile avec au moins une personne hors ménage ; Repas en dehors du domicile et du lieu de travail (seul, avec des membres du ménage, ou avec des membres hors ménages) ; Réception (ou visite) d’amis ou de famille hors ménage ; Autre sortie avec des amis ou de la famille (ménage ou non) ; Autre vie sociale (activités religieuses, politiques, associatives, cérémonies, conversations) ; Assistance à une représentation culturelle ou sportive (théâtre, concert, cinéma, événement sportif, musée). est d’autant plus élevée que la commune est peuplée (graphique 5a). À 21 h, ce sont, par exemple, 24 % des Parisiens, 17 % des résidents des métropoles, 15 % des résidents des villes intermédiaires qui sont occupés par une activité de ce type, quand cela concerne 11 à 12 % des résidents des plus petites villes. Le temps moyen consacré chaque soir à des activités de sorties ou de vie sociale semble ainsi positivement corrélé au nombre d’habitants dans la commune de résidence, celui-ci étant d’autant plus élevé que la commune est peuplée : alors que les Parisiens consacrent en moyenne une heure chaque soir à des activités de vie sociale ou de sortie culturelle, les résidents des métropoles y consacrent 50 minutes en moyenne, les résidents des villes intermédiaires 43 minutes, et les résidents des villes moyennes 36 minutes (figure 5b).

Ces différences de rythmes et d’activités réalisées se traduisent par une utilisation différenciée des espaces nocturnes. En particulier, les résidents des grandes villes fréquentent davantage les bars et les restaurants que ceux des petites communes : Paris, les métropoles et dans une moindre mesure les villes intermédiaires se distinguent particulièrement des autres villes par une plus forte fréquentation de ces lieux (graphique 5c). À 21h30, par exemple, en moyenne 5,5 % des Parisiens et 3 % des résidents des métropoles et des villes intermédiaires sont dans un bar ou un restaurant, quand cela concerne 2 % des résidents des villes moyennes, 1,6 % des résidents des villes de 2 000 à 50 000 habitants et 1,3 % des résidents des plus petites villes. Le temps moyen passé dans un bar ou restaurant décroît ainsi avec le nombre d’habitants en suivant un effet de gradient : les Parisiens passent en moyenne 14 minutes chaque soir dans un tel établissement, les résidents des métropoles 9 minutes, les résidents des villes intermédiaires 8 minutes et les résidents des villes moyennes 5 minutes (graphique 5d). À l’inverse, les résidents des petites villes passent plus de temps à leur domicile : entre 19h et 6h, les résidents des villes de moins de 20 000 habitants passent en moyenne 9h48 à leur domicile, ceux des villes de 20 à 50 000 habitants 9h44, ceux des villes moyennes 9h21, ceux des villes intermédiaires 9h27, ceux des métropoles 9h15 et les Parisiens 8h55 (graphique 5f). Cette différence est certes liée à une différence de rythme, les résidents des plus petites communes rentrant plus tôt chez eux, mais pas uniquement, puisque quelle que soit l’heure de la soirée ou de la nuit, la part de la population étant à son domicile est plus élevée dans les petites communes (graphique 5e).

Lecture (graphique a) : Chaque soir à 21h, en moyenne 24 % des parisiens, 17 % des résidents des métropoles, 15 % des résidents des villes intermédiaires, sont occupés par une activité de vie sociale ou une sortie culturelle ou de loisirs.
Lecture (graphique b) : Chaque nuit, les résidents des villes intermédiaires passent en moyenne 43 min. à réaliser des activités de vie sociale ou à sorties culturelles ou de loisirs quand les résidents des villes moyennes y passent 36 min.
Champ : personnes âgées de 15 ans et plus vivant en ménage ordinaire, France métropolitaine.
Source : enquête « Emploi du Temps 2009 », INSEE. Calculs de l’auteure. Résultats pondérés.

Figure 5a. Des sorties nocturnes d’autant plus importantes que la ville de résidence est grande (source : auteure).

Si les résidents des grandes villes sont plus enclins que les résidents des petites villes à s’adonner à des sorties culturelles ou de sociabilité en soirée, les activités de vie sociale n’impliquant pas de sortie dans un lieu (semi)-public – réalisées au domicile personnel ou chez des proches – ne semblent cependant pas différer selon la taille de la commune de résidence. En effet, les résidents des petites villes reçoivent ou rendent visite à des proches tout autant que les résidents des grandes villes en soirée. Entre 20h et 6h, la part de la population en train de recevoir ou rendre visite à des proches est très proche quelle que soit la taille de la commune (voir figure 6a). À 21h, cette activité concerne 1,8 % des Parisiens, 2,2 % des résidents des métropoles, 1,6 % des résidents des villes intermédiaires, 1,5 % des résidents des villes moyennes, 2 % des résidents des petites villes, 1,7 % des très petites villes et 1,9 % des résidents des communes rurales : les écarts sont donc très minces. En tout début de soirée, entre 18h et 20h, elle semble même plus élevée parmi les résidents des petites communes que des grandes.

Lecture (graphique a) : Chaque soir à 21h, en moyenne 1,6 % des résidents des villes intermédiaires (100 à 200 000 habitants) sont en train de recevoir ou rendre visite à des proches.
Lecture (graphique b) : Chaque nuit entre 19h et 6h, les résidents des villes intermédiaires passent en moyenne 8 minutes à recevoir ou rendre visite à des proches quand les résidents des villes moyennes y consacrent 6:30 minutes.
Champ : personnes âgées de 15 ans et plus vivant en ménage ordinaire, France métropolitaine.
Source : enquête « Emploi du Temps 2009 », INSEE. Calculs de l’auteure. Résultats pondérés.
Figure 6. La sociabilité nocturne au domicile : une activité répandue dans des proportions similaires dans tous les types de commune (source : auteure).

Les différences d’une ville à l’autre :
effet social ou spatial ?

Les sorties nocturnes festives, culturelles ou de sociabilité apparaissent ainsi plus fréquentes dans les grandes villes que dans les petites. Mais les usages nocturnes varient également grandement d’un groupe social à l’autre. En particulier, les étudiants, les cadres et dans une moindre mesure les professions intermédiaires et les artisans et commerçants sont particulièrement enclins à sortir et à fréquenter les lieux (semi)-publics en soirée et de nuit. À 21h, en moyenne 4,4 % des cadres sont dans un bar ou restaurant, par exemple, quand cela concerne 1,6 % des employés et 1 % des ouvriers. Les étudiants ont quant à eux une présence dans les bars plus étalée dans le temps, qui est largement supérieure à la moyenne entre 0 h et 6 h (figure 7a). Ces différences concernent plus largement l’ensemble des activités de vie sociale ou de loisirs : à 21h, en moyenne 20 % des étudiants, 19 % des cadres et 16 % des professions intermédiaires se consacrent à une activité de vie sociale ou culturelle, quand cela concerne seulement 12 % des ouvriers et 11 % des employés (graphique 7b).

Lecture (graphique a) : Chaque soir à 21h, en moyenne 4,4 % des cadres, 3,1 % des artisans, commerçants et chefs d’entreprise, 2,6 % des professions intermédiaires, etc., sont dans un bar ou restaurant.
Champ : personnes âgées de 15 ans et plus vivant en ménage ordinaire, France métropolitaine.
Source : enquête « Emploi du Temps 2009 », INSEE. Calculs de l’auteure. Résultats pondérés.

Figure 7. Les cadres et étudiants, des populations particulièrement enclines à sortir en soirée et de nuit (source : auteure).

Or les étudiants et les cadres sont également plus nombreux au sein des grandes villes (voir tableau 1). Les étudiants représentent, par exemple, 14 % de la population des métropoles (parmi les individus âgés de 15 ans et plus) et 13 % de de la population des villes intermédiaires, contre 10 % de la population des villes moyennes, 9 % dans les petites villes, 7 % dans les très petites villes, et 6 % au sein des villes de moins 2 000 habitants. À l’inverse, les ouvriers, moins enclins à sortir que la moyenne, sont surreprésentés dans les villes de petite taille. Les différences observées entre les villes de différentes tailles sont donc en partie liées à la composition sociale des types des villes : ces dernières sont utilisées différemment dans la mesure où le profil de leurs résidents diffère.

Lecture : 27,6 % des Parisiens appartiennent à la catégorie socioprofessionnelle des cadres et professions intellectuelles supérieures, alors que cette catégorie représente 8,8 % de la population française.
Note : Les villes sont ici définies par leur population communale catégorisée comme suit : Métropole > 200 000 hab. > Ville intermédiaire > 100 000 > Ville moyenne > 50 000 > Petite ville > 20 000 > Très petite ville > 2 000 hab. L’acronyme « ACCE » désigne les « artisans, commerçants et chefs d’entreprise ; « PIS » désigne « professions intellectuelles supérieures ».
Source : Recensement de la population 2010, INSEE. Calculs de l’auteure.

Tableau 1. Les caractéristiques socio-professionnelles de la population : des différences importantes entre métropoles, villes intermédiaires, villes moyennes et petites villes (source : auteure).

En plus de ces différences liées à la composition sociale de la population, la taille même de la ville semble également avoir une influence. En effet, les résultats des régressions logistiques réalisées révèlent un effet significatif net du type de commune de résidence sur les comportements nocturnes (tableau 2 en annexe). Dans le modèle de régression visant à estimer la probabilité de sortie dans un bar ou restaurant au cours de la soirée (modèle 1), l’ensemble des variables décrivant le type de commune de résidence présente un odds-ratio significativement différent de 1, alors même que les variables de niveau de diplôme et de statut professionnel sont insérées dans le modèle. Cela signifie qu’à sexe, statut professionnel et niveau de diplôme équivalents, les résidents des grandes villes ont tendance à davantage fréquenter les bars et les restaurants en soirée que les résidents des plus petites communes. Plus précisément, d’après les paramètres estimés par le modèle, à sexe, statut professionnel, jour et niveau de diplôme équivalents (tels que définis par la situation de référence), une personne résidant à Paris a 1,6 fois plus de chances (au sens des « côtes »[59]La côte correspond au rapport entre la probabilité que l’événement se réalise et la probabilité que l’événement ne se réalise pas. L’odds-ratio correspond quant à lui au rapport entre deux côtes, celle où l’individu a une caractéristique A et celle où l’individu a une caractéristique B.) qu’une personne résidant dans une autre ville de plus de 200 000 habitants de se rendre dans un bar ou un restaurant au cours de la soirée. À l’inverse, une personne résidant dans une petite ville a 1,8 fois moins de chance qu’une personne résidant dans une métropole (hors Paris) de se rendre dans un bar ou un restaurant au cours de la soirée. Le modèle qui vise à estimer la probabilité pour un individu de consacrer une partie de sa soirée à une activité culturelle ou de loisir (modèle 2) atteste également d’un effet significatif de la taille de la commune de résidence, en particulier entre les plus grandes (Paris, métropoles et villes intermédiaires) et les plus petites (villes très petites, petites et moyennes) villes. Cet effet spatial est possiblement lié à la différence d’offre nocturne entre les plus grandes et les plus petites villes, une offre variée et diversifiée pouvant inciter à sortir davantage.

L’effet différencié de la taille de la commune
et de l’unité urbaine :
un effet lié aux limites administratives ?

La taille de la commune de résidence apparaît finalement avoir bien plus d’influence que la taille de l’unité urbaine de résidence sur les sorties nocturnes de loisirs ou de sociabilité. Cet effet différencié de la taille de la commune et de l’unité urbaine peut à première vue paraître surprenant, dans la mesure où l’échelle communale ne dépend que d’une délimitation administrative et ne correspond pas à une réalité géographique. À l’inverse, l’unité urbaine, définie par la continuité du bâti, correspond à une réalité purement géographique. S’il peut sembler surprenant à première vue, il nous semble que cet effet différencié est finalement le signe de l’importance de la distance au centre de l’agglomération, la nuit. Si le fait de résider dans une grande ville augmente la fréquence des sorties nocturnes, le fait de résider à proximité d’une grande ville-centre n’incite pas les individus à sortir davantage que s’ils résidaient à proximité d’une plus petite ville-centre. Pour voir sa fréquence de sorties nocturnes augmenter, l’important ne semble donc pas tant d’être proche d’une grande ville, mais bien de résider dans cette grande ville-centre, ce qui signifie être au plus proche du centre de cette grande agglomération.L’analyse des modes de vie nocturnes selon le type de quartier de résidence confirme en outre cette différence centre-périphérie, les individus résidant dans des tissus urbains caractéristiques des centres-villes (composés d’immeubles de ville, ou d’un mixte entre immeubles et maisons) étant sensiblement plus enclins à sortir en soirée ou de nuit pour leurs loisirs que les individus résidant dans les autres types de tissus urbains (composés de grands ensembles, de maisons en quartier pavillonnaire ou de maisons dispersées hors agglomération[60]Pour plus de détails à ce sujet, voir notamment la thèse de l’auteure, Le côté obscur de la ville : analyse de la production des espaces nocturnes dans les villes intermédiaires [En ligne). Il apparaît donc nécessaire de poursuivre la réalisation d’analyses portant uniquement sur les villes-centres. De ce point de vue, la nouvelle catégorisation en aires d’attraction des villes 2020 de l’INSEE devrait permettre de faciliter ces recherches puisqu’elle permet au sein de chaque type d’agglomération de distinguer les villes-centres des communes périphériques d’agglomération[61]Liste des aires d’attraction des villes 2020 et de leur catégorisation. [En ligne. En se saisissant de cette nouvelle classification, il sera ainsi possible d’interroger l’existence de différences également entre les périphéries des différents types d’agglomérations.

Conclusion

Finalement, ces résultats montrent que le mode de vie nocturne des habitants diffère selon la taille de la commune de résidence. Certes, la région d’appartenance de la ville, son potentiel touristique (qui influe à la hausse sur l’offre d’activités nocturnes) ou sa situation par rapport aux autres villes influencent également le mode de vie nocturne des habitants, si bien que deux villes de taille identique ne donneront probablement pas lieu à un mode de vie nocturne similaire selon qu’elles se situent dans le Nord ou le Sud de la France, par exemple. Toutefois, en moyenne, les plus grandes villes apparaissent plus propices aux sorties nocturnes que les plus petites. Souvent critiqué, le critère de taille de la commune-centre reste donc un critère pertinent pour étudier les différences entre les villes, dans la mesure où il induit un certain mode de vie nocturne.

Il apparaît toutefois que les différences observées ne sont pas tant catégorielles mais plutôt graduelles : on observe en effet un gradient, les sorties nocturnes étant d’autant plus fréquentes que les villes sont grandes. Il est donc tout à fait probable que des différences s’observent également au sein même des différentes catégories de villes, entre les plus petites et les plus grandes « métropoles », entre les plus petites et les plus grandes « villes intermédiaires », etc. Contrairement à l’idée répandue selon laquelle les villes de province « c’est mort la nuit », la vie nocturne festive ne se limite pas aux seules métropoles : les habitants des plus petites villes s’adonnent également à des sorties de loisirs et sociabilités en soirée et de nuit, même si ces sorties sont moins fréquentes (ou concernent moins de monde) que pour les habitants des villes plus grandes. Pour étudier les différents types de villes, il apparaît donc pertinent d’adopter une approche graduelle en s’appuyant sur le nombre d’habitants au sein de la commune, plus que catégorielle. Cette approche libère ainsi de l’éternelle question de la définition des seuils : l’important n’est en effet pas de savoir si telle ou telle ville doit être catégorisée parmi les villes moyennes ou petites, mais de savoir que ses habitants auront d’autant plus tendance à sortir le soir que cette ville possède d’habitants.

Les différentes catégories de villes peuvent alors être utiles, à condition de les prendre pour ce qu’elles sont : des catégories approximatives donnant un ordre de grandeur de la taille de la ville. La question des seuils à retenir apparaît dès lors peu importante, mais il convient que les catégories désignent des intervalles de taille les plus réduits possible. Ces résultats nous permettent alors d’apporter des éléments supplémentaires aux discussions relatives à la définition des « villes intermédiaires » puisque, de ce point de vue, réunir l’ensemble des villes non métropolitaines en une même catégorie de « villes intermédiaires » semble peu pertinent. Il apparaît préférable de garder ce vocable pour désigner « une référence de taille démographique située entre les villes moyennes et grandes »[62]« Mobilité, choix résidentiels, pratiques sociales et politiques publiques : la ville intermédiaire comme modèle de durabilité ? », Appel à contribution, Calenda, publié le 7 juin 2021 [En ligne, ou encore le « niveau supérieur de la fourchette des villes moyennes, ou celui inférieur des grandes villes, selon le regard porté » (Commerçon, 1996[63]Op. cit.). À moins que d’autres termes, désignant des catégories de villes entièrement définies par la taille de la ville, ne soient à inventer, afin de se défaire de l’ensemble des confusions et représentations transmises par les politiques publiques quant aux termes utilisés actuellement.

Annexe

Note : Les villes sont catégorisées par leur population communale comme suit : Métropole > 200 000 > Ville intermédiaire > 100 000 > Ville moyenne > 50 000 > Petite ville > 20 000 > Très petite ville > 2 000 hab.
Les résultats des tests de significativité (Wald) sont codés ainsi : 0 <***< 0.001 <**< 0.01 <*< 0.5 <.< 0.1 < n.s.
Lecture : À sexe, statut professionnel, jour et niveau de diplôme équivalents, une personne résidant à Paris a 1,6 fois plus de chance de sortir dans un bar ou restaurant au cours de sa soirée qu’une personne résidant dans une métropole, tandis qu’une personne résidant dans une ville intermédiaire a 1/0,746 = 1,7 fois moins de chance.
Champ : population âgée de 15 ans et plus vivant en ménage ordinaire en France métropolitaine.

Tableau 2. Résultats des régressions logistiques expliquant la probabilité pour un individu de sortir dans un bar ou un restaurant au cours de la soirée entre 19h et 0h (modèle 1) ou de consacrer une partie de la soirée à une sortie culturelle, de loisirs ou de sociabilité (modèle 2) selon ses caractéristiques (source : enquête EDT française (2009-2010), INSEE, calculs de l’auteure, régressions non pondérées).

[1] Brutel C. (2011). « Un maillage du territoire français : 12 aires métropolitaines, 29 grandes aires urbaines », INSEE Première, n° 1333.

[2] Grenoble Alpes Métropole [En ligne, 14/06/2021].

[3] Aubert F, George-Marcelpoil E, Larmagnac C. (2011). « Les villes intermédiaires et leurs espaces de proximité. État des lieux et problématiques ». Territoires 2040, n° 3, p. 101-119.

[4] Laborie JP. (1978). « Les petites villes dans le processus d’urbanisation », thèse d’État, université Toulouse-Jean Jaurès, France, sous la direction de Bernard Kayser.

[5] Édouard JC. (2007). « La petite ville “objet géographique”, enjeux, stratégies, acteurs », mémoire d’habilitation à diriger des recherches.

[6] Roo P de. (2007). Les villes moyennes françaises : enjeux et perspectives, Paris, La Documentation française.

[7] Op. cit.

[8] Pinçon M, Pinçon-Charlot M. (2000). « Les nuits de Paris », Les Annales de la recherche urbaine, n° 87(1), p. 15-24.

[9] Bourdeau-Lepage L, Huriot JM. (2005). « La métropolisation : thème et variations », dans Buisson MA, Mignot D, Concentration économique et ségrégation spatiale, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, p. 39-64.

[10] Bourdin A. (2017). « Être métropole dans un monde incertain. Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines », colloque international Popsu, Paris.

[11] Brunet R. (1997). Territoires de France et d’Europe : raisons de géographe, Paris, Belin.

[12] Santamaria F. (2000). « La notion de “ville moyenne” en France, en Espagne et au Royaume-Uni, Annales de géographie, n° 109(613), p. 227-239.

[13] Saint-Julien T. « Métropole », Hypergeo. [En ligne].

[14] Op. cit.

[15] Op. cit.

[16] Di Méo G. (2010). « La métropolisation. Une clé de lecture de l’organisation contemporaine des espaces géographiques », L’Information géographique, n° 74(3), p. 23-38.

[17] Füzesséry S, Simay P (dir.). (2008). Le choc des métropoles : Simmel, Kracauer, Benjamin, Paris, L’Éclat.

[18] Bourdin A. (2005). La métropole des individus, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube.

[19] Silvestre P. (2012). « Dire pour agir : les mots de la métropole »,  Métropolitiques. [En ligne].

[20] Op. cit.

[21] Popsu Métropoles : programme [En ligne].

[22] Métroscope 2020 [En ligne].

[23] Rivière D. (2015). « Métropoles et territoires institutionnels : quelques pistes d’analyse à partir des cas français et italien », L’Espace Politique, n° 27(3). [En ligne]

[24] Commerçon N. (1996). « Les villes moyennes », Norois, n° 171(1), p. 487-493.

[25] Op. cit.

[26] Op. cit.

[27] Demazière C. (2017). « Le traitement des petites et moyennes villes par les études urbaines », Espaces et sociétés, n° 168-169, p. 17-32.

[28] Op. cit.

[29] Santamaria F. (2012). « Les villes moyennes françaises et leur rôle en matière d’aménagement du territoire : vers de nouvelles perspectives ? », Norois, n° 223, p. 13-30.

[30] Op. cit.

[31] Op. cit.

[32] Saint-Julien T. (2003). « Les villes moyennes en Europe, contextes et défis », dans Villes moyennes et mondialisation : renouvellement de l’analyse et des stratégies, Montréal, Trames, Université de Montréal.

[33] Op. cit.

[34] Op. cit.

[35] Op. cit.

[36] Op. cit.

[37] Giroud M, Mainet-Valleix H, Édouard JC. (2012). Les mobilités spatiales dans les villes intermédiaires : territoires, pratiques, régulations. Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal.

[38] Mainet H, Rieutort L. (2020). Métropoles, villes intermédiaires et espaces ruraux : quelles interactions au service du développement territorial ?, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal.

[39] Rondinelli DA. (1982). « Intermediate cities in developing countries: a comparative analysis of their demographic, social and economic characteristics », Third World Planning Review, n° 4(4), p. 357-386.

[40] Hardoy JE, Satterthwaite D (dir.). (1986). Small and intermediate urban centres: their role in regional and national development in the Third World, Boulder, Westview Press.

[41] Roullier JE. (1989). « Préface », dans Gault M, Villes intermédiaires pour l’Europe, Paris, Syros Alternatives, p. 9-13.

[42] Gault M. (1989). Villes intermédiaires pour l’Europe, Paris, Syros-Alternatives.

[43] Jeanneau J. (1996). « Villes moyennes et grandes villes intermédiaires dans les Pays de la Loire », Norois, n° 171(1), p. 647-658.

[44] Laborde P. (1996). « Bayonne, ville moyenne ou ville intermédiaire de l’Arc atlantique ? », Norois, n° 171(1), p. 607-616.

[45] Grasland L, Auriac F, Charre J, Grosso R. (1999). « Avignon, ville intermédiaire », dans Commerçon N, George P (dir.), Villes de transition, Paris, Anthropos, p. 5-30

[46] Op. cit.

[47] Commerçon N. (1999). « Introduction », dans George P, Commerçon N (dir.), Villes de transition, Paris, Anthropos, p. 1-4.

[48] Bellet C, Llop J. (1999). « Ciudades intermedias y urbanizacion mundial », rapport. [En ligne].

[49] Bellet C, Llop J. (2002). « Villes intermédiaires. Profils et lignes », deuxième phase du programme UIA-CIMES, rapport. [En ligne, 17/06/2021].

[50] Carrière JP. (2008). « Les villes intermédiaires européennes et l’Europe polycentrique », Annales des Mines. Réalités industrielles, n° 1, p. 18-26

[51] Nadou F. (2010). « La notion de “villes intermédiaires”, une approche différenciée du rôle des villes moyennes : entre structuration territoriale et spécificités socioéconomiques », communication dans le cadre du colloque « Villes petites et moyennes, un regard renouvelé », Tours, les 9 et 10 décembre. [En ligne, 17/06/2021].

[52] Op. cit.

[53] Op. cit.

[54] Op. cit.

[55] « Les mobilités spatiales dans les villes intermédiaires », appel à contribution, Calenda, publié le 26 février 2010. [En ligne].

[56] « Métropoles, villes intermédiaires et espaces ruraux : quelles interactions au service du développement territorial ? », appel à contribution, Calenda, publié le mercredi 26 avril 2017. [En ligne].

[57] En Espagne, l’ensemble des villes de plus de 100 000 habitants sont, par exemple, regroupées au sein d’une même catégorie de ville : si des distinctions existent entre, d’une part, les habitants des agglomérations de 100 à 200 000 habitants et, d’autre part, ceux des agglomérations de plus 200 000 habitants, celles-ci ne sont donc pas visibles. En Italie, ce sont toutes les villes de plus 50 000 habitants qui sont rassemblées, à l’exception des « aires métropolitaines » (qui correspondent aux villes de Turin, Milan, Gêne, Venise, Bologne, Florence, Rome, Naples, Bari, Palerme, Catane et Cagliari). Il n’est donc pas non plus possible d’observer d’éventuelles différences au sein des grandes villes de plus de 50 000 habitants hors de ces douze villes.

[58] Les activités de vie sociale ou de sortie culturelle ou de loisirs comprennent les activités suivantes : Repas au domicile avec au moins une personne hors ménage ; Repas en dehors du domicile et du lieu de travail (seul, avec des membres du ménage, ou avec des membres hors ménages) ; Réception (ou visite) d’amis ou de famille hors ménage ; Autre sortie avec des amis ou de la famille (ménage ou non) ; Autre vie sociale (activités religieuses, politiques, associatives, cérémonies, conversations) ; Assistance à une représentation culturelle ou sportive (théâtre, concert, cinéma, événement sportif, musée).

[59] La côte correspond au rapport entre la probabilité que l’événement se réalise et la probabilité que l’événement ne se réalise pas. L’odds-ratio correspond quant à lui au rapport entre deux côtes, celle où l’individu a une caractéristique A et celle où l’individu a une caractéristique B.

[60] Pour plus de détails à ce sujet, voir notamment la thèse de l’auteure, Le côté obscur de la ville : analyse de la production des espaces nocturnes dans les villes intermédiaires [En ligne].

[61] Liste des aires d’attraction des villes 2020 et de leur catégorisation. [En ligne].

[62] « Mobilité, choix résidentiels, pratiques sociales et politiques publiques : la ville intermédiaire comme modèle de durabilité ? », Appel à contribution, Calenda, publié le 7 juin 2021 [En ligne]

[63] Op. cit.