juillet 2024

La ville productive à l’heure de la transition écologique

« Ville productive » : l’action collective sans politique publique
Les cas de Bordeaux et de Rennes
Flavie Ferchaud
Université Gustave-Eiffel, Lab’Urba
Joël Idt
Université Gustave-Eiffel - Lab’Urba

« Ville productive » : l’action collective sans politique publique
Les cas de Bordeaux et de Rennes
« Ville productive » : l’action collective sans politique publique : les cas de Bordeaux et de Rennes,
Riurba no
16•17, juillet 2024.
URL : https://www.riurba.review/article/16-productive/laction-collective/
Article publié le 5 juil. 2025
- Abstract
- Résumé
“Productive City”: urban collective action without public policies. Cases of Bordeaux and Rennes, France
The term “productive city” has spread throughout Europe. However are public policies structured in order to target the maintenance or establishment of productive activities within the urban space? Our work show the lack of a productive city policy in Rennes and Bordeaux (France): in these cities, there is no strategic framework targeting productive activities. Nevertheless the analysis highlights the fact that collective action on productive activities has been equipped with general socio-technical tools that are specific to urban planning. These tools contribute to the politico-technical regulation of the location of productive activities in the urban space.
Le terme de « ville productive » s’est diffusé en Europe, mais peut-on observer la structuration de politiques publiques locales ciblant le maintien ou l’implantation des activités productives au sein de l’espace urbain ? Notre travail montre l’absence de politiques publiques sur la ville productive à Rennes et Bordeaux : dans ces deux agglomérations, il n’existe pas de cadre stratégique ciblant les activités productives. L’analyse souligne néanmoins un outillage de l’action collective sur les activités productives à travers des dispositifs sociotechniques généralistes propres au secteur de l’aménagement urbain, dispositifs qui contribuent à la régulation technico-politique de l’implantation des activités productives dans l’espace urbain.
post->ID de l’article : 5532 • Résumé en_US : 5556 • Résumé fr_FR : 5553 • Sous-titre[0] : L
Introduction
Les vocables « d’économie productive », « d’activités productives » puis de « ville productive » apparaissent dès les années 2010 (Arab, 2019[1]Arab N. (2019). « Faire une place à l’économie productive en centre urbain dense métropolitain – le projet d’urbanisme Ivry Confluences à Ivry-sur-Seine dans le Grand Paris », dans Crague G (dir.), Faire la ville avec l’industrie – Métropoles et villes moyennes : 4 retours d’expériences, Paris, Presses des Ponts, 173 p.) dans un contexte de montée en puissance des questions industrielles dans les politiques nationales, mais aussi dans les politiques urbaines locales et l’aménagement des villes (Crague et al., 2019[2]Crague G, Arab N, Miot Y. (2019). Faire la ville avec l’industrie. Métropoles et villes moyennes : 4 retours d’expérience, Paris, Presses des Ponts, 173 p.). À Bruxelles, par exemple, le rapport issu d’ateliers menés dans le cadre du plan Canal (2011-2014) formalise le « concept » de ville productive, à la croisée de l’urbanisme et de l’économie, et aux dimensions géographiques, fonctionnelles et urbanistiques affirmées (Gilbart, 2023[3]Gilbart A. (2023). « Dans un cadre de sobriété foncière : quel(s) dispositif(s) d’action publique en vue d’une potentielle reconnexion urbano-productive ? Étude du territoire montois », thèse de doctorat en art de bâtir et urbanisme, Université de Mons, Faculté d’Architecture et d’Urbanisme.). Son objet est celui des activités productives, c’est-à-dire des activités artisanales ou industrielles de production matérielle, dont il est souhaité le maintien ou l’implantation au sein des espaces urbains. Citons également le concours Europan de 2017 sur la thématique « ville productive » (Gilbart et Mazy, 2023[4]Gilbart A, Mazy K. (2023). « De l’émergence à l’appropriation, Europan et la fabrique du concept de ville productive en contexte métropolitain », Espaces et sociétés, n° 189, p. 95-117.) ou le projet de « Fab city » qui vise la relocalisation de la production en ville. Tous deux mettent en mouvement réseaux d’acteurs et canaux de communication sur le sujet à l’échelle européenne et au-delà. En France, l’appropriation du « concept » de ville productive a donné lieu à la fois à l’impulsion de recherches et d’études[5]Par exemple, le rapport du Cerema en 2018 (CEREMA (2018). L’action foncière publique en faveur du logement et des activités productives, [En ligneProspective et co-construction des territoires au XXIe siècle, Paris, Hermann, p. 199-212.), ceux de N. Arab sur Ivry Confluence (Arab N. (2018). « Fabriquer la ville productive. Le cas d’Ivry Confluences ». Journée Développement économique local et urbanisme, CDC, Paris, France ; Arab, 2019, op. cit.) ou encore de G. Crague (Crague G. (2017). « Le maintien des entreprises, un problème d’urbanisme. L’équilibre fonctionnel comme principe de l’intervention économique locale », RIURBA, n° 4. [En ligneet al., 2019, op. cit.). Certains de ces travaux se placent dans une logique opérationnelle (par exemple, les études ayant mené à la publication d’un livre blanc en faveur du développement et du maintien d’activités productives pour la ville de Paris et plusieurs établissements publics territoriaux)., à des débats dans les sphères professionnelles de l’urbanisme et du développement territorial, et à des formes d’actions collectives à même de mobiliser des ressources et des acteurs, publics et privés, à différents niveaux (Crague, 2020[6]Crague G. (2020). Identifier l’industrie et la production dans le territoire Grand-Orly Seine Bièvre, rapport final, CIRED-École des Ponts Paristech.).
Mais peut-on pour autant observer la structuration de politiques publiques locales ciblant le maintien ou l’implantation des activités productives au sein de l’espace urbain ?
Ce questionnement a été au cœur d’une recherche[7]Recherche financée par le Plan Urbanisme Construction Architecture, la Caisse des Dépôts et de Consignations et la Fabrique de l’Industrie, dans le cadre du programme Ville productive porté par le PUCA. menée entre 2021 et 2023 par une équipe composée d’enseignants-chercheurs et de deux agences de programmation et d’études urbaines[8]L’équipe était composée des deux auteurs ainsi que d’Hélène Beraud (Lab’urba), Alexandre Blein (Alphaville), Daphné Lecointre (Le Sens de la Ville) et Flore Trautmann (Le Sens de la Ville). Les matériaux de l’enquête et leur analyse ont été coproduits par l’ensemble de l’équipe. Nos échanges et discussions tout au long du projet ont largement contribué aux réflexions permettant d’aboutir à la rédaction de cet article., sur les territoires des agglomérations bordelaise et rennaise. L’enquête a pris la forme d’une collecte d’informations et de documents, ainsi que d’entretiens semi-directifs. Au total, 73 entretiens ont été réalisés avec des acteurs de l’aménagement ou du développement économique au sein des collectivités, des aménageurs, des promoteurs ou des commercialisateurs, mais aussi les chambres consulaires et les agences d’urbanisme. En parallèle de ces entretiens, l’analyse de données quantitatives a permis d’élaborer des cartes restituant dans le temps l’évolution de la localisation des activités productives[9]L’ouvrage Aménager la ville productive (Ferchaud F, Blein A, Idt J et al. (2024). Aménager la ville productive, Paris, Presses des Mines, 13 p.) restitue les principaux éléments de la recherche..
Certains travaux portant sur la ville productive montrent le déploiement de politiques publiques en faveur des activités productives, à l’instar des dynamiques à l’œuvre à Ivry-sur-Seine et plus globalement au sein de l’établissement public territorial Grand Orly Seine Bièvre (Arab, 2019[10]Op. cit. ; Crague et al., 2019[11]Op. cit.), un territoire qui n’a cessé de marquer sa vocation industrielle depuis le XIXe siècle. Notre enquête montre, à l’inverse, l’absence de politiques publiques sur la ville productive à Rennes comme à Bordeaux : dans ces deux agglomérations aux trajectoires politiques, économiques et industrielles différentes par rapport à celles des territoires franciliens, il n’existe pas de cadre stratégique global ciblant les activités productives. En outre, le productif est peu mis en avant par les collectivités étudiées dans leurs politiques de développement économique. Certaines activités (une partie de l’artisanat, l’industrie à haute valeur ajoutée, l’économie circulaire) font l’objet d’une action publique structurée, mais leur caractère productif reste peu pris en compte, voire impensé. En revanche, notre analyse met en avant un outillage foisonnant de l’action collective sur les activités productives, à travers des dispositifs sociotechniques (Akrich, 1987[12]Akrich M. (1987). « Comment décrire les objets techniques ? », Techniques et Culture, n° 9, p. 49-64.) généralistes propres au secteur de l’aménagement et de l’urbanisme. Alors même que ces dispositifs émergent en dehors de tout cadre politique et stratégique clairement orienté vers la ville productive, l’article explicite leur portée néanmoins politique.
L’article est structuré en quatre parties. Après avoir explicité le contexte économique et politique des dynamiques de localisation des activités productives à Rennes et Bordeaux, la deuxième partie s’attache à mettre en lumière, pour ces deux agglomérations, l’absence de politique publique à même de structurer l’action collective sur la « ville productive ». La troisième partie de l’article porte sur les dispositifs sociotechniques utilisés pour favoriser le maintien ou l’implantation d’activités productives. La quatrième partie donne à voir en quoi ces dispositifs sont en prise avec le politique lors de leur conception et de leur utilisation.
Face à la dispersion des activités productives,
le laisser-faire des acteurs publics
La « ville productive » est un concept développé en réponse à la délocalisation de la production et à la désindustrialisation. À Bordeaux et à Rennes, les acteurs locaux appréhendent différemment les questions relatives aux activités productives selon les trajectoires économiques, industrielles, sociales et politiques des agglomérations.
Des dynamiques similaires
de localisation des entreprises
à Bordeaux et à Rennes
Les trajectoires de développement économique et industriel de Bordeaux (figure 1) et de Rennes (figure 2) sont différentes. Pourtant, l’analyse des dynamiques de localisation des activités productives de 1995 à 2019 montrent une dispersion similaire, du centre vers les périphéries.


En 2021, au sein de la zone d’emploi de Bordeaux 5,4 % des établissements de 0 à 50 salariés et plus évoluent dans le secteur de l’industrie contre 2,8 % au sein de la zone d’emploi de Rennes[13]INSEE, 2023. Trois principaux secteurs dominent l’économie industrielle bordelaise aujourd’hui : l’aéronautique, l’aérospatial et la défense (ASD) ; l’agroalimentaire (viticulture et viniculture) ; la filière bois et les nouvelles énergies[14]Ibid.. Ces secteurs témoignent d’un développement industriel historique et d’implantations anciennes. Bordeaux a en effet pu compter sur son port, dont l’aménagement est d’abord lié au commerce triangulaire et à la colonisation. Les secteurs de la métallurgie, de l’industrie chimique et de l’agroalimentaire ont profité – et pour certains profitent encore – de ces installations portuaires (Saint-Gobain, par exemple). L’importance du secteur de l’ASD renvoie à l’installation du premier hangar de production d’avions en 1942 à Bègles puis de l’Atelier industriel aéronautique, et enfin d’une usine de fabrication de fuselages et de certains modèles d’avions à Floirac, à l’initiative de Marcel Bloch (Dassault). Par rapport à ces industries d’envergure, le poids de l’artisanat (alimentation, bâtiment, fabrication, services) est moindre, avec une part importante dans le secteur de la construction (CMA, 2017[15]Chambre des métiers et de l’artisanat Gironde. (2017). Les besoins immobiliers des entreprises artisanales de Bordeaux Métropole.).
Les principales industries rennaises se situent dans les secteurs de l’automobile, de l’imprimerie-reproduction, de l’agroalimentaire, de l’énergie et de la mécanique (CCI Ille-et-Vilaine, 2022[16]CCI Rennes Métropole. (2022). Chiffres clés 2022.). Rennes est restée longtemps peu dynamique sur les plans économique et industriel mais elle bénéficie, après la Seconde Guerre mondiale, de la politique nationale d’aménagement du territoire. Différentes mesures sont mises en œuvre, comme la création d’une zone industrielle d’envergure au sud de Rennes pour l’entreprise Citroën et ses sous-traitants. Alors qu’à Bordeaux, l’usine Ford ne résiste pas à la crise des années 2000, le groupe PSA-Citroën – Stellantis aujourd’hui – maintient tant bien que mal une activité sur le site de La Janais. L’économie rennaise est également marquée par l’essor de l’industrie électronique, avec, par exemple, la société SGS Fairchild (devenue STMicroelectronics) qui implante sa première usine française dans la ZUP du sud de Rennes, en 1966. Par ailleurs, à l’échelle de Rennes Métropole, 10,2 % des entreprises sont artisanales (CMA, 2021[17]Chambre des métiers et de l’artisanat Bretagne. (2021). Portrait de territoire. Rennes Métropole.). Comme à Bordeaux, elles évoluent majoritairement dans le secteur du bâtiment. Les principales activités du secteur de la fabrication sont celles d’articles divers, le textile et l’habillement, ainsi que le bois et l’ameublement.
Quelles sont aujourd’hui les dynamiques de localisation des entreprises industrielles et artisanales ? Observe-t-on une éviction des activités productives des centres urbains sur le temps long ? Notre analyse des dynamiques de localisation des activités productives a été réalisée de 1995 à 2019 à partir des données Sirene et en se basant sur une définition des activités productives qui inclut les activités manufacturières mais exclut le secteur primaire d’extraction des ressources brutes. S’y ajoutent les activités de réparation d’équipements professionnels et de biens personnels, ainsi que les activités nécessaires au fonctionnement de la production, comme l’ensemble du transport du fret, d’entreposage et du commerce de gros.
En 1995, on observe deux situations initiales différentes liées au passé industriel de chaque ville. À Bordeaux, les emplois sont répartis sur les rives de la Garonne (petites activités productives), l’aéroport de Mérignac et ses environs, et la rive droite historiquement industrielle de Bordeaux où se trouvent de gros groupes pourvoyeurs d’emplois, comme Dassault ou Sanofi. À Rennes, l’emploi productif est principalement concentré à La Janais avec l’usine de PSA et ses sous-traitants. L’industrie agroalimentaire est plus dispersée. De 1995 à 2019, l’évolution de la localisation des entreprises à Rennes et à Bordeaux suit en revanche la même dynamique. Certaines activités gourmandes en foncier situées au centre de la métropole y demeurent, mais des établissements de taille importante s’implantent aussi à 20 ou 30 kilomètres du centre, au gré des opportunités foncières. À Rennes, certaines entreprises présentes dans le centre et le sud-ouest s’éloignent pour se relocaliser le long des routes nationales radiales, dans les zones d’activités économiques (ZAE) communales, parfois hors de la métropole. Le poids de La Janais diminue. Des polarités mineures se créent autour de la transformation agroalimentaire ou de ses sous-traitants dans des villes éloignées. À Bordeaux, le poids de la zone de Mérignac décroît, alors que la couronne sud-ouest de la métropole se densifie. S’y trouvent de grandes zones d’activités. Les activités productives se localisent aussi vers des polarités secondaires, y compris au-delà du périmètre de Bordeaux Métropole. Néanmoins de grands établissements issus de secteurs divers (construction de bateaux de plaisance, production de batteries électriques, fabrication de matériaux pour le BTP, etc.) se maintiennent au centre, à proximité de la Garonne. Au final, bien davantage qu’une éviction, l’analyse montre une dispersion des activités productives, les emplois se situant en moyenne de plus en plus loin du centre des métropoles.
Développement économique :
un investissement tardif et fragmenté
de l’action publique à l’échelle communautaire
Dans les cas bordelais et rennais, on observe pour des raisons différentes une prise en compte tardive ou fragmentée des enjeux politiques du développement économique à l’échelle communautaire, ce qui a contribué à une forme de laisser-faire concernant la dispersion des activités productives au sein de l’espace urbain. Le développement de l’urbanisation sur d’anciens terrains industriels a de surcroît contribué à la dispersion des activités vers les périphéries.
Pourtant, l’une des premières communautés urbaines créées par la loi du 31 décembre 1966 – la Communauté Urbaine de Bordeaux (CUB) – peine à exister en l’absence d’hégémonie démographique et politique de la ville centre (Pinson et Luce, 2023[18]Pinson G, Luce M. (2023). La métropole incontestable ? Métropolisations et mobilisations à Bordeaux, Paris, Autrement, 128 p.). L’action communautaire est fragmentée, ce qui se traduit par une augmentation des logements, de l’emploi, de grands centres commerciaux, et de multiples technopoles et zones d’activités sans cohérence ni complémentarité. À l’inverse, à l’aide de documents de planification qui font de l’agglomération rennaise « un modèle d’une planification dirigiste et intégrée » (Dormois, 2006, p. 843[19]Dormois R. (2006). « Structurer une capacité politique à l’échelle urbaine. Les dynamiques de planification à Nantes et à Rennes (1977-2001) », Revue française de science politique, vol. 56, n° 5, p. 837-867.), le district urbain créé en 1970 constitue des réserves foncières et des zones d’aménagement différé (ZAD), lance des zones d’aménagement concerté (ZAC) et des zones industrielles. La stratégie urbaine de l’intercommunalité rennaise, dont les compétences se renforcent par la suite (économie, habitat, environnement), est alors caractérisée par une forte intervention foncière, par le caractère social des constructions et par la création d’une ceinture verte (Pasquier et Tellier, 2020[20]Pasquier R, Tellier T. (2020). Sociologie de Rennes, Paris, La Découverte.). Alors qu’à Rennes les décennies suivantes s’inscrivent dans la continuité de cette forte maîtrise publique du développement urbain, la trajectoire évolue à Bordeaux où une maîtrise d’ouvrage communautaire finit par se structurer à la fin des années 1990-2000 sous la mandature d’A. Juppé. Un projet d’agglomération (Ségas, 2009[21]Segas S. (2009). « La production de l’agglomération bordelaise par la littérature savante 1995-2005 », dans Godier P, Tapie G (dir.), Bordeaux, un futur sans rupture, Marseille, Parenthèses, p. 17-25.) est mené à bien : lignes de tramways, aménagement des quais, ponts en projet, transformation de la rive droite, gare TGV. La mandature de V. Feltesse s’inscrit dans cette continuité. Cependant, le retour d’A. Juppé à la tête de la ville centre en 2014, mais dans l’opposition à l’intercommunalité, modifie cette dynamique. La concurrence politique et partisane domine, et des « accords de cogestion » (Pinson et Luce, 2023[22]Op. cit.), se caractérisant par le partage des ressources de l’intercommunalité au service des politiques municipales, font fonctionner l’intercommunalité bordelaise. Pour G. Pinson et M. Luce, l’alternance de 2020 s’inscrit dans une forme de continuité quant à la faiblesse de l’intercommunalité. L’essentiel des politiques publiques est décidé et financé au niveau intercommunal, alors que le débat politique reste cantonné au niveau municipal, sous le contrôle des maires, contrairement à Rennes où les « leaderships » de la ville de Rennes et de Rennes Métropole se confondent et sont stables. À Bordeaux, la fragmentation de l’action communautaire semble avoir cantonné l’intercommunalité dans un registre technique, laissant de côté les enjeux politiques du développement économique du territoire.
La CUB a néanmoins investi le champ du développement économique dès la fin des années 2000. Lorsqu’elle devient Bordeaux Métropole et gagne de nouvelles compétences, le domaine du développement économique ne cesse de monter en puissance, comme en témoignent les opérations d’intérêt métropolitain (OIM), territoires prioritaires de développement économique, ou l’objectif ambitieux de créer 100 000 emplois d’ici 2030. Le secteur tertiaire est particulièrement soutenu, notamment les entreprises du numérique et de l’industrie créative. Qu’en est-il à Rennes ? En 2014, lorsque la communauté d’agglomération de Rennes devient métropole, des compétences déjà exercées par Rennes Métropole se trouvent renforcées (aménagement des zones d’activités, par exemple), et de nouvelles compétences sont acquises dans le domaine du développement économique, à l’instar du copilotage avec la région des pôles de compétitivité. Comme Bordeaux, la métropole rennaise obtient le label French Tech et cherche à renforcer et à animer le réseau d’entreprises dans le secteur du numérique, de la communication et des industries créatives. La montée en puissance des écologistes à la suite des élections municipales et communautaires de 2020 ne transforme pas en profondeur la scène politique rennaise. Mais le tournant est plus net à Bordeaux, puisqu’en 2020, P. Hurmic (Europe Écologie Les Verts) accède à la tête de la mairie : un frein est mis à ce que les nouveaux élus considèrent comme une course au développement, ce qui contribue, on le verra, à la mise à l’agenda de la promotion de l’économie circulaire.
La « ville productive » sans politique publique
L’utilisation du terme « ville productive » est manifeste à Bordeaux depuis 2018 et la session 15 du concours Europan, qui portait sur le site de Plaine sud Garonne, au sein de l’opération d’intérêt national (OIN) Euratlantique. Mais au-delà de cet événement, en quoi la ville productive est-elle à l’agenda de l’action publique locale, et comment cela se traduit-il ? Qu’en est-il à Rennes ? Notre enquête montre l’absence de documents stratégiques sur la ville productive et une faible inscription des problématiques des activités productives dans les politiques de développement économique locales.
L’absence de documents stratégiques
sur la ville productive
Dans les deux agglomérations, les problématiques de localisation des activités productives sont identifiées depuis le milieu des années 2010 (difficultés des artisans à s’implanter, raréfaction du foncier…). Une partie des acteurs concernés au sein des collectivités ou des chambres consulaires s’applique à tenter d’y répondre, mais cela ne se traduit pas au plan politique et stratégique.
À Bordeaux, la prise de conscience des problématiques de localisation de certaines activités fait notamment suite à la mise en évidence d’un décalage entre, d’un côté, le discours des artisans ne trouvant pas de locaux correspondant à leurs besoins et leurs contraintes et, de l’autre, celui des commercialisateurs ne trouvant pas preneurs. En 2014, la délibération cadre intitulée « Stratégie d’accueil des PMI PME industrielles et artisanales – Volet foncier » entérine notamment un principe de décote foncière à destination d’activités artisanales, industrielles ou de logistique urbaine. À partir de 2016, plusieurs études sont lancées afin de faire un état des lieux de l’existant et de comprendre les problématiques de localisation, notamment des artisans. En 2018, la session 15 du concours Europan amène à questionner l’avenir du site de Floirac (Plaine Sud Garonne) au prisme de la « ville productive ». À cette période se forment des groupes de travail et de réflexion sur les problématiques de localisation des activités productives, et différentes actions sont initiées mais elles sont avant tout portées par des techniciens des services de développement économique de Bordeaux Métropole. Cela se traduit par la faible formalisation de ces actions et de leurs objectifs dans des documents stratégiques. La définition des activités ciblées est parfois restrictive, parfois large, selon le document dans lequel elle figure, le niveau d’investissement de la collectivité dans les actions mises en œuvre mais aussi leur phasage, les acteurs impliqués, etc. Le schéma métropolitain d’aménagement économique (SMAE) de 2021, qui devait permettre de travailler à la programmation à court, moyen et long terme d’immobilier productif, n’a pas été voté. La dernière feuille de route économique (2023) ne contient pas de fiches ciblant les activités productives, industrielles ou artisanales qui ne relèvent pas de l’économie circulaire ou de l’économie de proximité, secteurs sur lesquels les enjeux politiques se concentrent.
À Rennes, la prise de conscience des problématiques de localisation d’activités ne relevant ni du commerce ni du tertiaire est plus récente. Elle trouve son origine entre 2015 et 2016 dans le constat, d’une part, de la mutation spontanée de certaines zones d’activités (ZA Nord, par exemple, où sur un linéaire de 300 mètres, une dizaine d’opérations de logements sont lancées sur d’anciennes emprises d’activités) et, d’autre part, de la moindre qualité de certaines zones d’activités, peu à peu délaissées par les entreprises. Cette prise de conscience s’est directement opérée au niveau des élus, avec des prises de position politiques tranchées sur certains projets d’aménagement, prises de position conduisant au maintien d’activités industrielles, y compris dans des espaces à proximité du centre-ville. En parallèle, des études sont lancées par l’agence d’urbanisme (AUDIAR) afin de réaliser le diagnostic des zones d’activités de la métropole et de mesurer le potentiel de densification d’une vingtaine d’entre elles. Lors de notre enquête, les réflexions concernant la mise en œuvre d’actions étaient en cours, et les questions nombreuses. Les objectifs de zéro artificialisation nette (ZAN) canalisaient les réflexions : comment préserver le maintien du foncier industriel alors que les possibilités d’urbanisation en extension se restreignent ? Un second élément, local cette fois, a placé les problématiques de localisation des activités industrielles au premier plan : la libération de terrains par Stellantis sur la zone d’activité de La Janais a amené la collectivité à intervenir sur ce foncier et à cibler des domaines d’activités privilégiés (mobilités durables et industrie 4.0). L’intégration des problématiques de localisation des activités productives, encore inaboutie dans les documents stratégiques de l’agglomération, pourrait à l’avenir se formaliser dans l’actualisation (en cours lors de notre enquête) du schéma d’activités économiques (SAE) qui vise à donner des moyens d’interventions en renouvellement urbain en maintenant la vocation industrielle. Ce SAE pourrait préfigurer la formalisation d’une politique publique en faveur des activités productives, en distinguant des zones d’activités « structurantes » ou « de proximité » en mesure d’accueillir des activités productives en fonction de leur capacité à cohabiter avec d’autres activités et d’autres fonctions.
Une faible inscription des besoins
des activités productives dans les politiques
de développement économique des collectivités
Aucune politique publique ne cible frontalement les activités productives et leurs difficultés de localisation dans l’espace urbain. On aurait pu s’attendre en particulier à ce que les politiques en faveur de l’artisanat, d’une part, et de l’industrie, d’autre part, se saisissent de ces questions. Mais le constat est mitigé : les politiques en faveur de l’artisanat ciblent l’artisanat de proximité, et les politiques industrielles se centrent aujourd’hui, à Bordeaux comme à Rennes, sur l’industrie à haute valeur ajoutée. Un nouveau champ d’action émerge dans les deux villes à travers l’économie circulaire. Reste que les besoins propres aux activités productives (allant du foncier accessible aux besoins de stationnement) sont peu pris en compte.
À Bordeaux, le rôle de la CMA a été structurant pour faire émerger dans le débat public les problématiques de localisation des artisans. Une étude, réalisée en 2016-2017, indique que 92 % des artisans sont localisés dans le diffus et soumis à une forte pression foncière (CMA, 2017[23]Op. cit.), et propose des « préalables opérationnels » nécessaires au développement d’une offre foncière et immobilière pour les artisans. Néanmoins, les modalités d’action restent peu détaillées. Surtout, elles concernent seulement l’artisanat relevant de l’économie de proximité, laissant de côté l’artisanat du bâtiment, pourtant majoritaire. À Rennes aussi, le terme de « proximité » est utilisé dans le SAE pour cibler des activités à même de se mêler à d’autres fonctions au sein du tissu urbain dense. L’artisanat du bâtiment est en revanche ciblé à travers la construction d’une cité artisanale dans le quartier prioritaire du Blosne, où les artisans du bâtiment sont nombreux. Douze cellules artisanales de 100 m2 ou six de 200 m2 sont prévues. Mais leur aménagement répond mal aux besoins spécifiques des artisans, sans stationnement prévu à l’extérieur pour les fournisseurs, les prestataires ou les clients. Toujours à Rennes, huit cellules pour des artisans ont été aménagées, accolées à un mur antibruit. Outre le caractère précaire des baux (d’une durée d’un an reconductible), les artisans pointent le manque de lumière, l’absence de prises triphasées, d’accès au gaz, et le stationnement non autorisé. Ces cas indiquent que la prise en compte de besoins inhérents au caractère productif de ces activités va à l’encontre d’un idéal de ville sans nuisances, et est par conséquent difficile à traduire de manière opérationnelle.
À Rennes comme à Bordeaux, l’industrie fait l’objet d’un positionnement politique affirmé à deux titres, au nom du tissu économique local et de l’emploi, ou au nom de la valeur ajoutée et de l’innovation. Ces lignes directrices concernent donc une partie seulement des activités industrielles. Le cas de La Janais (figure 3), emblématique du développement industriel rennais et qui a employé jusqu’à 10 000 salariés dans les années 1970, l’illustre. Lorsque le groupe Stellantis a commencé à se défaire de son foncier pour réduire le poids de son patrimoine immobilier, la région Bretagne, l’établissement public foncier (EPF) et Rennes Métropole ont dans un premier temps racheté le foncier et affirmé sa vocation industrielle, avec l’idée d’inciter Stellantis à consolider son implantation, même resserrée, et donc le nombre d’emplois locaux. Le site fait désormais l’objet d’une orientation d’aménagement et de programmation (OAP) destinant les terrains et l’immobilier productif à l’industrie 4.0 et au secteur de la mobilité durable. Ceci exclut de nombreuses activités productives fragilisées par la pression foncière, comme la logistique, alors même que le site de La Janais serait idéalement placé (connecté au rail et aux infrastructures routières) et dispose de grandes parcelles qui seraient très adaptées. Le focus sur des activités industrielles à haute valeur ajoutée est également observé à Bordeaux, en particulier au sein de l’OIM Aéroparc où la répartition programmatique repose sur un tiers d’entreprises artisanales endogènes, un tiers d’entreprises liées au secteur de l’aéronautique, spatial et défense (ASD), et un tiers d’entreprises à haute valeur ajoutée.

Sur les deux territoires enquêtés, les activités productives portées par les acteurs des activités de l’économie circulaire sont soutenues dans le cadre de politiques publiques dédiées. La manière dont Rennes et Bordeaux se saisissent des activités de l’économie circulaire repose néanmoins sur le soutien à des activités et des acteurs au nom de seules valeurs écologiques et sociétales. L’enjeu du maintien d’activités de production, de réemploi, de réparation ou de transformation en tant qu’activités productives n’est pas mis en avant en tant que tel. La mise à l’agenda des activités de l’économie circulaire ne concerne que certaines activités de l’économie circulaire et ne traite qu’à la marge les problèmes spécifiques aux activités productives fragilisées par la pression foncière. D’un côté, aux structures émergentes de l’économie circulaire, il est proposé de s’installer temporairement, au mieux dans une logique d’urbanisme transitoire, dans des locaux à loyer modéré (Ferchaud et Beraud, 2024[24]Ferchaud F, Beraud H, (2024. « Les Halles en commun, l’économie circulaire pour le projet d’aménagement », Métropolitiques. [En ligne) ; leurs besoins et leurs contraintes en tant qu’activités productives (stationnement nécessaire, flux de camionnettes, par exemple) sont peu pris en compte. D’un autre côté, certaines entreprises de l’économie circulaire (figure 4), dont les besoins en foncier sont importants et dont les activités génèrent des nuisances (plateformes de réemploi, par exemple) rencontrent des difficultés à se maintenir dans le tissu urbain dense sans que cela ne fasse particulièrement réagir les collectivités. En 2022, Emmaüs, qui aurait souhaité implanter un nouveau site à Rennes, s’est ainsi installé à Bruz, au sud de la métropole.

Finalement, il n’existe pas de cadrage politique et stratégique ciblé sur la ville productive. Les politiques de développement économique en faveur de l’artisanat, de l’industrie ou de l’économie circulaire sont restrictives (artisanat et économie de proximité, industrie à haute valeur ajoutée) et soulignent en creux les différences entre des activités productives souhaitées et d’autres qui le sont moins, voire pas du tout (la logistique, par exemple). Au final, ce sont des activités productives dont les nuisances et les besoins en foncier sont faibles qui bénéficient d’une attention politique, ce qui exclut une part importante des activités productives.
Une action collective fortement outillée
par les dispositifs sociotechniques généraux de l’urbanisme
Les politiques publiques locales en faveur des activités productives sont ainsi faiblement structurées. En revanche, notre travail montre qu’il existe différents dispositifs sociotechniques jouant fortement sur l’implantation des activités productives : les dispositifs réglementaires, d’une part, et les dispositifs de gestion du foncier, d’autre part. Ces dispositifs généraux de l’urbanisme et de l’aménagement n’ont pas été conçus spécifiquement pour les activités productives, ni même pour le développement économique, mais ils peuvent pourtant avoir des effets significatifs sur la localisation dans l’espace urbain des activités productives.
Les règlements de zonage des PLU déterminants
dans la localisation des activités productives
Parmi les dispositifs réglementaires, c’est essentiellement le contrôle des droits du sol par les communes et leurs intercommunalités qui pèse sur la localisation des activités productives, et en particulier les règlements de zonages. Les règles et l’organisation des PLU, pensées et conçues pour définir des règles d’implantation dans l’espace des nouvelles constructions, ont des effets propres sur les dynamiques de localisation des activités productives.
Le règlement des PLU définit des règles spécifiques en fonction des zonages indiqués ensuite sur une carte : zones urbaines, à urbaniser, agricoles, naturelles, etc. Les activités autorisées sont réparties par grandes destinations (habitation, commerce et activités de services, etc.). Certains zonages sont spécialisés sur les activités économiques et ne permettent pas d’autres types d’implantation. Parmi ces zonages économiques, certains autorisent les activités productives et d’autres non, mais les zonages ne ciblent pas spécifiquement une catégorie qualifiée d’« activités productives ». Certains zonages portent sur l’industrie, d’autres sur des secteurs d’artisanat, d’autres encore autorisent tous types d’activités économiques. Les zonages sont parfois très fins, comme à Rennes où l’intercommunalité a mis en place des règlements de zonage très précis en rentrant dans les détails des activités économiques autorisées ou non[25]Dans le PLUi de 2019, zonage spécifique aux activités industrielles et artisanales (UI1), avec une multitude de variantes à travers des sous-zonages (UI1a jusqu’à UI1j) qui sont plus ou moins restrictifs sur la possibilité d’implanter d’autres types de locaux..
La localisation des activités productives est tout autant déterminée par les destinations autorisées au sein d’un zonage que par celles qui y sont interdites, en particulier le logement ou les bureaux. En effet, du strict point de vue de l’équilibre économique des opérations immobilières, il est plus rentable pour un propriétaire de construire du logement, des commerces ou des bureaux que des bâtiments à destination d’activités productives. À Bordeaux comme à Rennes, des zonages spécifiques ont donc été introduits pour limiter la concurrence foncière qu’exercent, dans certaines zones d’activité économique, les autres destinations, en les limitant ou en les interdisant. En revanche, dans les zones dites « mixtes », où tous types de destinations sont autorisés, les activités productives sont soumises à la concurrence foncière et elles disparaissent progressivement. Le zonage mixte va de pair avec un moindre contrôle des transformations.
Les règlements des PLU peuvent être complétés par des orientations d’aménagement et de programmation (OAP). À Rennes (par exemple, La Janais) comme à Bordeaux (par exemple, secteur Brazza ou Roland Garros), certaines OAP définissent des principes d’aménagement et de programmation favorables aux activités productives, dont les secteurs peuvent être définis précisément (mobilités durables et industrie 4.0 à La Janais) ou non. Ces principes précisent des orientations pour les transformations mais elles ne contraignent pas aussi fortement les implantations que le règlement. Néanmoins, les OAP ont une portée stratégique, puisque les orientations précisées peuvent ensuite servir de base aux négociations opérationnelles avec les propriétaires privés.
Une diversité de dispositifs d’intervention
basés sur la maîtrise foncière publique
Les dispositifs sociotechniques de l’intervention foncière sont beaucoup plus diversifiés et renvoient à une palette plus large d’outils, qui ont pour trait commun d’engager l’acquisition, l’exploitation, la mise à disposition ou la cession du foncier public. Les outils mobilisés sont ceux permettant de donner des moyens renforcés aux acteurs publics pour acheter des terrains (droit de préemption, expropriation, outils de l’urbanisme opérationnel comme la ZAC). Ce sont également les dispositifs de gestion et d’exploitation d’un parc foncier ou immobilier, mais aussi les divers types de baux ou de convention d’occupation permettant la mise à disposition de terrains publics pour une durée plus ou moins longue. Enfin, les promesses synallagmatiques et les actes de ventes sont des instruments puissants, dans la mesure où ils peuvent être assortis de clauses spécifiques ou de charges pour l’acquéreur. Ces différents dispositifs utilisés à des fins très diverses en urbanisme sont mobilisés par les acteurs rennais et bordelais pour agir sur la localisation des activités productives, sous plusieurs formes.
Dans les deux agglomérations, les collectivités ont développé des stratégies de maîtrise foncière publique sur leur territoire. La maîtrise foncière a une vocation généraliste, le foncier acquis venant en support de toutes les politiques communautaires d’aménagement, dont le développement économique fait partie. Rennes Métropole a une tradition ancienne de maîtrise foncière publique, comme nous l’avons souligné plus haut. Bordeaux Métropole n’a pas la même tradition, et les services fonciers pratiquent une politique plus récente d’acquisition foncière au gré des opportunités, appuyés depuis quelques années par l’EPF Nouvelle Aquitaine. Dans les deux cas, une part de l’enveloppe foncière publique est ensuite utilisée pour favoriser le développement économique.
Le foncier ainsi acheté par les collectivités peut ensuite être mobilisé de plusieurs manières pour accueillir des activités productives. Elles peuvent d’abord le revendre, soit à des entreprises productives qui vont s’y implanter, soit à des opérateurs qui vont construire des bâtiments à destination d’activités productives. Les cessions peuvent se faire de gré à gré ou faire l’objet de consultations d’opérateurs. Jusqu’à présent, Rennes Métropole, par l’intermédiaire de sa SEM-SPL d’aménagement « Territoires Rennes », aménageait les nouvelles zones d’activités économiques de l’agglomération sur des terrains appartenant à la collectivité (ou rétrocédés à l’aménageur), en vendant directement des terrains à construire à des entreprises pour répondre à la demande. Mais celle-ci est aujourd’hui trop forte par rapport aux terrains disponibles à court terme, d’autant plus que plusieurs ZAE prévues en extension sur des terres agricoles sont remises en cause par le ZAN.
À Bordeaux, la Fab’ et l’EPA Euratlantique, les deux principaux aménageurs publics de l’agglomération, font de même dans une partie de leurs opérations d’aménagement, en cédant des charges foncières à destination d’activités économiques. Certaines cessions sont même ciblées plus particulièrement sur des activités productives. L’EPA Euratlantique a organisé un appel à manifestation d’intérêt (AMI), baptisé « ville productive », pour la cession de charges foncières à des investisseurs, afin qu’ils développent des locaux d’activité à destination de PME et de PMI[26]En dehors de la logistique urbaine, les activités productives à cibler ne sont pas précisées.. La Fab a lancé deux AMI intitulés « Aménager, innover, redessiner, entreprendre » (AIRE) pour des cessions de terrains, en grande majorité publics, à des opérateurs qui doivent y construire à des prix abordables des locaux à destination de PME, PMI et artisans (figure 5).

Les acquisitions et les cessions de foncier publiques ne se font pas n’importe comment et à n’importe quel prix. Elles sont théoriquement contraintes par les estimations faites par les services des domaines de l’administration fiscale, ce qui restreint les marges de manœuvre financières des collectivités. Il existe cependant des moyens de favoriser les activités productives. Bordeaux Métropole a, par exemple, adopté en 2014 un principe de « décote foncière » pour la cession à un prix minoré de terrains publics à des « activités artisanales, industrielles ou de messagerie porteuse de création d’emplois », ce qui permet de favoriser leur implantation (même si ce principe n’a jusqu’ici été utilisé qu’une fois). En outre, dans les opérations d’aménagement, les prix de cessions des charges foncières à destination des activités productives sont souvent minorés par rapport aux charges foncières de logements ou de bureaux, la péréquation financière se faisant à l’échelle de toute l’opération d’aménagement.
Qu’il s’agisse d’une consultation ou d’une cession de gré à gré, la promesse de vente puis le contrat de vente permettent d’imposer au preneur des clauses spécifiques pour garantir à long terme la fonction productive du terrain. Les clauses peuvent porter sur les caractéristiques des immeubles à construire (hauteur sous plafond, portance du sol, accès, etc.) ou sur les conditions de location ou de revente des locaux : la collectivité ou son aménageur peut imposer des prix convenant aux activités productives pendant quelques années, voire imposer des clauses d’affectation à certaines activités.
Un autre type d’outils d’intervention foncière renvoie aux cas où la collectivité garde la propriété foncière et met le terrain à disposition d’une entreprise ou d’un investisseur. Elle peut ainsi orienter de la même manière l’usage des terrains vers des activités à caractère productif. Bordeaux et Rennes expérimentent des opérations en dissociation foncière, la collectivité restant propriétaire des terrains dont l’usage est concédé pour une longue durée à des activités productives à travers des baux emphytéotiques à longs termes. La mise à disposition peut s’opérer sur une durée plus courte, à travers des autorisations d’occupation temporaire (AOT) ou des conventions d’occupation précaire, sous des formes plus temporaires (en particulier pour les activités de l’économie circulaire, voir ci-dessus).
La propriété publique entre encore en jeu lorsque les collectivités, ou des entreprises dont elles sont actionnaires, se constituent un parc immobilier à destination des activités productives. Elles gèrent et louent les locaux, en maîtrisant ainsi les conditions de location ainsi que le choix des preneurs. Des structures de portage de ce type existent dans les deux agglomérations, allant des bailleurs sociaux DomoFrance et InCité à Bordeaux, à l’aménageur historique de Rennes Métropole (Territoires). La constitution d’un parc immobilier public est alors contrainte par les exigences de rentabilité des investissements. Les foncières publiques, les bailleurs sociaux ou les aménageurs engagent en effet leurs fonds propres pour porter ces opérations. Elles ne visent pas à faire des bénéfices et peuvent pratiquer des loyers moins élevés en amortissant les investissements sur un temps plus long que des investisseurs strictement privés.
Des dispositifs en prise avec le politique
Les dispositifs explicités dans la partie précédente ne peuvent être analysés comme des outils de mise en œuvre de politiques publiques structurées ciblant les activités productives, dans la mesure où celles-ci n’existent pas. Qui plus est, ces dispositifs généralistes de l’urbanisme agrègent toutes les politiques publiques des agglomérations, et leur spectre est bien plus large que le seul développement économique. Comment dès lors appréhender la portée politique de ces dispositifs sociotechniques ? Nous constatons qu’ils ne s’apparentent pas à des instruments d’action publique ayant des effets politiques propres sur la localisation des activités productives, dans la mesure où leurs effets sont hétérogènes, contextualisés autant que limités. En revanche, les dispositifs sociotechniques sont pris dans les rapports de forces et les jeux politico-techniques locaux relatifs à la régulation de l’accueil des entreprises et à la mutation des zones d’activités économiques.
Pas d’effets politiques univoques ou automatiques
des dispositifs sociotechniques de l’urbanisme
sur les activités productives
La théorie de l’instrumentation de l’action publique (Lascoumes et Le Galès, 2004[27]Lascoumes P, Le Galès P. (2004). Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 370 p. ; Halpern, Lascoumes et Le Galès, 2014[28]Halpern C, Lascoumes P, Le Gales P. (2014). L’instrumentation de l’action publique : controverses, résistance, effets, Paris, Presses de Sciences Po, 520 p.) amène à analyser les dispositifs sociotechniques comme autant d’organiseurs des rapports sociaux entre les puissances publiques et leurs destinataires, selon des représentations propres dont ils sont porteurs. L’analyse des instruments éclaire ainsi une des dimensions politiques de l’action collective, qui renvoie à la manière dont les instruments techniques peuvent déterminer, sous des formes diverses, les jeux politiques aussi bien que le résultat de l’action publique, et en particulier dans des situations d’absence de politiques publiques. D. Lorrain (2005[29]Lorrain D. (2005). « Les pilotes invisibles de l’action publique : le désarroi du politique ? », dans Lascoumes P (dir.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, p. 163-197.) définit les instruments comme des « pilotes invisibles de l’action publique », l’invisibilité des instruments renvoyant à leur mise en automatisme : les effets politiques propres des instruments sont invisibilisés, car les instruments sont intégrés à l’action et jamais remis en cause. La théorie des instruments explicite ainsi une des formes possibles d’interactions entre technique et politique dans l’action collective.
Si l’on s’en tient à cette définition, l’action collective sur la ville productive apparait ici faiblement « instrumentalisée » tout en reposant sur de nombreux dispositifs sociotechniques. Ceux-ci contraignent les transformations, mais le « pilotage invisible » par les dispositifs techniques reste ici modéré : ils ne produisent pas d’effets univoques, qui seraient automatiques. Plus précisément, ils n’ont pas les mêmes effets sur l’action collective dans des situations et des contextes différents. Les dispositifs réglementaires et fonciers sont largement adaptés et transformés par les acteurs en fonction des agglomérations et au sein même de chaque agglomération. Ils sont bricolés et modifiés, selon les acteurs en présence, selon les contextes et les problèmes soulevés : la « mise en automatisme » est diluée.
Ainsi, l’écriture des PLU se révèle sensiblement différente à Rennes et à Bordeaux : les zonages sont bien plus fins et diversifiés à Rennes, avec de nombreuses catégories de sous-zonages économiques précises sur les activités économiques autorisées, plus ou moins restrictifs sur les possibilités d’implanter d’autres activités. Les zonages rennais peuvent ainsi s’adapter plus finement aux situations des différentes zones d’activités, en fonction notamment des exigences des maires. À l’inverse, à Bordeaux, les catégories de zonages économiques sont moins nombreuses et plus générales. Certains zonages limitent le commerce, mais aucun n’exclut totalement le tertiaire, plafonné dans le meilleur des cas à 50 %. Cette situation pourrait laisser craindre que, spontanément, les parcelles mutent vers les activités économiques les plus rentables autorisées au PLU, à savoir le tertiaire. Mais nous n’observons pas d’effets uniformes des dispositifs sociotechniques : autoriser les bureaux pourrait même paradoxalement aider à maintenir les activités productives dans certains cas, lorsque la possibilité de construire des bureaux en étage permet de conserver un socle d’activités en rez-de-chaussée, avec une péréquation financière qui assure la rentabilité d’un tel programme mixte.
De la même manière, les cessions foncières, immobilières et de charges foncières procèdent des mêmes outils juridiques et contractuels, qui imposent leurs contraintes à la mise en œuvre. Cependant, ces outils conservent une surprenante plasticité. La cession de charge foncière renvoie en réalité à un large panel de manières de faire, allant de la cession de gré à gré à la consultation d’opérateurs, voire à l’AMI. La cession de gré à gré est, par exemple, employée dans les zones d’activités rennaises où l’aménageur, Territoires, se met d’accord sur les conditions de cession avec les entreprises. Le registre de l’AMI a été employé par la Fab ou par l’EPA Euratlantique à Bordeaux, ce qui ajoute un aspect médiatique supplémentaire à ces consultations d’opérateurs, dans la mesure où les cessions foncières sont alors regroupées autour d’un même appel à projets qui fait l’objet d’une publicité accrue et qui leur donne une visibilité plus grande. Ces différents cas relèvent tous de la cession de terrains ou de la cession de charges foncières, mais les procédés et leurs implications sont extrêmement différents.
Enfin, les dispositifs sociotechniques ont finalement des effets malgré tout limités sur la localisation des activités productives. Certaines entreprises, petits artisans du bâtiment, garagistes ou entreprises d’import-export, par exemple, ne bénéficient d’aucune aide et peinent à trouver des terrains ou des locaux en centre-ville. Les dispositifs réglementaires ou fonciers identifiés ne sanctuarisent pas l’utilisation de leurs terrains ou des bâtiments qu’ils occupent. Dans un autre registre, Bordeaux Métropole et Rennes Métropole évoquent la densification des zones d’activités économiques comme une solution pour répondre aux besoins des activités économiques, dans un contexte de ZAN et pour les maintenir sur leur territoire plutôt que de les voir migrer en dehors. Des études sur le potentiel de densification des ZAE existantes ont été réalisées, mais aucun dispositif technique concret, qu’il soit réglementaire ou foncier, ne répond pour le moment aux attentes.
La régulation technico-politique[30]Au sens d’activité de production des règles, en urbanisme toujours technico-politiques (Idt J. (2022). « Les imbrications entre technique et politique en urbanisme au prisme de la régulation de l’action collective », mémoire d’HDR, Université Paris Est), qui organisent l’action collective.
de l’implantation des activités productives
sur le territoire des collectivités
S’ils ne portent pas de politiques publiques affirmées et fléchées en faveur de la ville productive, certains acteurs publics contribuent en revanche à réguler l’accueil des entreprises sur leur territoire. Ils pèsent de facto, par ce biais, sur l’implantation des activités productives. Cette activité de régulation est stratégique, aussi bien à l’échelle communale que communautaire, et ce niveau de l’action collective s’avère politique et sensible, aussi bien lorsqu’il s’agit de suivre et de gérer au quotidien les demandes des entreprises en matière de foncier économique que pour empêcher que l’une ou l’autre ne s’en aille s’installer ailleurs. Certains cherchent même à orienter les mutations à plus long terme des zones d’activités économiques, en ciblant les transformations souhaitées. Les dispositifs sociotechniques réglementaires et fonciers que nous avons identifiés jouent ici un rôle crucial dans les rapports de force, technico-politiques, entre acteurs.
Les entreprises qui cherchent à s’implanter ou à se restructurer peuvent chercher un terrain sur le marché de l’immobilier, en particulier par le biais des commercialisateurs spécialisés. Mais elles vont aussi s’adresser, parallèlement, aux services de développement économique des intercommunalités, aux maires et aux services des communes, et aux aménageurs publics. La régulation de l’implantation des entreprises s’opère à travers ces échanges. Le rôle des acteurs publics dans la régulation est particulièrement marqué à Rennes, où la production de foncier économique est largement monopolisée par Rennes Métropole et son aménageur Territoires, qui échangent régulièrement entre eux, au cas par cas, sur les demandes des entreprises. La régulation de l’implantation des entreprises va de pair avec celle des terrains à acheter par les collectivités. L’action foncière est relativement centralisée pour la métropole de Rennes, avec un cadrage stratégique opéré en amont, alors qu’elle est plus diffuse à Bordeaux, avec des acquisitions au cas par cas et au gré des opportunités, ou encore à l’occasion des demandes des maires.
À plus long terme, la régulation fine de l’implantation des nouvelles activités économiques ou de l’évolution des activités existantes engage le contrôle des transformations des zones d’activités économiques, à l’échelle communale et intercommunale. Alors même que la compétence en matière de développement économique a été transférée au niveau intercommunal, les maires font tout pour garder la main sur le développement et les transformations de « leurs » zones d’activités. Cette situation se traduit par des échanges et des négociations directes entre les maires et les entreprises, concernant les conditions de leur implantation, lorsque les entreprises souhaitent, par exemple, transformer ou agrandir leurs locaux, ou encore en cas de fermeture ou de délocalisation de l’entreprise. Parfois, les maires suivent de près l’instruction des permis de construire. Et même s’ils n’ont pas la compétence pour le développement des zones d’activités économiques, les maires disposent ainsi concrètement d’une capacité de véto et du pouvoir d’orienter les projets.
Les dispositifs sociotechniques réglementaires et fonciers sont pris dans cette activité de régulation : ils font l’objet de négociations ou en constituent les supports, même si les enjeux politiques n’en sont pas nécessairement explicités ou publicisés. À Rennes comme à Bordeaux, la définition fine, la formulation et l’application des zonages dans les règlements des PLU font l’objet de discussions entre les services centraux des EPCI et les élus des communes. La grande variété de zonages pour les activités industrielles et artisanales dans le PLUi de Rennes Métropole résulte de négociations entre les techniciens (et à la marge les vice-présidents concernés) de Rennes Métropole et les maires des communes, et aboutit à des règlements sur mesure. À Bordeaux, les maires se montrent réticents à avoir des zonages trop restrictifs, par crainte de manquer une opportunité d’implantation, ce qui explique qu’aucun zonage n’ait exclu les bureaux. Les négociations se font également au moment de l’instruction des permis de construire, par exemple sur ce qui est considéré comme une « surface accessoire », c’est-à-dire les surfaces créées qui ne relèvent pas de l’affectation principale de la demande de permis : le cas est fréquent dans les activités productives où il est souvent nécessaire de créer également des bureaux ou même des espaces commerciaux pour un showroom. Or des marges d’interprétation existent sur ce qui est accessoire ou non, et les acteurs en jouent pour refuser ou permettre une implantation. De la même manière, l’utilisation des dispositifs fonciers fait l’objet de négociations technico-politiques, par exemple autour des prix pratiqués d’acquisition ou de cession aux propriétaires privés. À Rennes, la mise à disposition à prix réduit de terrains ou de bâtiments à destination des acteurs de l’économie circulaire est ainsi grandement facilitée par l’intervention d’élus qui leur sont politiquement favorables.
L’usage des dispositifs sociotechniques fait parfois même l’objet de conflits, et les enjeux politiques sont alors portés dans l’espace public. À Rennes, plusieurs nouvelles zones d’activités initialement prévues au schéma d’aménagement économique de 2018 n’ont pas pu être créées du fait des contestations des riverains, des associations environnementales et même de maires nouvellement élus en 2020. Les conflits sont parfois plus localisés, à une échelle fine, autour d’une opération de construction ou d’un permis de construire. Rennes Métropole a ainsi tout fait pour freiner le développement de plusieurs opérations de logements aux franges de la ZA Nord, en se basant sur les possibilités offertes par les instruments réglementaires.
Dans cette activité de régulation des implantations des activités productives, les acteurs publics en première ligne ne sont pas seulement les grands élus des intercommunalités en charge des questions de développement économique ou d’aménagement. Ce sont aussi les élus des communes, qui sont aux prises directes avec les techniciens de l’intercommunalité ou des aménageurs, avec ceux en charge du pilotage des projets, de l’élaboration des PLU, de l’instruction des permis de construire, ou encore avec les services fonciers. Certains techniciens ont même développé un savoir particulier et défendent des formes d’engagement sur la question du maintien des activités productives en ville. Le sujet semble parfois, sous cette forme, paradoxalement plus porté par ces techniciens que par les élus.
Conclusion
En résumé, le système d’action se caractérise finalement par une situation où les politiques de développement économique ne prennent pas de front la question des activités productives, même si plusieurs d’entre elles l’abordent incidemment dans leurs documents de cadrage du développement économique ; où plusieurs dispositifs techniques généralistes de l’urbanisme et de l’aménagement influent néanmoins fortement sur les dynamiques d’implantation des activités productives ; et où les implantations d’activités productives font l’objet d’une régulation par les services techniques et les élus des collectivités, mais où priment alors les enjeux politiques des communes plus que ceux d’une politique qui aurait été construite à l’échelle de toute l’agglomération. Cette situation n’est pas sans poser difficulté, et elle génère des effets problématiques à une échelle plus globale. En particulier, les activités productives tendent d’autant plus à déserter les centres urbains que des projets urbains sont réalisés sur d’anciens terrains industriels. L’urbanisation contribue à l’éviction. Même si certains projets laissent une place aux activités productives, le solde est globalement négatif : les logements sont toujours prioritaires.
Au-delà de la ville productive, notre article donne des pistes pour analyser le rôle des dispositifs sociotechniques de l’urbanisme et de l’aménagement dans l’action collective urbaine. Nous pouvons voir ici à quel point ces dispositifs peuvent constituer des supports à des questions très diverses. Avec d’autres (Crague, 2020[31]Op. cit.), nous montrons en particulier que les outils traditionnels de l’urbanisme et de l’aménagement sont centraux dans les politiques locales du développement économique.
En première instance, on pourrait appréhender ces dispositifs comme des instruments d’action publique, dans le sens où la notion a été théorisée en sciences politiques : leur multiplication et leur foisonnement contrastent avec l’absence de politique publique. Ils présentent des logiques et des effets propres. Mais une analyse plus fine de la manière dont ils sont mobilisés dans l’action montre cependant que leurs effets sont différenciés selon les situations locales, selon les acteurs, selon les secteurs où ils sont appliqués, et sont d’autant moins uniformes que les acteurs jouent avec les dispositifs, les adaptent et les transforment. Le cas des cessions et des acquisitions foncières, dont on peut au passage observer l’importance dans les modalités opérationnelles de l’urbanisme aujourd’hui en France, est une bonne illustration de la plasticité des dispositifs.
Qui plus est, les dispositifs de l’urbanisme que nous avons analysés sont généralistes : ils n’ont pas été conçus au service du développement économique et encore moins des activités productives. Aucun ne leur est spécifiquement dédié. Ils ont en revanche été adaptés, au niveau technique, pour prendre en charge certaines questions (pas toutes) liées à l’implantation des activités productives. On retrouve l’idée que la planification urbaine ne relève pas de la mise en œuvre de politiques publiques, mais plutôt d’un « exercice d’équilibre » (balancing act) entre les objectifs des politiques publiques (Solly 2021[32]Solly A. (2021). « Land use challenges, sustainability and the spatial planning balancing act: Insights from Sweden and Switzerland », European Planning Studies, n° 29(4), p. 637-653.). En ce sens, les dispositifs de l’urbanisme s’apparentent moins à des instruments d’action publique qu’à des supports techniques au cœur de régulations et d’arbitrages entre les différents champs d’action de l’aménagement urbain.
[1] Arab N. (2019). « Faire une place à l’économie productive en centre urbain dense métropolitain – le projet d’urbanisme Ivry Confluences à Ivry-sur-Seine dans le Grand Paris », dans Crague G (dir.), Faire la ville avec l’industrie – Métropoles et villes moyennes : 4 retours d’expériences, Paris, Presses des Ponts, 173 p.
[2] Crague G, Arab N, Miot Y. (2019). Faire la ville avec l’industrie. Métropoles et villes moyennes : 4 retours d’expérience, Paris, Presses des Ponts, 173 p.
[3] Gilbart A. (2023). « Dans un cadre de sobriété foncière : quel(s) dispositif(s) d’action publique en vue d’une potentielle reconnexion urbano-productive ? Étude du territoire montois », thèse de doctorat en art de bâtir et urbanisme, Université de Mons, Faculté d’Architecture et d’Urbanisme.
[4] Gilbart A, Mazy K. (2023). « De l’émergence à l’appropriation, Europan et la fabrique du concept de ville productive en contexte métropolitain », Espaces et sociétés, n° 189, p. 95-117.
[5] Par exemple, le rapport du Cerema en 2018 (CEREMA (2018). L’action foncière publique en faveur du logement et des activités productives, [En ligne] ; l’étude menée en 2020 par le Cerema et l’Université Grenoble-Alpes pour étudier les conditions du maintien des activités productives dans les grandes agglomérations ; celle de l’APUR « Fabriquer à Paris » en 2020, les travaux de N. Gillio au Cerema, et de N. Gillio et S. Duvillard sur l’action foncière (Gillio N, Duvillard S. (2020). « L’action foncière et le maintien des activités productives sur les territoires des métropoles », dans Laudier I (dir.), Prospective et co-construction des territoires au XXIe siècle, Paris, Hermann, p. 199-212.), ceux de N. Arab sur Ivry Confluence (Arab N. (2018). « Fabriquer la ville productive. Le cas d’Ivry Confluences ». Journée Développement économique local et urbanisme, CDC, Paris, France ; Arab, 2019, op. cit.) ou encore de G. Crague (Crague G. (2017). « Le maintien des entreprises, un problème d’urbanisme. L’équilibre fonctionnel comme principe de l’intervention économique locale », RIURBA, n° 4. [En ligne] ; Crague et al., 2019, op. cit.). Certains de ces travaux se placent dans une logique opérationnelle (par exemple, les études ayant mené à la publication d’un livre blanc en faveur du développement et du maintien d’activités productives pour la ville de Paris et plusieurs établissements publics territoriaux).
[6] Crague G. (2020). Identifier l’industrie et la production dans le territoire Grand-Orly Seine Bièvre, rapport final, CIRED-École des Ponts Paristech.
[7] Recherche financée par le Plan Urbanisme Construction Architecture, la Caisse des Dépôts et de Consignations et la Fabrique de l’Industrie, dans le cadre du programme Ville productive porté par le PUCA.
[8] L’équipe était composée des deux auteurs ainsi que d’Hélène Beraud (Lab’urba), Alexandre Blein (Alphaville), Daphné Lecointre (Le Sens de la Ville) et Flore Trautmann (Le Sens de la Ville). Les matériaux de l’enquête et leur analyse ont été coproduits par l’ensemble de l’équipe. Nos échanges et discussions tout au long du projet ont largement contribué aux réflexions permettant d’aboutir à la rédaction de cet article.
[9] L’ouvrage Aménager la ville productive (Ferchaud F, Blein A, Idt J et al. (2024). Aménager la ville productive, Paris, Presses des Mines, 13 p.) restitue les principaux éléments de la recherche.
[10] Op. cit.
[11] Op. cit.
[12] Akrich M. (1987). « Comment décrire les objets techniques ? », Techniques et Culture, n° 9, p. 49-64.
[13] INSEE, 2023
[14] Ibid.
[15] Chambre des métiers et de l’artisanat Gironde. (2017). Les besoins immobiliers des entreprises artisanales de Bordeaux Métropole.
[16] CCI Rennes Métropole. (2022). Chiffres clés 2022.
[17] Chambre des métiers et de l’artisanat Bretagne. (2021). Portrait de territoire. Rennes Métropole.
[18] Pinson G, Luce M. (2023). La métropole incontestable ? Métropolisations et mobilisations à Bordeaux, Paris, Autrement, 128 p.
[19] Dormois R. (2006). « Structurer une capacité politique à l’échelle urbaine. Les dynamiques de planification à Nantes et à Rennes (1977-2001) », Revue française de science politique, vol. 56, n° 5, p. 837-867.
[20] Pasquier R, Tellier T. (2020). Sociologie de Rennes, Paris, La Découverte.
[21] Segas S. (2009). « La production de l’agglomération bordelaise par la littérature savante 1995-2005 », dans Godier P, Tapie G (dir.), Bordeaux, un futur sans rupture, Marseille, Parenthèses, p. 17-25.
[22] Op. cit.
[23] Op. cit.
[24] Ferchaud F, Beraud H, (2024. « Les Halles en commun, l’économie circulaire pour le projet d’aménagement », Métropolitiques. [En ligne].
[25] Dans le PLUi de 2019, zonage spécifique aux activités industrielles et artisanales (UI1), avec une multitude de variantes à travers des sous-zonages (UI1a jusqu’à UI1j) qui sont plus ou moins restrictifs sur la possibilité d’implanter d’autres types de locaux.
[26] En dehors de la logistique urbaine, les activités productives à cibler ne sont pas précisées.
[27] Lascoumes P, Le Galès P. (2004). Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 370 p.
[28] Halpern C, Lascoumes P, Le Gales P. (2014). L’instrumentation de l’action publique : controverses, résistance, effets, Paris, Presses de Sciences Po, 520 p.
[29] Lorrain D. (2005). « Les pilotes invisibles de l’action publique : le désarroi du politique ? », dans Lascoumes P (dir.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, p. 163-197.
[30] Au sens d’activité de production des règles, en urbanisme toujours technico-politiques (Idt J. (2022). « Les imbrications entre technique et politique en urbanisme au prisme de la régulation de l’action collective », mémoire d’HDR, Université Paris Est), qui organisent l’action collective.
[31] Op. cit.
[32] Solly A. (2021). « Land use challenges, sustainability and the spatial planning balancing act: Insights from Sweden and Switzerland », European Planning Studies, n° 29(4), p. 637-653.