frontispice

L’atelier
dans la formation en urbanisme
Outil d’apprentissage d’une université
« dans et hors ses murs » ?

• Sommaire du no 11

Jean Debrie Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne UMR Géographie-cités

L’atelier dans la formation en urbanisme : outil d’apprentissage d’une université « dans et hors ses murs » ?, Riurba no 11, janvier 2021.
URL : https://www.riurba.review/article/11-atelier-1/dans-la-formation/
Article publié le 1er oct. 2022

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Jean Debrie
Article publié le 1er oct. 2022
  • Abstract
  • Résumé

A feedback on the studio / workshop pedagogy in urban planning programs: learning tool for a university “inside and outside its walls”?

Various feedbacks on studio and workshop in urban planning programs have recently been proposed. A reflection on the contribution of workshops and studio to urban planning pedagogy and a debate on professionalization have been proposed. This article proposes a contribution to this debate based on feedback on three categories of workshops (professional workshops, international workshop interdisciplinary workshops). A reflection is proposed on the contribution of the workshop in the pedagogy of a university program in urban planning ("the university within its walls") and its role in the relationship with other project disciplines (architecture, landscape, design) and to professional actors ("the university outside its walls").

La pratique de l’atelier en urbanisme est l’objet de retours d’expérience récents. Ces derniers autorisent une réflexion, d’une part, sur la contribution de l’atelier à une pédagogie de l’apprentissage par la pratique, d’autre part, sur son rôle discutable et discuté dans cet objectif généralisé de professionnalisation des formations à l’urbanisme. Cet article propose une contribution à cette discussion à partir d’un retour d’expérience sur trois dispositifs d’ateliers (ateliers professionnels et atelier international dans le master Urbanisme de l’université Paris 1, ateliers interdisciplinaires au Centre Michel Serres, Hesam Université). Une réflexion est proposée sur la place de l’atelier dans une formation universitaire en urbanisme (« l’université dans ses murs ») et sa mobilisation dans l’ouverture aux acteurs du territoire et autres disciplines de projet (« l’université hors ses murs »).

Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
post->ID de l’article : 1240 • Résumé en_US : 2607 • Résumé fr_FR : 2604 •

Introduction
La démarche d’atelier dans le cadre de la formation en urbanisme,
objectiver une pratique pédagogique ordinaire

La pédagogie de l’atelier en urbanisme a récemment été l’objet d’un état de l’art scientifique international (Bastin et Scherrer, 2018[1]Bastin A, Scherrer F. (2018). « La pédagogie de l’atelier en urbanismeRevue internationale d’urbanisme, n° 5.) attestant d’une discussion scientifique sur la mobilisation de cet outil importé des disciplines de projet (architecture, design, paysage). Plus récente en France, cette discussion est aujourd’hui à l’ordre du jour, indiquant une réflexivité sur cette pratique très présente dans les formations d’urbanisme mais encore peu discutée (Carriou, 2018[2]Carriou C. (2018). « L’expérience des “commandes financées” au sein du master d’urbanisme de l’université́ Paris-Nanterre », dans Cohen C, Devisme L (dir.), L’architecture et l’urbanisme. Au miroir des formations, Cahiers Rameau, n° 9, Paris, Éditions de la Villette. ; Gomes et Bognon, 2018[3]Gomes P, Bognon S. (2018). « L’atelier pédagogique en urbanisme : apport des commanditaires à l’apprentissage par problèmes appliqués », Territoire en mouvement, n° 39-40.). L’objectif de cet article est de contribuer, à travers un retour d’expérience, à cette réflexion dans le cadre d’un appel à articles invitant à discuter des termes de la relation entre pédagogie de l’atelier et objectif de formations « en urbanisme », et des méthodes et outils disciplinaires et interdisciplinaires propres à cette pédagogie (Riurba, 2020[4]RIURBA. (2020). « Appel à contribution n° 11. Enseigner par l’atelier). Il s’agit, à partir d’une expérience universitaire, de participer à cette réflexion sur les apports et les ambiguïtés de cette démarche d’atelier en urbanisme dans un contexte universitaire marqué en France par une forme de disciplinarité, c’est-à-dire de découpage relativement étanche des disciplines de projet. Cette réflexion relève donc de l’étude de cas et trouve sa justification dans cet agenda de « retours d’expérience » qui, ensemble, peuvent participer d’une réflexion de recherche sur cet outil pédagogique.

Deux matériaux sont mobilisés en ce sens. En premier lieu, un état de l’art resserré sur des références principales – discutant explicitement des objectifs pédagogiques des démarches d’ateliers et de leur mobilisation dans un rapport ambigu à la professionnalisation (en tension avec d’autres objectifs pédagogiques) – permet de signaler les termes scientifiques de cette discussion (partie 1). En second lieu, la mobilisation d’expériences pédagogiques d’ateliers menées depuis 2012 dans le cadre du master 2 Urbanisme de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (ateliers professionnels et atelier international) complétées d’une expérience de coencadrement d’ateliers interdisciplinaires à vocation prospective dans le cadre du centre Michel Serres (Hesam Université) entre 2012 et 2019, constituent un corpus participant à l’illustration des termes de cette pratique (partie 2). Il est enfin assumé, à partir de cet état de l’art et du corpus d’ateliers, une discussion sur cet apprentissage par l’atelier et sa contribution à une pédagogie de l’urbanisme (partie 3). Cette discussion permet d’apporter un éclairage sur le rôle de l’atelier dans la formation universitaire en urbanisme (l’université « dans ses murs ») et sur son intérêt dans la construction d’une relation aux autres disciplines de projet et aux acteurs du territoire (l’université « hors ses murs »).

L’atelier dans les formations en urbanisme, un agenda de réflexion

L’atelier, outil généralisé
d’une pratique pédagogique en urbanisme

La pédagogie de l’atelier est présente dans l’ensemble des formations en urbanisme, déclinée à des degrés variés dans les deux années de master propres à ces formations en France. Remarque triviale certes, il est néanmoins important de signaler qu’elle est un élément de la labélisation même (et de la reconnaissance) de ces formations. L’accréditation de ces formations, programmes et diplômes par l’Association pour la Promotion de l’Enseignement et de la Recherche en Aménagement et Urbanisme (APERAU) repose explicitement sur la présence d’un atelier professionnel (« de préférence sur commandes »), élément parmi d’autres (stages, enseignants professionnels) d’un rapport au champ professionnel délimitant en partie le champ universitaire de l’aménagement et de l’urbanisme[5]Voir en ligne. Ce rapport à l’action professionnelle – une réflexion « sur et pour l’action », pour reprendre les termes exacts utilisés par la section Aménagement de l’espace et Urbanisme du Conseil National des Universités (CNU) et repris par l’APERAU – est largement débattu dans une discussion ouverte sur cette tension entre rapport nécessaire à la pratique de l’urbanisme (en recherche et en enseignement) et risque « d’assujettissement à l’action », pour reprendre la formule de Franck Scherrer (2010[6]Scherrer F. (2010). « Le contrepoint des études urbaines et de l’urbanisme : ou comment se détacher de l’évidence de leur utilité sociale », Tracés, Hors Série « À quoi servent les sciences humaines ? ».). Ce rapport entre action professionnelle et savoirs académiques peut être parfois perçu et discuté comme une forme contestable « d’entendement actionniste » conduisant « au détournement de la trajectoire critique de l’urbanisme »(Faburel, 2017[7]Faburel G. (2017). « Les formations universitaires en urbanisme en France : un nouveau gouvernement des corps (de métiers) », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne) ; il peut être aussi assumé pleinement comme élément d’une « démarche de recherche-projet dans l’urbanisme » dans « des instituts d’urbanisme qui doivent être pertinents professionnellement et légitimes universitairement », pour reprendre la formule de François Ascher proposant l’analogie des centres hospitaliers universitaires dans son dossier pour le jury du Grand Prix de l’urbanisme (2006[8]Ascher F. (2006). Une démarche de recherche-projet dans l’urbanisme (dossier pour le jury du Grand Prix de l’Urbanisme) [En ligne). Plus récemment, le colloque « Champ Libre », organisé par un collectif de doctorants en urbanisme, appelait explicitement à en débattre dans une discussion sur les cadres théoriques de l’urbanisme, dont la traduction sur les dispositifs pédagogiques a été également largement discutée. La question sous-jacente posée par l’appel à communication de ce colloque (« De la science et de l’action : théoriser ou agir, faut-il choisir ? », Champ Libre, 2016[9]Champ Libre Collectif. (2016). L’aménagement et l’urbanisme à l’épreuve des cadres théoriques, appel à communications [En ligne) souligne ainsi explicitement cette tension entre des savoirs académiques (disciplinaires) et des pratiques professionnelles (hétérogènes), dont la rencontre dessine en partie le champ disciplinaire de l’aménagement et de l’urbanisme. L’atelier professionnel, encadré par des « académiques » en réponse à des commandes professionnelles, est alors un point d’observation spécifique de cette tension, posant alors la question d’une « fertilisation croisée » (ou pas) entre savoir et action (Frémont, 2000[10]Frémont A. (2000). « L’aménagement du territoire et les disciplines universitaires », Territoires 2020, n° 1.).

Au-delà de ces débats, il est notable que cette tension initiale est renforcée par l’intensité croissante de l’objectif de professionnalisation porté par les formations universitaires. Les travaux de Pichon et al. (2017[11]Pichon, M. Leininger-Frezal, C. Douay, N (2017) « La professionnalisation des formations en géographie : spécificité disciplinaire ? », Carnets de géographes, n° 10.) sur la professionnalisation des formations en géographie et en aménagement en attestent : si cet objectif de professionnalisation relève d’un double mouvement « descendant » (les injonctions ministérielles, européennes) et « ascendant » (porté par les enseignants-chercheurs eux-mêmes, réclamé de façon croissante par les étudiants), il participe d’une forme de « naturalisation » de cet objectif et contribue à une redéfinition de l’identité même de la discipline (idem). L’atelier professionnel est un élément central de cette professionnalisation, d’autant plus qu’il répond également à une logique financière dans un contexte où les commandes professionnelles deviennent un élément du financement même des formations (Carriou, 2018[12]Op. cit.). Certes, l’aspect professionnalisation n’est pas l’unique élément explicatif de cette généralisation des ateliers dans les formations. L’état de l’art réalisé par Agnès Bastin et Franck Scherrer (2018[13]Op. cit.) témoigne du rôle pédagogique de cette démarche d’ateliers (faire émerger des méthodes), support d’expérimentations largement étudiées dans la littérature anglophone. Ce rôle justifie une remobilisation de cette pratique de l’atelier à partir des années 1980-90 dans les formations, corolaire de la valorisation plus générale de « l’éducation par la pratique » mise à l’agenda par des travaux de pédagogie de l’éducation (Long, 2012[14]Long J. (2012). « State of the studio: revisiting the potential of studio pedagogy in U.S.-based planning programs », Journal of Planning Education and Research, vol. 32, n° 4, p. 431-448.). Entre outils discutables et discutés de la professionnalisation et instrument d’un renouvellement méthodologique de réflexion par la pratique, l’atelier relève au final les tensions propres au champ même de l’urbanisme universitaire, tensions explorées dans des travaux récents.

Une mise en question
autour de retours d’expérience

Quatre retours d’expérience sur des ateliers professionnels ont récemment été discutés dans le cadre de formations d’urbanisme francophones à l’université Paris-Nanterre (Carriou, 2018[15]Op. cit.), à l’École d’urbanisme de Paris (Gomes et Bognon, 2018[16]Op. cit. ; Huchette et al., 2018[17]Huchette M, Cormier L, Vivant E, Larrue C. (2018). « Renouveler la pédagogie en urbanisme par une démarche centrée sur les compétences », Cahiers RAMAU, Paris, Éditions de la Villette, p. 120-133.) et à l’Institut universitaire de Grenoble (Zepf et Roux, 2014[18]Zepf M, Roux JM. (2014). « L’atelier, un outil de formation innovant : méthodologie et attendus », dans Bensahel L, Zepf M, Roux JM, Révéler, projeter, partager le territoire : l’étudiant acteur de sa formation, Paris, L’Harmattan, p. 75-81.). Différents traits saillants peuvent être signalés à la lecture de ces références. Elles invitent d’abord à ouvrir une « réflexion pédagogique approfondie » et « une attention » aux « formes pédagogiques » elles-mêmes, attention peu habituelle dans l’enseignement supérieur (Huchette et al., 2018[19]Op. cit.). Elles permettent ensuite de signaler les apports de la pratique d’atelier autorisant « un apprentissage par problèmes appliqués » favorable non seulement à l’acquisition de connaissances mais également « à une autonomie professionnelle » nécessaire à « l’insertion dans une communauté » (Gomes et Bognon, 2018[20]Op. cit.). L’apport de la pratique de l’atelier tient ainsi largement dans cet « espace de formation dialogique souvent difficile à qualifier, ni tout à fait universitaire, ni tout à fait professionnel », où se joue un travail«de co-construction et de co-élaboration » avec les partenaires professionnels (Carriou, 2018[21]Op. cit.). L’atelier en urbanisme est aussi défini comme le lieu d’une « pédagogie par la méthode », par opposition à une « pédagogie par le modèle » des studios d’architecture, déclinée dans un travail d’itération (« entre analyse et projet ») et élaboré par la rencontre des attentes enseignantes (compréhension de la démarche de projet), des attentes des partenaires (entre « impertinence et expertise ») et des attentes des étudiants (une demande « d’enseignement par le faire »), pour reprendre les conclusions d’une réflexion menée sur les ateliers à l’Institut d’urbanisme de Grenoble (Zepf et Roux, 2014[22]Op. cit.).

Ces retours d’expérience permettent ensuite de poser les problèmes de cette pratique de l’atelier professionnel discutés autour de cette tension évoquée précédemment dans la pratique de l’urbanisme entre « opérationnalisation des concepts imposés par une commande politique et rôle serviciel de la pratique de l’urbanisme » (Gomes et Bognon, 2018[23]Op. cit.). Au-delà de l’attachement des enseignants à « un discours distancié et critique sur l’objet de la commande dans la tradition universitaire», la question est clairement posée « de savoir jusqu’à quel point les étudiants doivent endosser ce rôle de prestataire » (Carriou, 2018[24]Op. cit.). Cette question peut par ailleurs être posée plus frontalement sur la participation éventuelle par cette pédagogie, de façon non intentionnelle certes, d’une « marchandisation du savoir universitaire » et à une « transformation du rôle des enseignants-chercheurs en commerçants » (idem). Elle implique alors une « objectivation plus claire des objectifs de la formation » de la part des enseignants et des étudiants autour d’outils centrés sur les compétences, discutés dans un travail récent présentant la démarche de « référentiel de compétences » mise en place à l’École d’urbanisme de Paris (Huchette et al., 2018[25]Op. cit.). Dans d’autres champs disciplinaires (ergothérapie, sciences infirmières), les travaux de Claire Belanger sur le rôle du portfolio dans le supérieur proposent un état de l’art et une réflexion claire sur l’importance d’outils réflexifs permettant, d’une part, de « rendre visibles les apprentissages » et de « les organiser de manière à témoigner du développement de ses compétences » dans une visée « proactive » et « intentionnelle » (Belanger, 2009[26]Belanger C. (2009). « Rôle du portfolio dans le supérieur : rendre l’étudiant acteur de sa formation », Unité de Recherche Action en Formation de Formateurs, dossier n° 31, 17 p.). Entre apprentissage professionnel, méthodologie associée et doute sur le recul de la perspective critique, l’atelier professionnel en urbanisme introduit ainsi une tension pédagogique propre à ces expériences ordinaires d’ateliers, dont différents retours d’expérience peuvent participer à la construction d’un corpus collectif de réflexion.

Un retour d’expérience : trois dispositifs d’atelier

Le corpus mobilisé pour participer à cette discussion sur la pédagogie de l’atelier repose sur trois exercices distincts : l’atelier professionnel de master 2 en urbanisme « sur commande » (six projets mobilisés), l’atelier pluridisciplinaire « sur commande », également associant des étudiants de différentes formations (cinq projets mobilisés) dans le cadre du centre Michel Serres, et l’atelier international sans commande financée mais avec un partenaire (trois ateliers, Bruxelles 2017-2018-2019). Du point de vue analytique, ce travail repose, d’une part, sur la relecture des commandes initiales (les cahiers des charges), des livrables associés à ces ateliers et restitués aux commanditaires ou partenaires, et sur une réflexion (difficile à objectiver mais cadrée par l’état de l’art initial) liée à l’encadrement de ces ateliers et aux discussions post-ateliers avec les étudiants (séances de présentation collective de l’ensemble des ateliers chaque année, synthèse et retours sur les apports de l’atelier demandés aux étudiants).

L’atelier professionnel de master 2 urbanisme.
Une triangulation : pédagogie / action / savoirs théoriques

L’atelier professionnel de master 2 correspond à un travail par groupe (de 4 à 6 étudiants) en réponse à des demandes émanant de différents acteurs de l’aménagement (collectivités, établissements publics, opérateurs de réseaux, bailleurs sociaux). Il relève donc d’une « mission d’étude » contractualisée avec un partenaire (convention pédagogique) et a pour objectif, au-delà de la variété des ateliers et des commanditaires (sept ateliers par an dans le master 2), une mise en situation couvrant les différents aspects d’une réponse à une commande (problématisation initiale, définition et élaboration du contenu, gestion des délais, formalisation, restitution). Si les thématiques des ateliers sont variées (logement, mobilité, environnement…) et les types d’études divers (enquêtes, diagnostic, prospective), ces ateliers reposent néanmoins sur la mobilisation des compétences acquises lors de la formation (diagnostic territorial, méthodologie de l’enquête, statistiques spatialisées, projet de territoires….). L’atelier est un temps important de l’année de master 2. Il se déroule de début novembre à fin mars (deux jours par semaine en novembre-décembre, à plein temps de janvier à mars) sous l’encadrement d’un enseignant de l’équipe pédagogique en relation avec le partenaire (réunion de lancement, restitutions intermédiaires, restitution finale).

Le corpus mobilisé (six ateliers) permet d’attester de la variété des exercices menés (enquête, diagnostic, projet) avec trois catégories de partenaires (collectivités, gestionnaire d’infrastructure, institut de prospective). Deux éléments principaux, en écho avec les conclusions principales tirées de l’état de l’art, peuvent être notés. Le premier est celui de la construction même de la commande et donc de la médiation entre encadrant pédagogique et partenaire. Certes, en fonction des commanditaires, cette médiation s’avère différente mais se structure autour d’une tension entre exigences légitimes du partenaire (la qualité de l’étude) et maintien d’un exercice pédagogique (le caractère non normalisé et négociable des termes de l’étude). Cette tension témoigne de l’importance de la structuration initiale du cahier des charges fixé entre l’encadrant et le partenaire. Elle implique également une position collective de l’équipe pédagogique pour des ateliers financés certes (financement de l’étude et reliquat utilisable pour d’autres activités de la formation, principalement pour l’atelier international développé ci-après) mais au plus près des besoins de la formation pour ne pas introduire un biais financier dans les termes de la relation entre étudiants et partenaires. Si ce biais est inévitable, il importe de noter que les conventions pédagogiques d’atelier sont sans comparaison aucune avec les montants d’une mission d’étude professionnelle. Le deuxième élément correspond à la mobilisation des corpus théoriques et des compétences thématiques propres aux enseignants-chercheurs eux-mêmes. La recherche d’ateliers est liée aux connaissances des enseignants (d’un milieu professionnel) et à leurs compétences à encadrer ces ateliers (connaissances thématiques, grille théorique, déroulé méthodologique). Le corpus mobilisé atteste de cette percolation entre les compétences de l’enseignant-chercheur et la sélection d’ateliers. Et cette sélection est souvent liée à une rencontre entre savoir et action propre à l’enseignant-chercheur dans sa pratique de recherche (programme POPSU pour la relation avec la métropole Rouen Normandie, encadrement doctoral en CIFRE pour la relation avec Gares et Connexions, programme de recherche pour la relation avec le Forum des Vies Mobiles) développée dans cette pratique pédagogique de l’atelier dans une forme de triangulation (savoir, acteurs, pédagogie).

Corpus mobilisé. Ateliers professionnels,
master urbanisme, université Paris 1 (2015-2021)

Vision prospective de l’environnement urbain des deux gares de Rouen (gare Rive droite et gare Saint-Sever), 2021, partenaire : Gares et Connexions.

Les échelles de la coopération métropolitaine à Rouen (2019), partenaire : métropole Rouen Normandie, programme POPSU-PUCA.

Transition mobilitaire en Ile de France 1, une enquête sur les aspirations (2017). Transition mobilitaire en Ile de France 2, exercice de prospective (2018), partenaire : Forum des Vies Mobiles.

Projet de requalification urbaine d’un site portuaire sur le Canal Saint-Denis (2016) en partenariat avec l’École Nationale Supérieure d’Architecture de la Villette, partenaire : Service des Canaux de la Ville de Paris, financement HESAM Université.

Le carrefour de la Croix de Chavaux : diagnostic territorial et organisation de marches publiques commentées (2015), partenaire : Direction de l’urbanisme de la Mairie de Montreuil.

L’atelier interdisciplinaire
Croisements et détours méthodologiques

L’atelier interdisciplinaire correspond à une expérience menée dans le cadre du Centre Michel Serres pour l’innovation (Hesam Université) dans la participation à l’encadrement du « semestre Michel Serres », à savoir un semestre ouvert à différents candidats de niveau M1 ou M2 venant d’établissements et cursus divers (architecture, design, urbanisme, géographie, histoire, philosophie, économie, sciences de l’ingénieur, informatique) venant suivre un projet collectif complété d’un projet de connaissance personnel composé d’enseignements et de travaux thématiques, qui peuvent être suivis dans l’établissement d’origine ou dans les modules propres au centre Michel Serres. Ce centre a été créé en 2012 dans le cadre de l’initiative Paris Nouveau Monde (PIA-1) portée par la Comue Hesam Université. Il n’est pas utile ici de revenir sur l’histoire complexe de cette Comue Hesam (et de la sortie finale de l’EHESS et de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne de cette Comue) malgré l’intérêt évident de cette histoire pour qui voudrait relire la question des disciplines au prisme de la structuration institutionnelle de l’enseignement supérieur et de la recherche (des écoles, des universités). Il importe par contre ici de revenir sur une participation à l’encadrement des projets interdisciplinaires menés en réponse à une interpellation proposée par un partenaire (collectivités, établissement public, association, entreprises publiques et privées). Les projets relèvent donc d’une commande financée, discutée et validée par une équipe pédagogique en charge de l’encadrement des projets. Les étudiants travaillent en réponse à cette commande dans un lieu dédié à l’atelier sur la durée du semestre (3 jours par semaine) et sur le terrain encadré par un chef de projet et un coencadrant. Sans cadre méthodologique préétabli, le groupe interdisciplinaire suit néanmoins une trajectoire allant du diagnostic à la formulation d’enjeux et dispositifs stratégiques relatifs à la question posée par la commande initiale. Le corpus mobilisé est constitué de quatre projets suivis en tant que coencadrant et d’un projet en tant que chef de projet (« Estuaires à venir »), ce dernier ayant été mené dans le cadre du semestre 0 du centre et donc dans un contexte de fabrique de ce dispositif. Les intitulés des projets témoignent de la nature prospective des différentes commandes.

Cette démarche d’ateliers interdisciplinaires permet de signaler deux éléments présents dans la discussion scientifique sur la pédagogie de l’atelier et son application à l’urbanisme. En premier lieu, elle valide l’intérêt des rencontres disciplinaires autour d’enjeux thématiques spécifiques. Le pari initial posé dans la proposition de création d’un centre interdisciplinaire spécifique dans le cadre du PIA 1 était de construire (par la composition même de la Comue Hesam regroupant une université et des grandes écoles) les conditions d’une interdisciplinarité large autour d’une pédagogie par le projet. La composition des groupes suivis atteste de cette rencontre allant des sciences humaines et sociales ou sciences de l’ingénieur autorisant des croisements originaux. Cette rencontre est autorisée par la démarche d’ateliers, qui permet sur un déroulé (un semestre) les conditions (et les frictions initiales) de la mise en place de ces rencontres. L’atelier dans son déroulé même devient ainsi outil de cette interdisciplinarité. Certes, la scientificité des productions de cette interdisciplinarité (nouvelle et donc non éprouvée par des protocoles scientifiques propres aux disciplines) peut être discutée. Elle l’est d’ailleurs, par exemple, dans une position exprimée par Isabelle Backouche au moment de la sortie de l’EHESS de la Comue Hesame (Backouche, 2015[27]Backouche I. (2014). « Point de vue sur la COMUE HESAM », texte diffusé sur l’Intranet de l’EHESS et diffusé aux personnels de Paris 1 (forum) avec autorisation de l’auteur.). Elle constitue un agenda de recherche à prolonger dans l’observation des productions de ces ateliers interdisciplinaires. Mais, second élément à relever, ces ateliers attestent de façon évidente de l’impératif de production de méthodes nouvelles. À chaque atelier sa méthode, d’une certaine façon, nécessaire à l’élaboration d’une grille de lecture interdisciplinaire, pourrait-on dire. La démarche d’atelier est ainsi proprement méthodologique (la construction collective d’une méthode de lecture du territoire). Le débat a été d’ailleurs mené au sein du centre Michel Serres entre des enseignants intéressés par une forme de balisage de ces méthodes (constatant que les différents groupes recouraient à des trajectoires et des outils souvent similaires) et d’autres enseignants plus rétifs à cette idée potentiellement dommageable à la créativité. Entre normalisation éventuelle des méthodes de l’atelier interdisciplinaire (ne serait-ce que pour répondre à la question de la scientificité des productions de cette interdisciplinarité) et nécessité d’un cadre ouvert et non figé pour autoriser les rencontres (disciplinaires) se joue une tension propre à la démarche d’atelier.

Corpus mobilisé : Ateliers interdisciplinaires
centre Michel Serres pour l’innovation,
HESAM Université (2013-2019)

Estuaires à venir (2013), partenaire Association des élus de l’estuaire de la Seine, dans le cadre du forum mondial des estuaires.

Le territoire du Vexin en 2040 (2015), partenaire Ateliers de création urbaine – Région Ile de France.

Paris 2024, Les Jeux olympiques et para-olympiques, accélérateur du rapprochement entre Paris et la Seine-Saint-Denis (2016), partenaire Ville de Paris, Plaine Commune, Terre d’Envol.

La Poste dans les territoires ruraux de demain (2017), partenaire groupe la Poste, direction de la prospective.

Berges de Seine et d’Yerres (2019), quels dispositifs de reconnexion ville-fleuve, partenaire Établissement public d’aménagement Orly-Rungis-Seine-Amont

L’atelier international de Master 2 Urbanisme
Un décentrement

L’atelier international de master 2 relève d’un exercice de « workshop » sur une semaine, organisé autour d’une séquence classique de la démarche de projet (diagnostic, enjeux, intentions) sur des sites urbains spécifiques. Une quarantaine d’étudiants (encadrés par deux enseignants) préparent en amont cet atelier (analyse à distance du territoire, contexte local, gouvernance urbaine…) avant de réaliser en une semaine cette séquence ponctuée de rencontres avec les acteurs locaux. Cet atelier, financé par le reliquat des ateliers professionnels sur commande, ne repose pas sur une commande contractualisée mais sur des partenariats (non financiers donc) mis en place par l’équipe enseignante. Le corpus mobilisé ici correspond à un cycle de trois ans, mené entre 2017 et 2019, en partenariat avec Bruxelles Perspective et l’équipe BMA du maître architecte sur différents sites du plan Canal (16 sites étudiés au final) et grâce à l’aide de différents collègues universitaires nous donnant accès pour cette semaine au MetroLab, lieu de workshop et de sessions prospectives interuniversitaires. Les étudiants sont divisés en groupes assumant une réflexion sur un site spécifique lu et questionné au prisme des objectifs du plan Canal (intégration urbaine, mixité fonctionnelle, maintien de la fonction productive, création de logements, création d’espaces publics) présentés au début de l’atelier par l’équipe du maître architecte. La restitution repose, d’une part, sur une présentation orale en fin de semaine des travaux des groupes et, d’autre part, par la production d’un livrable final restitué aux partenaires et disponible en libre accès sur le site de la formation.

Cette démarche d’atelier international présente un intérêt sur deux registres. Elle autorise en premier lieu un décentrement, c’est-à-dire une appréhension d’un grand projet urbain dans un contexte d’aménagement différent des projets urbains analysés dans le cadre d’une formation en urbanisme généraliste formant des urbanistes en très grande majorité exerçant ensuite dans le contexte français. Elle complète donc d’autres éléments mobilisés dans la formation (cours politiques urbaines comparées, échanges universitaires, stage professionnel ou stage de recherche à l’étranger) pour autoriser cette appréhension d’autres contextes urbains. Elle permet en second lieu de poursuivre sur un temps court (une semaine) cette démarche de projet séquencée (une problématique, un diagnostic territorial, une identification des enjeux, des propositions spatialisées, une formalisation des intentions), démarche déjà abordée en master 1 sur deux exercice semestriels (diagnostic territorial, projet de territoires). Elle atteste donc d’un parti pris méthodologique (la méthode de projet) réalisé et construit collectivement (enseignants et étudiants) sur une interpellation (le plan Canal) posée par un partenaire. La nature non contractuelle de l’exercice autorise une réflexion libre sur ces sites et leurs devenirs (réflexion orientée par les objectifs du plan Canal, néanmoins). Le retour critique des partenaires et des deux enseignants sur ces lectures de sites ne repose donc pas sur la faisabilité programmatique des propositions mais sur leurs capacités à révéler les échelles du territoire du Canal et les enjeux d’aménagement associés.

Corpus mobilisé : atelier International,
Master 2 Urbanisme, Université Paris 1 (2017-2019)

Cycle Bruxelles (2017-2018-2019)

Le plan Canal, en collaboration avec Bruxelles Perspectives et l’équipe BMA du maître architecte (équipe plan Canal)

2017, 5 sites : ilot Shell, Birmingham, D’Ieteren, Petit Château, Ferme des Boues

2018, 5 sites : rue de Bonne, Charleroi Danse, écluse porte de Ninove, Maximilien, ilot Masui

2019, 6 sites : parcelle Brico, quai de l’Industrie, Heyvaert Mecar-Socar parc de la Rosée, Heyveart ilot Central, site Birmingham Oxfam

Regards croisés sur le corpus :
les critères de variation (commande, terrain, encadrement)

Cette participation à différents types d’ateliers permet de signaler trois critères de variation qui peuvent être proposés à la discussion sur cet enseignement « par l’atelier ». Le premier critère relève de la variété des commandes et de la nature de la relation contractuelle avec ces commanditaires. Le corpus permet d’identifier des commanditaires dont le degré de familiarité avec le champ académique est différent : des acteurs peu familiers de cet exercice d’ateliers universitaires (Gares et Connexions, service des Canaux de la Ville de Paris, mairie de Montreuil…) et des acteurs familiers de cet exercice car soit intégrés dans leurs pratiques de travail (Forum des Vies Mobiles), soit explicitement acceptés et menés dans le cadre d’un exercice collectif associant la recherche et l’action (la métropole Rouen Normandie dans le cadre du programme POPSU, le PNR du Vexin dans le cadre des Ateliers de création urbaine). Cette différence de familiarité des commanditaires ne nous semble pas modifier fondamentalement le contenu et le déroulement de l’atelier. Elle modifie bien sûr la forme des livrables attendus mais pas le déroulement pédagogique de l’atelier lui-même, car les acteurs peu familiers de cet exercice témoignent souvent d’un intérêt prononcé pour ces approches étudiantes et l’originalité (et la densité) des protocoles méthodologiques établis. Cette remarque tient bien sûr uniquement dans le cadre d’une « convention pédagogique » qui acte ce rapport entre deux parties prenantes qui ne sont pas inscrites dans un rapport commanditaire/prestataire. L’exemple évoqué dans le corpus de l’atelier international (un partenaire, pas de relation contractuelle) témoigne de l’intérêt de ces partenariats et donc plus globalement du caractère précieux de ce conventionnement pédagogique. Les caractéristiques de ces partenariats dessinent ainsi la composition des livrables proposés. La réception par les commanditaires de ces livrables (les effets sur le terrain du résultat des ateliers) est par contre plus difficile à évaluer mais constitue une question de recherche stimulante à poursuivre (le caractère performatif des productions étudiantes).

Le deuxième critère relève de la question du rapport au terrain et des territoires étudiés. Le corpus permet de différencier des territoires franciliens, et donc un contexte métropolitain largement étudié dans le cadre de la formation des étudiants, et des territoires non franciliens impliquant un apprentissage initial du contexte. Plus que cette connaissance ou pas du territoire, ce sont surtout les modalités du travail de terrain qu’il nous semble important de relever. Les expériences de « workshop » d’une semaine (atelier international, Bruxelles) ou le dispositif de résidences généralisé au centre Michel Serres (deux résidences par atelier, même sur des ateliers franciliens) ou encore les ateliers professionnels de master 2 impliquant des « séjours » de terrain (ateliers Rouen) indiquent l’intérêt de cette immersion dans le déroulé pédagogique, élément essentiel, par exemple, de certaines formations en architecture (deux séjours d’études réalisés dans le cadre de l’atelier professionnel mené en partenariat avec l’ENSA La Villette, séjours d’études classiques dans le module projet urbain et conception architecturale de cette école) (figure 1).

Figure 1. Le rapport au terrain dans le déroulé pédagogique. Atelier international, Bruxelles, université Paris I-Panthéon-Sorbonne, en partenariat avec Bruxelles perspective (source : auteur).

Le troisième critère tient enfin à la question de l’encadrement. Le corpus étudié permet de signaler trois types d’expériences : un encadrement seul d’ateliers professionnels mais développé dans le cadre d’une lecture collective de l’équipe pédagogique de la formation d’urbanisme (décision collective des choix d’ateliers, réunion commune de lancement, points périodiques de l’équipe, séance collective de restitution, évaluation collective), un double encadrement pour l’atelier international de deux enseignants de la formation d’urbanisme et un double encadrement mené au centre Michel Serres avec des enseignants en design (ENSCI-Les Ateliers) ou en architecture (ENSA-La Villette). Cette variation de l’encadrement nous semble surtout avoir là encore une conséquence sur le volet méthodologique, autorisant, d’une part, une consolidation progressive de la méthodologie de l’atelier en urbanisme au sein des équipes pédagogiques et, d’autre part, une ouverture à d’autres méthodes de créativité et de formalisation propres aux autres disciplines de projet (design, architecture).

Éléments de réflexion
L’atelier d’urbanisme « dans et hors ses murs »

Ces trois catégories d’ateliers observées relèvent donc d’une expérience universitaire personnelle mais réalisée dans une dynamique collective d’équipe pédagogique. Le retour d’expérience est un exercice particulier introduisant un doute sur la légitimité et l’intérêt d’en apporter une lecture objective (et fidèle à la dynamique pédagogique collective de l’atelier) apte à participer à cet agenda sur la pratique de l’atelier en urbanisme. Les différents éléments saillants issus du corpus présenté font écho néanmoins aux différentes conclusions issues de l’état de l’art sur cette pratique sur la question de l’apprentissage, d’une part, et sur la question du renouvellement pédagogique d’autre part.

L’apprentissage « de » et « par » l’atelier :
l’atelier professionnel de M2 en urbanisme

La question de l’apprentissage se pose d’abord pour l’enseignant lui-même. La dimension réflexive (« à quoi formons-nous ? ») a déjà été discutée (Huchette et al., 2018[28]Op. cit.). Dans le champ de l’urbanisme, cette question de l’atelier est un instrument de la professionnalisation posant alors la question de la normalisation éventuelle des profils formés par cette dimension professionnelle de l’atelier. Ce doute des enseignants n’est pas nouveau. L’article de Pichon et al. (2017[29]Op. cit.), déjà cité, relève cette phrase de Maurice Allefresde prononcée lors des États généraux de la géographie organisés en 1968 à Tours : « éviter de souscrire à la demande, car on risque de ne former que des manœuvres ». Il est important de noter les positions de Maurice Allefresde militant dans sa pratique d’enseignant-chercheur pour une « université hors ses murs », « au contact de ceux qui attendent d’elle quelques collaborations à leur propre effort », optant « résolument pour un comportement participatif », « sans abandonner une fonction critique appliquée y compris à ses propres travaux », pour reprendre les propos introductifs d’un dossier de la revue Pour (GREP, 2007[30]GREP (Groupe Ruralités Éducation et Politiques). (2007). « Le formateur hors les murs », dossier « Maurice Allefresde, un militant du développement territorial », Pour, n° 193, p. 57-214.) en hommage à Maurice Allefresde. Cette position nous semble largement transposable à la pratique actuelle de l’enseignant-chercheur en urbanisme. Elle implique en atelier une fonction pour l’enseignant de médiation et de négociation pour garantir et tenir une commande ouverte et un rôle dans la structuration d’un cahier des charges apte à assurer cette tension entre le participatif (un travail utile pourrait-on dire au risque de la naïveté du propos) et une dimension pédagogique non normalisée par le cahier des charges et les livrables associés. Cette tension pose la question redoutable du type de partenaires et des discussions à mener collectivement dans les équipes pédagogiques sur ce filtre des commandes. Elle signale aussi l’importance d’un maintien de ce dispositif de commandes « financées mais pas trop » assumé aujourd’hui dans les différentes formations universitaires en urbanisme mais dépendant des évolutions à venir dans un contexte d’injonctions descendantes à la contractualisation et à l’autofinancement.

Cette question de l’apprentissage se pose ensuite pour les étudiants eux-mêmes. Cet aspect est largement discuté dans les références citées précédemment. L’intérêt principal de cette démarche d’ateliers tient dans cet apprentissage par la pratique, qui autorise une articulation des compétences théoriques, thématiques et techniques acquises durant la formation sur une séquence permettant cette articulation. Elle permet donc une forme de mise en action de ces compétences et, au final, une pleine compréhension de ces compétences par les étudiants. Celles-ci sont mises au défi d’une commande (et d’un commanditaire) et constituent une rencontre initiale avec la communauté professionnelle. Cette pratique de l’atelier autorise également une production de compétences nouvelles non liées à la formation elle-même mais générée par cette pratique de l’atelier. Cette production est sans doute moins discutée dans la littérature, elle est pourtant évidente au regard de l’étonnement fréquent des membres de l’équipe pédagogique au moment de la restitution collective de tous les ateliers (à la promotion pas aux commanditaires), découvrant en complément de ces compétences acquises dans la formation la mobilisation de protocoles originaux non enseignés et acquis dans la dynamique de l’atelier lui-même. L’atelier n’est pas qu’une simple séquence de mise en ordre des compétences acquises mais également une séquence de production de compétences nouvelles. Certes, là encore, cette remarque n’est guère originale, discutée depuis longtemps dans les sciences de l’éducation autour des débats sur le triangle pédagogique (apprenant, savoirs, formateurs), notamment sur le rapport entre pédagogie de l’exogène et pédagogie de l’endogène (Meirieu, 1987[31]Meirieu P. (1987). Apprendre… oui mais comment, Montrouge, ESF Éditeur, 193 p.). Sans rentrer dans les controverses associées, il importe de signaler que ce triangle pédagogique indique que le rôle de l’enseignant est d’abord de fabriquer des situations d’apprentissage (figure 2).

Figure 2. La production de méthodes et protocoles originaux. Atelier post-Car Ile-de-France, atelier professionnel master 2, université Paris I-Panthéon-Sorbonne, Forum des Vies mobiles, 2018 (source : auteur).

L’atelier, outil d’un renouvellement pédagogique.
Le croisement des disciplines de projet

Élément d’apprentissage par la pratique pour les formations d’urbanisme, l’atelier est également un dispositif souvent mobilisé pour autoriser des rencontres entre disciplines de projet. Cet aspect (l’atelier, instrument de l’interdisciplinarité) est à l’agenda de différentes expérimentations. L’exemple d’une initiative comme le Paris Futur Lab[32]De Biase A, Bidault-Waddington R, Durance P et al. (2016). Le Grand Paris Futur Lab, Recherche exploratoire sur l’avenir d’une Métropole. [En ligne, workshop pluridisciplinaire (architecture, urbanisme, économie, arts, lettres, histoire, sciences politiques…) menée en février 2015 à l’Atelier international du Grand Paris, en autorise une illustration parmi d’autres[33]Voir en ligne. Dans notre corpus, l’exemple de l’atelier professionnel associant des étudiants d’urbanisme de l’université Paris I et des étudiants de l’École nationale supérieure d’architecture de la Villette, atelier financé par la Comue Hesam dans le cadre de ses appels à projets pédagogiques mais avec comme partenaire la ville de Paris (service des Canaux), permet d’en illustrer les apports. Suite à l’atelier, une réflexion collective entre les enseignants pour rédiger un retour d’expérience sur cette collaboration architecture/urbanisme permettait de proposer à la discussion trois apports principaux de cette rencontre : l’articulation d’approches distinctes et complémentaires de l’appréhension du projet urbain (approche descendante des échelles du territoire, approche ascendante partant de la micro-échelle, modalités d’arpentage du territoire), la densification de la réflexion sur la faisabilité du projet (sociale, réglementaire, technique et programmatique), la complémentarité des modalités de représentation (discours hiérarchisé sur le territoire, formalisations graphiques). Ce type de dispositif peut alors participer à l’émergence d’une culture collaborative du projet urbain.

Les différents ateliers mentionnés dans le cadre du centre Michel Serres permettent d’attester également de cet intérêt des croisements disciplinaires opérés au sens large (urbanisme, architecture, design mais également informatique, sciences de l’ingénieur, histoire et sociologie). Cet intérêt relève, d’une part, d’une densification des analyses effectuées (par les compétences thématiques et les grilles disciplinaires mobilisées) mais, d’autre part, de la production de méthodes d’observation nouvelles (permettant de sortir de la disciplinarité). La démarche interdisciplinaire de prospective territoriale menée dans le cadre du projet « Estuaires à venir », par exemple, a ainsi entièrement reposé sur la construction collective d’une méthodologie originale structurée autour d’une ontologie autorisée par la science informatique (structurer un champ de connaissances sur l’estuaire), d’une matrice croisant les variables explicatives d’un estuaire et les éléments perturbateurs liés aux évolutions climatiques (favoriser des croisements originaux) et de futuribles permettant de traduire la prospective scientifique. L’expérience participe ainsi de la production de méthodes et de compétences de formalisation aptes à enrichir la pratique prospective. La participation à ce type d’expérience autorise au final un double ressenti clair : ces expériences ne militent pas pour une dilution des disciplines de projet (la participation à ces ateliers permet d’abord de saisir la différence importante entre un architecte, un urbaniste, un designer, pour le dire de façon simple) mais plaident pour une multiplication des scènes de rencontres entre ces disciplines, l’atelier en étant le dispositif probablement le plus efficace (figure 3).

Figure 3. La construction collective d’un déroulé méthodologique interdisciplinaire. Atelier Centre Michel Serres (source : auteur).

La légitimité de ces rencontres disciplinaires semble par ailleurs renforcée par l’évolution des métiers même de l’urbain (des équipes interdisciplinaires) et surtout par les modalités nouvelles de l’exercice de projet de territoire. Dans un travail collectif récent portant sur l’identification d’une nouvelle cartographie des méthodes de la prospective et du projet de territoire (réalisé dans le cadre d’un partenariat entre le centre Michel Serres, le Labex Dynamite et la Caisse des dépôts et consignations recherche), il nous paraissait important de signaler (et classer) ces nouvelles modalités du projet de territoire basées de façon croissante sur une recherche de coproduction entre les acteurs de l’action publique (élus et services techniques), des habitants et usagers du territoire, des structures associatives et de collectifs variés militant pour cette coproduction. L’existence de collectifs nouveaux (associations, coopératives) témoigne de cet appétit pour une réflexion partagée sur l’évolution des territoires à différentes échelles mobilisant des méthodes nouvelles de coproduction de projets (Debrie et al., 2019[34]Debrie J, D’Henin S, Wendling C. (2020). « Prospective et projets de territoires : quels dispositifs et méthodologies interdisciplinaires », dans Laudier I, Renou L (dir.), Prospective et co-construction des territoires au XXIe siècle, Paris, Hermann.). Cette évolution et les nouveaux métiers associés interrogent nos propres pratiques de formation. La contribution des ateliers universitaires dans cette coproduction de projet de territoire est fréquente et délimite sans doute un périmètre légitime de la professionnalisation. Et cette remarque peut être complétée des conclusions énoncées dans le bilan de l’atelier urbanisme (Paris I) / architecture (ENSA la Villette) évoqué précédemment. Il paraissait important aux enseignants de signaler les enjeux de ces collaborations aptes à croiser des cultures professionnelles distinctes dans le cadre d’une pédagogie par le projet support d’une culture collaborative. Cet enjeu ne remet pas en cause la partition des formations (architecture, urbanisme, paysage, design) nécessaire à la construction des compétences disciplinaires indispensables à l’appréhension du projet urbain mais signale l’importance de ces scènes de rencontres, entre disciplines de projet donc, et entre atelier d’urbanisme et acteurs du territoire.

La question du dispositif
scènes et dispositifs de rencontre

Il se pose alors la question souvent peu évoquée des dispositifs concrets autorisant ces rencontres. Cette question triviale du dispositif, peu traitée dans la littérature, est pourtant centrale dans la possibilité de relations entre disciplines et dans leurs relations au territoire, ces relations nécessitant du temps et des lieux. L’expérience du partenariat entre le master 2 d’urbanisme et l’ENSA-La Villette évoquée dans le corpus en témoigne. Ce partenariat repose sur la recomposition de deux enseignements existants (atelier professionnel d’urbanisme, module projet urbain et conception architecturale) autorisant des moments pédagogiques communs. Il implique une mutualisation des outils (plate-forme numérique collaborative, espace de travail partagé, séjours d’études communs, lieu de rencontres avec les acteurs du territoire, lieu d’exposition finale) et donc un soutien institutionnel (appel à projet HESAM dans cet exemple) rendant possibles ces partenariats, dont la pérennisation reste complexe dans un contexte de partition entre écoles d’architecture et université. L’exemple des ateliers au centre Michel Serres en témoignait de façon plus large encore, indiquant la possibilité d’une rencontre élargie (sciences sociales, sciences de l’ingénieur, design, architecture, écoles de création) et ouverte aux territoires (les partenaires) mais nécessitant du temps (les semestres Michel Serres), un lieu dédié à ces ateliers (hébergé à l’ENSAM), des immersions (résidences), dispositif rendu possible par un soutien de la communauté universitaire (HESAM).

Conclusion
une pratique pédagogique « heureuse » de l’atelier ?

Ce retour d’expérience s’inscrit dans la continuité directe des références principales mobilisées dans l’état de l’art. Sans viser à l’originalité, il participe de cette discussion sur les apports de cette pratique de l’atelier et des questions qu’elle pose dans l’exercice de la pratique d’enseignant-chercheur en aménagement de l’espace et urbanisme. Cette réflexion assumait par ailleurs un focus sur la question de la prospective (majorité importante des ateliers encadrés ou coencadrés par l’auteur) et des détours disciplinaires et interdisciplinaires associés. Participation donc à l’explicitation de retours d’expérience pour participer à cet agenda réflexif sur la pédagogie de l’atelier (son objectivisation), il nous semble important de conclure ce retour d’expérience sur une position moins objective (une position). Élément sans doute moins discuté dans la littérature, la pratique de l’atelier est aussi, et pour beaucoup, un moment heureux de la pratique pédagogique, pour les étudiants (un appétit pour cette mise en situation et cette responsabilité, un travail collectif) et pour les enseignants (une pédagogie peu codifiée et constamment renouvelée). Les différents retours post-ateliers des étudiants, dans le cadre de séances de restitution collective et de synthèses et questionnaires formalisés, et les réunions pédagogiques consacrées à ces ateliers, attestent de cet appétit partagé.

Cette pratique pose néanmoins des questions de nature scientifique (question de la réflexivité et du rapport au commanditaire, normalisation éventuelle (« former des manœuvres ? »), imperméabilité relative des disciplines de projet) discutées dans les différentes références mobilisées et dans le retour d’expérience proposé. Ces questions signalent l’importance d’une réflexion par les enseignants des modalités d’une université « dans ses murs » (la construction des compétences à l’intérieur d’une formation en urbanisme) et « hors ses murs » (le décloisonnement des disciplines, la participation à la discussion territoriale). Se pose alors, d’une part, la question des dispositifs pouvant autoriser la rencontre entre les disciplines de projet et, d’autre part, la question de la relation avec les partenaires et l’importance associée des conventions pédagogiques nécessaires au maintien d’une réponse à commandes ouverte et non marquée par un rapport commanditaire/prestataire. Si le rapport à l’action dessine en partie la spécificité du champ académique de l’urbanisme, il pose la question de sa liberté critique, du point de vue de la recherche, certes, mais également de sa pédagogie et donc de l’atelier. Il est important de constater que ces questions relèvent largement d’un effet de contexte marqué, d’une part, par des contraintes financières (l’atelier professionnel comme outil de financement partiel des activités des formations) et, d’autre part, par des contextes institutionnels (le découpage des disciplines de projet, la segmentation entre formations universitaires, écoles d’architecture, de paysages, de design). Remarque finale peu originale certes, il reste qu’elle trace en creux un modèle théorique de l’atelier d’une université « dans et hors ses murs » dans un contexte où le champ de l’enseignement supérieur et la recherche serait correctement et légitiment financé, marqué par un rapport aux commanditaires important mais impertinent dans des dispositifs encadrés par des équipes pédagogiques aptes à structurer des scènes d’ateliers ouvertes et collaboratives entre les disciplines de projet et les acteurs du territoire. Le rapport à l’action, tension et controverse principales de la formalisation de l’urbanisme et de sa pédagogie, s’en trouverait alors singulièrement clarifié.


[1] Bastin A, Scherrer F. (2018). « La pédagogie de l’atelier en urbanisme : une revue de la littérature scientifique internationale », note de recherche, Revue internationale d’urbanisme, n° 5.

[2] Carriou C. (2018). « L’expérience des “commandes financées” au sein du master d’urbanisme de l’université́ Paris-Nanterre », dans Cohen C, Devisme L (dir.), L’architecture et l’urbanisme. Au miroir des formations, Cahiers Rameau, n° 9, Paris, Éditions de la Villette.

[3] Gomes P, Bognon S. (2018). « L’atelier pédagogique en urbanisme : apport des commanditaires à l’apprentissage par problèmes appliqués », Territoire en mouvement, n° 39-40.

[4] RIURBA. (2020). « Appel à contribution n° 11. Enseigner par l’atelier, quelles questions de recherche ? ».

[5] Voir en ligne aperau.org

[6] Scherrer F. (2010). « Le contrepoint des études urbaines et de l’urbanisme : ou comment se détacher de l’évidence de leur utilité sociale », Tracés, Hors Série « À quoi servent les sciences humaines ? ».

[7] Faburel G. (2017). « Les formations universitaires en urbanisme en France : un nouveau gouvernement des corps (de métiers) », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne].

[8] Ascher F. (2006). Une démarche de recherche-projet dans l’urbanisme (dossier pour le jury du Grand Prix de l’Urbanisme) [En ligne].

[9] Champ Libre Collectif. (2016). L’aménagement et l’urbanisme à l’épreuve des cadres théoriques, appel à communications [En ligne].

[10] Frémont A. (2000). « L’aménagement du territoire et les disciplines universitaires », Territoires 2020, n° 1.

[11] Pichon, M. Leininger-Frezal, C. Douay, N (2017) « La professionnalisation des formations en géographie : spécificité disciplinaire ? », Carnets de géographes, n° 10.

[12] Op. cit.

[13] Op. cit.

[14] Long J. (2012). « State of the studio: revisiting the potential of studio pedagogy in U.S.-based planning programs », Journal of Planning Education and Research, vol. 32, n° 4, p. 431-448.

[15] Op. cit.

[16] Op. cit.

[17] Huchette M, Cormier L, Vivant E, Larrue C. (2018). « Renouveler la pédagogie en urbanisme par une démarche centrée sur les compétences », Cahiers RAMAU, Paris, Éditions de la Villette, p. 120-133.

[18] Zepf M, Roux JM. (2014). « L’atelier, un outil de formation innovant : méthodologie et attendus », dans Bensahel L, Zepf M, Roux JM, Révéler, projeter, partager le territoire : l’étudiant acteur de sa formation, Paris, L’Harmattan, p. 75-81.

[19] Op. cit.

[20] Op. cit.

[21] Op. cit.

[22] Op. cit.

[23] Op. cit.

[24] Op. cit.

[25] Op. cit.

[26] Belanger C. (2009). « Rôle du portfolio dans le supérieur : rendre l’étudiant acteur de sa formation », Unité de Recherche Action en Formation de Formateurs, dossier n° 31, 17 p.

[27] Backouche I. (2014). « Point de vue sur la COMUE HESAM », texte diffusé sur l’Intranet de l’EHESS et diffusé aux personnels de Paris 1 (forum) avec autorisation de l’auteur.

[28] Op. cit.

[29] Op. cit.

[30] GREP (Groupe Ruralités Éducation et Politiques). (2007). « Le formateur hors les murs », dossier « Maurice Allefresde, un militant du développement territorial », Pour, n° 193, p. 57-214.

[31] Meirieu P. (1987). Apprendre… oui mais comment, Montrouge, ESF Éditeur, 193 p.

[32] De Biase A, Bidault-Waddington R, Durance P et al. (2016). Le Grand Paris Futur Lab, Recherche exploratoire sur l’avenir d’une Métropole. [En ligne].

[33] Voir en ligne grandparisfuturlab.org

[34] Debrie J, D’Henin S, Wendling C. (2020). « Prospective et projets de territoires : quels dispositifs et méthodologies interdisciplinaires », dans Laudier I, Renou L (dir.), Prospective et co-construction des territoires au XXIe siècle, Paris, Hermann.