frontispice

Enseigner par l’atelier
Quelles questions de recherche ?

• Sommaire du no 11

Agnès Bastin École Normale Supérieure de Paris Juliette Maulat Université de Montréal, Géographie-cités Franck Scherrer Université de Montréal Claire Carriou université Paris Ouest, Nanterre-la Défense

Enseigner par l’atelier : quelles questions de recherche ?, Riurba no 11, janvier 2021.
URL : https://www.riurba.review/article/11-atelier-1/editorial-11/
Article publié le 1er oct. 2022

Copier la référence
Télécharger le PDF
Imprimer l’article
Agnès Bastin, Juliette Maulat, Franck Scherrer, Claire Carriou
Article publié le 1er oct. 2022
Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
post->ID de l’article : 1067 •

Éditorial

Ce numéro de la RIURBA, dédié à la recherche sur la pédagogie de l’atelier en urbanisme, a été initié par le réseau PedagAU qui regroupe au sein de l’association pour l’enseignement et la recherche en aménagement et en urbanisme (APERAU Internationale) des collègues universitaires issus de la francophonie qui s’intéressent à cet objet de recherche ou développent une pensée réflexive sur leurs pratiques d’enseignement. Il y a en effet un enjeu important à mieux comprendre et analyser, dans une perspective critique, les fondements pédagogiques de ce format d’enseignement si particulier et les questions qu’il pose. La pratique de l’atelier est un objet de recherche paradoxal à plus d’un titre en effet. Elle est très présente dans l’organisation des parcours de formation, à peu près universellement répandue et fortement associée à l’identité de l’urbanisme, alors qu’elle tire son origine d’autres disciplines comme l’architecture et les beaux-arts (Schön, 1984[1] Schön Donald A. (1984). The reflective practitioner: How professionals think in action, New York, Basic Books, 384 p. ; Long, 2012[2]Long JG. (2012). « State of the studio », Journal of Planning Education and Research, n° 32(4), p. 431-448.). Forme traditionnelle de l’enseignement de l’urbanisme, considérée un temps comme obsolescente dans certains pays comme les États-Unis (Lang, 1983[3]Lang, J. (1983). « Teaching Planning to City Planning Students. An Argument for the Studio / Workshop Approach ». Journal of Planning Education and Research, 2(2), 122-129 [DOI), elle concentre pourtant plusieurs modalités jugées innovantes aujourd’hui dans l’enseignement supérieur : l’enseignement par le projet ou par la pratique, la classe inversée, le portfolio étudiant… 

L’initiative de ce dossier est partie du constat de la rareté des publications de recherche, comme de débats scientifiques, en français, sur la pédagogie et l’enseignement de l’urbanisme, alors que la littérature scientifique anglophone sur la pédagogie de l’atelier est très abondante (pour une revue de littérature sur le sujet, voir Bastin et Scherrer, 2018[4]Bastin et Scherrer (2018). « La pédagogie de l’atelier en urbanismeRevue internationale d’Urbanisme (RIURBA) n°5.). Quelques publications récentes sont venues récemment donner un nouvel élan à la recherche sur l’enseignement de l’urbanisme (no 9 des Cahiers Ramau, no 39-40 de Territoires en mouvement), en particulier sur l’atelier (Carriou, 2018[5]Carriou C. (2018). « Former “hors les murs”. L’expérience des “commandes financées” au sein du master d’urbanisme de l’université Paris Nanterre », Cahiers RAMAU,n° 9, Éditions de la Villette, p. 74-86. ; Gomes et Bognon 2018[6]Gomes P, Bognon S. (2018). « L’atelier pédagogique en urbanisme : apport des commanditaires à l’apprentissage par problèmes appliqués », Territoire en mouvement, p. 39-40 [En ligne). Le résultat de l’appel à articles lancé dans la Riurba sur l’atelier d’urbanisme comme objet de recherche a confirmé sans équivoque cet intérêt renouvelé: nous avons reçu un nombre sans précédent de propositions d’articles de qualité, justifiant d’alimenter deux numéros entiers de la revue! Cet engouement de la communauté universitaire francophone en urbanisme qui se manifeste dès ce numéro contribue à combler cette lacune. Une première note de recherche publiée dans ces colonnes en 2018 (Bastin et Scherrer, 2018[7]Op. cit.) apportait une revue de la littérature anglophone dont la plupart des auteurs se sont saisis, ce qui leur a permis d’emblée de s’inscrire dans la discussion internationale sur la pédagogie de l’atelier. D’autre part, les trois thèmes de questionnements proposés dans l’appel à articles sont couverts, et même au-delà, ce qui offre un excellent point de départ pour alimenter une discussion collective qui apparait à beaucoup d’enseignants-chercheurs en urbanisme comme motivante, voire essentielle au développement de pratiques exemplaires dans l’enseignement de la discipline.

Parler de pédagogie de l’atelier, c’est évoquer en premier lieu les relations et dispositifs pédagogiques entre enseignants et apprenants. En effet la pédagogie de l’atelier mobilise des formes d’apprentissage spécifiques fondées sur l’éducation par projet, la classe inversée et la pratique réflexive. Apprendre et enseigner par l’atelier requiert un travail d’adaptation à cette situation d’apprentissage dans laquelle les relations enseignant-apprenant sont redéfinies. Comment les étudiants se projettent-ils dans cet exercice ? Comment font-ils groupe et quels rôles l’enseignant peut-il jouer pour accompagner la diversité des expériences des apprenants ? Marta Alonso, Lisa Levy et Serena Vanbustele répondent directement à cette dernière question en mettant en relation plusieurs types d’apprenants et leurs réactions dans des dynamiques d’apprentissage concrètes, et les différents rôles que l’enseignant peut jouer, gardien, coach, modèle ou médiateur, ce qui fonde l’intérêt de faire appel à une équipe pédagogique aux compétences complémentaires. Jean Debrie analyse l’atelier en tant que forme généralisée de l’enseignement par la pratique en urbanisme, pris en tension entre l’injonction à la professionnalisation et l’intention d’un renouvellement méthodologique de réflexion par la pratique. Le retour d’expérience de plusieurs études de cas, avec des dispositifs pédagogiques variés (interdisciplinaire, international…) souligne l’importance d’une clarification par les enseignants de l’articulation des modalités d’une université « dans ses murs » (la construction des compétences à l’intérieur d’une formation en urbanisme) et « hors ses murs » (le décloisonnement des disciplines, la participation à la discussion territoriale).

La dialectique entre enseignants et apprenants se transforme dans un jeu à trois bandes, dès lors que l’on s’interroge sur le rôle de la commande dans la situation d’apprentissage. Quels objectifs pédagogiques sont associés à ces ateliers sur commande ? En quoi la situation de commande modifie-t-elle les pratiques pédagogiques et les relations entre enseignants et étudiants ? Quelles en sont les implications sur les apprentissages ? Cette question est particulièrement importante dans le contexte français où « l’atelier sur commande réelle », avec financement de surcroît, est devenu la modalité dominante, ce qui est très spécifique par rapport aux autres pays dans le monde. Elle est abordée de front par Claire Carriou et Elsa Vivant, qui, sur la base d’un corpus très nourri d’études de cas, analysent comment « l’épreuve de la commande » oblige l’enseignant qui encadre l’atelier à endosser divers rôles qui impliquent le déploiement d’un travail d’ajustement des attentes, de décalage des positions et d’accompagnement d’un projet.

Le rôle de la commande est également très présent dans l’article à portée historique d’Amandine Diener sur l’expérience pionnière de l’atelier professionnel du Séminaire et atelier Tony Garnier conduit par Robert Auzelle et René Guitton dans les années 60. Mais cet article illustre aussi l’urgence à constituer des archives sur l’atelier dans les formations en urbanisme francophone, au moment où la mémoire vivante des fondateurs de ces formations qui sont nées dans les années 1970 ou 1980 s’estompe. A cet égard, Jean-Michel Rouxpropose une méthode pour enquêter sur l’atelier d’urbanisme, identifier les matériaux et les sources mobilisables et replacer l’atelier dans le projet pédagogique des différentes formations en urbanisme. Ceci pourrait être la première pierre d’une grande enquête collaborative à l’échelle de l’Aperau, à l’image de celle – fondatrice – de Wetmore et Heumann (1988) aux États-Unis dans les années 1980, indispensable pour donner à ce champ de recherche une assise solide. Enquêter l’histoire, mais aussi le renouvellement des contenus et des méthodes, ainsi que les innovations pédagogiques qui l’accompagnent. C’est le propos de l’article de Emmanuelle Bonneau et Catherine Andrésur L’atelier de projet d’urbanisme à l’heure de la transition écologique. La perspective de la transition oblige à revisiter plusieurs composantes essentielles de la pédagogie d’atelier : les pratiques d’enseignement du projet, par le biais notamment d’expérimentations croisées avec d’autres disciplines ou des exemples étrangers ; l’articulation avec les enseignements spécialisés, notamment en écologie, en paysage et en évaluation environnementale; ou encore la manière d’intégrer ce changement de perspective dans le processus de professionnalisation. Cette contribution anticipe aussi sur le contenu du prochain numéro thématique qui permettra d’illustrer la grande diversité actuelle des dispositifs pédagogiques de l’atelier d’urbanisme.


[1]  Schön Donald A. (1984). The reflective practitioner: How professionals think in action, New York, Basic Books, 384 p.

[2] Long JG. (2012). « State of the studio », Journal of Planning Education and Research, n° 32(4), p. 431-448.

[3] Lang, J. (1983). « Teaching Planning to City Planning Students. An Argument for the Studio / Workshop Approach ». Journal of Planning Education and Research, 2(2), 122-129 [DOI].

[4] Bastin et Scherrer (2018). « La pédagogie de l’atelier en urbanisme. Une revue de la littérature scientifique internationale », dans Revue internationale d’Urbanisme (RIURBA) n°5.

[5] Carriou C. (2018). « Former “hors les murs”. L’expérience des “commandes financées” au sein du master d’urbanisme de l’université Paris Nanterre », Cahiers RAMAU,n° 9, Éditions de la Villette, p. 74-86.

[6] Gomes P, Bognon S. (2018). « L’atelier pédagogique en urbanisme : apport des commanditaires à l’apprentissage par problèmes appliqués », Territoire en mouvement, p. 39-40 [En ligne].

[7] Op. cit.