juillet 2024

La ville productive à l’heure de la transition écologique

Zones d’activités productives périurbaines
Entre préservation du foncier économique et mixité fonctionnelle désirable
Anne Gippet
EVS-RIVES et LAET

Zones d’activités productives périurbaines
Entre préservation du foncier économique et mixité fonctionnelle désirable
Zones d’activités productives périurbaines : entre préservation du foncier économique et mixité fonctionnelle désirable,
Riurba no
16•17, juillet 2024.
URL : https://www.riurba.review/article/16-productive/productives-periurbaines/
Article publié le 5 juil. 2025
- Abstract
- Résumé
Productive districts in suburban territories, balancing between preservation of industrial land and desirable multifonctionnality
Productive districts, which are numerous in peri-urban territories, frequently host other urban activities. Contrary to the initial programming of these areas, these varied activities embody emerging urban needs and functions, and are questioning the aim of zoning. This article examines the issues surrounding multifunctionality in productive areas, at a time of ecological transition and pressing reflections on the artificialization of land. It highlights tensions between preservation of industrial land and research of multifunctionality in a peri-urban context.
Les zones d’activités productives, nombreuses dans les territoires périurbains, accueillent fréquemment d’autres activités urbaines. À rebours de la programmation initiale, ces activités variées incarnent des besoins et des fonctions urbaines émergentes et interrogent le rôle du zonage. Cet article s’intéresse aux enjeux relatifs à la mixité fonctionnelle sur ces zones, à l’heure de la transition écologique et des réflexions pressantes sur l’artificialisation des sols. Il souligne les tensions entre préservation du foncier économique et recherche de mixité fonctionnelle en contexte périurbain.
post->ID de l’article : 5680 • Résumé en_US : 5726 • Résumé fr_FR : 5723 • Sous-titre[0] : E
Introduction
En France, les zones productives sont particulièrement présentes dans les espaces périurbains. Sensibles au coût du foncier, leurs implantations sont le reflet des opérations communales de développement économique (CEREMA, 2014[1]CEREMA. (2014). Zones d’activité économique en périphérie : les leviers pour la requalification, Lyon, CEREMA, 40 p.) et d’ « une certaine mode de l’usine dans la chlorophylle » (Gueniot, 1974[2]Gueniot Y. (1974). Des zones industrielles vers les parcs d’activités, étude, réalisation, évolution des zones industrielles, Paris, Berger-Levrault, 438 p.). À l’instar des lotissements pavillonnaires, les zones d’activités économiques, terme formé par l’usage (Colsaet, 2021[3]Colsaet A. (2021). Laisse béton ? La responsabilité de l’action publique dans l’artificialisation des sols : l’exemple des zones d’activités économiques en France et en Allemagne, Université Paris Saclay, 297 p.), couramment associées à l’étalement urbain (Diodato, 2023[4]Diodato F. (2023). « Soil of enterprises. A critical-historical analysis », European Journal of Creative Practices in Cities and Landscape, vol. 5, n° 2, p. 127-144. ; Lejoux, 2015[5]Lejoux P. (2015). « Les entreprises, actrices de la périurbanisation en France », dans Menjot D, Collin-Bouffier S, Brelot CI (dir.), Aux marges de la ville. Paysages, sociétés et représentations, Paris, L’Harmattan, p. 195-294.), représentent l’une des figures urbaines dominantes dans le périurbain. Points de repères, elles participent à l’uniformisation des paysages (Glon, 1993[6]Glon E. (1993). « L’impact croissant des zones d’activités dans la périurbanisation et la rurbanisation : l’exemple du seuil de l’Artois », Hommes et Terres du Nord, n° 3-4, p. 199‑210.) où alternent espaces bâtis et non bâtis.
Dans la continuité des travaux de Nadia Arab et al., sont qualifiées ici de productives les activités relevant de l’industrie et de l’artisanat, du commerce de gros, du BTP, de la réparation automobile, de la logistique, en bref, ce qui « produit, transforme, répare, recycle » (Arab, Crague et Miot, 2023[7]Arab N, Crague G, Miot Y. (2023). Vers un nouvel agir métropolitain, « L’agir métropolitain et l’immobilier d’entreprise au défi des transitions », Paris, Presses des Ponts, p. 85‑109.). Ces activités hétérogènes sont fréquemment accompagnées de services et de commerces à destination des salariés de la zone, mais aussi d’un public extérieur : salles de sport, restaurants et brasseries, centres de formation, expositions, cabinets médicaux. Ces cohabitations confèrent une urbanité plutôt inattendue aux zones productives, alimentant une double mixité sociale et fonctionnelle. Cette mixité est perçue comme un « optimum à atteindre » pour l’aménagement contemporain (Damon et Paquot, 2021[8]Damon J, Paquot T. (2021). Les 100 mots de la ville, Paris, PUF, 128 p.), objectif standard pour la régénération des quartiers de la ville dense (Beaucire et Desjardins, 2015[9]Beaucire F, Desjardins X. (2015). Notions de l’urbanisme par l’usage, Paris, Publications de la Sorbonne, 120 p.), permettant de « faciliter au maximum toutes les formes d’interaction » (Bouron, 2021[10]Bouron JB. (2021). « Urbanité », Géoconfluences [En ligne.).Dans les territoires périurbains marqués par l’urbanisme fonctionnaliste, cette mixité n’est cependant pas toujours désirée, en particulier sur les zones d’activités productives, étendard des nuisances liées aux activités industrielles et artisanales. Inscrite dans la charte d’Aalborg (1991), la mixité s’oppose au principe du zonage, rattaché quant à lui à la charte d’Athènes (1933) (Émelianoff, 2001[11]Émelianoff C. (2001). « De la Charte d’Athènes à la Charte d’Aalborg : un renversement de perspectives », Cités Territoires Gouvernance.). À l’heure de la zéro artificialisation nette et des injonctions à la réduction des déplacements périurbains, nous avons enquêté sur la diversification fonctionnelle des zones d’activités productives périurbaines, à rebours de leur programmation initiale. Tandis que plusieurs métropoles organisent le retour d’activités de production en ville, nous interrogeons ici la mixité fonctionnelle sur les zones productives périurbaines et son acceptabilité, en contexte de transition.
Dans un premier temps, nous détaillerons la situation des zones d’activités productives périurbaines : quelles sont les préoccupations actuelles quant à leur devenir ? Dans un second temps, nous ferons état des origines des mixités fonctionnelles observées sur les zones productives : comment apparaissent-elles dans les zones d’activités périurbaines, pour quels besoins ? Enfin, nous interrogerons les tensions qu’engendrent ces cohabitations entre activités productives et formes d’urbanités.
Cet article s’appuie sur une thèse Cifre conduite au sein de la métropole de Lyon. L’immersion au sein des équipes permet une veille quotidienne des enjeux urbains et économiques sur les zones d’activités métropolitaines. Cette recherche compare trois sites productifs situés dans l’est de l’aire urbaine lyonnaise (figure 1), choisis pour leurs appartenances à différentes couronnes périurbaines, leurs rayonnements économiques variés et la présence de mixité fonctionnelle :
– le Parc des Gaulnes incarne un rayonnement économique métropolitain. Ce site est une extension de la zone industrielle de Meyzieu (années 1960). Aménagé dans les années 2010, il accueille une cinquantaine d’entreprises sur une surface de 120 hectares sur la commune de Jonage (6 000 habitants), aux franges de la métropole de Lyon (Rhône).
– la zone industrielle du Mariage matérialise un rayonnement économique de bassin de vie. Elle regroupe environ 70 entreprises sur 40 hectares, au nord de la commune de Pusignan (4 000 habitants) depuis les années 1970. Elle appartient à la communauté de communes de l’Est lyonnais, couramment appelée « CCEL » (Rhône).
– les zones artisanales de Beptenoud et de Buisson rond, voisines, représentent un rayonnement économique local. Elles comptent à elles deux une trentaine d’entreprises et délimitent environ 15 hectares sur la commune de Villemoirieu (1 800 habitants) depuis les années 2010. Elles appartiennent à la communauté de communes des Balcons du Dauphiné (Nord-Isère).

Les investigations reposent sur des observations de terrain et une cinquantaine d’entretiens réalisés auprès d’acteurs entretenant des liens variés aux trois sites retenus : riverains, entreprises, techniciens, élus.
Quelles préoccupations politiques et techniques
quant au devenir des zones d’activités productives ?
Le contexte de transition et les injonctions à la requalification des zones d’activités productives (ZAP) encouragent une révision du cadre législatif et une remise en question des modèles. La situation invite également à reconsidérer les singularités de ces espaces périurbains récurrents.
Un modèle en révision
Des intérêts politiques appuyés
Ces dernières années, plusieurs lois ont ciblé spécifiquement le devenir des zones d’activités économiques. En 2015, la loi Notre appuie la compétence économie des intercommunalités en leur attribuant la création, l’aménagement, l’entretien et la gestion de l’ensemble des zones de leurs périmètres. En 2021, la loi Climat et résilience conforte la place de l’écologie dans la société française, notamment en aménagement, avec des directives concernant l’urbanisme, les déplacements et les modes de consommation. L’article 192 renforce la lutte contre l’étalement urbain par l’objectif de zéro artificialisation nette à l’horizon 2050 et l’inscrit au Code de l’urbanisme. Cette orientation remet en question le modèle de développement des ZAP fondé sur un urbanisme extensif, et induit le réaménagement et la densification des zones existantes. L’article 301 impose des directives de décarbonation par filières économiques, notamment pour celles liées à la mobilité et au déplacement de marchandises et de personnes, dont dépendent là aussi largement les ZAP. Plus spécifiquement, l’article 220 ordonne la réalisation des inventaires des zones d’activités économiques aux collectivités territoriales dans le but d’identifier propriétaires, occupants et taux de vacance des unités foncières. En 2023, la loi Industrie verte a renforcé les perspectives de réindustrialisation avec l’intention de réaménager des sites industriels et de faciliter l’installation des entreprises.
Un modèle et des programmations en question
Les enjeux d’aménagement à relever sont nombreux pour les ZAP. Dans un contexte de raréfaction des terrains à aménager, les zones d’activités, vieillissantes, sont considérées au côté des friches comme des gisements fonciers importants (ADCF, CEREMA, 2022[12]ADCF. (2023). « Le foncier économique à l’heure de la sobriété foncière », Focus Économie, septembre, 40 p.). Dans ce sens, Nadia Arab et al. relève que les activités productives sont caractérisées par une forte consommation foncière dont la maitrise reste complexe : elles ne sont pas reconnues comme une fonction urbaine, et leur production foncière et immobilière n’est pas organisée, nécessitant alors l’interventionnisme public (Arab, Crague et Miot, 2023[13]Op. cit.). D’autant plus que le parcellaire productif est souvent morcelé entre plusieurs propriétaires, selon la logique une parcelle-une entreprise. Le recensement national des zones d’activités économiques, initié par la loi Climat et résilience, illustre ces difficultés de connaissance et de réinvestissement de l’occupation des sites économiques.
Maitriser la requalification des zones d’activité nécessite d’interagir avec des intérêts et des enjeux variés, notamment dans le but d’attirer les entreprises. L’exercice n’est pas simple : malgré le besoin d’espaces à destination des entreprises productives, la demande n’est pas toujours au rendez-vous des offres publiques de commercialisation. Les trois sites étudiés ont peiné à tenir la ligne de programmation initiale, interrogeant alors la légitimité des hectares aménagés. Aux dires de l’aménageur du site métropolitain, le profil attendu n’était pas vraiment présent : « on se rend compte qu’il y a très peu d’industriels en France ». Et les candidats recherchaient des terrains plus petits : « Il faut quand même quelqu’un qui ait besoin d’au moins 1 000, 1 500, 2 000 m2, c’est pas tout le monde ». Dans un contexte plus rural, sur le site Nord-Isérois, d’autres raisons sont apportées : « on n’avait pas de stratégie d’implantation des entreprises, on acceptait tout le monde, notamment dans les années 2008-2009, après la crise économique ».
Une fois les parcelles économiques commercialisées, les collectivités ne conservent souvent que la gestion des espaces publics et une responsabilité tacite vis-à-vis de l’animation du réseau d’entreprises installées. Par ailleurs, la capacité des territoires métropolitains et périurbains à s’accorder sur leur stratégie d’économie productive est l’un des enjeux des prochaines décennies (Laurent, 2017[14]Laurent E. (2017). À l’horizon d’ici : les territoires au cœur de la transition social-écologique, Lormont, Le Bord de l’eau, 96 p.). La question reste de savoir comment les territoires vont accompagner ensemble les mutations du modèle économique (Talandier, 2019[15]Talandier M. (2019). Résilience des Métropoles. Le renouvellement des modèles, Paris, POPSU, 39 p.), et quel lien sera reformulé entre activités productives et espaces métropolitains à l’appui des transitions écologiques, énergétiques et numériques (Lejoux et al., 2023[16]Lejoux P, Linossier R, Bouyssière A, Nugue T. (2023). Lyon, métropole fabricante de demain ? Paris, PUCA, Métropole de Lyon, La Fabrique de l’Industrie, 96 p.).
Des objets périurbains singuliers
Reconnaitre les spécificités des ZAP périurbaines semble impératif pour envisager leurs révisions. Celles-ci ont un statut particulier dans le périurbain, à la fois problème et ressource. Leurs configurations suscitent des critiques d’étalement, mais leurs implantations suggèrent des facultés de connexions. Les changements de programmation de certaines d’entre elles interrogent les opportunités de ces renouvellements.
Des implantations stratégiques, supports de centralité
Dans la littérature scientifique, depuis plusieurs décennies, des géographes voient ces zones comme l’une des illustrations de l’absence de maitrise de l’étalement urbain dans les couronnes périurbaines : « leur essor totalement incontrôlé » (Glon, 1993[17]Op. cit.), « l’extension des zones au détriment des terres agricoles » (Mérenne-Schoumaker, 2007[18]Mérenne-Schoumaker B. (2007). « L’avenir des zones d’activités économiques en Wallonie : réflexions et propositions », Territoire en mouvement, revue de Géographie et d’aménagement, n° 3, p. 3-14.).
Les critiques sont d’autant plus vives que les zones productives, stratégiquement situées au bord des grands axes et nœuds de circulation routiers, sont très présentes dans les communes périurbaines. À titre d’exemple, l’une des intercommunalités périurbaines des sites étudiés, la CCEL, regroupe huit communes et compte une quinzaine de zones apparentées à de l’activité productive. L’intercommunalité des Balcons du Dauphiné regroupe 47 communes et recense 21 zones productives (en plus d’une dizaine d’entre elles qui sont restées communales). Ces zones générant emplois et flux sont des composantes majeures des bassins de vie « dessinés par les pratiques quotidiennes des périurbains » (Bonnin-Oliveira, 2013[19]Bonnin-Oliveira S. (2013). « La fin des périphéries urbaines : modes de vie et recompositions territoriales aux marges de l’aire urbaine toulousaine », EspacesTemps [En ligne].). De ce point de vue, leur devenir apparait déterminant pour la transition des territoires périurbains facilitant les mobilités et le quotidien. Plusieurs chercheurs associent aux zones d’activités des potentiels structurants : « nouvelles centralités liées à l’implantation des entreprises » (Lejoux, 2015[20]Op. cit.) ; « support d’espaces de vie, insérés dans le territoire » (Diodato, 2023[21]Op. cit.). Dans l’organisation du système territorial, la notion de centralité est utilisée comme « clé de lecture de l’organisation spatiale des hommes et des activités, principalement d’un point de vue économique » (Bourdeau-Lepage et al., 2009[22]Bourdeau-Lepage L, Huriot JM, Perreur J. (2009). « À la recherche de la centralité perdue », Revue d’Économie Régionale & Urbaine, n° 3, p. 549-572.). En outre, la notion évoque fréquemment la diversité des fonctions : « La centralité, normalement associée à la ville, est un lieu à partir duquel s’organise les divers aspects de la vie sociale » (Remy et Blanc, 2015[23]Remy J, Blanc M. (2015). L’espace, un objet central de la sociologie, Toulouse, Érès éditions, 150 p.).
Des perspectives pour l’aménagement du périurbain
Les ZAP s’inscrivent de plus en plus au cœur des débats sur l’aménagement du périurbain. Du côté des États-Unis, depuis plus de 15 ans, le mouvement Retrofitting Suburbia recense et documente les initiatives de réaménagement et de verdissement de sites économiques dont les activités initiales ont été réduites ou suspendues (Dunham-Jones et Williamson, 2011[24]Dunham-Jones E, Williamson J. (2011). Retrofitting suburbia: Urban design solutions for redesigning suburbs, Hoboken, Wiley, 256 p.). En France, l’automne 2023 a été marqué par l’appel à manifestation d’intérêt concernant la transformation des zones commerciales d’entrées de villes, engageant des réflexions sur leur capacité à accueillir des logements ou des activités productives, et marquant un tournant pour la programmation des zones d’activités économiques. Dans cette dynamique, les zones d’activité pourraient devenir de nouveaux espaces publics périurbains, des lieux d’urbanités (Fleury, 2018[25]Fleury A. (2018). « Les périurbains et leurs espaces publics : enquête sur les franges nord de la métropole parisienne », Cybergeo [En ligne].).
Ces possibles évolutions font écho à plusieurs réflexions plus générales sur le périurbain. En réaction à la remise en cause de l’étalement urbain par l’objectif ZAN, Jean-Marc Offner observe ainsi : « C’est aujourd’hui le réagencement, non la disparition, du périurbain qui s’avère stratégique, singulièrement pour la transition écologique » (Offner, 2023[26]Offner JM. (2023). « ZAN saison 2 : un mode d’emploi alternatif du “zéro artificialisation” », Urbanisme, 3 avril.). Martin Vanier voit également la possibilité d’inventer la ville de demain dans le périurbain en valorisant la proximité à la nature mais aussi l’accessibilité aux services (Vanier, 2011[27]Vanier M. (2011). « La périurbanisation comme projet », Métropolitiques, 23 février [En ligne].).
La transition écologique est couramment associée à la sobriété et au renforcement des proximités par différentes propositions telles que la ville du quart d’heure (Moreno, 2020[28]Moreno C. (2020). Droit de cité : de la ville-monde à la ville du quart d’heure, Paris, Éditions de l’Observatoire, 179 p.) ou la ville stationnaire (Bihouix et al., 2022[29]Bihouix P, Jeantet S, de Selva C. (2022). La ville stationnaire : comment mettre fin à l’étalement urbain ?, Arles, Actes Sud, 352 p.). À l’heure où le devenir des zones productives est réinterrogé et où l’aménagement contemporain promeut proximité et mixité, la mixité fonctionnelle qui se développe dans les zones productives n’est-elle pas susceptible de répondre à ces attentes ?
L’importance des ZAP pour l’aménagement du périurbain est renforcée par l’affirmation de nouveaux enjeux, notamment celui de la biodiversité. À l’occasion de la révision du SCOT de l’agglomération lyonnaise, l’étude préalable « Paysages, sols et résilience[30]Réalisée par le groupement composé de l’agence BASE (mandataire), du Centre de ressource de botanique appliquée (CRBA), de l’Atelier d’écologie urbaine et de Géraldine Pin, commande du SEPAL. » a conclu à des possibilités de reconquête paysagère importantes sur les zones industrielles pour accompagner la perméabilité des sols et les relais de nature. Sur le Parc des Gaulnes, le terrain de l’entreprise RTE est identifié refuge par la Ligue de protection des oiseaux (figure 2), tandis que la région a profité d’une bande verte située sous une ligne à haute tension pour placer la compensation nécessaire à la construction d’un nouveau lycée et favoriser la reproduction des œdicnèmes criards.
Du point de vue des usagers, la cohabitation avec la nature, spécifique aux zones d’activités périurbaines, est appréciée. Sur la zone de Villemoirieu, l’agent France Services explique : « c’est quand même vachement plus apaisant d’avoir vue sur une verdure que d’entendre le bruit des voitures en permanence, de voir courir un petit lapin dans l’herbe… ». Il constate par ailleurs à propos des visiteurs : « ça apaise le public, je pense ». Ces ressentis rappellent les spécificités périurbaines soulignées par certains : des hybridations entre rural et urbain (Vanier, 2011[31]Op. cit.), la possibilité d’avoir un contact immédiat autant avec les espaces urbains qu’avec les espaces ouverts (Aragau, 2018[32]Aragau C. (2018). « Le périurbain : un concept à l’épreuve des pratiques », Géoconfluences, avril [En ligne].).

Comment s’installe la mixité fonctionnelle en zone d’activité productive ?
Ces dernières décennies, la démographie des territoires périurbains a fortement évolué : « en moins de 10 ans, l’espace périurbain des grands pôles a vu sa population augmenter de 40 % et sa superficie de plus de 43 % » (Charmes, 2015[33]Op. cit.), entrainant avec elle l’évolution des compositions sociales et spatiales. Une étude relève notamment « un déficit chronique et croissant des espaces périurbains en nombre d’équipements puisque la croissance démographique y est bien plus rapide que celle des équipements » (Talandier et Jousseaume, 2013[34]Talandier M, Jousseaume V. (2013). « Les équipements du quotidien en France : un facteur d’attractivité résidentielle et de développement pour les territoires ? », Norois, n° 226, p. 7-23.). La mixité fonctionnelle dans les zones productives viendrait-elle combler ce déficit ?
Attirer et retenir les salariés :
les entreprises à la manœuvre
des services et de la mobilité
Sur les trois zones étudiées, la proximité domicile-travail est un élément clé. Beaucoup d’entreprises peinent à recruter et attribuent principalement ces difficultés aux contraintes de mobilité. Les candidats n’ont pas toujours le permis de conduire ou un véhicule personnel ; par ailleurs, le coût du carburant, la faible offre de transports en commun et les embouteillages aux abords des zones peuvent être décourageants. La dernière étude de mobilité de la zone Meyzieu-Jonage indique que les salariés sont globalement logés à une distance moyenne de 23 kilomètres, venant pour moitié de l’agglomération lyonnaise, et pour l’autre moitié des départements de l’Ain et de l’Isère, à l’Est. Leurs trajets sont peu desservis par les transports en commun. Sur la zone de Villemoirieu (figure 3), les critères de recrutement ont évolué en conséquence : « Aujourd’hui, ils [les entreprises] privilégient quelqu’un qui habite à côté, qui n’a pas de compétences, pas les diplômes qui vont bien, et ils sont prêts à le former pendant un an s’ils sont sûrs de le garder ». L’intercommunalité a organisé pour la seconde fois à l’automne dernier le « Forum de l’emploi, de la mobilité et des services », témoignant des préoccupations prégnantes.

Les entreprises s’organisent alors pour faciliter la vie de leurs salariés, favorisant l’installation de la mixité. À Pusignan, les secrétariats de plusieurs entreprises relaient les commandes de leurs employés au foodtruck de la zone installé quotidiennement sur un emplacement communal réservé. Un peu plus loin, une entreprise logistique est à l’initiative d’un réseau de covoiturage spécifique aux salariés, étendu progressivement à l’ensemble des travailleurs de la zone d’activité. Dans le Parc des Gaulnes, une entreprise reçoit chaque semaine près de 200 stagiaires-salariés dans son centre de formation, effectif qui est amené à doubler. Pour réduire les contraintes de déplacements, certains pourront bientôt être hébergés sur place. En outre, au-delà des aménagements de son site, l’entreprise lorgne sur le développement de la zone pour élargir les possibilités de distractions à offrir à proximité.
Lieux privilégiés pour de nouveaux marchés
d’activités non productives
Illustrant les préceptes de la notion de « parc d’activités », pionnier sur la programmation de services pour les entreprises et leurs salariés en proposant « une évolution du cadre » (Gueniot, 1974[35] Op. cit.), le Parc des Gaulnes a peiné à convaincre les investisseurs lors de sa commercialisation, dans les années 2000. L’aménageur explique : « Sur les zones en périphérie, quand on fait une étude de marché, justement, il n’y a pas de marché, faut prendre ce risque ». Cependant, depuis, plusieurs investisseurs privés différents de ceux attendus initialement se sont installés. Suite à des premières implantations brillantes en ZAP, des filières régionales et des investisseurs locaux dédient pleinement leur développement à ces opportunités. La direction nationale d’un groupe franchisé de salles fitness quadrille à présent l’ensemble des zones productives. À Pusignan, la réussite d’une salle qui a dépassé, dès la première année, de 30 % les objectifs d’inscription alimente l’intérêt du groupe pour des installations dans les ZAP : « c’est énorme pour un club en ouverture, comme ça, on a fait une ouverture historique, le réseau entier en a parlé pendant un moment… ». Le propriétaire est sur le point d’ouvrir un autre établissement : « ce qui nous motive, c’est qu’il y a une énorme zone industrielle autour et un axe très passant, encore une fois ». Il est également propriétaire de la brasserie voisine qui connait, elle aussi, un grand succès. L’ouverture d’une nouvelle adresse est là aussi prévue sur une zone voisine : « toutes ces implantations qu’on va faire, ça sera toujours dans le même style, avec une grosse zone d’activité commerciale ou industrielle ».
Ces deux réussites reposent en large part sur la fidélisation des clients, la diversité de l’offre en termes d’activités et l’amplitude horaire. La salle de fitness est ouverte de 6 heures à 23 heures, tous les jours. La brasserie est quant à elle ouverte de 10 heures à 23 heures, et jusqu’à 1 heure du matin les week-ends. Le gérant résume : « On est en non-stop, on fait de la brasserie l’après-midi, on fait des goûters après l’école, on essaie de toucher toute la population. On a une grosse population de la zone d’activité, puisqu’on a trois zones d’activité autour de chez nous ».
Au cœur du Parc des Gaulnes, le centre de fitness / école de danse organise lui aussi les activités sur des horaires élargis, à destination de plusieurs profils, adultes et enfants, à partir de 3 ans. Sur son terrain, quatre containers fast-food proposent de la restauration, officiellement pour les seuls clients du centre, mais d’autres visiteurs de la zone profitent de cette offre pratique et variée.
Ces projets tournent à plein régime et partagent le même objectif : faciliter le quotidien des clients et les fidéliser. Ces directives font écho à la simultanéité des usages et à la valorisation des sorties déjà observées dans le quotidien périurbain (Didier-Fèvre, 2018[36]Didier-Fèvre C. (2018). « La nuit : une nouvelle frontière pour les jeunes des espaces périurbains ? », Géoconfluences, avril [En ligne ; Le Cle’ch, 2020[37]Le Clec’h I. (2020). « Le commerce à l’heure de l’hypermobilité des périurbains : l’exemple de Saint-Brieuc », Géoconfluences, août [En ligne).
Entre activités productives et commerciales, l’enjeu est également foncier. Dans l’est de la métropole, un mètre carré à louer à vocation productive est près de deux fois moins cher qu’un mètre carré à louer à vocation commerciale dans les centres villes. Côté gouvernance, malgré la maitrise de leurs sites économiques, les intercommunalités n’ont pas toujours connaissance de la situation foncière et immobilière des locaux commerciaux des centres-villes, la compétence étant parfois conservée par les communes.
Opportunités d’installation
d’équipements et de services publics
Les investisseurs privés ne sont pas les seuls à être attirés par la disponibilité foncière et la dynamique des ZAP. Des services publics sont également concernés. En Nord-Isère, la zone d’activité de Villemoirieu accueille un bureau de poste relié au centre de tri. Quelques mètres plus loin, l’ancien bâtiment communautaire, dont les bureaux ont été déplacés sur une autre zone de l’intercommunalité, s’est réinventé. Il accueille désormais un espace France services[38]France Services, guichet unique regroupant neuf services publics., et le reste du bâtiment est un lieu de vie proposant coworking et activités associatives. Pour préfigurer la programmation, les habitants ont été invités à participer à plusieurs temps d’échanges (figure 4). Dernièrement, une exposition organisée par le syndicat des déchets a attiré plusieurs classes d’écoles des environs, venues la visiter à pied.

Côté métropole, sur le périmètre du Parc des Gaulnes, l’EPIDE[39]Établissement Pour l’Insertion Dans l’Emploi, un équipement triministériel dédié à l’insertion des jeunes de 18 à 25 ans, s’est implanté, motivé par la proximité des entreprises. Il accueille près de 210 volontaires logés sur place et 70 salariés. Un peu plus loin, la société parapublique RTE propose, elle aussi, une exposition grand public retraçant l’évolution du réseau électrique français[40]RTE France, L’exposition permanente Transfodyssée.. Ces lieux de vie assumés reprennent les principes vus auprès des investisseurs privés : offre à destination d’un public varié, accès et stationnement aisés.
Quelles limites aux cohabitations
d’activités productives et d’urbanités périurbaines ?
Apparue dans l’après-guerre, dans la continuité de la loi Cornudet, le zonage avait pour objectif de réguler l’usage des sols et de l’organiser pour répondre à la croissance (Bognon, Magnan et Maulat, 2020[41]Bognon S, Magnan M, Maulat J. (2020). Urbanisme et aménagement. Théories et débats, Malakoff, Armand Colin, 288 p.). Il avait aussi vocation à limiter les problèmes de cohabitation entre activités différentes. L’aménagement du périurbain a été largement structuré par le zonage monofonctionnel, les ZAP en sont l’une des illustrations. Jusqu’où la mise en cause de ce zonage est-elle possible ?
Développement économique
et aménagement en tension
Les arbitrages autour de la vocation des terrains à urbaniser ou à réaménager se tendent. D’une part, les préoccupations environnementales poussent au rapprochement des fonctions : « Déjà liée aux villes par la consommation et une grande partie de la production, l’industrie le sera peut-être encore davantage dans le futur, en raison de l’impératif de transition écologique » (Crague et Levratto, 2022[42]Crague G, Levratto N. (2022). « Au-delà de la relocalisation de l’industrie : la ville productive », Métropolitiques, 10 janvier.). D’autre part, les acteurs économiques appuient le développement d’une offre de services aux entreprises tout en souhaitant conserver la spécialisation du foncier. Par ailleurs, les collectivités locales craignent que la présence d’activités autres que productives sur les sites économiques ne concurrence la vitalité des centres anciens.
À partir de cas belges, la géographe Bernadette Mérenne-Schoumaker souligne les objectifs contradictoires entre le développement économique et un aménagement cohérent du territoire, au regard de la prolifération des zones, de la consommation accrue d’espaces, de la multiplication des intervenants (Mérenne-Schoumaker, 2007[43]Mérenne-Schoumaker B. (2007). « L’avenir des zones d’activités économiques en Wallonie : réflexions et propositions », Territoire en mouvement, revue de géographie et d’aménagement, n° 3, p. 3-14.). Dans sa thèse, Alice Colsaet détaille le rôle des professionnels de l’aménagement et de l’action publique qui définissent les règles du jeu et stimulent les investissements dans la création des marchés foncier et immobilier (Colsaet, 2021[44]Op. cit.). À la métropole de Lyon, le développement d’activités urbaines sur les sites productifs va à l’encontre de la stratégie économique métropolitaine malgré plusieurs projets récents d’implantation d’activités productives dans les tissus urbains existants.
Concurrences entre centralités périurbaines :
des formes plurielles
Face à l’installation d’activités marchandes et de services en périphérie des communes périurbaines, plusieurs élus et techniciens craignent la concurrence vis-à-vis des commerces du centre, comme le constate l’aménageur d’une zone : « À la campagne, il y a aussi l’interaction avec les commerces existants, donc les élus ne veulent pas perdre des clients ».
À Pusignan, la répartition diffuse des commerces dans la ville semble subir la concurrence du récent pôle commercial installé à la sortie de la ville au droit de la zone industrielle, où se sont implantées la brasserie et la salle de fitness précédemment évoquées. L’ancienne pharmacie du centre y a déménagé et aurait quadruplé son chiffre d’affaires depuis.
La concurrence n’est pas systématiquement frontale, les rapports entre zones d’activités et centres-villes peuvent prendre d’autres formes (figure 5). Le centre de la commune de Jonage profite tous les jours d’une clientèle importante constituée des salariés du Parc des Gaulnes, mais aussi des habitants des communes voisines, notamment ceux de Meyzieu, commune cinq fois plus peuplée. L’attractivité commerciale du centre de Jonage est aussi alimentée par les taxes d’aménagement collectées dans le Parc de Gaulnes, ces taxes finançant notamment les travaux de valorisation du centre.

À une échelle élargie, les rapports de concurrence se redéfinissent. Les activités commerciales implantées dans les ZAP limitent la captation des flux de consommateurs par le centre de la métropole de Lyon. Ainsi, la brasserie de la zone industrielle de Pusignan capte une grande partie des habitants des communes voisines en soirée, découragés de se rendre dans le centre-ville de Lyon face aux contraintes de stationnements, aux coûts de carburant et aux restrictions imposées par la ZFE[45]Zones à faibles émissions. Voir : Ministère de la Transition écologique. Les soirs de la semaine, les clients sont ravis de l’offre inspirée de la « brasserie lyonnaise », différente des kebabs et pizzerias omniprésents en centre-ville ; ils apprécient aussi les soirées karaokés les week-ends.
Le désir d’espaces communs pour des moments collectifs (Rougé et Aragau, 2019[46]Rougé L, Aragau C. (2019). « Appropriations, partages et fabrications de l’espace public. Vers un périurbain plus convivialiste ? », Revue du Mauss, n° 54, p. 307-319.) semble trouver réponse sur les zones productives où plusieurs lieux de vie s’organisent et se revendiquent en tant que tels. Au-delà de la dualité périphérie/centre-ville, la concurrence dépend de la typologie commerciale locale et de l’offre proposée.
Nuisances productives : des cohabitations tolérées
ou des situations bloquées
Les zones productives sont bien souvent absentes de l’imaginaire et des représentations des riverains (Lejoux et Charieau, 2019[47]Op. cit. ; Colsaet, 2021[48]Op. cit.). Leurs activités peuvent engendrer des nuisances de différentes natures : odeur, bruits diurnes et nocturnes, trafic routier, risques environnementaux et technologiques (Arab, Crague et Miot, 2023[49]Op. cit.). Ces nuisances sont à l’origine des mises à distances et des zonages monofonctionnels. Pourtant, sur les terrains étudiés, les tissus et les typologies productifs et résidentiels se sont peu à peu rapprochés (figure 6). Parfois, les logements ne sont pas en dehors des zones mais dans les entrepôts dont l’activité a cessé. La connaissance des activités et la communication entre riverains et entreprises sont-elles suffisantes pour faciliter ces cohabitations ?

Lorsque la gêne devient trop forte, des arrangements sont parfois trouvés. En limite nord du Parc des Gaulnes, un habitant voisin d’une entreprise de logistique rapporte : « L’été, on entendait des bips, on avait l’impression que les camions restaient en mode marche arrière […] Et en fait, le fait de discuter avec eux, les bips se sont calmés. Je leur disais : “il y a des petits kits qui se mettent sur les camions à la place des bips de recul et on entend comme un crapaud et c’est moins gênant, ça va moins loin en termes de son” ». En face de la zone industrielle de Pusignan, un voisin commerçant déclare préférer les entreprises à des immeubles de logements : « ils viennent travailler, ils arrivent le matin, ils partent le soir, c’est terminé, il n’y a pas de nuisances, il n’y a rien du tout ».
Un article paru dans Le Monde[50]Rafaele Rivais. (2023). « L’entreprise est coupable du bruit de ses livreurs », Le Monde, 15 avril. en avril 2023 fait état de la bataille menée par un voisin d’une zone d’activité économique contre une entreprise spécialisée dans l’importation de charcuteries et de fromages, dont les camions frigorifiques bruyants stationnent dehors la nuit en attendant de livrer. L’entreprise a été condamnée à faire cesser les nuisances, mais, dans les faits, cette décision reste difficile à faire appliquer.
Sur le Parc des Gaulnes, l’association APEJ[51]Association de protection de l’environnement jonageois. créée en réaction à l’installation d’une entreprise chimique, rassemble une quarantaine d’adhérents. Les riverains se sont soulevés face à l’activité installée à quelques centaines de mètres des maisons et d’une école : « Ils parlaient de cyanure qui, potentiellement, pouvait être rejeté mais à faible dose, oui ok, mais à faible dose tout le temps, quel impact sur la santé ? ». Un élu ayant un passé professionnel dans l’industrie rassure : « ils font de la formulation[52]« La formulation est l’art des mélanges et de leur stabilité, et ne met pas en jeu de réactions chimiques » (source : Médiachimie, c’est pas de la chimie ». La perception des nuisances liées aux activités productives dépend ici du point de vue de chacun.
Conclusion
Les ZAP périurbaines sont au croisement de différentes échelles et plusieurs politiques sectorielles, allant de la compensation écologique à la densification industrielle, bien au-delà de leur seule vocation définie par un zonage monofonctionnel initial. Au regard de leurs capacités à reconfigurer les mobilités et les proximités, les requalifications en cours des ZAP, structures spatiales héritées (Beucher et Mare, 2021[53]Beucher S, Mare M. (2020). « Cadrage épistémologique de la notion de transition en sciences humaines et en géographie », Bulletin de l’Association de Géographes Français, n° 97-4, p. 383‑394.), offrent des opportunités de maillage pour les territoires périurbains.
La mixité fonctionnelle installée sur les ZAP se développe en réponse à des besoins privés autant qu’à des besoins publics, aux salariés comme aux riverains de ces zones, conjointement à des choix doctrinaux ou d’impératifs de rentabilité (Lejoux et Charieau, 2019[54]Lejoux P, Charieau C. (2019). « La zone d’activités économiques : objet urbain non identifié ? », Territoire en mouvement, revue de Géographie et d’aménagement, n° 43.). Il y a 20 ans, David Mangin appelait à s’affranchir des logiques sectorielles (Mangin, 2004[55]Mangin D. (2004). La ville franchisée : formes et structures de la ville contemporaine, Paris, Éditions de la Villette, 400 p.). Aujourd’hui, cette proposition reste d’actualité. Plutôt que de faire des zones productives le terrain d’affrontements entre différents intérêts politiques, la mixité fonctionnelle pourrait être un levier pour leur réaménagement et pour faire projet dans le périurbain (Vanier, 2011[56]Op. cit. ; Offner, 2023[57]Op. cit.).
La cohabitation entre activités productives et fonctions plus urbaines suscite des compromis et des arrangements nouveaux mais, comme la dernière partie l’a montré, elle peut aussi déboucher sur des impasses. Dans le contexte de relocalisation de l’industrie, Gilles Crague et Nadine Levratto appellent à changer de regard : « Réhabiliter l’industrie suppose à la fois de lui refaire une place au sein d’espaces urbains fortement convoités, mais aussi de ménager une cohabitation nouvelle entre la fonction productive et les autres fonctions urbaines » (Crague et Levratto, 2022[58]Op. cit.). La requalification des zones doit s’établir en rapport avec les tissus périphériques dans lesquels elles se trouvent (Bringand, 2024[59]Bringand F. (2024). Faire la ville productive, 30 propositions inventives pour repenser les zones d’activités économiques à partir d’une sélection d’idées du concours EUROPAN, Paris La Défense, PUCA, sessions « Villes productives », n° 14 et 15, 152 p.), en considérant les cohabitations internes et externes au périmètre : « Passer de la zone au quartier suppose de tisser des liens entre la ville habitée, la ville économique, la ville mobile, la ville équipée : mutualiser les espaces, les approches, les équipements pour donner toutes ses chances à la ville de bien fonctionner » (Garcez et Mangin, 2014[60]Garcez C, Mangin D. (2014). Du Far West à la ville, l’urbanisme commercial en question, Marseille, Parenthèses, 240 p.).
Les réflexions et paradoxes développés dans cet article quant au devenir des ZAP périurbaines invitent à relire les propos du sociologue Jean Remy, expliquant les décalages partiels entre les logiques de production, portées par les acteurs qui élaborent la ville, et les logiques d’appropriation, portées par les usagers. Face à la planification urbaine, prétendument objective et apolitique, il invite à la prudence et avise : « Il faut tourner le dos au fonctionnalisme, la dynamique spatiale suppose une interaction entre une pluralité d’agents inégaux et avec des priorités différentes » (Remy et Blanc, 2015[61]Op. cit.). Le devenir des nombreuses ZAP périurbaines ouvre des pistes pour répondre à cette attente ; observer les dynamiques existantes, qu’elles soient officielles ou officieuses, planifiées ou spontanées, organisées ou informelles, apporte quelques enseignements.
[1] CEREMA. (2014). Zones d’activité économique en périphérie : les leviers pour la requalification, Lyon, CEREMA, 40 p.
[2] Gueniot Y. (1974). Des zones industrielles vers les parcs d’activités, étude, réalisation, évolution des zones industrielles, Paris, Berger-Levrault, 438 p.
[3] Colsaet A. (2021). Laisse béton ? La responsabilité de l’action publique dans l’artificialisation des sols : l’exemple des zones d’activités économiques en France et en Allemagne, Université Paris Saclay, 297 p.
[4] Diodato F. (2023). « Soil of enterprises. A critical-historical analysis », European Journal of Creative Practices in Cities and Landscape, vol. 5, n° 2, p. 127-144.
[5] Lejoux P. (2015). « Les entreprises, actrices de la périurbanisation en France », dans Menjot D, Collin-Bouffier S, Brelot CI (dir.), Aux marges de la ville. Paysages, sociétés et représentations, Paris, L’Harmattan, p. 195-294.
[6] Glon E. (1993). « L’impact croissant des zones d’activités dans la périurbanisation et la rurbanisation : l’exemple du seuil de l’Artois », Hommes et Terres du Nord, n° 3-4, p. 199‑210.
[7] Arab N, Crague G, Miot Y. (2023). Vers un nouvel agir métropolitain, « L’agir métropolitain et l’immobilier d’entreprise au défi des transitions », Paris, Presses des Ponts, p. 85‑109.
[8] Damon J, Paquot T. (2021). Les 100 mots de la ville, Paris, PUF, 128 p.
[9] Beaucire F, Desjardins X. (2015). Notions de l’urbanisme par l’usage, Paris, Publications de la Sorbonne, 120 p.
[10] Bouron JB. (2021). « Urbanité », Géoconfluences [En ligne].
[11] Émelianoff C. (2001). « De la Charte d’Athènes à la Charte d’Aalborg : un renversement de perspectives », Cités Territoires Gouvernance.
[12] ADCF. (2023). « Le foncier économique à l’heure de la sobriété foncière », Focus Économie, septembre, 40 p.
[13] Op. cit.
[14] Laurent E. (2017). À l’horizon d’ici : les territoires au cœur de la transition social-écologique, Lormont, Le Bord de l’eau, 96 p.
[15] Talandier M. (2019). Résilience des Métropoles. Le renouvellement des modèles, Paris, POPSU, 39 p.
[16] Lejoux P, Linossier R, Bouyssière A, Nugue T. (2023). Lyon, métropole fabricante de demain ? Paris, PUCA, Métropole de Lyon, La Fabrique de l’Industrie, 96 p.
[17] Op. cit.
[18] Mérenne-Schoumaker B. (2007). « L’avenir des zones d’activités économiques en Wallonie : réflexions et propositions », Territoire en mouvement, revue de Géographie et d’aménagement, n° 3, p. 3-14.
[19] Bonnin-Oliveira S. (2013). « La fin des périphéries urbaines : modes de vie et recompositions territoriales aux marges de l’aire urbaine toulousaine », EspacesTemps[En ligne].
[20] Op. cit.
[21] Op. cit.
[22] Bourdeau-Lepage L, Huriot JM, Perreur J. (2009). « À la recherche de la centralité perdue », Revue d’Économie Régionale & Urbaine, n° 3, p. 549-572.
[23] Remy J, Blanc M. (2015). L’espace, un objet central de la sociologie, Toulouse, Érès éditions, 150 p.
[24] Dunham-Jones E, Williamson J. (2011). Retrofitting suburbia: Urban design solutions for redesigning suburbs, Hoboken, Wiley, 256 p.
[25] Fleury A. (2018). « Les périurbains et leurs espaces publics : enquête sur les franges nord de la métropole parisienne », Cybergeo [En ligne].
[26] Offner JM. (2023). « ZAN saison 2 : un mode d’emploi alternatif du “zéro artificialisation” », Urbanisme, 3 avril.
[27] Vanier M. (2011). « La périurbanisation comme projet », Métropolitiques, 23 février [En ligne].
[28] Moreno C. (2020). Droit de cité : de la ville-monde à la ville du quart d’heure, Paris, Éditions de l’Observatoire, 179 p.
[29] Bihouix P, Jeantet S, de Selva C. (2022). La ville stationnaire : comment mettre fin à l’étalement urbain ?, Arles, Actes Sud, 352 p.
[30] Réalisée par le groupement composé de l’agence BASE (mandataire), du Centre de ressource de botanique appliquée (CRBA), de l’Atelier d’écologie urbaine et de Géraldine Pin, commande du SEPAL.
[31] Op. cit.
[32] Aragau C. (2018). « Le périurbain : un concept à l’épreuve des pratiques », Géoconfluences, avril [En ligne].
[33] Op. cit.
[34] Talandier M, Jousseaume V. (2013). « Les équipements du quotidien en France : un facteur d’attractivité résidentielle et de développement pour les territoires ? », Norois, n° 226, p. 7-23.
[35] Op. cit.
[36] Didier-Fèvre C. (2018). « La nuit : une nouvelle frontière pour les jeunes des espaces périurbains ? », Géoconfluences, avril [En ligne].
[37] Le Clec’h I. (2020). « Le commerce à l’heure de l’hypermobilité des périurbains : l’exemple de Saint-Brieuc », Géoconfluences, août [En ligne].
[38] France Services, guichet unique regroupant neuf services publics.
[39] Établissement Pour l’Insertion Dans l’Emploi.
[40] RTE France, L’exposition permanente Transfodyssée.
[41] Bognon S, Magnan M, Maulat J. (2020). Urbanisme et aménagement. Théories et débats, Malakoff, Armand Colin, 288 p.
[42] Crague G, Levratto N. (2022). « Au-delà de la relocalisation de l’industrie : la ville productive », Métropolitiques, 10 janvier.
[43] Mérenne-Schoumaker B. (2007). « L’avenir des zones d’activités économiques en Wallonie : réflexions et propositions », Territoire en mouvement, revue de géographie et d’aménagement, n° 3, p. 3-14.
[44] Op. cit.
[45] Zones à faibles émissions. Voir : Ministère de la Transition écologique.
[46] Rougé L, Aragau C. (2019). « Appropriations, partages et fabrications de l’espace public. Vers un périurbain plus convivialiste ? », Revue du Mauss, n° 54, p. 307-319.
[47] Op. cit.
[48] Op. cit.
[49] Op. cit.
[50] Rafaele Rivais. (2023). « L’entreprise est coupable du bruit de ses livreurs », Le Monde, 15 avril.
[51] Association de protection de l’environnement jonageois.
[52] « La formulation est l’art des mélanges et de leur stabilité, et ne met pas en jeu de réactions chimiques » (source : Médiachimie).
[53] Beucher S, Mare M. (2020). « Cadrage épistémologique de la notion de transition en sciences humaines et en géographie », Bulletin de l’Association de Géographes Français, n° 97-4, p. 383‑394.
[54] Lejoux P, Charieau C. (2019). « La zone d’activités économiques : objet urbain non identifié ? », Territoire en mouvement, revue de Géographie et d’aménagement, n° 43.
[55] Mangin D. (2004). La ville franchisée : formes et structures de la ville contemporaine, Paris, Éditions de la Villette, 400 p.
[56] Op. cit.
[57] Op. cit.
[58] Op. cit.
[59] Bringand F. (2024). Faire la ville productive, 30 propositions inventives pour repenser les zones d’activités économiques à partir d’une sélection d’idées du concours EUROPAN, Paris La Défense, PUCA, sessions « Villes productives », n° 14 et 15, 152 p.
[60] Garcez C, Mangin D. (2014). Du Far West à la ville, l’urbanisme commercial en question, Marseille, Parenthèses, 240 p.
[61] Op. cit.