frontispice

MAB SPL + ACLAA + Riurba
Entretien avec
Raphaëlle Bernabei,
Pauline Vermeille,
Pierre Paul Cursolle,
Maxime Lefranc

Nadia Arab
EUP-Lab’Urba, université Paris-Est-Créteil

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MAB SPL + ACLAA + Riurba
Entretien avec
Raphaëlle Bernabei,
Pauline Vermeille,
Pierre Paul Cursolle,
Maxime Lefranc

• Sommaire du no 16•17

Nadia Arab EUP-Lab’Urba, université Paris-Est-Créteil

MAB SPL + ACLAA + Riurba : entretien avec Raphaëlle Bernabei, Pauline Vermeille, Pierre Paul Cursolle, Maxime Lefranc, Riurba no 16•17, juillet 2024.
URL : https://www.riurba.review/article/16-productive/mab-aclaa/
Article publié le 7 juil. 2025

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Nadia Arab
Article publié le 7 juil. 2025
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Aménageuses et concepteurs partagent leur expérience
de la fabrique de la ville productive
avec la RIUrba

Entretien conduit par Nadia Arab, professeure à l’Université Paris-Est Créteil et directrice du Lab’Uba à l’École d’urbanisme de Paris, membre du comité de rédaction de la RIUrba ;
Raphaëlle Bernabei, directrice générale adjointe et Pauline Vermeille, directrice du développement de la SPL Marne-au-Bois (MAB SPL) ;
Pierre-Paul Cursolle et Maxime Lefranc, associés, architectes urbanistes, ACLAA ;
à Fontenay-sous-Bois, le 16 décembre 2024.

 Nadia Arab  Pouvez-vous présenter brièvement l’aménageuse MAB SPL et l’agence ACLAA ?

 MAB SPL  a été créée en 2012. Depuis, cette société publique locale est devenue une actrice de référence au service des collectivités territoriales actionnaires (les villes de Bry-sur-Marne, Champigny-sur-Marne, Fontenay-sous-Bois, Nogent-sur-Marne et l’EPT Paris Est Marne & Bois) sur les champs relatifs à la fabrique urbaine. MAB SPL se singularise par sa volonté de réunir des compétences et des domaines d’intervention diversifiés et complémentaires, alliant maîtrise d’ouvrage, aménagement, conseil et exploitation.

Composée aujourd’hui de 21 collaborateurs et collaboratrices, MAB SPL développe des savoir-faire et expertises dans quatre domaines du développement urbain portés depuis maintenant deux ans par une démarche forte de transition, MAB SPL étant une société à mission depuis 2023 :
• l’aménagement, de la conduite des études préopérationnelles à la réalisation d’opérations d’aménagement concédées ;
• la construction d’équipements publics ou de programmes résidentiels ;
• la mobilité, à la fois à travers la prise en gestion de parcs publics de stationnement et l’accompagnement de la réalisation des grandes infrastructures de transport en commun ;
• la revitalisation commerciale de proximité dans les centres-villes et centres anciens des communes actionnaires, et dans le cadre de nos opérations d’aménagement.

Intervenant sur le territoire de l’Est parisien, MAB SPL est confrontée à la question du maintien et/ou du développement des activités productives dans son périmètre d’intervention opérationnel, et plus particulièrement celui de ses concessions d’aménagement sur le secteur dit des Alouettes à Fontenay-sous-Bois, de part et d’autre de l’A86. Nous travaillons avec l’agence ACLAA sur une partie de ces secteurs.

 ACLAA  Fondée par Pierre-Paul Cursolle et Maxime Lefranc en 2016, ACLAA est une agence d’architecture et d’urbanisme intervenant en stratégie de territoire, aménagement urbain et projet architectural. Construite autour du croisement de ces trois échelles, l’agence regroupe aujourd’hui une dizaine de personnes aux profils variés : architecte, urbaniste, paysagiste, ingénieur. Ses interventions permettent d’accompagner des collectivités, des aménageurs ou partenaires privés sur des projets de tailles et dans des contextes multiples : projet d’aménagement (ZAC, NPNRU), études préopérationnelles ou encore développement de projets architecturaux.

En Île-de-France, par son intervention sur diverses opérations d’aménagement (Opération Alouettes Est pour MAB SPL, ZAC Ivry Confluences pour SADEV 94, ZAC Montjoie pour SEQUANO), ACLAA approche les questions de la ville productive sur nombre de ses projets. En effet, ces territoires, tous historiquement productifs, connaissent depuis plusieurs décennies des mutations profondes de leur tissu industriel et économique. Les opérations d’aménagement en cours doivent donc composer avec cette donnée d’entrée qui, depuis plus d’une décennie maintenant, est abordée avec un changement de paradigme : comment maintenir et travailler autour de ces tissus productifs ?

 Nadia Arab  La fabrique de la ville productive est donc l’une des finalités opérationnelles que vous voulez poursuivre dans vos interventions respectives. Mais, derrière la notion de ville productive, à quoi faites-vous référence et de quelle manière êtes-vous confrontés à cet objectif en tant qu’aménageur et en tant que concepteur ?

 MAB SPL  Dans le cadre des opérations d’aménagement que porte la SPL, nous sommes majoritairement confrontés à des tissus existants d’activités artisanales et industrielles, avec des immobiliers adaptés pour des PME-PMI – petits entrepôts et locaux d’artisanat. Les activités industrielles sont, sur ces sites, aujourd’hui minoritaires. Sur la concession Alouettes Est, elles ne représentent, par exemple, que 6,7 % des entreprises déjà implantées.

Les programmes d’activités productives que nous travaillons conservent majoritairement l’échelle des entreprises existantes, à savoir adaptés à des structures de petites et moyennes entreprises. En effet, nos opérations d’aménagement – en première couronne francilienne, sur un tissu urbain constitué avec de très rares opportunités de terrains vierges de toute construction – ne permettent pas, compte-tenu de leurs contraintes spatiales, résidentielles et de desserte, de développer des projets type méga/giga-factories qui sont aussi l’une des dimensions de la ville productive mais qui ne concernent pas notre territoire d’action.

La ville productive est devenue ces dernières années un sujet porté par les élus sur notre territoire, notamment à travers l’enjeu de maintien de l’activité, et celui-ci défendu parfois en opposition au tout résidentiel. C’est donc aussi un enjeu pour nous, opérateurs, qui agissons pour leur compte. L’engouement de nos élus nécessite pourtant à notre sens, aujourd’hui, un travail d’acculturation à la ville productive, et notamment dans un objectif d’évolution des référentiels et de conception d’un dessein commun. En effet, les contraintes actuelles de la zone dense de première couronne francilienne sont diamétralement opposées au schéma originel d’émergence de ces activités : structurées grâce à une desserte routière efficace (connexion directe à l’A86), et selon une logique d’acquisition opportuniste, sans remembrement, ni planification des terres maraîchères disponibles et peu chères de la plaine de la Marne, et avec des immobiliers très consommateurs en foncier. Dans un contexte de pression foncière, le maintien voire le développement de ces activités productives pour petites et moyennes entreprises nécessite de repenser les formes urbaines et les espaces urbains attenants actuels. Aussi, il est nécessaire, pour l’ensemble des acteurs du projet, de retrouver des processus de fabrication, aujourd’hui quasi inexistants, de ce type d’activités longtemps exclues de la fabrique urbaine.

Une partie de nos opérations d’aménagement en cours de réalisation et issues de réflexions menées il y a plus d’une décennie nous ont permis de développer des projets urbains à dominante résidentielle et tertiaire sur d’anciens tissus pour partie productifs, caractéristique qu’il s’agit donc de maintenir, non sans difficultés. Nous intervenons en tant que concessionnaire d’opération d’aménagement, majoritairement sur le territoire fontenaysien et plus particulièrement sur le périmètre autour de Val de Fontenay, qui constitue à l’ouest de l’A86 le pôle tertiaire majeur de l’Est francilien, et sur le secteur des Alouettes, à l’est de l’A86. Le quartier des Alouettes est un ancien secteur maraîcher où s’imbriquent aujourd’hui pavillons et activités économiques. En marge des transformations urbaines majeures affectant l’ouest du Val de Fontenay dans les années 1970, les Alouettes n’ont pas connu la même dynamique de remembrement et de tertiarisation tous azimuts. Pourtant, à l’est de l’A86, notre opération Tassigny-Auroux a développé, par exemple, un nouvel espace public sur le site d’une ancienne menuiserie, et sa programmation est constituée de surfaces résidentielles, tertiaires et d’équipement, mais sur des échelles intermédiaires par rapport à ce que l’on trouve à l’ouest de l’A86. De même, l’opération Val de Fontenay Alouettes, concession majeure de MAB SPL (environ 75 hectares à cheval entre l’est et l’ouest de l’A86) prévoit l’accueil, toujours à l’est de l’A86, de la gare de la ligne 15, ainsi que le développement d’un quartier mixte – bureaux, logements, équipements – sur l’ancienne zone d’activités du Péripôle.

Pourtant, les entreprises locales sur ce secteur Est sont pour bonne partie des PME/TPE en bonne santé économique relevant du BTP (37 %), du commerce de gros interentreprises (11 %), mais aussi de l’automobile, de l’informatique, de la sécurité et du nettoyage. L’urbanisation organique et opportuniste de ce secteur lègue au quartier un patrimoine architectural particulièrement riche – maisons de bourg, locaux d’activité intégrés dans le tissu pavillonnaire, hôtels d’entreprises et petits collectifs typiques des années 1960 – et une mixité programmatique de fait. Nous devons réussir à concilier cette ville productive avec les nouveaux programmes résidentiels, tertiaires et d’équipement.

 ACLAA  En effet,depuis 30 ans, les zones d’activités artisanales et industrielles ont été considérées comme des réserves foncières mutables. En tant qu’architectes et urbanistes, il s’agit pour nous d’une part importante de nos territoires d’études. C’est le cas pour nos projets à Ivry-sur-Seine, Saint-Denis ou encore Fontenay-sous-Bois ; la plupart de ces quartiers productifs ayant d’ailleurs déjà subi différentes phases d’évolutions et d’adaptations dans leurs histoires respectives. Il s’agit donc, en premier lieu, d’un contexte de travail.

La question sous-jacente devient alors de savoir quelle attitude adopter vis-à-vis de ces territoires de projets, de leurs histoires, identités, patrimoines – matériels et immatériels – et de leurs entreprises en place qui perdurent et qui sont potentiellement menacées. Bien sûr, l’ensemble de ces opérations urbaines visent à engager une mutation de ces secteurs rattrapés par l’expansion de la ville et de ses transports, notamment au travers d’une diversification programmatique et de la création d’espaces publics. Mais l’attachement au caractère et à la mémoire productive des lieux est de plus en plus prégnant, et celui-ci, qui est souvent partagé entre élus, aménageurs et concepteurs, se retranscrit désormais dans la programmation des opérations avec une part importante de mètres carrés dédiés à l’activité.

Pourtant, selon la CCI d’Île-de-France dans son rapport de 2018, la région a un besoin d’immobilier d’activité de l’ordre de 1,5 à 1,9 million de m² à produire par an d’ici à 2030, alors que toutes les zones d’activités, notamment de première couronne, ont été le foncier « mutable » des opérations d’aménagement des décennies passées. Ces dynamiques ont conduit nombre d’entreprises franciliennes à se délocaliser en grande couronne dans des zones d’activités structurées autour de l’A104… imperméabilisant toujours plus les terres agricoles.

Les enjeux socioéconomiques et environnementaux de notre époque nous imposent de nouvelles manières de faire. L’arrivée du ZAN pose d’ailleurs un nouveau paradigme pour penser l’activité de demain, plus intégrée, plus urbaine, plus valorisée.

 Nadia Arab  Vous insistez les unes et les autres sur le caractère nouveau de la fabrique de la ville productive, comme si la ville productive appelait même une autre fabrique urbaine, et cela autant pour l’aménagement urbain que pour la conception urbaine et architecturale. Pouvez-vous préciser ?

 MAB SPL  Aujourd’hui, par rapport aux études initiant la création de l’opération d’aménagement Val de Fontenay Alouettes (2016-2017) et à la livraison de grands projets tertiaires dont nous avons hérité – comme le campus de 90 000 m² de bureaux et de services associés de la Société Générale, Les Dunes (Anne Demians architecte, 2011-2016) – MAB SPL appréhende très différemment l’héritage productif que son territoire d’intervention lui offre, en favorisant notamment sa préservation dès que cela est possible. La crise du COVID notamment a démontré combien notre dépendance était forte vis-à -vis de l’étranger, et combien la préservation d’écosystèmes productifs au sens large (agricoles, pharmaceutiques, industriels, etc.) participe à la résilience du territoire et des organisations. Par ailleurs, les quartiers d’affaires tels qu’ils ont été développés au Val de Fontenay posent aujourd’hui des difficultés liées à leur monofonctionnalité : manque d’aménités et de services, dépendance à des marchés immobiliers et économiques uniques particulièrement. Cet héritage monofonctionnel, dans une logique de transition écologique au sens large, impose son actualisation.

C’est en ce sens que le projet « Alouettes Est », dernière opération concédée par l’EPT Paris Est Marne et Bois à MAB SPL en 2019, conçoit, par exemple, le devenir d’une zone d’activités qui pâtit de la pression foncière exercée par sa proximité avec le pôle de transport de Val de Fontenay, d’autant que celui-ci sera renforcé dans les prochaines années avec la ligne du métro 15 et le prolongement du tramway T1. On observe sur ce secteur un mitage d’opérations résidentielles peu qualitatives, portées par des logiques d’opportunités de promoteurs immobiliers qui conduisent petit à petit à faire disparaître la richesse du tissu mixte et les traces de l’ancien parcellaire maraîcher. La nécessité d’une action publique pour maîtriser le développement s’impose ici, tout en profitant de l’accessibilité renforcée en transports en commun. Ces derniers sont considérés, au-delà de l’offre de services essentiels qu’ils assurent, non pas comme des vecteurs de valorisation foncière, mais comme des vecteurs d’équités territoriales entre les travailleurs des différents secteurs de production, l’accessibilité aux transports en commun restant l’apanage du secteur tertiaire. L’opération porte à la fois des objectifs immobiliers et des objectifs sociaux. Il s’agit en effet autant d’offrir aux entreprises productives principalement, et en priorité déjà en place, des locaux adaptés et optimisés d’un point de vue énergétique et foncier, ou de développer des services mutualisés par exemple, que de maintenir une diversité des secteurs d’emploi et des catégories socioprofessionnelles représentées aujourd’hui, en favorisant aussi la disparition de certaines activités au profit d’autres. Ici, la ville productive renvoie à la notion d’inclusivité des espaces urbains denses par opposition aux notions de gentrification ou de tertiairisation. À l’instar de produire du logement accessible à toutes et tous, nous devons, par le biais de nos opérations, offrir des zones d’emplois accessibles à toutes et tous. En ce sens, nous répondons aussi à des contraintes de décarbonation des modes de vie, en écho au concept souvent galvaudé développé par Carlos Moreno, de ville du quart d’heure.

 ACLAA  La question sémantique est intéressante. En effet, les deux mots qui composent la « ville productive » ont pu sembler antinomiques sur les dernières décennies durant lesquelles on s’est efforcé de distinguer clairement la production du reste de la ville ; on parlait d’ailleurs de zone d’activités économiques (ZAE) ou de zone industrielle (ZI), termes encore plus techniques et impersonnels.

Les deux termes – « ville » et « productive » – réunis impliquent de fait la notion d’inclusivité, d’échanges et de mixité, s’inscrivant dans la tradition historique de développement des centres urbains. Cette définition permet de porter intrinsèquement des enjeux spatiaux, économiques et sociaux forts, avec en premier lieu la volonté de rapprochement pour tous – cols bleus et blancs – de la distance domicile-travail.

La ville tertiaire s’est fondée sur l’avènement des catégories socioprofessionnelles supérieures, en excluant toujours plus loin des centres denses les activités productives et, de fait, les personnes moins qualifiées. Le véritable enjeu de la ville productive est donc d’ordre social, en trouvant à nouveau de la place à toutes et tous, profils qualifiés et moins qualifiés, au centre des métropoles. On le comprend alors, la ville productive ne peut pas se dissocier d’une politique forte sur l’accessibilité des logements et donc sur un rapprochement des fonctions.

En effet, la construction de la ville tertiaire a eu tendance à dissocier les fonctions productives du reste des espaces urbains, comme pour les cacher, comme si la recherche de rayonnement et de compétitivité des métropoles tertiaires passait avant tout par une image très « aseptisée » de l’espace urbain. La ville productive, de son côté, nécessite de porter des réflexions sur l’intégration d’activités et d’usages que nous avions un peu perdus de vue en milieu dense : des immobiliers dont les dimensions et l’insertion urbaine dénotent avec les habituelles trames des immeubles de bureaux ou de logements, de nécessaires flux logistiques, et donc un partage de l’espace public à réinventer, des activités et savoir-faire jusqu’alors cachés et, de fait, une multitude de programmes nouveaux à l’interface entre fabrication, production et valorisation des savoirs. De fait, la ville productive se veut inclusive de toutes les fonctions et tous les usagers, en ne laissant personne de côté.

 Nadia Arab  Vous défendez donc une vision qui associe ville productive et ville inclusive ?

 MAB SPL  Oui, et cela dans un contexte économique et sociologique dans lequel nous devons également répondre aux changements structurels qui régissent l’économie actuelle, et aux besoins d’une offre de proximité des usagers et habitants des espaces urbains sur lesquels nous intervenons. La ville productive, au-delà de l’attention portée aux zones d’activités existantes, doit donc aussi répondre à de nouvelles demandes auxquelles nous sommes confrontés qui vont de la volonté des élus à redynamiser leurs centres-villes par des commerces et des services de proximité, aux besoins d’acteurs locaux développant des projets d’entreprises, aux nouvelles filières générées par l’économie circulaire et décarbonée (plateformes de réemploi et de recyclage, création de substrat, etc.), en passant par l’agriculture et la logistique urbaines ! Nos élus sont sensibles aux porteurs de projet locaux sans objectif de structuration de filière. Globalement, les métiers manuels sont à nouveau plébiscités et reconnus à leur juste valeur, par nos édiles et la société en général, dans et pour l’espace urbain. Ces perspectives prennent le contrepied de plusieurs décennies de tertiarisation des projets urbains.

 ACLAA  Il s’agit toutefois d’être vigilant sur le respect des ambitions de la ville productive face à la réalité effective du marché productif contemporain. En effet, les évolutions technologiques, combinées à l’essor de la livraison à domicile, tendent à créer de grandes surfaces dites « productives », mais qui ne sont pas forcément vectrices d’urbanité et d’activité. Prenons pour exemple le cas des plateformes de logistique urbaine. D’immenses surfaces sont imperméabilisées pour construire des entrepôts hors normes qui ne créent finalement que peu d’emploi relativement à la surface occupée, et servent avant tout de plateforme d’échange entre semi-remorques et camionnettes.

Ou bien encore, certains locaux destinés à être productifs sont parfois mal dimensionnés et/ou pratiquent des loyers trop importants qui détournent les utilisateurs ciblés vers d’autres offres plus loin et moins chères. C’est, par exemple, le cas de certaines opérations d’aménagement parisiennes. Là où des locaux productifs avaient été programmés, notamment sous la forme de socle actif, on se rend bien compte que les petites activités ou les artisans peinent à accéder à ces surfaces qui sont aujourd’hui toutes occupées par des entreprises plutôt tertiarisées : métiers de la création, architectes, graphistes, etc.

Ainsi, plutôt que de raisonner uniquement en termes de mètres carrés, il nous semble essentiel de se donner des objectifs en termes de nombre d’emplois créés, et d’anticiper en conséquence les montages opérationnels proposés avec des approches programmatiques sur mesure. On pourrait même aller jusqu’à se demander si la ville productive, dans le cas de territoires extrêmement tendus, ne devrait pas être aidée pour permettre la pratique de loyers raisonnables, au même titre que le logement. Une fois encore, la ville productive pose la question et l’enjeu de la diversité sociale des espaces urbains denses.

 Nadia Arab  L’intégration de la ville productive comme dimension à part entière de la fabrique urbaine a-t-elle des conséquences sur la conception urbaine et architecturale ?

 MAB SPL  D’abord, la reconnaissance de l’intérêt de la ville productive ne doit pas conduire à la patrimonialisation ou la sacralisation systématique des sites productifs sur nos territoires d’intervention. Il nous semble nécessaire de toujours s’interroger sur la compatibilité du tissu productif existant avec le tissu urbain dans lequel il s’implante et des contraintes qu’il peut générer (densification faible, imperméabilisation, îlot de chaleur, trafic, etc.). Aussi, les appareils productifs ont des besoins qui évoluent, qui ne leur permettent pas toujours de perdurer dans certains quartiers de ville, du fait des conflits d’usages que cela peut générer avec les riverains et/ou les contraintes fonctionnelles que cela suppose. Prenons l’exemple de l’usine Magafor à Fontenay-sous-Bois. Fondée en 1937, c’est une entreprise familiale, spécialisée dans la fabrication d’outils coupants de précision. Son savoir-faire est reconnu à l’échelle mondiale. Toutefois, implantée dans un tissu résidentiel constitué, l’entreprise est aujourd’hui à l’étroit et loin des grandes infrastructures de transports. Ses besoins logistiques impliquent donc des contraintes fortes dans un secteur où le système viaire est très limité, alors que son implantation, en première couronne, est stratégique, notamment pour fidéliser sa main-d’œuvre d’ouvriers qualifiés.

Nous pensons qu’il faut adopter une posture résolument pragmatique face à l’héritage productif qui nous conduit plutôt à favoriser soit l’adaptation des immobiliers in situ aux contraintes de la ville dense, soit la relocalisation dans notre territoire d’intervention, quand nous disposons des opportunités foncières et immobilières pour le faire. L’adaptation des immobiliers est un objectif très complexe à mettre en œuvre, et aujourd’hui, il faut admettre que les projets que nous travaillons au sein du projet d’aménagement Alouettes Est n’ont pas encore abouti, notamment dans la stabilisation des montages financiers et fonciers.

 ACLAA  Nous l’évoquions tout à l’heure, la nouvelle ville productive se construit fréquemment sur d’anciennes zones industrielles. De ce fait, elle bénéficie souvent d’un rapport particulier aux grandes infrastructures de transport (fleuve, canal, rail, autoroute) qui justifiaient l’implantation d’activités à ces endroits. Cette proximité avec ces entités géographiques de grande échelle a instauré et favorisé la création de bâtiments de grandes dimensions : halles, usines, entrepôts. Ceux-ci constituent également un socle architectural de référence et une source d’imaginaires pour les nouveaux édifices à construire.

Cependant, ces grandes dimensions qui restaient jusqu’alors horizontales, tendent désormais à se verticaliser, dans une logique de densification, de superposition et afin de limiter le prix des loyers des futurs utilisateurs. La typologie de l’entrepôt solitaire s’efface au profit de l’immeuble industriel. Et celui-ci, au lieu d’être implanté au milieu de sa parcelle, vient s’adresser à la rue, dispose de façades actives à rez-de-chaussée. Il est vecteur d’urbanité, intégré à la ville et accepté par tous. Le stationnement et les aires de livraisons sont situés en sous-sol, en étage ou en cœur d’îlot.

 Nadia Arab  Si je comprends bien, vous insistez aussi sur l’invention de montages opérationnels et fonciers. Cela est-il renforcé par le fait d’intervenir sur la ville existante, notamment dans la perspective d’un recyclage immobilier ?

 MAB SPL  Oui, sans oublier les contraintes techniques. Sur nos opérations d’aménagement, c’est en premier lieu un enjeu de programmation qui se pose pour nous aujourd’hui. Le programme de notre opération Val de Fontenay Alouettes, compte-tenu de son emprise (80 ha) et de sa durée (15 ans) peut aujourd’hui être réinterrogé afin d’offrir davantage de surfaces dédiées aux activités productives. La reprogrammation de nos opérations d’aménagement au profit, entre autres, d’immobiliers à vocation productive rejoint également des contraintes actuelles du marché tertiaire, à savoir une saturation de l’offre et une diminution de la demande. Cela conduit à retravailler les opérations et leurs bilans sur un spectre élargi de programmes pour lesquels nous ne sommes pas toujours mûrs. Ainsi, nous utilisons dans certains cas l’urbanisme transitoire pour tester des modèles et des programmes en lien avec les actrices et les acteurs locaux de TPE et microentreprises (artisans, artistes, entrepreneurs).

S’agissant du tertiaire ou des immobiliers productifs, notre territoire d’intervention est surtout confronté à l’obsolescence de bâtiments réalisés dans les années 1970-1980, qui doivent non seulement être mis aux normes environnementales, mais aussi s’adapter aux nouveaux besoins des entreprises et de leurs salariés. Par ailleurs, MAB SPL est engagée dans un objectif fort de réhabilitation dans le cadre de sa feuille de route de société à mission, qui nous oblige dans l’atteinte d’objectifs socioenvironnementaux. En effet, nous intervenons sur du foncier urbanisé dont les ressources disponibles doivent être recyclées au maximum (réhabilitation et réemploi). Quand on souhaite, par exemple, glisser des programmes productifs dans des immobiliers à l’origine non conçus pour être réversibles, cela n’est pas simple techniquement et réglementairement, et l’on fait du cas par cas. Nous sommes intéressés, par exemple, par la valorisation des infrastructures de parking qui sont très présentes sur le secteur de Val de Fontenay. Nous avons étudié la possibilité de glisser des activités productives dans des parkings dalle sous-utilisés. Sur un site, la hauteur de dalle à dalle n’est pas suffisante pour les besoins d’une activité artisanale et nécessiterait une intervention très lourde sur l’infrastructure, qui reviendrait à une démolition/reconstruction. Sur un autre, la portance de l’infrastructure n’est pas adaptée à de la logistique nécessaire au fonctionnement des entreprises. La réglementation incendie renforcée de certains bâtiments, les immeubles de grande hauteur, par exemple, empêchent l’installation d’activités productives avec un besoin de stockage ou de machinerie. Ainsi, la programmation d’activités productives dans des projets de réhabilitation doit non seulement s’adapter aux contraintes techniques du bâtiment existant mais aussi aux capacités d’investissements – parfois prohibitives – nécessaires à leurs mises en compatibilité d’un point de vue des normes de sécurité (ERP, incendie, etc.).

 ACLAA  Certes mais, d’un autre côté, il ne faut pas perdre de vue que le spectre programmatique de la ville productive est large : il peut concerner la logistique, l’industrie créative, l’agroalimentaire, l’artisanat… De plus, l’association de surfaces d’activités et de plateaux de bureaux pour petits et moyens utilisateurs nous semble tout à fait possible. Les immobiliers productifs créés ou réhabilités devraient avoir la capacité de répondre à ce large spectre, et permettre une insertion multiple d’activités et de destinations au sein d’un même bâtiment.

Pour cela, il convient de concevoir des bâtiments réversibles et adaptables facilement avec, par exemple, une structure « hard » primaire, adaptée aux plus grands nombres d’usages, et une structure « soft » secondaire, adaptable, que ce soit pour les verticaux (murs, façades) que les horizontaux (plateaux, mezzanines) qui permettent de moduler les espaces facilement selon les besoins.

 MAB SPL  Un autre enjeu fort au stade de la conception des projets repose sur l’acceptabilité des formes et des usages urbains que génèrent les activités productives en tissu urbain dense. MAB SPL doit donc jouer un rôle de médiatrice auprès des élus afin de s’extraire d’injonctions contradictoires qui conduisent toujours à l’impossibilité de faire.

Notre opération Alouettes Est a en ce sens essuyé les plâtres. Nous sommes souvent confrontés sur ce projet à de nombreuses oppositions : de la part des élus qui appréhendent, par exemple, la logistique au prisme des externalités négatives liées à sa forme urbaine massive et aux flux qu’elle génère ; de la part des habitants qui peuvent avoir des réactions de type NIMBY ; voire des oppositions des entreprises elles-mêmes qui se passeraient volontiers de nos préconisations en termes de mixité programmatique, d’intensification d’usage et de mutualisation en tous genres qu’elles perçoivent comme des contraintes.

L’aménageur se retrouve donc à la croisée des intérêts de tous et doit avant tout faire preuve de pédagogie pour embarquer l’ensemble des parties prenantes.

 Nadia Arab  MAB SPL, la ville productive va-t-elle jusqu’à réinterroger vos pratiques opérationnelles d’aménageuses ?

 MAB SPL  Nous avons obligation d’équilibre entre nos dépenses et nos recettes, dont nous pouvons difficilement nous soustraire, d’autant plus dans un contexte de réduction drastique des capacités d’investissement de nos collectivités actionnaires pour soutenir nos projets. Développer des projets productifs ne génère pas une rentabilité, du moins financière, à court terme, comme cela peut être le cas sur la vente de charges foncières tertiaires ou résidentielles. Malgré la grande hétérogénéité des métiers et entreprises, nous constatons, et ce, depuis des décennies, que les valeurs foncières et immobilières du marché actuel francilien sont majoritairement trop élevées pour l’avènement de la ville productive. C’est évidemment la raison pour laquelle les activités productives sont toujours repoussées en périphérie des espaces urbains. Pour contrer ces effets délétères et ne pas se contenter de projets qui resteraient anecdotiques, nous cherchons à développer à la fois de nouveaux outils et de nouveaux partenariats.

La dissociation du foncier et des murs dédiés à l’activité – ce que l’on appelle le bail réel solidaire de l’activité – est une solution intéressante. Les baux emphytéotiques sont ainsi des outils puissants qui permettent non seulement d’amortir des projets sur des durées plus longues mais aussi, à long terme, de participer à la limitation de la spéculation foncière.

Au regard de la diversité des champs et des acteurs que recoupe la notion de la ville productive, nous pouvons aujourd’hui difficilement « industrialiser » nos modèles économiques en la matière et répliquer le système de cession de charge foncière – prédominante dans les bilans des aménageurs – mais pas toujours adapté à ces champs programmatiques. D’abord, chaque segment économique de projet apporte des contraintes différentes. Il est donc nécessaire de développer des partenariats avec des investisseurs et/ou des acteurs spécifiques que nous sollicitons au cas par cas (foncières solidaires, acteurs parapublics, etc.). Ensuite, nous nous interrogeons sur l’intérêt d’intégrer ces immobiliers dans des foncières existantes, les statuts d’une SPL comme la nôtre ne nous permettant ni d’en créer, ni de les conserver dans notre stock sur la durée d’une opération d’aménagement. Cela conduit évidemment à repenser l’organisation classique de nos métiers avec probablement une place plus notable de la gestion d’actifs immobiliers. Dans le cas d’une foncière, l’entreprise ne peut pas être propriétaire de ses murs et doit accepter d’adopter un statut de locataire ce qui, pour certaines, est rédhibitoire, mais cela fait partie des clés de réussite des opérations.

Nous développons en parallèle des projets de recherche et des expérimentations nécessaires afin d’aligner nos intérêts financiers avec les objectifs de la ville productive, et plus globalement les objectifs de la ville durable que nous avons définis dans notre mission comme « une ville qui s’adapte et préserve les ressources pour revitaliser les modes de vie et l’environnement ». Notre feuille de route de recherche pour l’année 2025 a notamment pour pilier de renforcer notre connaissance non seulement théorique mais aussi appliquée sur les sujets des modèles financiers.

 Nadia Arab  ACLAA, de votre point de vue de concepteurs, quelles réponses faut-il explorer pour une intégration urbaine de la ville productive ?

 ACLAA  Nous le disions auparavant, la ville productive est avant tout une ville d’échanges et d’innovations ; une interface entre les acteurs et les consommateurs, les thinkers et les makers, les matières brutes et les produits finis. Ainsi, au-delà d’une simple juxtaposition des fonctions, nous voyons le concept de ville productive comme un levier pour développer des projets urbains mixtes et généreux. Dans le cas du quartier des Alouettes, le tissu du quartier offre déjà des qualités typomorphologiques avec des lignes de ciel discontinues et accidentées. Il propose également des ambiances diversifiées selon les situations du fait des nombreux contrastes d’échelles et du débordement du paysage privé sur l’espace public. Il en résulte des degrés d’intimité variés, qui qualifient les espaces qui le composent.

La question prépondérante reste celle de l’intégration des flux engendrés par les activités. Sur l’opération Alouettes Est, nous tentons de répondre aux conflits d’usages engendrés par ces derniers de deux manières : en intégrant à l’intérieur des parcelles productives, et si possible à l’intérieur des bâtiments, les espaces nécessaires à la livraison, sur le modèle de la cour productive ; cela nous permet de soulager l’espace public, dans un quartier où la trame urbaine est très contrainte, au profit de la végétalisation ; également, en offrant différentes manières de parcourir le quartier par la juxtaposition d’une trame de sentes et venelles dédiées aux mobilités actives qui se déploient entre les différents programmes. Dans les deux cas, ces espaces ouvrent le champ des possibles quant aux usages qu’ils peuvent accueillir à différentes temporalités du jour ou de la semaine. Prenons l’exemple des cours productives, nous portons une réflexion sur la réversibilité de ces espaces pour offrir aux habitants du quartier des lieux d’usages complémentaires à ceux des espaces publics pendant les weekends, par exemple, lorsque les activités sont fermées : espaces pour pratiquer le vélo, lieu d’événements éphémères, etc.

Enfin, la ville productive permet aussi d’engager une véritable réflexion sur les socles actifs et la manière dont les activités productives peuvent s’ouvrir sur la ville. En alliant, par exemple, espace de production et lieu de vente « en direct » ou espace d’exposition / show-room du savoir-faire. Des programmes hybrides qui s’ouvrent donc sur la ville, animent la rue et permettent d’offrir de la visibilité à des métiers et pratiques parfois méconnus du plus grand nombre.

 Nadia Arab  En sus des contraintes des valeurs foncières et immobilières exposées par l’expérience de MAB SPL, quels autres biais identifiez-vous aujourd’hui dans la conception de la ville productive ? Ne faut-il pas aussi interroger les cadres règlementaires, les pratiques de la planification ou d’autres paramètres encore ?

 ACLAA  En effet, plusieurs autres paramètres entrent en jeu. Le temps long du projet urbain peut être un vrai frein, notamment lorsqu’il est envisagé de reloger des entreprises existantes impactées par l’opération d’aménagement. En effet, les besoins des entreprises sont pragmatiques et s’inscrivent souvent selon des échéances à plus court terme. De plus, les propositions de relogement temporaire en vue d’une réimplantation future sur le site du projet sont souvent rejetées par les entreprises car trop contraignantes.

Par ailleurs, si la ville productive est une formidable opportunité pour inventer de nouvelles typologies urbaines et ainsi diversifier le cadre bâti, on se heurte bien souvent aux réalités de fonctionnement des entreprises et à des contraintes très factuelles. Par exemple, dans le cadre de l’opération Alouettes Est avec MAB SPL, nous travaillons depuis un certain temps à relocaliser sur le site du projet une entreprise florissante du quartier. Nous cherchons à compacter, densifier, optimiser et verticaliser son fonctionnement pour dégager de l’espace au sol, désimperméabiliser et installer un paysage généreux dans un quartier quasiment entièrement imperméable. Cependant, le chef d’entreprise voit de très nombreuses limites à un fonctionnement si optimisé : le stock en hauteur demanderait à former tous ses caristes et à changer complètement son matériel de manutention ; la cour productive partagée avec d’autres entreprises représente un risque de conflit d’usage, l’empêchant de respecter ses obligations de délais ; la mixité programmatique risque de nuire à son fonctionnement, etc. Et très vite, le modèle de l’entrepôt placé au milieu de sa parcelle avec des parkings et des zones de stockage autour s’impose pour lui comme un idéal.

Si les concepteurs, les élus, les aménageurs doivent changer de regard sur les activités productives, les acteurs du monde économique doivent eux aussi engager un pas dans ce sens pour se projeter et s’adapter à des milieux plus denses et plus mixtes.

 MAB SPL  De la même façon, les outils que nous souhaitons développer, notamment les emphytéoses ou les baux locatifs, sont parfois incompatibles avec les logiques patrimoniales de certaines entreprises. Ici, comme pour le logement, c’est une révolution à la fois culturelle mais aussi des valeurs qu’il faut opérer. Malheureusement, les logiques inhérentes à un marché immobilier non régulé amènent toujours les investisseurs à prendre la tangente. Nous observons actuellement une bulle immobilière sur l’offre logistique qui ne va pas dans le bon sens, avec des valeurs locatives pouvant monter jusqu’à 180 €/m²/an, là où les loyers soutenables pour des activités productives se situent plutôt de 100 à 120 €/m²/an.

Aussi, le cadre réglementaire est un levier très important, notamment lorsqu’il s’agit de contraindre la valorisation résidentielle de certains secteurs denses au profit du maintien des activités productives, mais il a ses limites. En effet, parfois la valorisation est le moteur d’une requalification de l’outil industriel, parfois d’un arrêt anticipé de l’activité ou d’une absence de transmission de l’entreprise au profit de bénéfices immobiliers plus rémunérateurs. La mise en œuvre de périmètres d’opération d’aménagement permet à notre sens de dépasser les biais réglementaires et de laisser la place à des logiques pragmatiques. Dans certains cas, il peut être nécessaire d’assumer des péréquations entre valorisation résidentielle, d’un côté, et optimisation productive, de l’autre.

Le sujet de la mutualisation, depuis les places de parkings jusqu’aux cours de livraisons en passant par une partie des services communs, nécessite également un effort de pédagogie auprès des entrepreneurs pour qui cela implique des modifications profondes dans leur manière de travailler. Il faut systématiquement trouver des compromis. Et cet effort vaut autant pour les entreprises en place que pour les nouvelles venues.

 ACLAA  Les outils réglementaires et de planification entrent également en compte. Il ne s’agit certainement pas de retomber dans les travers du zoning, qui a conduit à la dissociation des fonctions productives du reste de la ville. Cependant, il est intéressant de questionner la retranscription dans les documents d’urbanisme locaux des grandes orientations de la planification, par exemple du SDRIF dans le cas de la région Île-de-France. Le secteur Alouettes Est apparaît dans ce document comme « un secteur à fort potentiel de densification » du fait de sa proximité au pôle de transport Val de Fontenay. Mais c’est justement ce potentiel qui conduit à l’importante pression foncière que subit aujourd’hui le quartier et qui met à mal la viabilité des – environ – 130 entreprises déjà présentes ici. De fait, les documents d’urbanisme locaux devraient être plus restrictifs sur la mixité programmatique, en imposant une part de locaux dédiés à l’activité productive dans les zones urbaines générales. Au même titre que chaque ville doit produire un minimum de logements sociaux, chaque territoire pourrait intégrer un minimum d’activités productives. Comme nous l’avons vu précédemment, les quartiers productifs peuvent eux aussi répondre au besoin de densification de la région Île-de-France en prenant garde aux biais précités. Il y a tout de même une absence de gouvernance claire à l’échelle francilienne sur la planification propre à la ville productive.

 Nadia Arab  Vos témoignages apportent un éclairage tout à fait important et invitent à prolonger plus amplement les apprentissages de vos expériences respectives. Mais puisqu’il faut bien clore cet entretien, quelles pistes identifiez-vous, en guise de conclusion intermédiaire, pour dépasser ces biais et ces freins ?

 MAB SPL  Le maintien et le redéveloppement de la ville productive en zone dense conduisent les aménageurs à devoir mixer différents modèles économiques et à développer des approches agiles et résolument pragmatiques pour répondre aux spécificités de chaque situation. Il est par ailleurs essentiel de développer de nouvelles boîtes à outils :
• outils de planification qui dépassent le cadre d’un quartier et qui répondent à des enjeux métropolitains ou régionaux, notamment en matière de logistique urbaine, d’activités productives et même artisanales ;
• outils réglementaires adaptés à la mixité programmatique de la ville productive et aux questions de transition en général. Aujourd’hui, ceux-ci laissent peu de place à des normes qualitatives, hormis la notion de coefficient de biotope ;
• outils fonciers : constituer une réserve de locaux d’activités pour faciliter des opérations tiroirs. La péréquation à l’échelle globale d’une opération, ainsi que l’utilisation d’outils fonciers spécifiques (baux emphytéotiques, dation, baux réels solidaires, etc.) sont nécessaires pour équilibrer les coûts et les bénéfices entre les différentes parties prenantes ;
• outils d’acculturation des acteurs, en renforçant la place du concepteur, cruciale pour dépasser les contraintes techniques et fonctionnelles, pour expérimenter, pour mettre en avant les enjeux carbone portés par l’aménagement, et promouvoir un développement urbain durable et résilient.

Enfin, dans les opérations d’aménagement intervenant sur des fonciers déjà productifs, rappeler qu’il faut mettre en place un accompagnement au cas par cas avec chaque entreprise, chaque activité. Il s’agit de connaître finement les besoins et le fonctionnement de chaque outil productif pour réussir à l’intégrer dans un immobilier plus intégré et plus respectueux de l’environnement qui permette d’activer l’espace urbain dense au même titre que d’autres programmes.