frontispice

Production du foncier industriel
et planification urbaine
à l’épreuve de la biodiversité
Le cas du PLU de la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer

Nadia Arab
EUP-Lab’Urba, université Paris-Est-Créteil

Timon Paul
Univ Paris Est Créteil, Lab’Urba, F-94010 Créteil

frontispice

Production du foncier industriel
et planification urbaine
à l’épreuve de la biodiversité
Le cas du PLU de la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer

• Sommaire du no 16•17

Nadia Arab EUP-Lab’Urba, université Paris-Est-Créteil Timon Paul Univ Paris Est Créteil, Lab’Urba, F-94010 Créteil

Production du foncier industriel et planification urbaine à l’épreuve de la biodiversité : le cas du PLU de la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer, Riurba no 16•17, juillet 2024.
URL : https://www.riurba.review/article/16-productive/foncier-industriel/
Article publié le 5 juil. 2025

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Nadia Arab, Timon Paul
Article publié le 5 juil. 2025
  • Abstract
  • Résumé

Industrial land production and urban planning put to the test of biodiversity. The case of the PLU for the Fos-sur-Mer industrial-port zone

Urban planning is challenged by a dual injunction: that of reindustrialization, which calls for the production of industrial land, and that of biodiversity protection, introduced by law. This article examines how the latter constructs a new framework for the conditions under which an industrial project can be set up, and how regulatory planning regulates this competition for land use. An analysis of the PLU of Fos-sur-Mer, where competition between biodiversity and industrial projects is fierce, underlines the exclusive nature of these two issues and shows that the multi-level and multi-instrument biodiversity integration in planning does not automatically rhyme with regulation of this spatial competition.

La planification urbaine est interrogée par une double injonction : celle de la réindustrialisation qui appelle la production d’un foncier industriel et celle de la protection de la biodiversité introduite par le droit. Cet article examine comment celle-ci construit un nouveau cadre pour les conditions d’implantation d’un projet industriel, et comment la planification règlementaire régule cette concurrence dans l’usage des sols. L’analyse du PLU de Fos-sur-Mer, où la concurrence entre biodiversité et projet industriel est très vive, souligne le caractère exclusif de ces deux enjeux, et montre que l’intégration multiniveau et multi-instrument de la biodiversité dans la planification ne rime pas mécaniquement avec régulation de cette concurrence spatiale.

Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
post->ID de l’article : 5587 • Résumé en_US : 5605 • Résumé fr_FR : 5603 • Sous-titre[0] : L

Introduction

La réindustrialisation, nouveau mot d’ordre de la compétitivité et de l’indépendance économique, fait l’objet d’une politique nationale de relocalisation et d’implantation d’entreprises industrielles. Elle se traduit par plusieurs programmes d’État mis en place pour organiser la production accélérée d’un foncier industriel : « Territoires d’industrie » en 2018 et sa déclinaison dans le dispositif « foncier clé en main » en 2020 ; « France 2030 » pour la production de 50 sites industriels (2023) ou encore mise en place d’une « Stratégie nationale de mobilisation pour le foncier industriel » (2023) (Paul, 2023[1]Paul T. (2023). « La planification du foncier industriel à l’heure écologique. Le cas de la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer », mémoire de master 2, école d’urbanisme de Paris, 95 p.). Cette préoccupation se manifeste à l’échelle locale dans la notion de ville ou métropole productive, qui exprime une attention nouvelle aux activités manufacturières (Arab, 2019[2]Arab N. (2019). « Faire une place à l’économie productive en centre urbain dense métropolitain », dans Crague G (dir.), Faire la ville avec l’industrie, Paris, Presses des Ponts, p. 121-154. ; Liefooghe, 2023[3]Liefooghe C. (2023). Lille, Bruxelles, villes productives. Expériences croisées. Qu’entendent les acteurs institutionnels par « activités productives » ? Atelier 1, PUCA, 52 p.).

Mais les acteurs publics héritent de la stratégie d’éviction des activités industrielles qui a prévalu depuis les années 1970. Le foncier industriel y a été délaissé au profit des fonciers tertiaires et résidentiels, privilégiés dans les instruments de planification autant que dans les projets d’urbanisme, en raison de leur plus forte rentabilité foncière et de leur meilleure adéquation au modèle de métropole tertiaire qui a dominé les 50 dernières années (Gillio, 2017[4]Gillio N. (2017). « Le foncier, une ressource territoriale pour le développement économique », thèse de doctorat en Géographie, Université Grenoble-Alpes, 324 p. ; Arab, 2019[5]Op. cit. ; Thomas, 2021[6]Thomas L. (2021). « Le foncier d’activités économiques, variable d’ajustement des modèles de développement local ? Une application à la région Provence Alpes, Côte d’Azur », thèse en Géographie, Université d’Avignon, 239 p. ; Arab et al., 2023[7]Arab N, Crague G, Miot Y. (2023). Vers un nouvel agir métropolitain, Paris, Presses des Ponts, 159 p.). La capacité à produire du foncier industriel interroge donc les instruments d’action publique et notamment ceux de la planification urbaine. Instrument d’orientation, de spatialisation et de normalisation du développement des territoires, la planification urbaine recouvre cinq dimensions principales : connaissance des milieux urbains ; institution des marchés fonciers ; prospective et structuration territoriale sur le long terme ; spatialisation des choix et des règles de développement ; coordination des acteurs (Scherrer, 2008[8]Scherrer F. (2008). La planification spatiale entre stratégie territoriale et politiques urbaines : quelles évolutions pour la planification urbaine en Europe ? rapport final, UMR 5600, CNRS Environnement, ville, société, 141 p. ; Dugua, 2015[9]Dugua B. (2015). « Entre mise en œuvre et mise à l’épreuve de la planification territoriale : dynamique des lieux de projets dans l’inter-Scot de l’aire métropolitaine lyonnaise », thèse de doctorat en aménagement, Université Grenoble-Alpes, 858 p. ; Desjardins, 2020[10]Desjardins X. (2020). Planification urbaine : la ville en devenir, Paris, Armand Colin, 234 p.). On trouve là les trois formes d’expressions de la régulation : guider (projeter, anticiper, orienter) ; réglementer (produire des règles et des procédures) ; coordonner. La planification urbaine a aussi pour fonction d’assurer les cohérences sectorielles (Scherrer, 2008[11]Op. cit.). Cela s’observe notamment dans la planification du foncier industriel. « Où installer une usine ? » est en effet un problème ancien pour les pouvoirs publics, en particulier quand la production du foncier industriel est indissociable d’une tension environnementale (Daumalin, 2006[12]Daumalin X. (2006). « Industrie et environnement en Provence sous l’Empire et la Restauration », Rives nord méditerranéennes, n° 23, p. 27-46. ; Fressoz, 2012[13]Fressoz JB. (2012). L’apocalypse joyeuse : une histoire du risque technologique, Paris, Le Seuil, 320 p.). Cette tension a d’abord été construite autour des enjeux de « sûreté publique » (Lascoume, 2022[14]Lascoumes P. (2022). Action publique et environnement, Paris, Presses Universitaires de France, 127 p.) quand, dès le début du XIXe siècle, les nuisances industrielles (pollutions, aléas industriels) ont été traitées comme un problème public qui a amené l’État à réguler la localisation de ces établissements en se fondant sur un principe d’éloignement du risque. La planification en a été un instrument important par la réglementation de l’usage des sols via l’exurbanisation des activités industrielles (Bruyelles et Dezert, 1983[15]Bruyelles P, Dezert B. (1983). « Les relations entre la ville et l’industrie : formes anciennes et formes nouvelles », Hommes et Terres du Nord, n° 1, p. 7-12.) ou par l’invention des plans de prévention des risques technologiques annexés aux plans locaux d’urbanisme (Bonnaud et Martinais, 2005[16]Bonnaud L, Martinais E. (2005). « Des usines à la campagne aux villes industrielles. La cohabitation ville/industrie saisie à travers l’histoire du droit des établissements classés », Développement durable et territoires, dossier n° 4, 17 p.). Mais une nouvelle tension entre foncier industriel et environnement s’ouvre sous l’effet des évolutions législatives en faveur de la lutte contre le changement climatique et de la préservation de la biodiversité. Elles se répercutent sur les documents de planification urbaine par des objectifs de sobriété foncière et par des obligations de prise en compte de la biodiversité (Consales, 2020[17]Consales J. (2020). « Vers une planification écologique », dans Clergeau P (dir.), Urbanisme et biodiversité, Rennes, Apogée, p. 178-185.).

Plusieurs travaux dans la lignée des sciences du vivant et de l’environnement, des sciences de l’écologie, de la biogéographie et du droit se sont intéressés à l’intégration de la biodiversité par la planification. Ils interrogent la façon dont elle se préoccupe des enjeux de biodiversité, intervient pour lutter contre la fragmentation des milieux ou pour recréer des continuités écologiques (Amsallem et Dehouck, 2018[18] Amsallem J, Dehouck H. (2018). « Comment préciser les continuités écologiques à l’échelle locale parcellaire ? », Sciences Eaux & Territoires, n° 25, p. 32-33. ; Linglart et al., 2016[19] Linglart M, Morin S, Paris M, Clergeau P. (2016). « Méthodologie de mise en place d’une trame verte urbaine : le cas d’une communauté d’agglomération, Plaine Commune », Cybergeo: European Journal of Geography, doc. 785, 24 p.). La stratégie nationale de mobilisation pour le foncier industriel (Mouchel-Blaisot, 2023[20]Mouchel-Blaisot R. (2023). Stratégie nationale de mobilisation pour le foncier industriel, rapport administratif interministériel, 144 p.) reconnaît qu’il faut conjuguer avec ces enjeux environnementaux, mais considère que cela peut s’opérer en toute complémentarité. Difficile pourtant de se contenter de cette affirmation de principe quand on sait la difficile rencontre des projets industriels avec les enjeux de biodiversité (Kromarek, 2019[21]Kromarek P. (2019). « Le monde industriel face au contentieux environnemental », Revue juridique de l’environnement, hors-série n° 19, p. 107-124. ).

Le renouvellement de la planification urbaine est ainsi interrogé par une double injonction encore peu étudiée : celle de la réindustrialisation comme pilier de la souveraineté nationale et celle de l’écologisation de l’action publique comme impératif environnemental et climatique. Cet article s’inscrit dans cette perspective en explorant cette question non sous l’angle plus commun du verdissement de l’industrie, mais en se demandant si la préservation de la biodiversité construit un nouveau cadre pour la planification du foncier industriel et comment elle contribue à réguler les conditions d’implantation des projets industriels.

Cette question est étudiée dans le cas de la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer, emblématique d’un site soumis à une forte pression industrielle en même temps que reconnu comme secteur à enjeux écologiques. Son développement a récemment été encadré par un nouveau plan local d’urbanisme (PLU) dont le règlement sera au cœur de l’analyse.

En premier lieu, l’article revient sur la préservation de la biodiversité comme nouveau cadre législatif pour la planification urbaine et la régulation de l’usage des sols. Un deuxième temps précise le cadrage méthodologique de l’étude de cas. Puis nous examinons le PLU de Fos-sur-Mer en trois séquences : il s’agira de mettre en évidence l’écologisation effective dans les nouveaux règlements ; d’identifier la trajectoire locale de cette évolution ; et enfin d’interroger la planification règlementaire comme instrument de régulation de la coexistence entre biodiversité et foncier industriel.

La planification urbaine, un instrument d’action publique
renouvelé par les enjeux de biodiversité

Les plans sont des instruments d’action publique (Lascoumes et Le Galès, 2004[22]Lascoumes P, Le Galès P. (2004). Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 370 p.) qui véhiculent une représentation du problème public qu’ils instrumentent, produisent des normes, des règles et des procédures et, ce faisant, contribuent à contraindre et coordonner les comportements des destinataires qui peuvent parfois en être des coélaborateurs. Ils rendent compte du sens donné à cette action, et sont de bons révélateurs des changements des politiques publiques par l’analyse de la transformation de leurs cadres normatifs (règles, procédures) et cognitifs (représentations, valeurs, croyances, savoirs). Ainsi, lorsqu’en 1967, la Loi d’orientation foncière fixait le cadre de l’urbanisme et de l’aménagement avec la création d’outils de planification, son objectif était de doter la puissance publique d’instruments pour conduire la politique de reconstruction industrielle, de modernisation et d’aménagement du territoire, et pour organiser spatialement la croissance. Depuis, plusieurs critiques se sont élevées : méthode descendante ; fonctionnalisme des zonages ; inefficacité opératoire et incapacité à s’adapter aux incertitudes ; décalage entre les « bonnes intentions » et la réalité des territoires (Gualini et Salet, 2007[23]Salet W, Gualini E (2007). Framing Strategic Urban Projects: Learning from current experiences in European urban regions, Londres, Routledge, 307 p. ; Maulat, 2020[24]Maulat J. (2020). « Planification : de la planning theory aux pratiques de l’urbanisme », dans Bognon S, Magnan M, Maulat J (dir.), Urbanisme et aménagement : théories et débats, Paris, Armand Colin, p. 147-164. ; Demazière et Desjardins, 2016[25]Demazière C, Desjardins X. (2016). « La planification territoriale stratégique : une illusion nécessaire ?Revue Internationale d’Urbanisme, n° 2.). Un registre de critique plus récent pointe le rôle de la planification urbaine dans la production du foncier urbanisable au détriment des enjeux environnementaux, d’adaptation des territoires au changement climatique et de protection écologique. Est mise en cause la permissivité des instruments de planification du point de vue de l’étalement urbain, de la construction en zone de risque, ou encore des impacts écologiques de l’aménagement. En réponse, le droit a connu des évolutions importantes qui transforment le cadre normatif de fabrication des plans, d’abord avec les années 2000 et l’affirmation des objectifs du développement durable, puis avec les années 2010 et la « grenellisation » des instruments de l’urbanisme, et enfin avec les années 2020 et un nouveau corpus de lois sur les énergies renouvelables, le climat et le vivant. Cette évolution a modifié les objectifs de la fabrique des instruments de planification qui deviendraient ainsi « les principaux vecteurs d’action en faveur de l’écologie territoriale et urbaine » (Consales, 2020, p. 179[26]Op. cit.). Il ne s’agit plus exclusivement de produire des zones à urbaniser et de déterminer les principes généraux de construction pour gérer la croissance urbaine et économique, mais de limiter l’étalement urbain, de protéger les terres agricoles, de réduire les impacts des aléas technologiques, de favoriser le déplacement des espèces par la protection des biotopes (sols, rivières, zones humides, forêts, etc.), ou encore de favoriser la « nature en ville ».

Cette évolution est souvent qualifiée « d’écologisation » de l’urbanisme et de ses outils. Une première approche, extensive, englobe l’ensemble des lois, dispositifs, outils, règles, normes en faveur des questions environnementales, climatiques, et touchant aux milieux et au vivant (Bognon et Thebault, 2020[27]Bognon S, Thébault E. (2020). « Écologisation : processus et éthique en réponse aux crises globales », dans Bognon S, Magnan M, Maulat J, Urbanisme et aménagement : théories et débats, Paris, Armand Colin, p. 41-61.). Une seconde approche, plus restrictive, reste plus près de l’écologie scientifique et questionne avant tout les enjeux relatifs aux caractéristiques physiques, chimiques et biologiques des espèces et de leurs habitats à travers le concept holistique de biodiversité (Lévêque, 1994[28]Lévêque C. (1994). « Le concept de biodiversité : de nouveaux regards sur la nature », Nature, Sciences, Sociétés, n° 2(3), p. 243-254.). La référence à la biodiversité s’est généralisée depuis 1992 et le Sommet de la Terre à Rio. Depuis 2016, en France, la Loi « reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » a fixé sa définition juridique : « On entend par biodiversité, ou diversité biologique, la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques, ainsi que les complexes écologiques dont ils font partie. Elle comprend la diversité des espèces et entre espèces, la diversité des écosystèmes ainsi que les interactions entre les organismes vivants » (article L.110-1, Code de l’environnement). Elle s’impose au cadre légal des instruments de planification urbaine et dans les processus d’aménagement opérationnel pour limiter les impacts des activités anthropiques sur l’érosion du vivant. Reste à explorer comment les instruments de planification peuvent jouer simultanément de la préservation de la biodiversité et de la densification industrielle.

Cadrage méthodologique

Étudier le contenu des plans réglementaires

Les documents de planification urbaine sont de plusieurs ordres. Ils peuvent être de nature intersectorielle, comme le schéma régional d’aménagement de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), ou sectorielle, comme le programme local de l’habitat (PLH) ou le plan de mobilité (PLM). Ils entretiennent entre eux une relation juridique de compatibilité au sens de la hiérarchie des normes propre au droit de l’urbanisme. En France, deux grands types de plans sont communément distingués : les plans stratégiques et les plans réglementaires. La planification stratégique exprime un projet de territoire à l’échelle d’une ville, d’une région urbaine, voire d’une plus grande échelle à moyen et long terme, en spatialise les grandes orientations et les priorités d’investissement (Motte, 2006[29]Motte A. (2006). « La notion de planification stratégique spatialisée (Strategic Spatial Planning) en Europe (1995-2005) », Recherche, n° 159, PUCA, 90 p.). Les schémas de cohérence territoriale (SCOT) portés par une ou plusieurs organisations intercommunales (EPCI, syndicat…) et les SRADDET portés par la région en constituent des pièces clés. À cette échelle de temps et d’espace, le zonage des destinations de l’usage du sol n’est pas directement opposable aux parcelles, à contrario de la planification réglementaire de l’usage du sol qui recouvre la « fonction traditionnelle formelle et normative de la production d’un document opposable dictant la destination générale et spécifique du sol sous la forme d’un pavage exhaustif assorti d’un règlement » (Scherrer, 2008, p. 23[30]Op.cit.). Les PLU (communaux) et les PLU intercommunaux (PLUi) en sont emblématiques, définissant des zonages pour la destination des sols, spatialisant les choix de fonctionnalités privilégiés, et déterminant les règles d’implantation et de construction supposées traduire les objectifs stratégiques. Ils sont d’ailleurs soumis à un principe de compatibilité avec les documents supérieurs, SRADDET et SCOT, mais, conçus pour être au plus près de l’action opérationnelle, ils sont opposables aux tiers à la parcelle, ils encadrent la délivrance des permis de construire et jouent un rôle majeur dans la régulation des marchés fonciers. Si la région est chef de file dans le champ du développement économique et dans celui de la préservation de la biodiversité, si le SCOT est un instrument conçu pour être à l’articulation du SRADDET et du PLU, ce dernier exprime donc la traduction réglementaire et opérationnelle des choix politiques d’orientations stratégiques de développement et d’organisation des territoires. Cela en fait un lieu d’observation privilégié pour examiner comment la planification règle la relation industrie-biodiversité quand elle est au plus proche de la production effective du foncier productif.

Étude du PLU d’un site à forts enjeux
industriels et de biodiversité : le cas de la zone
industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer

La zone industrialo-portuaire (ZIP) de Fos couvre un site de 10 000 hectares, l’équivalent de Paris intramuros, acquis dans les années 1960 par l’État pour y développer ce complexe industriel. Elle présente un double intérêt méthodologique. Le premier tient dans les caractéristiques du site qui concentre des enjeux de développement industriel et de biodiversité. D’un côté, la ZIP de Fos est un cluster industriel et portuaire à forts enjeux économiques et sociaux. D’envergure internationale, elle accueille 400 entreprises, notamment dans le secteur de la sidérurgie, de la chimie et dans le raffinage du pétrole, soit un secteur industriel agressif pour l’environnement. À l’échelle du site, ces entreprises génèrent environ 10 000 emplois directs et, à l’échelle du département, de l’ordre de 40 000, qui sont estimés en lien avec les activités industrialo-portuaires. Depuis la décennie 2010, la ZIP connaît une dynamique renouvelée autour de la transition énergétique et de la politique nationale de réindustrialisation. D’un autre côté, située à l’embouchure du Rhône, à 50 km à l’ouest de Marseille, la ZIP est à l’intersection des milieux camarguais (humides), de la Crau (sèche et humide), du Rhône et de la mer, un « carrefour biogéographique » à haute sensibilité écologique qui accueille une grande diversité d’habitats et d’espèces ayant fait l’objet de plusieurs inventaires faunistiques et floristiques. Plus de 300 espèces animales vertébrées et 400 espèces végétales ont été répertoriées par les études naturalistes (Bocognano, 2016[31]Bocognano J. (2016). « Présentation des actions du GPMM dans le cadre des mesures compensatoires de la biodiversité », dans Mercier V, Brunengo-Basso S (dir.), Compensation écologique : de l’expérience d’ITER à la recherche d’un modèle, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, p. 67-70.), parmi lesquelles des espèces protégées au niveau européen, national et régional. Les projets de densification industrielle côtoient ainsi des objectifs formalisés de préservation écologique. C’est la situation que doit réguler le PLU. C’est là le deuxième intérêt méthodologique du cas, puisque ce site a fait l’objet d’une récente activité de planification avec l’élaboration du PLU de Fos, qui succède au plan d’occupation des sols qui valait depuis 1979. Lancé en 2014 et approuvé en 2019, le PLU a donc été élaboré dans un contexte où l’intégration de la conservation de la biodiversité s’est imposée aux acteurs publics. Cette double caractéristique du site fait l’intérêt de l’étude du PLU de Fos[32]Une partie de la ZIP se trouve sur la commune voisine de Port-Saint-Louis-du-Rhône, mais la très grande majorité des espaces ciblés par l’aménagement industriel concerne le PLU de Fos-sur-Mer..

Comme usuellement, ce PLU est le résultat d’un collectif d’acteurs. Lancée par la commune qui, en 2014, en avait encore la compétence institutionnelle, son élaboration a ensuite été pilotée en coopération avec la métropole Aix-Marseille-Provence (métropole AMP), créée en 2016 et devenue compétente en matière d’urbanisme en 2018. Parmi les autres acteurs impliqués, l’État, la région et le Grand port maritime de Marseille-Fos (GPMM). L’État intervient en tant que garant du contrôle de légalité ; le GPMM et la région en tant que personnes publiques associées. Le GPMM est le développeur de la ZIP, gestionnaire de la réserve foncière publique, tandis que la région est chef de file des orientations stratégiques en matière de développement économique et de biodiversité. La commune, la métropole, l’État, la région et le GPMM ont en commun de poursuivre, sur ce secteur, des intérêts industriels affirmés et sont tous, dans le même temps, obligés par les évolutions législatives en faveur de la biodiversité. Pour être collaboratif (Douay, 2013[33]Douay N. (2013). « La planification urbaine française : théories, normes juridiques et défis pour la pratique », L’Information géographique, n° 77, p. 45-70.) et remplir une fonction de gouvernance urbaine (Scherrer, 2008[34]Op. cit.), l’exercice planificateur n’en demeure pas moins l’objet de conflits d’intérêts et de rapports de pouvoir (Dormois, 2006[35]Dormois R. (2006). « Structurer une capacité politique à l’échelle urbaine. Les dynamiques de planification à Nantes et à Rennes (1977-2001) », Revue française de science politique, vol. 56, n° 5, p. 837-867.). Ces analyses se vérifient ici (Paul, 2023[36]Op. cit.). Toutefois, il ne s’agira pas d’analyser les processus de négociation et de décision qui conduisent aux arbitrages retenus. Si notre intérêt porte sur ces arbitrages, l’objectif n’est pas d’éclairer un contenu réglementaire par les jeux d’acteurs qui l’ont produit mais d’analyser un contenu réglementaire pour la façon dont il prend concrètement en considération la préservation des secteurs sensibles au plan environnemental, dont il conjugue biodiversité et production d’un foncier industriel et, in fine, pour la façon dont il construit le cadre des décisions d’implantations industrielles à venir compte-tenu des enjeux écologiques.

Un corpus documentaire
comme matériau empirique

Ce parti pris a pour conséquence de cibler le matériau empirique sur la constitution d’un corpus documentaire composé du PLU, rassemblant les documents qui ont jalonné son élaboration et ceux auxquels ils se réfèrent eux-mêmes. Une importante base de données a ainsi été constituée. On y retrouve des comptes-rendus de réunion, des documents d’études mobilisés au cours du processus ou spécifiquement produits par le processus, ainsi que le PLU approuvé lui-même, constitué 1) du rapport de présentation qui définit les choix retenus et les incidences identifiées sur l’environnement ; 2) du projet d’aménagement et de développement durable (PADD) qui énonce les principales orientations politiques retenues ; 3) de la combinaison de l’outil zonage avec l’outil règlement opposable aux tiers ; 4) des orientations d’aménagement et de programmation (OAP) qui visent à influencer les programmes d’aménagement opérationnels. En complément, ont été examinés le POS antérieur ainsi que des documents de planification qui précèdent le PLU et avec lesquels celui-ci entretient un rapport de compatibilité et, tout particulièrement, la directive territoriale d’aménagement de l’État (DTA, 2007), le schéma régional de cohérence écologique (SRCE, 2014), le SCOT (2015) et le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE, 2016). L’examen du PLU attire enfin l’attention sur des zonages préalablement arrêtés pour leurs qualités écologiques, comme la réserve naturelle de la Crau (2001), le réseau Natura 2000 (2005), les zones naturelles d’intérêt faunistique et floristique (une ZNIEFF 1 de 1982, mise à jour en 2018, ainsi qu’une ZNIEFF 2 de 2018) issues des campagnes d’inventaire national.

L’étude de ces documents et zonages renseigne de façon fiable les ressources et référentiels mobilisés, les représentations et données utilisées, mais aussi l’évolution des arbitrages entre les documents dits stratégiques et/ou supérieurs (SCOT, SRCE…) et le PLU. Elle permet d’analyser les arbitrages fonciers et l’évolution de ces arbitrages, quand ils sont arrêtés avec les orientations stratégiques et quand ils sont établis au plus proche des règles d’urbanisation qui fixeront les conditions d’implantation des projets industriels.

Planifier le foncier industriel de la ZIP de Fos-sur-Mer :
entre intégration et relativisation de la contrainte environnementale

L’étude du corpus documentaire part d’une comparaison entre le POS approuvé en 1979 et le PLU approuvé en 2019. Cette comparaison met en évidence le caractère effectif et nouveau d’une prise en compte de la conservation de la biodiversité dans la planification réglementaire locale. Il s’agira de décrire comment le PLU intègre cet enjeu de préservation sur le périmètre de la ZIP, et comment cela est traduit dans les règles d’urbanisation et donc de production du foncier industriel. Le zonage ainsi identifié est ensuite analysé en deux temps. D’abord, en examinant ce qui est objet de préservation. On verra que si cette préservation se comprend au prisme d’une trajectoire multiniveaux et multi-instruments de planification, celle-ci laisse en revanche de côté la question de la régulation de la tension entre foncier industriel et biodiversité. Ensuite, l’examen du règlement du PLU conduira à relativiser la force contraignante de l’intégration de la préservation de la biodiversité.

Du POS au PLU : reconnaissance et zonage
de l’enjeu de biodiversité

La comparaison entre le POS et le PLU attire l’attention sur deux différences. La première concerne les enjeux associés à l’élaboration des règlements. Alors que la référence aux enjeux environnementaux est absente dans le POS, la préservation écologique est au contraire explicitement énoncée comme une dimension que doit poursuivre le PLU. Plus précisément, c’est bien l’objectif de trouver, au sein de la ZIP, un « équilibre » entre le développement industriel et les enjeux écologiques qui est posé. Le PADD, qui définit les objectifs stratégiques du PLU et que le règlement doit ensuite traduire, en exprime les termes. Il établit qu’il s’agit de permettre « le renforcement de la densification industrielle dans les espaces dédiés », tout en rappelant la dimension écologique du périmètre : « Face à la présence, au sein du périmètre de la ZIP, de plusieurs sites d’importance majeure pour la préservation de la biodiversité, aujourd’hui connus, (…) il convient de préserver leurs caractéristiques actuelles, naturelles, et donc d’affirmer ces espaces en tant que tels avec le PLU » (PADD, p. 27).

Plus précisément, on constate que les enjeux de biodiversité font l’objet d’une spatialisation fine au travers de l’outil des trames écologiques, dites aussi trames vertes et bleues (TVB). L’outil TVB n’est pas propre au PLU de Fos. Il a émergé dans les années 1990 comme instrument d’une approche de la biodiversité selon laquelle la protection des espèces et celle de leurs milieux et habitats naturels devait être envisagée de façon dynamique en considérant les flux et les circulations des espèces (Clauzel, 2022[37]Clauzel C. (2022). « Les réseaux écologiques, une stratégie pour concilier fonctionnalités écologiques et aménagement du territoire », Géoconfluences, juin, 6 p.). Très concrètement, il ne s’agit plus de protéger seulement les grands espaces de nature selon une logique fonctionnaliste (parcs nationaux et régionaux), mais de descendre finement, à l’échelle parcellaire, dans l’identification des trames écologiques constituées de « réservoirs de biodiversité » et de « corridors ». Ces trames écologiques participent du système de planification urbaine depuis 2010. En posant la question de la biodiversité à l’échelle parcellaire, elles contraignent la mobilisation du foncier au titre du développement et induisent un tournant important pour l’aménagement (Bonnin, 2006[38]Bonnin M. (2006). « Les corridors, vecteurs d’un aménagement durable de l’espace favorable à la protection des espèces », Natures Sciences Sociétés, n° 14, p. 67-69.). Elles sont au cœur de l’appréhension de la biodiversité dans le PLU.

La deuxième différence est précisément une conséquence de la prise en compte de ces trames écologiques. Elle se traduit par une autre évolution importante entre le POS et le PLU. Cette différence est soulignée par la comparaison des cartographies qui spatialisent les règlements. Elle met en évidence un redécoupage du site. Le POS de Fos construisait un cadre favorable au développement industriel sur la totalité des propriétés du GPMM, en phase avec le schéma d’aménagement de l’aire métropolitaine de 1969, qui inscrivait des objectifs de développement industriel volontaristes dans le golfe de Fos. Mais, alors que le POS affirmait ainsi une seule zone et un seul règlement dédié aux activités économiques au sein de la ZIP, le PLU refonde les conditions d’implantation des projets industriels en réorganisant la ZIP en trois zonages.

Figure 1. Le zonage à vocation industrielle exclusive portant sur la ZIP dans le POS de Fos (réalisation : Paul, 2024).

On retrouve ici l’importance du zonage, outil privilégié de la spatialisation de l’action publique, acte de découpage et de qualification de l’espace dans une finalité de gestion administrative selon des « processus d’identification, de nomination, de définition des qualités et valeurs d’ensemble spatiaux […]. L’espace ainsi qualifié est affecté à une fonction, à un usage, intégré dans une vision du monde fondant une politique publique ; il est le plus souvent doté d’une réglementation particulière » (Melé, 2008, p. 16[39]Mélé P. (2008). « Introduction : territoires d’action et qualifications de l’espace », dans Melé P, Larrue C (dir.), Territoires d’action Aménagement, urbanisme, espace, Paris, L’Harmattan, 272 p.). En découpant la ZIP en trois zonages distincts, le PLU attribue ainsi des valeurs différentes à des espaces qui étaient auparavant indifférenciés par le POS. On distingue ainsi un espace apprécié d’abord pour sa valeur industrielle, un autre espace reconnu pour sa valeur écologique, et un espace que l’on peut qualifier de zone dont la valeur reste intentionnellement indéterminée :

– le zonage le plus important conserve un espace à valeur exclusive économique. Il couvre un périmètre de l’ordre de 4 500 ha, dont environ 1 100 ha ne sont pas encore occupés par l’industrie. Même si le PLU énumère la biodiversité de cet espace, caractéristique des zones humides et donc à forte valeur écologique en remplissant des fonctions de régulation hydrologique et de protection de la qualité des eaux, il s’y réfère comme étant des « dents creuses » et défend qu’une urbanisation n’aurait qu’un impact modéré (rapport de présentation, tome B, p. 464). En compatibilité avec le SRCE et le SCOT, qui n’ont pas retenu ces parcelles au titre des trames écologiques, le PLU opère ici une relativisation de la contrainte environnementale. L’analyse de leur localisation montre qu’il s’agit là des parcelles qui, à l’échelle de la ZIP, sont localisées au plus près du cœur industrialo-portuaire en activité.

– le zonage qui arbitre en faveur de la préservation écologique couvre 1 300 ha, dont le GPMM est propriétaire. Il s’agit de parcelles qui, avec le POS, étaient urbanisables par l’industrie jusqu’en 2019 et qui ne le sont donc plus. Le PLU parle « d’espaces rendus à la nature » (rapport de présentation, tome A, p. 147). Ces parcelles sont celles où ont été inventoriées des espèces protégées au titre du droit et de la protection de milieux aquatiques. Le PLU justifie que « des investigations de terrain ont été réalisées sur le secteur du canal de Vigueirat et le marais de l’Audience. Cette zone, constituée de marais salés et sansouires et de terrains en friche et zones rudérales, présente des espèces végétales à enjeu de conservation. Une ZNIEFF est, de plus, identifiée sur ce secteur “Cavaou-Sansouires de Sollac”. Le site accueille sept espèces d’oiseaux d’intérêt patrimonial, dont une déterminante. Il est donc expertisé comme ayant des enjeux de conservation forts » (rapport de présentation, tome B, p. 463). Intégrés à la trame verte et bleue du SRCE, ces 1 300 ha connaissent, avec le PLU et par comparaison avec le POS, un changement de valeur radical en faisant l’objet d’un règlement qui rend impossible toute forme d’urbanisation. Il faut dire que ces parcelles additionnent des dispositions du code de l’environnement qui contraignent très fortement les conditions d’urbanisation, et que les compensations écologiques seraient incontournables mais très difficiles à mettre en œuvre.

– le troisième zonage concerne un foncier d’environ 550 ha, distribué en trois secteurs appartenant au GPMM. On peut le qualifier de zonage à valeur indéterminée. Il a en effet pour particularité de concerner des parcelles qui relèvent des trames écologiques identifiées par le SRCE et qui, selon le principe de compatibilité, devraient être protégées. Mais le règlement de ce zonage laisse ouverte l’option industrielle, sous conditions. L’exemple d’un des trois espaces concernés permet d’illustrer l’expression de cette indétermination : « Une partie du cœur de la ZIP, située entre la darse 1 et les marais de l’Audience et du Tonkin, a été également classée en zone à urbaniser “stricte” (2AUE). Cet espace correspond en effet à une partie des anciens étangs et marais de Galéjon, qui abritent encore une biodiversité remarquable. La zone de transition entre le marais et la mer (partie ouest de la zone délimitée) est en outre susceptible d’accueillir une richesse sous-marine qui mérite d’être préalablement étudiée. Compte tenu de la sensibilité environnementale, le porteur de projet devra proposer des mesures compensatoires adaptées s’il devait être urbanisé » (rapport de présentation, tome B, p. 346).

Figure 2. Les arbitrages fonciers réalisés par le PLU de Fos avec trois zonages (réalisation : Paul, 2024).

Les zonages sont au cœur de l’élaboration des règlements des PLU(i). Ils organisent le cadre de la production urbaine publique, privée, publique/privée, dès lors que la délivrance des autorisations d’urbanisme (permis de construire, d’aménager, de démolir) se joue en conformité avec les prescriptions du plan, établies par zones. Les définitions des périmètres et des règles d’urbanisation qui leur sont associées expriment des arbitrages fonciers. Quelle est la trajectoire de ces arbitrages fonciers, et comment réorganisent-ils les conditions d’implantation des projets industriels ?

Une intégration multi-instruments, multiniveaux
et multiobjets de la biodiversité

L’examen du PLU montre comment on assiste localement à la construction progressive, multi-instruments, multiniveaux et multiobjets, de la biodiversité comme cadre et comme objet de planification. Le PLU constitue un des éléments terminaux de cette trajectoire. L’intégration de la biodiversité dans le système de planification urbaine à Fos a été initiée par des instruments d’action publique relevant d’abord du droit de l’environnement ciblant des objets de biodiversité différenciés (zones humides, oiseaux, flore, écosystèmes liés au paléo-delta du Rhône…) : principalement les ZNIEFF de type 1 (après 1982) et de type 2 (2018), une réserve naturelle (2001) et des zones Natura 2000 (zone de protection spéciale, ZPS ; sites d’intérêt communautaire, SIC, 1990 pour la Crau et 2000 pour les marais entre Crau et Grand Rhône). Depuis les années 1980, la commune de Fos et la ZIP ont donc vu se superposer plusieurs zonages environnementaux, avant tout dans le cadre du code de l’environnement. Ces zonages soit n’ont pas de valeur juridique (comme les ZNIEFF), soit n’interdisent pas la construction (Natura 2000) mais peuvent obliger à des études d’incidence. Leur pouvoir coercitif pour préserver la biodiversité est donc relatif. L’étude du corpus documentaire montre toutefois qu’ils font référence en produisant les éléments de connaissance sur la biodiversité qui ont ensuite été mobilisés par la planification urbaine pour intégrer les trames écologiques puis opérer des arbitrages fonciers.

Figure 3. Multiplication et superposition des zonages environnementaux et des instruments de l’environnement à Fos (réalisation : Paul, 2024).

C’est à partir de 2007 que ce tournant écologique pénètre la planification urbaine locale et contribue à réguler l’urbanisation de la ZIP, sous l’impulsion de l’État avec sa DTA. À l’échelle du département des Bouches-du-Rhône, cette DTA arrête une première protection de 3 800 ha seulement, sur une zone qui ceinture le cœur industrialo-portuaire. Ces espaces incluent principalement la réserve naturelle et certains secteurs Natura 2000. Ensuite, le SRCE de 2014, aujourd’hui intégré au SRADDET, identifie des trames écologiques au sein de la ZIP. Elles sont principalement construites sur la base des périmètres ZNIEFF. Nouveauté, cette identification de réservoirs et corridors de biodiversité par les plans régionaux s’applique au périmètre que la DTA de 2007 réservait au développement industriel, entraînant une obligation de compatibilité nouvelle pour les futurs SCOT et PLU. Enfin, en 2015, le SCOT Ouest Étang de Berre, couvrant la commune de Fos, intègre à son tour les trames écologiques du SRCE dans la ZIP. Particularité, c’est le premier document qui énonce une tension entre foncier industriel et biodiversité, en caractérisant la ZIP comme un « secteur à enjeux particuliers identifiés par la DTA où les impératifs de développement, de réhabilitation et de reconversion, ou de diversification et sécurisation doivent être conjugués avec la préservation des espaces naturels » (Document d’orientations et d’objectifs, p. 92). L’intégration de la biodiversité comme objet de planification dans le PLU s’inscrit dans cette trajectoire. Elle en constitue une nouvelle pierre en affinant encore, on l’a vu, les espaces à préserver. La prise en compte de la biodiversité, et avec elle l’écologisation de la planification, apparaissent ainsi jouées par l’État et par les collectivités territoriales et leurs groupements. Les échelles (communale/intercommunale/départementale/régionale) et les instruments (DTA, SRCE/SRADDET, SCOT, PLU) de cette évolution sont multiples, témoignant d’un processus dynamique, multi-instruments, multiniveaux et multiobjets d’intégration de la biodiversité dans le système de planification urbaine.

Figure 4. L’intégration de la biodiversité dans le système de planification urbaine locale : un processus dynamique, multi-instruments et multiniveaux (réalisation : Arab et Paul, 2024).

La biodiversité : objet de planification
ou cadre pour la planification du foncier industriel ?

Derrière ce processus se cachent deux dimensions importantes. Premièrement, si ces instruments défendent pas à pas une action publique plus sensible à l’enjeu environnemental, aucun d’eux ne s’avance sur la régulation effective de la tension entre biodiversité et foncier industriel, même lorsque cette tension est reconnue par le SCOT. Le PLU s’adosse à ces cadrages préexistants, mais c’est le seul à déterminer une hiérarchie entre ces deux valeurs et à opérer effectivement les arbitrages fonciers en arrêtant la destination d’usage des espaces concernés. Dit autrement, ce n’est qu’avec le PLU que la biodiversité n’est plus seulement objet de planification mais devient aussi un cadre pour la planification de l’usage des sols. Deuxièmement, si une importante littérature scientifique, juridique et grise porte sur les trames écologiques, leur évaluation, les modalités de leur intégration dans la planification, ou défendent leur influence vertueuse en faveur d’un aménagement durable (Bonnin, 2006[40]Op. cit.), en revanche, la concurrence spatiale entre trames écologiques et foncier industriel reste un point aveugle. Or le PLU de Fos souligne à quel point cette concurrence ressort avec évidence. D’une part, préservation de la biodiversité et production du foncier industriel sont traitées comme deux enjeux exclusifs ; d’autre part, même lorsque les trames écologiques sont identifiées et représentées dans le plan, l’ouverture à l’urbanisation et donc au foncier industriel, reste possible.

Quand la planification locale
délègue au projet opérationnel et à l’État
l’arbitrage de la concurrence spatiale
entre biodiversité et industrie

Les deux zonages qui ouvrent la ZIP à l’urbanisation et donc à la densification industrielle méritent une attention particulière. Le premier zonage arbitre clairement en faveur d’un foncier productif. Il permet à un porteur de projet industriel de déposer un permis de construire, quelle que soit sa spécificité industrielle, sans évolution du PLU. Compte-tenu de leur nature, ces projets sont soumis à une évaluation par les services de l’État (Autorité environnementale et DREAL), qui en examinent la conformité et formulent des recommandations sur les conditions de leur faisabilité, notamment sur l’agencement spatial des aménagements pour en réduire les impacts écologiques. Chaque porteur de projet devra conduire une étude obligatoire d’impact environnemental visant à apprécier les incidences sur la biodiversité de l’implantation industrielle et de son fonctionnement (type de technologie utilisée, superficie de l’usine, modalités de respect des normes de sécurité, de stockage des matières et des produits finis, de gestion de l’eau à l’échelle de la parcelle…). Le deuxième zonage concerne un espace dont la valeur reste indéterminée. Il construit une zone dont le règlement consiste à créer une réserve foncière qui pourrait être urbanisable. L’urbanisation de ce périmètre est toutefois rendue plus aléatoire et plus contraignante qu’avec le zonage précédent. D’abord, parce que tout projet d’implantation supposera, ici, une évolution du PLU. Ensuite, le règlement appliqué à ces parcelles maintient l’autorisation environnementale mais la double d’orientations d’aménagement particulières (OAP). Les OAP comprennent des dispositions portant sur l’aménagement (L151-6 du code de l’urbanisme) et peuvent « définir les actions et opérations nécessaires pour mettre en valeur l’environnement, notamment les continuités écologiques, les paysages » (L151-7 du code de l’urbanisme). Alors que l’autorisation administrative environnementale se joue à l’échelle du bâtiment et des caractéristiques de l’activité industrielle implantée, les OAP jouent la biodiversité à l’échelle de l’ensemble de la zone. Cela a pour incidence de conditionner l’urbanisation à des études environnementales plus fines et à la réalisation d’un schéma d’aménagement de secteur optimisant, du point de vue écologique, la répartition des surfaces industrielles à bâtir ainsi que les tracés des réseaux à l’échelle de la zone. Cet espace à valeur indéterminée entre développement industriel et préservation de la biodiversité reconnaît, par obligation légale, les trames écologiques et les zones humides. Elles font l’objet de contraintes renforcées pour l’urbanisation mais sans en être préservées.

L’analyse du règlement respectif de ces deux zonages conduit à souligner deux points corrélés : tout d’abord, ces zonages ont en commun de reporter au projet opérationnel l’arbitrage concret de la concurrence spatiale entre biodiversité et foncier industriel ; ensuite, ce report vers le projet opérationnel revient à déléguer à l’État la responsabilité de cet arbitrage. Que le zonage soit ouvert ou susceptible d’être ouvert à la production d’un foncier industriel, la gestion de la concurrence spatiale entre industrie et biodiversité sera négociée projet par projet. C’est aussi à cette échelle que se jouera l’intégration fine des enjeux environnementaux et de biodiversité. Avec cette logique d’action, la planification répond à une incertitude irréductible. En effet, les impacts écologiques d’une affectation industrielle varient selon le type de projet, autant par son process productif que par la nature et morphologie de ses équipements. Ces impacts écologiques ne peuvent donc pas être anticipés par le PLU. La gestion des concurrences spatiales entre biodiversité et développement industriel, et celle des impacts écologiques seront alors posées au cas par cas via l’autorisation environnementale et les OAP, et cela sous la responsabilité de l’État. Cela signifie aussi que le développement industriel attendu à horizon de 10 ans sur ce site est rendu possible dans un contexte où ces projets sont très sensibles à la fois aux délais et aux risques sur l’obtention d’un permis de construire, tout en considérant l’incertitude sur les impacts écologiques des implantations industrielles à venir.

Figure 5. Représentation schématique de la régulation de la concurrence entre foncier industriel et biodiversité (réalisation : Arab et Paul, 2024).

Conclusion

Cette étude de cas met en évidence à quel point, loin de l’idéal de compatibilité qui traverse le rapport interministériel de 2023 sur la stratégie nationale de mobilisation pour le foncier industriel, la conciliation entre enjeux de biodiversité et enjeux industriels apparaît au contraire difficile à atteindre. Les zonages construits dans le PLU de Fos-sur-Mer invitent plutôt à considérer que les arbitrages entre foncier industriel et biodiversité procèdent d’une exclusion réciproque.

C’est l’un des effets du processus d’écologisation de la planification urbaine. L’intégration de la biodiversité initiée par le code de l’environnement fait l’objet d’un processus dynamique de planification urbaine au caractère multiniveaux, multi-instruments, multiobjets. Le cas de Fos montre que cette écologisation produit un cadre cognitif et normatif spatialisé influant sur la localisation des projets industriels et dépassant la seule question de l’éloignement du risque qui a longtemps présidé à la gestion publique de la tension industrie/environnement. Toutefois, si l’on examine non plus seulement l’intégration de la biodiversité dans la planification mais la régulation de cette concurrence foncière, on observe alors que, d’une part, elle est mise en œuvre uniquement par la planification réglementaire et non par la planification stratégique, et que, d’autre part, elle s’avère significativement déléguée au projet opérationnel. En ce cas, et au regard du cadre légal de ce type d’implantations industrielles, cela fait de l’État un acteur majeur de cette régulation à l’échelle opérationnelle, échelle à laquelle va se jouer, le plus finement, la prise en compte concrète de la conservation de la biodiversité. Cela signifie aussi que l’intégration effective de l’enjeu de conservation de la biodiversité dans la planification ne rime pas, mécaniquement, avec une régulation par la planification de la concurrence foncière industrie/biodiversité.

In fine, alors qu’une séparation forte a longtemps été affirmée entre la planification et le projet, notre analyse rejoint les approches qui mettent en cause cette théorisation des instruments d’action publique urbaine (Dugua, 2015[41]Op. cit. ; Desjardins, 2020[42]Op. cit. ; Maulat, 2020[43]Op. cit.). Une des conceptualisations les plus stimulantes est proposée par Benoît Dugua (2015[44]Op. cit.) qui, dès 2015, avait placé cette question au cœur de sa recherche doctorale. Il défend en particulier que les lieux associés à des projets engageant une coopération entre une pluralité d’acteurs locaux, acteurs publics au premier chef, font l’objet de transactions dès les processus de planification urbaine. Dans cette lignée, on peut ici faire l’hypothèse que le PLU de Fos-sur-Mer illustre un cas de figure où les transactions à l’œuvre produisent une planification réglementaire qui intègre non seulement la biodiversité comme objet et cadre de planification, mais intègre également les conditions d’implantation d’un projet industriel. Le PLU construit ainsi un cadre pour les négociations futures des conditions d’implantation des projets opérationnels, avec la particularité de prendre d’emblée et conjointement en considération les obligations connues des enjeux de préservation écologique autant que l’incertitude des projets industriels à venir ainsi que celle de leurs incidences environnementales propres. In fine, on peut se demander si le processus d’intégration de la biodiversité dans la planification urbaine se traduira par une situation où ni industrie, ni biodiversité ne sortiront gagnants.

Remerciements

Les auteurs remercient Maylis Desrousseau pour ses conseils ainsi que les évaluateurs et évaluatrices pour leur relecture critique.


[1] Paul T. (2023). « La planification du foncier industriel à l’heure écologique. Le cas de la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer », mémoire de master 2, école d’urbanisme de Paris, 95 p.

[2] Arab N. (2019). « Faire une place à l’économie productive en centre urbain dense métropolitain », dans Crague G (dir.), Faire la ville avec l’industrie, Paris, Presses des Ponts, p. 121-154.

[3] Liefooghe C. (2023). Lille, Bruxelles, villes productives. Expériences croisées. Qu’entendent les acteurs institutionnels par « activités productives » ? Atelier 1, PUCA, 52 p.

[4] Gillio N. (2017). « Le foncier, une ressource territoriale pour le développement économique », thèse de doctorat en Géographie, Université Grenoble-Alpes, 324 p.

[5] Op. cit.

[6] Thomas L. (2021). « Le foncier d’activités économiques, variable d’ajustement des modèles de développement local ? Une application à la région Provence Alpes, Côte d’Azur », thèse en Géographie, Université d’Avignon, 239 p.

[7] Arab N, Crague G, Miot Y. (2023). Vers un nouvel agir métropolitain, Paris, Presses des Ponts, 159 p.

[8]Scherrer F. (2008). La planification spatiale entre stratégie territoriale et politiques urbaines : quelles évolutions pour la planification urbaine en Europe ? rapport final, UMR 5600, CNRS Environnement, ville, société, 141 p.

[9] Dugua B. (2015). « Entre mise en œuvre et mise à l’épreuve de la planification territoriale : dynamique des lieux de projets dans l’inter-Scot de l’aire métropolitaine lyonnaise », thèse de doctorat en aménagement, Université Grenoble-Alpes, 858 p.

[10] Desjardins X. (2020). Planification urbaine : la ville en devenir, Paris, Armand Colin, 234 p.

[11] Op. cit.

[12] Daumalin X. (2006). « Industrie et environnement en Provence sous l’Empire et la Restauration », Rives nord méditerranéennes, n° 23, p. 27-46.

[13] Fressoz JB. (2012). L’apocalypse joyeuse : une histoire du risque technologique, Paris, Le Seuil, 320 p.

[14] Lascoumes P. (2022). Action publique et environnement, Paris, Presses Universitaires de France, 127 p.

[15] Bruyelles P, Dezert B. (1983). « Les relations entre la ville et l’industrie : formes anciennes et formes nouvelles », Hommes et Terres du Nord, n° 1, p. 7-12.

[16] Bonnaud L, Martinais E. (2005). « Des usines à la campagne aux villes industrielles. La cohabitation ville/industrie saisie à travers l’histoire du droit des établissements classés », Développement durable et territoires, dossier n° 4, 17 p.

[17] Consales J. (2020). « Vers une planification écologique », dans Clergeau P (dir.), Urbanisme et biodiversité, Rennes, Apogée, p. 178-185.

[18] Amsallem J, Dehouck H. (2018). « Comment préciser les continuités écologiques à l’échelle locale parcellaire ? », Sciences Eaux & Territoires, n° 25, p. 32-33.

[19] Linglart M, Morin S, Paris M, Clergeau P. (2016). « Méthodologie de mise en place d’une trame verte urbaine : le cas d’une communauté d’agglomération, Plaine Commune », Cybergeo: European Journal of Geography, doc. 785, 24 p.

[20] Mouchel-Blaisot R. (2023). Stratégie nationale de mobilisation pour le foncier industriel, rapport administratif interministériel, 144 p.

[21] Kromarek P. (2019). « Le monde industriel face au contentieux environnemental », Revue juridique de l’environnement, hors-série n° 19, p. 107-124. 

[22] Lascoumes P, Le Galès P. (2004). Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 370 p.

[23] Salet W, Gualini E (2007). Framing Strategic Urban Projects: Learning from current experiences in European urban regions, Londres, Routledge, 307 p.

[24] Maulat J. (2020). « Planification : de la planning theory aux pratiques de l’urbanisme », dans Bognon S, Magnan M, Maulat J (dir.), Urbanisme et aménagement : théories et débats, Paris, Armand Colin, p. 147-164.

[25] Demazière C, Desjardins X. (2016). « La planification territoriale stratégique : une illusion nécessaire ? », Revue Internationale d’Urbanisme, n° 2.

[26] Op. cit.

[27] Bognon S, Thébault E. (2020). « Écologisation : processus et éthique en réponse aux crises globales », dans Bognon S, Magnan M, Maulat J, Urbanisme et aménagement : théories et débats, Paris, Armand Colin, p. 41-61.

[28] Lévêque C. (1994). « Le concept de biodiversité : de nouveaux regards sur la nature », Nature, Sciences, Sociétés, n° 2(3), p. 243-254.

[29] Motte A. (2006). « La notion de planification stratégique spatialisée (Strategic Spatial Planning) en Europe (1995-2005) », Recherche, n° 159, PUCA, 90 p.

[30] Op.cit.

[31] Bocognano J. (2016). « Présentation des actions du GPMM dans le cadre des mesures compensatoires de la biodiversité », dans Mercier V, Brunengo-Basso S (dir.), Compensation écologique : de l’expérience d’ITER à la recherche d’un modèle, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, p. 67-70.

[32] Une partie de la ZIP se trouve sur la commune voisine de Port-Saint-Louis-du-Rhône, mais la très grande majorité des espaces ciblés par l’aménagement industriel concerne le PLU de Fos-sur-Mer.

[33] Douay N. (2013). « La planification urbaine française : théories, normes juridiques et défis pour la pratique », L’Information géographique, n° 77, p. 45-70.

[34] Op. cit.

[35] Dormois R. (2006). « Structurer une capacité politique à l’échelle urbaine. Les dynamiques de planification à Nantes et à Rennes (1977-2001) », Revue française de science politique, vol. 56, n° 5, p. 837-867.

[36] Op. cit.

[37] Clauzel C. (2022). « Les réseaux écologiques, une stratégie pour concilier fonctionnalités écologiques et aménagement du territoire », Géoconfluences, juin, 6 p.

[38] Bonnin M. (2006). « Les corridors, vecteurs d’un aménagement durable de l’espace favorable à la protection des espèces », Natures Sciences Sociétés, n° 14, p. 67-69.

[39] Mélé P. (2008). « Introduction : territoires d’action et qualifications de l’espace », dans Melé P, Larrue C (dir.), Territoires d’action Aménagement, urbanisme, espace, Paris, L’Harmattan, 272 p.

[40] Op. cit.

[41] Op. cit.

[42] Op. cit.

[43] Op. cit.

[44] Op. cit.