frontispice

L’impact de la politique du Zéro artificialisation nette sur les pratiques des aménageurs et l’aménagement urbain
Sur les pratiques des aménageurs et l’aménagement urbain

• Sommaire du no 15

Hélène Nessi Université Paris Nanterre, laboratoire LAVUE

L’impact de la politique du Zéro artificialisation nette sur les pratiques des aménageurs et l’aménagement urbain : sur les pratiques des aménageurs et l’aménagement urbain, Riurba no 15, janvier 2024.
URL : https://www.riurba.review/article/15-foncier/impact-du-zan/
Article publié le 25 oct. 2024

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Hélène Nessi
Article publié le 25 oct. 2024
  • Abstract
  • Résumé

Public development in France in the face of sober land policies: adapting or reshaping development and the development profession

This article looks at the impact of zero net artificialization (ZAN) on the practice of developers, local public enterprises, who work on the planning and realization of urban and economic development projects on behalf of local authorities and public players. This paradigm shift is generating major adjustments in urban planning methods, involving transformations due to the need to change land deposits. Developers must rethink the optimization of land resources to ensure a balanced production of housing, including social housing, and to promote economic development.

Cet article s’intéresse à l’impact du zéro artificialisation nette (ZAN) sur la pratique des aménageurs des entreprises publiques locales, qui œuvrent à l’aménagement et à la réalisation de projets urbains et de développement économique pour le compte des collectivités et des acteurs publics. Ce changement de paradigme génère des ajustements majeurs dans la méthode de planification urbaine, impliquant des transformations dues au besoin de changer de gisement foncier. Les aménageurs doivent ainsi repenser l’optimisation des ressources foncières afin d’assurer une production équilibrée de logements, y compris sociaux, et de favoriser le développement économique.

Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
post->ID de l’article : 5241 • Résumé en_US : 5252 • Résumé fr_FR : 5248 •

Introduction

Cet article s’intéresse à l’impact du zéro artificialisation nette (ZAN) sur la pratique des aménageurs des entreprises publiques locales (EPL), qu’elles soient sous forme de société anonyme d’économie mixte (SEM), de société publique locale (SPL), d’établissement public d’aménagement (EPA) ou de société anonyme d’économie mixte à opération unique (SEMOP), qui œuvrent à l’aménagement et à la réalisation de projets urbains pour le compte des collectivités et des acteurs.

La déclinaison des engagements européens sur le volet environnemental se traduit, en France, par un accroissement des exigences environnementales et une volonté accrue de préservation des espaces naturels. Ces enjeux s’inscrivent dans un certain nombre de controverses opposant la ville dense et la ville étalée (Bochet et al., 2004[1]Bochet B, Gay JB, Pini G. (2004). « La ville dense et durable : un modèle européen pour la ville ? », Géoconfluences [En ligne ; Nessi, 2010[2]Nessi H. (2010). « Formes urbaines et consommation d’énergie dans les transports », Étude Foncière, n° 145, p. 30-32., 2012[3]Nessi H. (2012). « Influences du contexte urbain et du rapport cadre de vie sur la mobilité de loisir », thèse de doctorat, université Paris Est, Laboratoire LATTS, sous la direction d’Olivier Coutard.). Les mesures destinées à réguler l’étalement urbain (Djellouli et al., 2010[4]Djellouli Y, Emelianoff C, Bennasr A, Chevalier J (dir.). (2010). L’étalement urbain : un processus incontrôlable ?, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 257 p. ; Wiel, 2007[5]Wiel M. (2007). Pour planifier les villes autrement, Paris, L’Harmattan, 244 p. ; Da Cunha et al., 2005[6]Da Cunha A, Knoepfel P, Leresche JP, Nahrath S (dir.). (2005). Enjeux du développement urbain durable. Transformations urbaines, gestion des ressources et gouvernance, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 471 p. ; Serrano, 2005[7]Serrano J. (2005). « Quel équilibre entre urbanisation et préservation des espaces agricoles périurbains ? Le cas d’une agglomération moyenne », Développement durable et territoires,dossier 4 [En ligne) s’accompagnent généralement de politiques visant un meilleur usage des sols (Keller et al., 2012[8]Keller C, Lambert-Habib ML, Robert S, Ambrosi JP, Rabot É. (2012). « Méthodologie pour la prise en compte des sols dans les documents d’urbanisme : application à deux communes du bassin minier de Provence », Sud-Ouest européen, n° 33 [En ligne ; Campbell et al., 2000[9]Campbell H, Ellis H, Gladwell C, Henneberry J. (2000). « Planning obligations: planning practice and land use outcomes », Environment and Planning B, Planning and Design, vol. 27, p. 759-775. ; Grant, 2009[10]Grant JL. (2009). « Theory and practice in planning the suburbs: challenges to implementing new urbanism, smart growth, and sustainability principles », Planning Theory & Practice, vol. 10, n° 1, p. 11-33.). À partir des années 2010, les politiques de l’État ont cherché à restreindre la consommation des sols par des prescriptions telles que la reconstruction de la ville sur la ville, la densification et, plus récemment, par des règles nouvelles imposées aux élus locaux, comme le ZAN. Cette approche foncière inverse la tendance historique en incitant à prioriser l’utilisation du « déjà-là ».

Ces transformations amènent les aménageurs à reconsidérer leur périmètre de légitimité, les outils à leur disposition et l’utilité de nouvelles compétences pour : (1) repenser et renouveler le développement des territoires, et (2) la réalisation de projets urbains. Les aménageurs sont ainsi pris entre des objectifs de croissance propres au développement néolibéral des villes (Pinson, 2010[11]Pinson G. (2010). « La gouvernance des villes françaises. Du schéma centre-périphérie aux régimes urbains », Métropoles, n° 7., 2020[12]Pinson G. (2020). La ville néolibérale,Paris, Presses Universitaires de France, « Hors collection » [En ligne) – en particulier en ce qui concerne la production de logements et d’équipements, le développement économique et la réindustrialisation – et des objectifs environnementaux, nous analysons les principales conséquences de ce nouveau mot d’ordre, le ZAN, d’abord sur la planification, puis dans sa mise en œuvre opérationnelle, à travers l’observation de la réception de ces évolutions par les aménageurs d’opérations d’aménagement urbain d’envergure.

Nous nous intéresserons à la transition d’un monde où l’extension urbaine était considérée comme possible à un autre où la construction de la ville sur la ville devient progressivement l’unique solution pour développer et aménager la ville. Le XXIe siècle s’oriente-t-il vers un nouveau régime, celui du renouvellement et du recyclage urbain ? Et si oui, avec quelles conséquences sociales, politiques et économiques ?

Afin de saisir les enjeux liés à l’application du ZAN, revenons sur les moteurs de l’urbanisation. L’affectation des sols artificialisés correspond à trois usages principaux (enquête Teruti-Lucas, 2022[13]Enquête Teruti-Lucas. (2022). Ministère en charge de l’Agriculture, services statistiques [En ligne) : l’habitat, les infrastructures de transport, les activités économiques (commerces, services marchands, équipements de loisirs, etc.), et les infrastructures industrielles et de construction. L’aménageur en SPL est garant du développement économique de son territoire, et l’aménageur en SEM, SEMOP, EPA, comme en SPL a pour mission de participer à l’effort de production de logements et à la mise en œuvre de la mixité sociale. Lorsqu’il réalise une opération, il ne produit pas seulement des logements, mais aussi un cadre urbain, comprenant une mixité fonctionnelle, des espaces publics aménagés, des équipements et des services publics. Ces missions, dont il est le garant, sont bouleversées par l’arrivée du ZAN.

Cet article se focalise ainsi sur l’analyse de l’impact du ZAN sur l’aménagement urbain en explorant les transformations amenées par le fait de devoir changer de gisement foncier.  Dans une première partie, nous verrons comment ce changement de paradigme, imposé par les politiques européennes de transition en faveur de la sobriété foncière, génère des ajustements majeurs dans la méthode de planification urbaine. Dans une seconde partie, nous examinerons comment cette transition influe non seulement sur les pratiques professionnelles des aménageurs mais aussi sur l’aménagement urbain. En scrutant les implications de cette loi nationale à l’échelle locale, nous cherchons à comprendre comment les acteurs de l’aménagement s’adaptent à ces nouvelles contraintes, tant en termes de compétences requises que de méthodes et de montage financier. Enfin, dans une troisième partie, nous aborderons les implications sociales et économiques de la politique du ZAN, en mettant en évidence les répercussions sur le développement économique, la production de logements abordables et la capacité des aménageurs à envisager le développement du territoire sur le long terme.

Ce travail repose sur huit rencontres du groupe de travail sur le ZAN avec une trentaine d’aménageurs français dans le cadre du Club ville et aménagement, dix entretiens semi-directifs auprès d’aménageurs publics et trois auprès d’aménageurs privés, réalisés de 2022 à 2024, ainsi que sur la participation à un certain nombre de réunions et de discussions dans le cadre des rencontres du Club ville et aménagement depuis 2021. Actuellement, la loi commence tout juste à se décliner dans les outils stratégiques. La présentation lors d’une réunion du groupe de travail ZAN du Club ville et aménagement[14]Séance n° 3, en octobre 2023, sur la prise en compte concrète du ZAN dans l’exercice de la planification stratégique et règlementaire. portant sur l’intégration du ZAN dans trois outils d’échelons distincts (le schéma directeur de la région Île-de-France élargi (SDRIF-E), le schéma de cohérence territorial (SCoT) des Rives du Rhône et le plan local d’urbanisme intercommunal valant le programme local de l’habitat (PLUiH) de la métropole de Toulouse) révèle les effets de l’approche arithmétique dans le cadre du ZAN. Même s’il est encore trop tôt pour analyser pleinement les effets du ZAN sur l’urbanisme opérationnel, les aménageurs s’interrogent déjà sur les évolutions des outils stratégiques et partagent leurs perceptions, appréhensions, réflexions et prises de conscience. Ils mettent en perspective ces transformations à venir avec leur expérience du recyclage déjà mise en œuvre dans certains territoires.

Le ZAN, une nouvelle étape d’un processus de sobriété foncière
engagé depuis une vingtaine d’années en France

Contrôle de l’étalement urbain
et sobriété foncière en France

L’étalement urbain constitue, quelle que soit l’échelle urbaine considérée, le modèle dominant de développement urbain. En France, la compétence en urbanisme, détenue par les maires, explique en partie cet étalement. Jusqu’à récemment, le débat sur la limitation de ce phénomène et de la consommation d’espaces naturels et agricoles se limitait aux dispositions ordinaires concernant la lutte contre le « mitage » et ses conséquences négatives, en particulier écologiques (imperméabilisation des sols, risques d’inondations, disparition des terres agricoles, artificialisation des sols, dégradation des paysages, démultiplication des espaces de contact entre l’urbanisation et l’agriculture), environnementales (émissions de CO2 liées à l’augmentation des déplacements automobiles, dégradation des paysages), énergétiques et sociales (déclin des centres-bourgs, isolement, montée de l’individualisme).

Dès 1998, l’Union Européenne (UE) a développé une politique en matière de protection des espaces. La réflexion sur la sobriété foncière concerne l’ensemble des pays européens (Barrier et Dumont, 2023[15]Barrier J, Dumont GF. (2023). « Les territoires français face à la sobriété foncière. Une révolution salutaire dans l’aménagement du territoire ? », Les Analyses de Population & Avenir, vol. 44, n° 2, p. 1-30.). En 2011, l’UE a poursuivi cette réflexion (COM/2011/0571), et la Commission européenne a proposé la fixation d’un objectif d’arrêt de « toute augmentation nette de la surface de terre occupée » (« no net land take » – NNLT) d’ici 2050. Le Conseil européen et le Parlement ont défini l’horizon 2050 comme objectif pour le NNLT, en 2013. En France, sous l’impulsion du ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, la notion de zéro artificialisation nette a été introduite dans le Plan biodiversité lancé en juillet 2018.

Revenons sur la traduction de ces orientations européennes en France au travers des lois et des outils. La préservation du foncier agricole, au cœur de la lutte contre l’artificialisation, repose sur des outils spécifiques, tels que le classement des parcelles en zone A par les plans locaux d’urbanisme. Malgré des mécanismes de protection, comme les zones agricoles protégées (ZAP), l’application de ces politiques reste limitée. La protection de l’espace agricole périurbain, amorcée en 2005 avec la loi relative au développement des territoires ruraux, repose sur la délimitation de périmètres de protection, mais cette mesure demeure fragile et dépendante des autorités locales. Les outils fiscaux, bien que non négligeables, présentent des taux mal ajustés, rendant certaines taxes, comme celle sur la plus-value immobilière, inefficaces.

À partir des années 2010, avec les Grenelle 1 et 2, des objectifs stratégiques de limitation de l’étalement urbain et de préservation des sols passent par un effort de densification des espaces ouverts et de renouvellement urbain. Ces orientations bousculent le monde de l’aménagement et se traduisent par des changements forts, imposant de nouvelles règles aux élus locaux à travers les outils stratégiques comme le schéma de cohérence territoriale (SCoT) qui fixe des seuils de densification à proximité des gares. La loi ALUR (Accès au logement et urbanisme rénové) de 2014 a introduit des changements en supprimant le coefficient d’occupation des sols (COS) et en encourageant la densification urbaine, mais ces mesures restent souvent facultatives et ne sont pas pleinement exploitées. Elles visent à favoriser la densification des tissus pavillonnaires en offrant la possibilité de réaliser une division parcellaire (Touati et Crozy, 2015[16]Touati A, Crozy J. (2015). La densification résidentielle au service du renouvellement urbain, Paris, La Documentation française. ; Touati-Morel, 2015[17]Touati-Morel A. (2015). « Hard and soft densification policies in the Paris City‐Region », International Journal of Urban and Regional Research, vol. 39, n° 3, p. 603-612.). En outre, la superficie minimale pour les lots détachés n’existe plus, et la constructibilité de terrains de moins de 200 m² est alors rendue possible.

Le retour d’expérience de ces lois est finalement moins positif qu’espéré. Les petits propriétaires ou constructeurs se sont saisis de cette procédure pour réaliser des maisons individuelles, imperméabilisant les sols, sans une véritable optimisation foncière et sans contenir pour autant le développement des lotissements réalisés par les promoteurs en périphérie urbaine (entretien avec un responsable à l’urbanisme d’une municipalité périurbaine francilienne). L’objectif de préservation des sols a été, plus récemment, formalisé dans une loi plus prescriptive qu’est le ZAN, permettant à l’État de reprendre la main sur les modalités de gouvernance de l’urbanisation. Si les communes ont la compétence urbaine locale, leur outil stratégique, le plan local d’urbanisme (PLU), doit répondre aux prescriptions d’ouverture à l’urbanisation et de préservation d’espaces ruraux et forestiers définies dans le SCoT à l’échelle de l’intercommunalité, déclinaison du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) à l’échelle régionale. La loi Climat et résilience de 2021 modifie ainsi le cadre législatif en intégrant les enjeux de lutte contre l’étalement urbain aux politiques d’urbanisme et d’aménagement.

Objectif et décryptage d’un nouvel outil :
une logique quantitative
au détriment d’une réflexion plus transversale

La loi Climat et résilience fixe l’objectif de ZAN qui se décline en deux objectifs majeurs. Le premier concerne la division par deux du rythme de consommation nationale des espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) par rapport à la période des dix années précédentes (2021-2031), ce qui se traduit par la possibilité d’artificialiser 125 000 ha, et le second est l’objectif national de la fin de l’artificialisation nette des sols en 2050.

L’évaluation des objectifs se fait à l’échelle nationale, mais la loi prévoit ensuite de l’appliquer de manière différenciée et territorialisée, et identifie les régions comme cheffes de files de la répartition des droits à l’urbanisation. Dans ce cadre, le SRADDET détermine une trajectoire pour atteindre le ZAN en 2050, en déclinant notamment l’objectif de réduction de la consommation des sols entre les différentes parties du territoire régional[18]Art. L. 4251-1 du CGCT1.. La loi fait donc du SRADDET le document régional phare auquel il revient de décliner les objectifs de réduction de l’artificialisation entre les différentes parties du territoire d’ici novembre 2024. Les SCoT et les PLU doivent ensuite être révisés afin d’y intégrer les objectifs du ZAN. Les SCoT devront désormais être modifiés ou révisés pour mai 2027, sinon un régime comparable au principe de l’urbanisation limitée sera réintroduit sur le territoire couvert. Les PLU(i) et les cartes communales seraient révisées à échéance de mai 2028, ce qui interroge par rapport aux objectifs de réduction fixés sur la période 2021-2031.

Lors d’une réunion du groupe de travail ZAN du Club ville et aménagement, une présentation sur l’intégration du ZAN dans trois outils à échelons distincts – le schéma directeur de la région Île-de-France élargi (SDRIF-E), le SCoT des Rives du Rhône et le PLUiH de la métropole de Toulouse – a mis en lumière les limites de l’approche arithmétique du ZAN. À mesure que l’on descend dans les échelles, les incohérences et les effets du ZAN deviennent plus apparents. Ainsi, le PLUiH de Toulouse Métropole présente de fortes incohérences en termes de planification. La comptabilisation de la consommation d’ENAF à urbaniser dépend du calcul de l’occupation des sols à grande échelle (OCS GE) de la décennie précédente (2011-2021). La métropole, qui avait tenté de maîtriser l’urbanisation ces dernières années, se retrouve pénalisée par rapport à la ville de Montpellier, qui s’était davantage urbanisée. De plus, la comptabilisation s’est faite durant les années Covid, où l’urbanisation a été totalement bloquée. Les résultats de consommation varient donc fortement en fonction des périodes de calcul retenues. À Toulouse, cette méthode n’a pas été favorable à l’obtention de nouveaux droits à construire, la valeur de référence de l’OCS GE ayant conduit à une consommation d’ENAF inférieure de 100 à 150 hectares par rapport à la prévision de 550 hectares. Pour répondre à la croissance démographique récente, la métropole devrait imposer des densités de 50 logements par hectare dans les plus petites communes : « Les gens n’iront pas habiter dans ce type de logements dans la troisième couronne. Comment pouvoir attirer de nouveaux habitants pour maintenir nos écoles, etc. » (entretien avec un aménageur de l’Oppidea – Sem d’Aménagement de Toulouse Métropole). Cette enveloppe doit ensuite être répartie sur le territoire.

À l’échelle intercommunale ou communale, dans le cadre du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi), le projet d’aménagement et de développement durable (PADD) devra définir des objectifs quantifiés visant à modérer la consommation des espaces. Il ne peut prévoir l’ouverture à l’urbanisation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers sans qu’une étude de densification des zones déjà urbanisées démontre que la capacité d’aménager et de construire en exploitant les locaux vacants, les friches et les espaces urbanisés a déjà été mobilisée[19]Article L. 151-5 du code de l’urbanisme.. Par ailleurs, les PLU(i), à travers leurs OAP (orientations d’aménagement et de programmation), définiront un échéancier prévisionnel d’ouverture à l’urbanisation et de réalisation des équipements correspondants. Ces OAP devront également mettre en place des actions favorisant la mise en valeur de la continuité écologique. Les cartes communales, quant à elles, ne peuvent ouvrir des secteurs de construction que s’il est justifié que la capacité d’aménager et de construire est déjà mobilisée dans les espaces urbanisés.

Enfin, la décision de ne pas inclure dans le PLU(i) les futures infrastructures de transport potentielles pour les décennies à venir, afin d’éviter d’aggraver la situation en incluant dans la comptabilité des autorisations de consommation d’ENAF des infrastructures qui ne seront pas réalisées avant dix ans, interroge. Ces infrastructures sont généralement structurantes pour penser le développement urbain à l’échelle communale. De plus, le calcul de la répartition de ces infrastructures traversant plusieurs communes suscite des débats intenses ; certaines communes s’opposant déjà à leur passage se retrouvent également pénalisées en termes de consommation de sols.

Des objectifs ZAN dégradés

Face à la prise de conscience des implications du ZAN, cette nouvelle loi a suscité de vives oppositions et la révision à la baisse de l’objectif (ZAN), avec des propositions de régressions juridiques. Le projet de décret relatif à la territorialisation du ZAN assouplit les contraintes en n’obligeant plus les régions à fixer des objectifs chiffrés, territorialisés et contraignants de réduction de l’artificialisation dans les SRADDET, réduisant ainsi l’opposabilité du ZAN. D’autres dérogations ont également été introduites, notamment pour les « grands projets » d’envergure nationale ou européenne, prévoyant un forfait national d’artificialisation liée à ces projets, dépassant potentiellement l’enveloppe du ZAN.

La loi suscite de nombreux débats, notamment au sein des collectivités et des aménageurs. Si elle semble faire consensus en raison de l’urgence environnementale, les moyens de sa mise en œuvre sont aujourd’hui discutés. Le 16 mars 2023, le Sénat a adopté à une large majorité une proposition de loi transpartisane visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs du ZAN au cœur des territoires. Il réclame notamment l’exclusion des grands projets d’intérêt national du décompte du ZAN (concernant directement les aménageurs publics) ou la création du droit à un hectare d’artificialisation pour chaque commune. Le texte a également décalé d’une année les délais pour introduire dans les SRADDET les objectifs territorialisés du ZAN, une mesure très attendue par les collectivités territoriales.

L’ajout d’une « garantie communale » permet désormais à chaque commune de consommer au minimum 1 hectare d’espaces tous les 10 ans. Toutefois, la construction des dents creuses sur des surfaces non artificialisées reste prioritaire. Une fois cette distribution réalisée, le nombre d’hectares est considérablement réduit. À la demande des maires, les communes disposant de cette surface minimale pourront choisir de les mutualiser mais seulement après avis de la conférence des maires. Bien que désormais comptabilisée, cette garantie manque de proportionnalité à la taille des communes et de corrélation avec leurs besoins de développement, risquant de stimuler une consommation excessive d’espaces. Sur amendement des députés socialistes, cette garantie ne libère pas les communes soumises au règlement national d’urbanisme (RNU) du respect de ce dernier, la garantie communale ne pouvant ainsi être opposée à la mise en œuvre du principe de constructibilité limitée.

Contrôle à distance de la production urbaine
par l’État : le ZAN et le recyclage foncier

Dans le cadre du tournant néolibéral, l’intervention de la puissance publique ne repose plus uniquement sur l’hégémonie de l’État ; elle se recompose profondément. La mise en compétitivité des territoires s’accompagne d’une forte décentralisation des compétences à des échelons locaux, notamment dans le domaine de l’aménagement (Pinson, 2020[20]Op. cit.). Certaines recherches ont considéré que les gouvernements urbains intervenaient essentiellement là où l’État et le marché étaient absents (Leca, 1996[21]Leca J. (1996). « La démocratie à l’épreuve des pluralismes », Revue française de science politique, vol. 46, n° 2, p. 225-279.). Pourtant, un certain nombre d’études de cas français montrent la présence continue de l’État, via une fonction de stratège (Bezes, 2005[22]Bezes P. (2005). « Le renouveau du contrôle des bureaucraties. L’impact du New Public Management », Informations sociales, vol. 6, n° 126, p. 26-37.). Ainsi, les orientations récentes dans le domaine de la sobriété foncière avec le ZAN incarnent cette reprise en main de l’urbanisation en France par l’État, et bousculent le monde de l’urbanisme et de l’aménagement.

La décentralisation des compétences d’urbanisme et d’aménagement, marquée très tôt en France, suscite un certain nombre de critiques quant à son effet sur l’extension urbaine. Cette planification, parfois anarchique, des territoires périurbains doit être mise en regard de l’affaiblissement de leurs ressources financières et d’ingénierie, ainsi que la marginalisation des services déconcentrés de l’État qui assurent le relais, au niveau local, des décisions prises par l’administration centrale (Pinson, 2020[23]Pinson G. (2020). La ville néolibérale, Presses Universitaires de France, « Hors collection ». [En ligne). La quasi-inexistence des services techniques au sein des petites communes, et l’absence d’aide et de conseil de ces services déconcentrés de l’État pour penser la planification et l’aménagement de ces territoires périurbains mènent les collectivités à laisser aux mains des constructeurs le développement de ces territoires. Ce développement urbain anarchique regroupe une mosaïque de projets déconnectés les uns des autres, s’éloignant toujours plus d’une réflexion globale de l’aménagement.

Ainsi, l’État ne détenant plus la compétence de l’aménagement et de l’urbanisation, et faute de pouvoir mobiliser les compétences et les moyens nécessaires à la conception urbanistique des extensions périurbaines et rurales, « le ZAN semble être un outil providentiel pour l’État, un moyen commode, peu coûteux et efficace pour reprendre le contrôle de l’urbanisme dans les petites communes » (Charmes, 2021[24]Charmes É. (2021). « De quoi le ZAN est-il le nom ? », Foncier en débat. [En ligne). Ce renforcement du pouvoir de l’État dans le pilotage des politiques territoriales via la mise en place de nouveaux instruments et d’outils de l’action publique (Lascoumes et Le Galès, 2005[25]Lascoumes P, Le Galès P. (2005). Gouverner par les instruments, Presses de Sciences Po. En ligne) converge avec les résultats relevés dans le cadre de la rénovation urbaine (Epstein, 2006[26]Epstein R. (2006). « Gouverner à distance : quand l’État se retire des territoires », Revue Esprit, n° 11, p. 96-100.) et dans le domaine de l’énergie (Poupeau, 2013[27]Poupeau FM. (2013). « Quand l’État territorialise la politique énergétique. L’expérience des schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie », Politiques et management public, vol. 30, n°4En ligne), témoignant d’une pratique de gouvernement à distance.

En outre, comme le souligne Éric Charmes (2021[28]Op. cit.), le ZAN fait système avec les politiques de revitalisation des villes en déclin. La montée en puissance du ZAN correspond à une inflexion des politiques relatives à l’aménagement du territoire. Un lien peut ainsi être établi entre le ZAN et le développement de politiques engagées pour les petites et moyennes villes. En 2017, l’État a lancé le plan « Action cœur de villes », suivi en 2020 par le programme « Petites villes de demain ». Les commerces de ces petites villes ont fermé, leur patrimoine immobilier s’est dégradé, et leur population s’est paupérisée. Le processus d’étalement urbain est désigné comme coupable de cette situation (Razemon, 2016[29]Razemon O. (2016). Comment la France a tué ses villes, Paris, Rue de l’échiquier.). Les recherches sur le déclin de ces villes montrent l’attractivité des maisons neuves, en pleine nature, avec un jardin, à proximité d’un petit centre-ville, et des pratiques de consommation favorisant les centres commerciaux au détriment des commerces du centre-ville. « Dans ce contexte, le ZAN est un moyen de diminuer l’avantage comparatif des villages proches des villes, de rééquilibrer le marché en faveur des petites et moyennes villes au détriment des villages » (Charmes, 2021[30]Op. cit.).

Le nouveau régime de production urbaine qu’induit le ZAN implique néanmoins de nouveaux modes de production. La stratégie de préservation de la consommation des sols repose désormais sur la priorité donnée à l’existant, à travers le recyclage urbain. Les multiples ajustements évoqués témoignent des fortes tensions entre la volonté de préserver les espaces non artificialisés et la pression pour le développement urbain. En effet, avec l’imposition du ZAN par l’État, un nouveau paradigme se dessine, touchant non seulement la production urbaine privée du périurbain mais également les aménageurs d’opérations d’aménagement. Ce paradigme porte aussi sur la traduction de la planification dans l’urbanisme opérationnel, à travers le projet d’aménagement. L’objectif est de produire de l’urbain sans extension foncière, en se basant sur le recyclage et le renouvellement urbains. Ces injonctions justifiées bousculent ainsi les manières de penser et de comptabiliser les projets d’aménagement urbains, et exigent l’acquisition de nouvelles compétences et de manières de faire pour les aménageurs publics et privés.

Perception de l’implication de l’évolution de la planification
sur l’urbanisme opérationnel par les aménageurs

Une approche arithmétique
de la répartition des droits à construire
défavorable aux grandes opérations
et au développement de stratégies territoriales
portées par les aménageurs

La loi ZAN implique une transformation significative des outils de planification, introduisant notamment une approche arithmétique de la répartition des droits à construire, tout d’abord de l’échelle nationale à l’échelle régionale, puis de l’échelle régionale à celle des intercommunalités et des communes. Les aménageurs critiquent le déterminisme de cette approche qui les empêche de définir les critères d’appréciation de l’ouverture à l’urbanisation et d’adopter une vision à long terme pour leur territoire. « Où se feront les sacrifices ? Des projets urbains qui étaient envisagés bien au-delà de 2025-2035 sont condamnés. Alors qu’on pourra consommer un peu en 2035, on condamne certains projets car on ne sait pas gérer les contradictions au travers de la loi et le décompte des infrastructures dans la consommation du foncier, car elles ne seront construites qu’après 2035. L’application de la loi nous conduit à ne pas prévoir l’avenir afin de répondre aux attentes réglementaires » (entretien aménageur 1).

Les aménageurs dénoncent la dispersion des aires ENAF urbanisables en raison de la « garantie rurale » et considèrent que cela mène à des incohérences dans la hiérarchie des zones à urbaniser. « La garantie rurale mange la capacité de manœuvre à l’échelle régionale » (DGA Aménagement Toulouse Métropole). Certaines parcelles déjà acquises par des aménageurs, à proximité d’une gare et parfois même d’équipements scolaires, ne font pas partie des aires d’atterrissage des sols artificialisables. Cela a un impact financier important sur les opérations engagées. « Cette loi nous mène à la renonciation de projets de ZAC (Zone d’aménagement concerté) prévus depuis longtemps, avec un enjeu financier colossal de 10 à 30 millions d’euros. Trois quarts des opérations en jeu ne pourront pas être réalisées, les collectivités ou les EPF (Établissement public foncier) se retrouvant avec du foncier qui ne sera plus constructible » (DGA Aménagement Toulouse Métropole).

Les aménageurs en SPL, en charge du développement territorial et économique, montrent que ces équations d’arbitrage limitent leur capacité à porter une véritable stratégie de développement à l’échelle territoriale. La loi ZAN tend à figer les décisions et à limiter l’anticipation foncière, « grippant ainsi l’aménagement ». Selon les aménageurs, l’approche technique, arithmétique, empêche un véritable débat politique et l’assurance de la cohérence du développement. « La dynamique est déjà en cours : de nombreuses réserves foncières acquises basculent en zone N ou A, même si elles sont desservies par les TCSP (Transport collectif en site propre) et les réseaux. Aujourd’hui, le ZAN bloque de futures ZAC à Toulouse, déjà amorcées. Le ZAN va-t-il tuer cet outil essentiel d’aménagement qu’est l’anticipation foncière ? » (entretien aménageur 2).

Au cours de leurs discussions, les aménageurs suggèrent de participer aux décisions prises à l’échelle des SCoT et des PLU(i) ou des PLU pour plus de cohérence, en définissant des seuils de densité adaptés à chaque contexte. Ils soulignent la problématique des lotissements, dont les règlements sont un frein à la densification, et souhaitent porter cette bataille au ministère pour élargir les possibilités de construction sur des terrains déjà artificialisés.

Recyclage foncier :
identifier un nouveau gisement, l’aménager
et penser de nouveaux portages fonciers

Pour concevoir des projets d’aménagement urbain d’envergure, les aménageurs ont besoin de surfaces relativement importantes. Le recyclage urbain, qui consiste à transformer des parcelles déjà urbanisées par le biais de démolition/reconstruction ou de modification du bâti existant, se présente comme la voie privilégiée. Cette stratégie, connue sous le nom de recyclage foncier, vise à réaffecter des espaces déjà urbanisés, et est devenue essentielle face à la pression exercée par l’étalement urbain et la rareté des terres disponibles. L’objectif est d’optimiser l’utilisation des terrains existants, 170 000 ha de friches comptabilisés, souvent sous-utilisés ou délaissés, en les réaménageant pour répondre aux besoins actuels.

L’intégration réussie du recyclage foncier dans le processus d’aménagement urbain représente un défi majeur pour les aménageurs. Cependant, les disparités très fortes du potentiel de recyclage foncier risquent de renforcer les inégalités entre les villes situées au cœur de l’agglomération et celles situées en périphérie (Barrier et Dumont, 2023[31]Op. cit.). Ces choix reposent sur deux étapes essentielles : l’identification du foncier (Bocquet, 2018[32]Bocquet M. (2018). La consommation d’espaces et ses déterminants d’après les Fichiers fonciers de la DGFiP. Analyse et état des lieux au 1er janvier 2016, CEREMA Hauts-de-France., 2019[33]Bocquet M. (2019). L’artificialisation et ses déterminants d’après les Fichiers fonciers, Période 2009-2017 – Chiffres au 1er janvier 2017, CEREMA Hauts-de-France.) à recycler et son aménagement.

L’identification de nouvelles ressources foncières, telles que les friches, les dents creuses, les îlots urbains dégradés et dépréciés, devient essentielle. Les caractéristiques spécifiques de ces sols artificialisés exigent une maîtrise approfondie du foncier, impliquant notamment l’intervention des Établissements publics fonciers (EPF) et des moyens financiers supplémentaires. Les coûts de dépollution et de mise en conformité des sols s’ajoutent aux défis financiers de l’opération.

La procédure du tiers demandeur, à l’aune de la loi industrie verte, s’inscrit dans la volonté de libérer du foncier, de favoriser la reconversion des friches et des sites industriels, et devait permettre de « débloquer » une ressource foncière considérable en rassurant le cédant du foncier par la prise en charge de la dépollution par un opérateur. Cette nouvelle procédure incite certaine entreprise à céder leur foncier, sans avoir à prendre en charge la dépollution. Sinon, ces acteurs n’auraient jamais pris ce risque financier de dépollution. Pour cela, le vendeur associe des sites exigeant une dépollution supérieure à la valeur foncière avec d’autres sites moins onéreux en dépollution.

De plus, la vision à long terme de l’aménageur est bousculée en raison de la complexité de la comptabilité du foncier. Cette réalité impose de repenser les approches stratégiques et les partenariats pour garantir un accès durable au foncier, notamment en collaborant avec les industriels et la grande distribution. La transformation de terrains industriels vise à maximiser leur utilisation sans forcément abandonner la destination de la fonction. Convaincre les industriels d’adopter une culture permettant des installations plus compactes et verticales est un objectif clé de cette reconversion (séance 1, en septembre 2023, dédiée à la reconversion de fonciers industriels en vue d’optimiser les entreprises sans abandon de l’activité). Une autre réflexion porte sur la reconquête des bureaux[34]On comptabilise 24,5 % des logements autorisés en transformation entre 2013 et 2022 (Coulondre et al., 2024). et, plus encore, celle des locaux d’activités, et les enjeux de leur réversibilité en logement familial (Coulondre et al., 2024[35]Coulondre A, D’orazio A, Jourdheuil AL, Juillard C. (2024). Du tertiaire au logement et à l’hébergement, quelles conditions de transformation ? Phase 1 – Rapport intermédiaire, Rapport de recherche pour la Caisse des Dépôts (Banque des territoires et Institut pour la Recherche), juin.).

Dans un contexte de rareté du foncier, la rente et la spéculation foncières risquent d’être mécaniquement amplifiées (D’Audeville et al., 2024[36]D’Audeville T, Farineau MO, Goupil C et al. (2024). Objectif ZAN. Réarmer l’intervention publique face au défi du Zéro artificialisation nette, Livre blanc de la SCET.). Face à une maîtrise réduite des collectivités dans la transformation de leur territoire, les aménageurs et les opérateurs publics notent l’urgence de développer des solutions de portage foncier de long terme et de mettre en œuvre des solutions alternatives à la cession de terrain « afin de passer d’une posture subventionnelle à une posture d’investisseur stratégique » (idem). L’instauration d’outils contractuels dissociant le foncier du bâti, comme les baux emphytéotiques, les baux à construction, les baux à réhabilitation, et les baux réels solidaires, pourrait aider les collectivités à agir sur l’évolution du prix de l’immobilier, à capter une partie de la valeur créée par la sphère publique, à organiser le recyclage urbain en fin de cycle immobilier et à faciliter la mise en œuvre de stratégies territoriales (maintien d’activités productives, accession des primo-accédants) (séance 5, en mai 2024, présentation du livre blanc de la SCET).

Le processus d’aménagement urbain orienté vers le recyclage foncier vise à rechercher une efficacité foncière et une attractivité, soulevant des enjeux d’optimisation foncière et d’acceptabilité (Urbanisme, 2022[37]Urbanisme. (2022). « Actes des 10 des entretiens de l’aménagement, imagination et action : les acteurs mobilisés pour refonder l’aménagement public », n° spécial 2, juin.). Ces défis obligent une expertise technique et une ingénierie adéquate pour assurer ces opérations complexes. Jusqu’alors, le projet d’aménagement était rendu possible grâce à l’acquisition d’un foncier à moindre coût, peu impacté par les coûts de dépollution et de mise en état du terrain que nous développerons dans la partie suivante.

Le poids du recyclage
dans le montage d’opération de l’aménageur

Le ZAN encourage l’utilisation des surfaces déjà artificialisées et promeut la densification. Cette approche déstabilise les pratiques foncières traditionnelles et souligne l’ampleur des enjeux pour les acteurs de l’aménagement, quel que soit leur statut (collectivités territoriales, sociétés d’économie mixte, cabinets d’études urbaines). La ressource foncière, autrefois abondante et bon marché, doit désormais être considérée comme un bien rare et devient donc plus coûteuse (D’Audeville et al., 2024[38]Op. cit.).

Les projets d’équipement public, d’opération de logements et d’implantation de nouvelles activités économiques nécessitent une base foncière. Cette base requiert toujours un minimum de terrain pour établir les fondations du bâti, ainsi que pour les besoins induits : circulation, accès, parkings, réseaux de transport, services publics à la population (écoles, crèches, équipements sportifs, etc.). Ces besoins sont traditionnellement financés par la rente foncière d’un sol rendu constructible, une caractéristique spécifique du foncier rural et périurbain. L’acquisition de terrain déjà bâti ou à dépolluer est plus coûteuse pour un aménageur que l’intervention sur un terrain jamais construit ou tout juste rendu constructible (Baraud-Sarfati, 2024[39]Barraud-Sarfaty I. (2024). Transparence sur les ZAC, Rapport Ibicity, IDHEAL- Recherche.). En effet, au prix de l’acquisition du foncier s’ajoute celui du bâti déjà construit, même s’il est voué à être démoli.

Si le prix de l’acquisition du foncier varie d’une opération à l’autre, en fonction du portage foncier, l’analyse d’Isabelle Baraud-Sarfati (2024[40]Op. cit.) montre que les coûts de dépollution et de remise en état des fonciers recyclés impactent considérablement les dépenses des aménageurs et donc leur bilan financier. Ce poste traduit finalement ce que coûte la « non-artificialisation », puisque le recyclage permet de préserver des ressources en évitant l’étalement urbain. En fonction des coûts anticipés de recyclage, les propriétaires publics sont plus susceptibles que les privés de discuter de la valeur de leurs terrains et parfois de la diminuer, à la demande de la puissance publique. Les charges de surfaces de plancher (SDP), recettes de l’aménageur versées par le promoteur en échange de la cession des terrains et des droits à construire, permettent de financer la mise en état du terrain. Cependant, les coûts de dépollution et de restructuration impliquent une majoration conséquente des dépenses financières de l’aménageur.

Le besoin d’un accompagnement méthodologique est indéniable, mais au-delà des outils, l’enjeu réside dans les financements dédiés à la réalisation du ZAN. La réduction de l’artificialisation des sols requiert des mesures significatives telles que la réhabilitation des friches, la lutte contre la vacance des logements, bureaux et zones d’activités, la réhabilitation et la rénovation de bâtiments. Ces initiatives impliquent des coûts considérables, en plus des coûts de dépollution et de rénovation, et requiert des ressources humaines accrues au sein des collectivités afin d’élaborer, mettre en œuvre, et suivre ces différentes politiques. Comment réhabiliter des friches dans un contexte économique où les marges budgétaires des collectivités locales sont gravement affectées, notamment par la réduction de leur autonomie fiscale ? L’ensemble des aménageurs s’accordent pour dire que l’ingénierie de projet et d’animation, ainsi que la mutualisation de l’ingénierie technique, juridique et financière, sont désormais essentielles. Bien que le Fonds vert[41] 400 millions d’euros par an pour le « fonds verts ». prévoie une part de son enveloppe dédiée au recyclage foncier, à l’aide à l’ingénierie et à la renaturation, le montant demandé sans le nombre élevé de dossiers déposés par les collectivités dépasse les deux milliards d’euros, soulignant l’utilité de pérenniser et d’augmenter significativement ce fonds. Pourtant, en février 2024, en raison de recettes fiscales de l’État moins élevées qu’espérées, par un décret, le gouvernement a annulé dix milliards d’euros de crédits dans le budget de l’État pour 2024 : « Bercy affirme que l’État et ses opérateurs seront les seuls à devoir faire un effort sur leurs dépenses » (Beurey, 2024, p. 1[42]Beurey T. (2024). Coupes dans le budget de l’État : 400 millions d’euros en moins pour le fonds vert en 2024, Projets publics pour Localtis. Environnement, Finances et fiscalité, Banque des territoires, 19 février. [En ligne). Pourtant, un certain nombre de décisions prises par l’exécutif auront des conséquences sur les budgets locaux, en particulier la réduction – de 2,5 milliards à 2,1 milliards d’euros – du Fonds vert, en 2024 (idem). Sans des ressources humaines et financières adéquates, ces initiatives risquent de rester à l’état d’intention, limitant ainsi leur mise en œuvre effective. Pour atteindre les objectifs de réindustrialisation estimés par le gouvernement et répondre aux objectifs de ZAN, le gouvernement accompagne les collectivités territoriales, les entités publiques ou parapubliques (établissement public local, établissement public foncier, société d’économie mixte) et des entités privées avec le Fonds friches[43] En 2021-2022, le fonds friches, doté de 750 M€, a accompagné 1 385 lauréats et permis le recyclage de l’ordre de 3 370 ha de friches, contribuant à la production de 6,7 millions de m2 de logements et 4,9 millions de m2 de surfaces économiques (ZAN, Guide synthétique, 2023). ou encore des programmes de transformation des zones commerciales, dotés de 24 millions d’euros pour « inventer les zones commerciales de demain ».

L’investissement dans des parcelles déjà construites impacte la négociation avec le promoteur en raison des dépenses supplémentaires liées à la démolition de l’existant et à la dépollution de certains sols. L’augmentation de la SDP sur les parcelles permet de maintenir l’équilibre financier des projets, impliquant une densification caractérisée par une emprise au sol conséquente et une hauteur importante des bâtiments, et transformant en profondeur le paysage des territoires périurbains et ruraux. Ces résultats rappellent une fois de plus l’impératif de la mise en place d’une véritable politique foncière, réclamée, d’ailleurs, depuis des décennies par les spécialistes.

La capacité des aménageurs à aménager et à apporter des équipements publics risque de s’affaiblir si ces derniers ne peuvent atteindre un équilibre dans leur montage d’opération. Cette situation explique d’ailleurs la montée en puissance des aménageurs privés dans ce type d’opérations d’aménagement, qui parviennent à absorber le coût d’un montage d’opération en raison de la garantie d’obtenir une part conséquente de la promotion immobilière sur le projet et/ou de la construction. Cette situation laisse également imaginer l’intervention du marché privé sur des projets à l’échelle du bâtiment au coup par coup, sans véritable réflexion sur le réaménagement de ces territoires réinvestis et sur une amélioration qualitative de l’environnement. Le secteur de la promotion privée semble avoir une longueur d’avance sur les aménageurs publics, comme l’illustre l’association de Carrefour avec Nexity qui revalorisent 76 sites commerciaux, soit environ 800 000 m2 (entretien Nexity). Bien que ces objectifs favorisent quantitativement la densité ou limitent l’étalement urbain, ils ne s’attellent pas à la maîtrise qualitative de l’artificialisation. Cette dernière réclame de la matière grise avec la mobilisation de services techniques des collectivités, des bureaux d’étude, et ces possibilités font largement défaut dans les petites et moyennes communes.

La difficulté réside dans la conciliation de l’objectif de préservation des sols, de production de logements accessibles financièrement, et de développement économique. Ce bouleversement suggère une réflexion plus politique et stratégique du développement des territoires.

L’implication du ZAN pour l’aménageur : une équation complexe
entre préservation des sols, construction de logements
et développement économique

Cette nouvelle stratégie de régulation d’intervention de l’État interroge la production urbaine locale. Comment concilier le développement de l’offre de logements, d’activités et de services avec les objectifs du ZAN ? Cette question soulève des enjeux fonciers, économiques et sociaux, qui sont éminemment politiques. Plusieurs auteurs montrent que cette loi entrave à la fois la production de logements à prix abordables pour les classes les plus modestes (Charmes, 2021[44]Charmes É. (2021). « De quoi le ZAN est-il le nom ? », Foncier en débat, 25 septembre. [En ligne ; Lassale-Artus, 2023[45]Lassale-Artus E. (2023). « Révisions du SDRIF-E : application d’objectifs nationaux au territoire francilien. Entre société foncière et production de logements sociaux, comment le SDRIF-E concilie-t-il les injonctions de l’État ? », mémoire de master 2, parcours Ville durable et Aménagement du territoire, Université Paris Nanterre.) ainsi que la réindustrialisation qui pourrait réduire la dépendance de la France vis-à-vis des produits essentiels (Allain, 2020[46]Allain J. (2020). « Réindustrialiser la France. L’exemple d’une ville moyenne, Bourges », Les analyses de Population & Avenir, vol. 28, n° 1, p. 1-18.).

Le rôle des aménageurs est précisément de garantir le développement de ces types de production, ce qui explique notre intérêt pour comprendre la réception du ZAN par les aménageurs et son impact sur leurs pratiques. Les sociétés publiques locales (SPL) sont garantes du développement économique de leur territoire, et les sociétés d’économie mixte (SEM) ainsi que les SPL ont également pour mission de contribuer à la production de logements, en particulier accessibles. Dans un contexte marqué par le chômage persistant et une crise du logement (Driant et Madec, 2018[47]Driant JC, Madec P. (2018). Les Crises du logement, Paris, PUF/La Vie des idées.), avec une hausse significative des valeurs immobilières au cours des deux dernières décennies, la préservation des terres soulève de véritables enjeux en termes de création d’emplois et de construction de logements abordables.

Fragilisation de la production
de logements et d’équipements

Les projections démographiques de l’INSEE (2021) indiquent que la population devrait rester stable autour de 68,1 millions d’habitants d’ici 2070. Cependant, malgré cette tendance démographique, le nombre de ménages devrait augmenter, passant de 29 millions en 2016 à 35 millions en 2030, soit une hausse de 6 millions. Ce besoin croissant en logements découle de plusieurs facteurs, notamment la croissance démographique, les évolutions dans la structure des ménages caractérisés par des tailles réduites, une fréquence accrue des séparations et le vieillissement de la population (Barrier et Dumont, 2023[48]Op. cit.), ainsi que la sous-utilisation des logements privés, qu’ils soient vacants ou destinés à l’offre touristique. Il est estimé que cette augmentation des ménages nécessitera la production de près de 8 millions de logements sur le marché entre 2020 et 2050, soit environ 300 000 logements par an en moyenne (Blanchet et al., 2021[49]Blanchet T, Thiago I, Lu X, Rybaltchenkp S, Zaidan G. (2021). Besoins en logements neufs, École des Ponts ParisTech.). Bien que la moitié de ce besoin puisse potentiellement être couverte par les logements vacants, leur localisation ne correspond pas toujours aux besoins polarisés dans les grandes métropoles (D’Audeville et al., 2024[50]Op. cit. ; Vallès, 2021[51]Vallès V. (2021). Démographie des EPCI : la croissance se concentre dans et au plus près des métropoles, INSEE.).

La production de logements dans les opérations d’aménagement, sur des terrains maîtrisés et organisés par les outils d’aménagement, exprime la volonté politique de produire un grand nombre de logements tout en garantissant la qualité des nouveaux quartiers et la présence d’une urbanité diversifiée, quand d’autres s’en remettent au « diffus », c’est-à-dire au marché, à la transformation de la ville, parcelle par parcelle, à l’initiative des ménages, des promoteurs immobiliers et des propriétaires fonciers (Baraud-Sarfaty, 2024[52]Op. cit.). Cette production de logements s’intègre dans des opérations d’aménagement, où les logements font partie d’un cadre de ville comprenant des activités, équipements et services publics, financés par une redistribution issue du partage de la valeur. Ce type d’opération vise à limiter l’accaparement de la rente foncière et à mutualiser les coûts liés à l’urbanisation, et soutient également la politique de mixité sociale défendue par les élus et mise en œuvre par les aménageurs au sein des ZAC.

Cependant, les récentes évolutions législatives comme la loi ZAN, combinées à d’autres facteurs contextuels, semblent mettre en péril le modèle actuel de production des opérations. Pour maintenir l’équilibre financier des opérations, les aménageurs pourraient être contraints d’augmenter la valeur des cessions foncières pour compenser l’augmentation des coûts liés au recyclage, alors même que le bilan promoteur a augmenté ces dernières années en raison des solutions techniques énergétiques et de l’emploi de matériaux à faible empreinte carbone. Cette situation risque de se traduire par une augmentation significative des prix de sortie des logements. Par exemple, le passage des normes RT (réglementation thermique) 2005 à RT 2012 a entraîné une augmentation des coûts de production de 10 %, tandis que l’application de la RE (réglementation environnementale) 2020 pourrait représenter une augmentation de 23 % (Nessi et Coblence, 2023[53]Nessi H, Cobloence A. (2023). Influences des engagements européens sur l’évolution des choix technologiques visant la transition énergétique dans le projet urbain, Rapport de recherche 1, projet ADEME DEFI TE – Désamorcer les freins de l’intégration de la transition énergétique dans le projet urbain.). De plus, la construction fait face à une hausse des coûts des matériaux en raison de la crise énergétique et de la pénurie de ressources comme le bois, de plus en plus utilisé en raison de son faible impact carbone selon la RE 2020. Deux autres stratégies permettant aux aménageurs et aux promoteurs d’atteindre un bilan équilibré pour les premiers et de réaliser, pour les seconds, une marge attendue aux alentours de 8 % sur leurs opérations consistent à augmenter les prix de vente des logements ou à optimiser l’utilisation foncière en augmentant la hauteur des bâtiments et la densité.

Comme le souligne Isabelle Baraud-Sarfaty (2024[54]Op. cit., p. 80), « le prix de vente des logements est essentiel pour l’équilibre des bilans d’aménagement et de promotion ». Cependant, l’augmentation des coûts de sortie des logements, parallèlement à celle des taux d’intérêt, pose un problème majeur d’accès au logement. De plus, la restriction d’urbanisation sur les ENAF pourrait être utilisée par certaines communes comme prétexte pour ne pas respecter leurs engagements de production de logements sociaux dans le cadre de la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain) (Lassale-Artus, 2023[55]Op. cit.). La production de logements abordables, indispensable pour répondre aux besoins des classes moyennes et modestes, risque de disparaître dans les zones périurbaines éloignées des centres-villes. Bien que les habitants puissent accéder à des locations, devenir propriétaire reste souvent un moyen sûr de se garantir un toit à l’approche de la retraite (Castel, 2003[56]Castel R. (2003). L’insécurité sociale. Qu’est-ce qu’être protégé ?, Paris, Seuil et La République des Idées.), surtout lorsque les pensions s’annoncent modestes.

Enfin, les outils d’aménagement tels que la zone d’aménagement concerté (ZAC) sont des leviers pour mettre en œuvre la mixité sociale et produire des logements sociaux. La production de logement social est permise grâce au montage d’opération de l’aménageur (Barraud-Sarfaty, 2024[57]Op. cit., p. 85). La charge foncière des logements sociaux, équivalant à 50 % de celle des logements libres, est déterminante pour cette production. Les bailleurs sociaux achètent ainsi des terrains à des prix inférieurs à ceux des promoteurs. Depuis les années 2000, la vente en l’état futur d’achèvement – habitat loyer modéré (VEFA-HLM) – a révolutionné ces pratiques, permettant aux promoteurs de construire des blocs de logements sociaux ou des immeubles entiers pour des organismes sociaux afin de garantir une meilleure mixité sociale. Ainsi, les logements libres sont vendus au prix du marché, tandis que les logements sociaux sont cédés à des tarifs fixés par les bailleurs sociaux. Il est important de souligner que cette péréquation ne correspond pas à un report du coût de production du logement social sur les propriétaires du logement libre. Le montant de la charge foncière libre est une constante et non une variable, intégrée par le promoteur dans son montage opérationnel. Politiquement portée, la valeur de la mixité sociale justifie les péréquations dans le bilan de l’aménageur et non dans celui du promoteur. La réduction de la charge foncière est rendue possible grâce à des mécanismes complexes de financement du logement social, incluant les recettes des loyers, les prêts de la Caisse des dépôts et consignations, les fonds propres, les subventions et les aides à la pierre des collectivités (Barraud-Sarfaty, 2024[58]Op. cit.).

En plus d’être l’expression politique de vouloir produire beaucoup de logements, et notamment sociaux, l’opération d’aménagement est également une manière de produire une portion de ville qui garantit la qualité du quartier doté d’équipements et d’une urbanité. Le mécanisme de l’opération revient à mutualiser les coûts induits de l’urbanisation pour les faire porter aussi par ceux qui extraient la rente foncière. Ce mécanisme n’est pas mis en place pour les logements construits dans le diffus ; en revanche, rappelons qu’une opération d’aménagement peut financer un équipement crèche, école, équipement public, aménagement d’espaces publics en dehors de son périmètre, à partir du moment où ce dernier bénéficiera à ses habitants. L’opération d’aménagement devient ainsi le financeur, à la place du contribuable, d’équipements qui auraient pu être imputés au budget communal ou intercommunal.

Maintien du développement économique
et réindustrialisation :
la compétitivité des territoires

Entre 2009 et 2019, l’urbanisation destinée à l’activité économique représente un peu plus d’un quart de l’artificialisation des sols en France, contre 66 % pour l’habitat (D’Audeville et al., 2024[59]Op. cit.). L’artificialisation des sols est largement influencée par le développement du secteur économique, notamment à travers la construction de vastes zones d’activités commerciales ou industrielles. Cette expansion économique se caractérise par une emprise au sol élevée, souvent marquée par des risques de pollution, particulièrement en périphérie des centres urbains. La réponse à ce développement implique également la construction d’infrastructures de transport dédiées, visant à faciliter les flux de fournisseurs et de clients. Parmi les principales destinations de cette dynamique, on observe la multiplication des data centers. De plus, l’expansion des entrepôts logistiques requiert d’importants espaces de stationnement ainsi que des routes dédiées à la circulation en dehors du site. Ces pratiques contribuent significativement à l’artificialisation des sols, accentuée par l’empreinte au sol importante de ces structures économiques et les besoins en infrastructures connexes.

Comme le souligne le rapport de la SCET (D’Audeville et al., 2024[60]Op. cit., p. 9), « la pénurie du foncier économique disponible constitue d’ores et déjà une réalité pour une majorité de territoires ». 41 % des parcs d’activités seront saturés à l’horizon 2025, 93 % à l’horizon 2030, et 28 % le sont déjà ; près de 2/3 des territoires refusent des projets d’implantation et subissent des déménagements d’entreprises faute de place pour les conserver ; moins de 10 % des intercommunalités peuvent accueillir une activité requérant une surface supérieure à 100 ha ; et seules 27 % des intercommunalités peuvent accueillir une activité exigeant une surface supérieure à 50 ha (Cerema, 2023[61]CEREMA (2023). Le Cerema publie les données 2009-2023 de consommation foncière, avril 2024, [En ligne ; Chevrier et al., 2022[62]Chevrier L, Gillio N, Jaaïdane J. (2022). « Le foncier économique à l’heure de la sobriété foncière », Focus Économie, septembre.). Pourtant, les entreprises requièrent des surfaces pour créer des emplois (Tasse, 2018[63]Tasse JM. (2018). Quels besoins en foncier pour les entreprises industrielles franciliennes ? CCI, Paris Île-de-France. ; Barrier et Dumont, 2023[64]Op. cit.). Ainsi, les aménageurs des SPL témoignent d’un regain d’intérêt pour les secteurs en friches, disqualifiés, à vocation économique. Comparée aux autres pays européens, la France semble s’imposer des objectifs bien plus exigeants que nécessaires et très contraignants. « La France doit-elle être la meilleure élève de la classe européenne alors même qu’elle est significativement moins concernée que les autres ? La France va-t-elle délibérément ignorer les atouts que recèlent ses territoires au moment [de] la réindustrialisation ? » (Barrier et Dumont, 2023[65]Op. cit.).

Les aménageurs intervenant sur de vastes territoires s’interrogent sur l’implication que le ZAN va avoir sur le développement économique dont ils ont la charge. Leur préoccupation première face aux ZAN se concentre d’ailleurs en premier lieu sur le développement économique, et l’enjeu du développement des ZAE (zone d’activités économique) et des ZAI (zone d’activités industrielles), avant le logement, en raison du besoin spécifique de superficie de grande ampleur. Les aménageurs insistent sur la priorité de recycler les friches industrielles et les ZAE, mais de maintenir ces destinations compte tenu de la superficie utile pour ce type de fonction. Par ailleurs, le ZAN interdit la production de nouvelles zones commerciales engendrant une artificialisation des sols[66] Sauf dérogation pour des projets d’une surface de vente inférieure à 10 000 m² et respectant certains critères.. Les aménageurs réfléchissent à dépasser les frontières administratives des communes, voire même de leurs limites administratives, pour penser les dynamiques économiques.

La mise en œuvre du ZAN présente un risque majeur de développement urbain à deux vitesses. Les tensions politiques entre les territoires – et même à l’intérieur de ceux-ci – exacerbent la compétition territoriale. Tous les territoires ne sont pas égaux face au ZAN : l’urbanisation se concentre sur les littoraux, leurs arrière-pays et les métropoles, rendant ces zones particulièrement vulnérables. Face à la raréfaction du foncier, sa maîtrise par les autorités locales semble capitale. Certains territoires, dotés de friches, offrent des potentialités. Cependant, force est de constater que la présence de ces friches n’est pas toujours corrélée aux bassins d’emplois. Les espaces ne sont pas tous mis sous tension de la même manière. Les territoires périurbains et les villes petites et moyennes doivent relever des défis significatifs, tels que la reconversion des friches, la réhabilitation des logements dégradés et la gestion des espaces résidentiels et commerciaux vacants. Ces territoires seront certainement plus fortement impactés par les effets du ZAN que les centres des métropoles, et leur destinée dépend très largement de la disponibilité d’ingénierie urbaine, de la capacité à mettre en œuvre des stratégies foncières à travers des documents d’urbanisme moins malléables qu’actuellement, et de l’existence de projets de territoire concernant l’emploi, l’économie et l’habitat.

Conclusion

La transition, de la sobriété foncière à l’optimisation foncière, induite par la politique du ZAN, révèle des défis significatifs pour les acteurs de l’aménagement urbain. Au-delà de la simple question financière, cette transition remet en question la conception même de l’aménagement, exigeant des ajustements majeurs dans les pratiques des aménageurs. En effet, cette décision ambitieuse risque d’avoir de fortes répercussions sur la production de logements et le développement économique (Laferrère et al., 2017[67]Laferrère A, Pouliquen E, Rougerie C. (2017). Les conditions de logement en France, Paris, Insee. ; Tasse, 2018[68]Op. cit.). Son application arithmétique d’un objectif intermédiaire de réduction de 50 % de la consommation d’ENAF sur la période 2021-2031 par rapport à la décennie précédente interroge sur son adéquation avec l’hétérogénéité des territoires (présence ou non d’anciens tissus industriels, rural/périurbain/urbain).

En définitive, les répercussions, positives ou négatives, de la conversion des terres non agricoles sont souvent sous-évaluées. Les implications sociales et économiques de la mise en œuvre du ZAN sont multiples. D’une part, elles touchent le développement économique en imposant aux aménageurs une réflexion approfondie sur l’optimisation des ressources foncières de ZAE et pour assurer la production de logements tout en maintenant une rentabilité économique. D’autre part, cette politique a des répercussions sur l’accès aux logements, soulignant le désir d’assurer une production équilibrée, incluant des logements sociaux, et la capacité des aménageurs à envisager le territoire sur le long terme.

Les perspectives appellent à des réflexions approfondies sur la manière d’ajuster le métier d’aménageur. Il s’agit non seulement de repenser les opérations d’aménagement, mais également d’explorer de nouvelles approches favorisant une vision plus durable et équilibrée des espaces urbains et du portage foncier. La question centrale demeure : comment concilier les impératifs du ZAN avec la mission traditionnelle des aménageurs en garantissant des opérations d’intérêt général et une production urbaine équilibrée ? Cette évolution inéluctable requiert une adaptation continue des pratiques et des politiques, engageant l’ensemble des acteurs de l’aménagement urbain dans une transition vers un modèle plus respectueux de l’environnement, mais qui ne doit pas se faire au détriment d’un modèle socialement inclusif. Elle invite également à dépasser cette résignation à ne pas réinterroger cette marge de 8 % de la promotion immobilière qui pèse largement sur les prix de sortie des logements.

Malgré le risque des effets du ZAN, ce dernier offre une opportunité unique de passer du standard au sur-mesure en matière de planification. Cela appelle à préciser davantage l’opérationnalisation des plans stratégiques et le développement d’une stratégie foncière locale, souvent négligée dans certains territoires afin d’optimiser l’urbanisation, ainsi qu’à répondre efficacement aux défis posés par le ZAN sans empêcher le développement économique, la production d’équipements publics et de logements accessibles.


[1] Bochet B, Gay JB, Pini G. (2004). « La ville dense et durable : un modèle européen pour la ville ? », Géoconfluences [En ligne].

[2] Nessi H. (2010). « Formes urbaines et consommation d’énergie dans les transports », Étude Foncière, n° 145, p. 30-32.

[3] Nessi H. (2012). « Influences du contexte urbain et du rapport cadre de vie sur la mobilité de loisir », thèse de doctorat, université Paris Est, Laboratoire LATTS, sous la direction d’Olivier Coutard.

[4] Djellouli Y, Emelianoff C, Bennasr A, Chevalier J (dir.). (2010). L’étalement urbain : un processus incontrôlable ?, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 257 p.

[5] Wiel M. (2007). Pour planifier les villes autrement, Paris, L’Harmattan, 244 p.

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[12] Pinson G. (2020). La ville néolibérale,Paris, Presses Universitaires de France, « Hors collection » [En ligne].

[13] Enquête Teruti-Lucas. (2022). Ministère en charge de l’Agriculture, services statistiques [En ligne].

[14] Séance n° 3, en octobre 2023, sur la prise en compte concrète du ZAN dans l’exercice de la planification stratégique et règlementaire.

[15] Barrier J, Dumont GF. (2023). « Les territoires français face à la sobriété foncière. Une révolution salutaire dans l’aménagement du territoire ? », Les Analyses de Population & Avenir, vol. 44, n° 2, p. 1-30.

[16] Touati A, Crozy J. (2015). La densification résidentielle au service du renouvellement urbain, Paris, La Documentation française.

[17] Touati-Morel A. (2015). « Hard and soft densification policies in the Paris City‐Region », International Journal of Urban and Regional Research, vol. 39, n° 3, p. 603-612.

[18] Art. L. 4251-1 du CGCT1.

[19] Article L. 151-5 du code de l’urbanisme.

[20] Op. cit.

[21] Leca J. (1996). « La démocratie à l’épreuve des pluralismes », Revue française de science politique, vol. 46, n° 2, p. 225-279.

[22] Bezes P. (2005). « Le renouveau du contrôle des bureaucraties. L’impact du New Public Management », Informations sociales, vol. 6, n° 126, p. 26-37.

[23] Pinson G. (2020). La ville néolibérale, Presses Universitaires de France, « Hors collection ». [En ligne].

[24] Charmes É. (2021). « De quoi le ZAN est-il le nom ? », Foncier en débat. [En ligne].

[25] Lascoumes P, Le Galès P. (2005). Gouverner par les instruments, Presses de Sciences Po. [En ligne].

[26] Epstein R. (2006). « Gouverner à distance : quand l’État se retire des territoires », Revue Esprit, n° 11, p. 96-100.

[27] Poupeau FM. (2013). « Quand l’État territorialise la politique énergétique. L’expérience des schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie », Politiques et management public, vol. 30, n° 4, p. 443-472. [En ligne].

[28] Op. cit.

[29] Razemon O. (2016). Comment la France a tué ses villes, Paris, Rue de l’échiquier.

[30] Op. cit.

[31] Op. cit.

[32] Bocquet M. (2018). La consommation d’espaces et ses déterminants d’après les Fichiers fonciers de la DGFiP. Analyse et état des lieux au 1er janvier 2016, CEREMA Hauts-de-France.

[33] Bocquet M. (2019). L’artificialisation et ses déterminants d’après les Fichiers fonciers, Période 2009-2017 – Chiffres au 1er janvier 2017, CEREMA Hauts-de-France.

[34] On comptabilise 24,5 % des logements autorisés en transformation entre 2013 et 2022 (Coulondre et al., 2024).

[35] Coulondre A, D’orazio A, Jourdheuil AL, Juillard C. (2024). Du tertiaire au logement et à l’hébergement, quelles conditions de transformation ? Phase 1 – Rapport intermédiaire, Rapport de recherche pour la Caisse des Dépôts (Banque des territoires et Institut pour la Recherche), juin.

[36] D’Audeville T, Farineau MO, Goupil C et al. (2024). Objectif ZAN. Réarmer l’intervention publique face au défi du Zéro artificialisation nette, Livre blanc de la SCET.

[37] Urbanisme. (2022). « Actes des 10 des entretiens de l’aménagement, imagination et action : les acteurs mobilisés pour refonder l’aménagement public », n° spécial 2, juin.

[38] Op. cit.

[39] Barraud-Sarfaty I. (2024). Transparence sur les ZAC, Rapport Ibicity, IDHEAL- Recherche.

[40] Op. cit.

[41] 400 millions d’euros par an pour le « fonds verts ».

[42] Beurey T. (2024). Coupes dans le budget de l’État : 400 millions d’euros en moins pour le fonds vert en 2024, Projets publics pour Localtis. Environnement, Finances et fiscalité, Banque des territoires, 19 février. [En ligne].

[43] En 2021-2022, le fonds friches, doté de 750 M€, a accompagné 1 385 lauréats et permis le recyclage de l’ordre de 3 370 ha de friches, contribuant à la production de 6,7 millions de m2 de logements et 4,9 millions de m2 de surfaces économiques (ZAN, Guide synthétique, 2023).

[44] Charmes É. (2021). « De quoi le ZAN est-il le nom ? », Foncier en débat, 25 septembre. [En ligne].

[45] Lassale-Artus E. (2023). « Révisions du SDRIF-E : application d’objectifs nationaux au territoire francilien. Entre société foncière et production de logements sociaux, comment le SDRIF-E concilie-t-il les injonctions de l’État ? », mémoire de master 2, parcours Ville durable et Aménagement du territoire, Université Paris Nanterre.

[46] Allain J. (2020). « Réindustrialiser la France. L’exemple d’une ville moyenne, Bourges », Les analyses de Population & Avenir, vol. 28, n° 1, p. 1-18.

[47] Driant JC, Madec P. (2018). Les Crises du logement, Paris, PUF/La Vie des idées.

[48] Op. cit.

[49] Blanchet T, Thiago I, Lu X, Rybaltchenkp S, Zaidan G. (2021). Besoins en logements neufs, École des Ponts ParisTech.

[50] Op. cit.

[51] Vallès V. (2021). Démographie des EPCI : la croissance se concentre dans et au plus près des métropoles, INSEE.

[52] Op. cit.

[53] Nessi H, Cobloence A. (2023). Influences des engagements européens sur l’évolution des choix technologiques visant la transition énergétique dans le projet urbain, Rapport de recherche 1, projet ADEME DEFI TE – Désamorcer les freins de l’intégration de la transition énergétique dans le projet urbain.

[54] Op. cit.

[55] Op. cit.

[56] Castel R. (2003). L’insécurité sociale. Qu’est-ce qu’être protégé ?, Paris, Seuil et La République des Idées.

[57] Op. cit.

[58] Op. cit.

[59] Op. cit.

[60] Op. cit.

[61] CEREMA (2023). Le Cerema publie les données 2009-2023 de consommation foncière, avril 2024, [En ligne].

[62] Chevrier L, Gillio N, Jaaïdane J. (2022). « Le foncier économique à l’heure de la sobriété foncière », Focus Économie, septembre.

[63] Tasse JM. (2018). Quels besoins en foncier pour les entreprises industrielles franciliennes ? CCI, Paris Île-de-France.

[64] Op. cit.

[65] Op. cit.

[66] Sauf dérogation pour des projets d’une surface de vente inférieure à 10 000 m² et respectant certains critères.

[67] Laferrère A, Pouliquen E, Rougerie C. (2017). Les conditions de logement en France, Paris, Insee.

[68] Op. cit.