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Après l’explosion de Beyrouth, réinventer l’urbanisme ?

• Sommaire du no 13

Éric Verdeil CERI/Sciences Po – CNRS Paris

Après l’explosion de Beyrouth, réinventer l’urbanisme ?, Riurba no 13, janvier 2022.
URL : https://www.riurba.review/article/13-crise/beyrouth/
Article publié le 1er nov. 2023

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Éric Verdeil
Article publié le 1er nov. 2023
  • Abstract
  • Résumé

After the blast in Beirut, reinventing planning?

Beirut, a city that has undergone several cycles of destruction and reconstruction, is facing a new kind of disaster with the explosion of August 4, 2020 in its port, in the context of financial and economic crisis and political deadlock. Is this situation conducive to the implementation of a crisis urbanism, inspired by principles that break with the classical logics of urban development? The article highlights that the criticism of previous reconstruction experiences legitimised new approaches to urban planning, more attentive to heritage, the environment and social justice, and concerned with involving the inhabitants in decisions. These varied approaches are linked to the diversity of local professional cultures. The situation allows for the unfolding of these approaches on an unprecedented scale. Nevertheless, these innovative actions cannot be institutionalised, because of a governance marked by the withdrawal of state authorities.

Beyrouth, ville qui a subi plusieurs cycles de destructions et de reconstructions, fait face à une catastrophe d’un nouveau genre avec l’explosion du 4 août 2020 dans son port, dans un contexte de crise financière, économique et de blocage politique. Cette situation est-elle propice à la mise en place d’un urbanisme de crise, inspiré de principes en rupture avec les logiques classiques du développement urbain ? L’article met en évidence que la critique des expériences précédentes de reconstruction légitime de nouvelles approches de l’urbanisme, plus attentives au patrimoine, à l’environnement et à la justice sociale, soucieuses d’associer les habitants aux décisions. Ces approches variées sont à relier à la diversité des cultures professionnelles locales. La situation permet à ces approches de se déployer à une échelle inédite. Néanmoins, ces actions innovantes ne peuvent être institutionnalisées, à cause d’une gouvernance marquée par le retrait des autorités étatiques.

Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
post->ID de l’article : 2184 • Résumé en_US : 2233 • Résumé fr_FR : 2229 •

Cet article est dédié à la mémoire de Habib Debs, décédé le 10 février 2023, ami très cher et acteur décisif des initiatives analysées dans ce texte, qu’il avait longuement évoquées avec moi en juillet 2021.

Le nom de Beyrouth est associé à un imaginaire de violence urbaine résultant d’une insurmontable complexité géopolitique, entrainant chaos et destructions. Ces représentations sont parfois contrebalancées par l’imagerie du phénix (la ville sept fois détruite et sept fois reconstruite) et, plus récemment, par celle de la résilience, perçue comme une vertu collective face aux insuffisances de l’État. L’explosion, le 4 août 2020, d’un stock de nitrate d’ammonium entreposé dans le port replonge la ville dans une crise tragique. Si cet événement a vraisemblablement des ramifications géopolitiques, en lien avec la guerre en Syrie, il illustre d’abord une vulnérabilité urbaine paradigmatique, résultat de l’entrelacement des dérèglements écologiques de l’anthropocène et de bouleversements politiques plus ou moins associés affectant au premier chef les villes, par exemple à travers les migrations (Verdeil, 2020[1]Verdeil E, Atelier cartographique de Sciences Po. (2020). Atlas des mondes urbains, Paris, Presses de Sciences Po, 148 p.).

Le cas beyrouthin est ainsi heuristique pour réfléchir aux questions posées dans ce dossier de la Revue internationale d’urbanisme : peut-on identifier, dans un contexte marqué par la récurrence de crises géopolitiques ou écologiques affectant les villes, un urbanisme de crise ? Y observe-t-on de nouveaux principes d’action contredisant les approches classiques du développement urbain ?

Les relations entre villes et catastrophes ont fait l’objet de nombreux travaux ces dernières années, notamment à travers la notion de résilience, promue par des organisations internationales et des acteurs nationaux comme un outil d’anticipation, mais aussi de réponse aux risques et aux catastrophes. Dans une majorité de recherches émanant surtout de géographes et d’urbanistes, il s’agit de comprendre la trajectoire postcrise de la ville : le choc est-il absorbé et permet-il un retour à une certaine normalité ? Ou assiste-on à un changement de trajectoire ? (Vale et Campanella, 2005[2]Vale LJ, Campanella TJ. (2005). The resilient city. How modern cities recover from disaster, Oxford scholarship online, New York, Oxford University Press. ; Djament-Tran et Reghezza-Zitt, 2012[3]Djament-Tran, G, M Reghezza-ZiTT (dir.). (2012). Résiliences urbaines : les villes face aux catastrophes, Paris, Éditions Le Manuscrit.). La notion de résilience est souvent critiquée comme un discours politiquement et socialement situé, visant la légitimation des autorités en charge et de leurs décisions (Rufat, 2012[4]Rufat S. (2012). « Existe-t-il une “mauvaise” résilience ? », dans Djament-Tran G, Reghezza-Zitt M (dir.), Résiliences urbaines: les villes face aux catastrophes, Paris, Le Manuscrit, p. 195‑241.). Bien souvent, la résilience doit pourtant peu aux autorités, mais plus aux pratiques d’adaptation des habitants. On peut alors l’interpréter comme une manière pour ces dernières de rejeter le fardeau de l’après-crise sur les habitants, dans une approche néolibérale de désengagement de l’État (Leclercq, 2017[5]Leclercq R. (2017). « Le tournant néolibéral de la résilience ? Pratiques et formes politiques de l’opérationnalisation de la résilience à Dakar », ISTE/Écologie et Environnement, OpenScience, n° 1 [En ligne). La résilience, loin d’être toujours vertueuse, peut être parfois toxique, reproduisant en fait des structures de vulnérabilité (Hernandez, 2012[6]Hernandez J. (2012). « Résiliences contradictoires et résilience toxique dans la Nouvelle-Orléans post-Katrina », dans Djament-Tran G, Reghezza-Zitt M (dir.), Résiliences urbaines : les villes face aux catastrophes, Paris, Le Manuscrit, p. 243‑274.).

Au-delà des trajectoires urbaines et des pratiques habitantes, ces approches peuvent s’intéresser aux approches urbanistiques et opérationnelles. Celles-ci restent néanmoins souvent abordées selon deux points de vue principaux : celui des effets politiques qu’elles produisent et de l’instrumentalisation qui en résulte, ou celui du lien direct avec la logique du risque, majoritairement perçu sous l’angle environnemental (le cas de la résilience postconflit analysée par Joncheray (2018[7]Joncheray M. (2018). « Des indicateurs au concept “couteau-suisse”, la résilience au prisme d’une géographie du post-conflit », VertigO – La revue électronique en sciences de l’environnement, hors-série n° 30 [En ligne) étant assez exceptionnel). Ces analyses laissent de côté la manière dont les politiques, face aux crises qui affectent les villes, se nourrissent d’un renouvellement de l’urbanisme. Le changement de paradigme qu’induit l’adoption de la résilience implique la critique d’une posture techniciste et experte, se pensant capable d’éviter l’endommagement par l’ingénierie constructive et infrastructurelle (Lhomme et al., 2012[8]Lhomme S, Djament-Tran G, Reghezza-Zitt M, Rufat S. (2012). « Penser la résilience urbaine », dans Djament-Tran G, Reghezza-Zitt M (dir.), Résiliences urbaines : les villes face aux catastrophes, Paris, Le Manuscrit, p. 13‑46.), ainsi que par l’association des habitants par l’information et la concertation, et la valorisation de leurs capabilités (Le Blanc et Zwarterook, 2020[9]Le Blanc A, Zwarterook I. (2020). « II. La résilience des communautés dans un territoire industriel en difficulté », Villes et territoires résilients, p. 205‑218. [En ligne; Benitez et Reghezza, 2018[10]Benitez F, Reghezza M. (2018). « Les capabilités à faire face ou comment repenser la résilience des individus », VertigO – La revue électronique en sciences de l’environnement, hors-série n° 30 [En ligne).

Néanmoins, plusieurs questions restent sous-explorées : comment les nouvelles pratiques urbanistiques se nourrissent-elles des crises passées ? Comment concilier la question de la justice sociale avec des approches plus respectueuses de l’environnement et du patrimoine existant ? Quelle gouvernance permet de coordonner la présence d’autorités publiques souvent délégitimées par la catastrophe, mais incontournables pour légiférer et structurer l’action publique et l’existence de voix alternatives, habitants, sociétés civiles voire acteurs de l’aide internationale, soucieux de faire entendre leurs intérêts et d’orienter l’action ?

Le cas de Beyrouth permet de répondre à ces questionnements selon deux axes. D’abord, la succession des reconstructions – dans les années 1990 puis après la guerre entre Israël et le Hezbollah en 2006 –, mais aussi de crises migratoires et économiques, conduit les acteurs locaux à tirer des leçons critiques de ces expériences en termes de justice sociale, de participation et d’intégration des enjeux environnementaux et du patrimoine. Ensuite, dans le contexte de la crise, la paralysie des institutions publiques offre des marges de manœuvre aux acteurs professionnels et de la société civile pour mettre en œuvre des modèles urbanistiques alternatifs, visant non seulement à répondre aux dégâts causés par l’explosion, mais plus largement refonder la pratique de l’urbanisme dans le pays.

Le cadre analytique retenu met en relation les modèles d’action urbanistique et la sociologie des urbanistes. Pour cela, je me réfère au concept de cultures professionnelles de l’urbanisme, définies par Bish Sanyal (Sanyal, 2005[11]Sanyal B. (2005). Comparative planning cultures, New York, Routledge.) comme la combinaison de l’éthos professionnel et des attitudes dominantes chez les urbanistes et acteurs des politiques urbaines. Elle inclut une dimension idéologique mais est aussi fortement marquée par les contraintes matérielles de l’exercice professionnel (rapports de force politique et économique). L’analyse des formations, des générations et des modes d’exercice permet d’objectiver ces cultures professionnelles. Dans des travaux antérieurs, j’ai montré que les événements et les luttes collectives vécus par les urbanistes libanais permettaient d’identifier des groupes aux cultures et pratiques nettement distinctes (Verdeil, 2021[12] Verdeil É. (2021). « Les études urbaines au Liban », dans Raymond C, Catusse M, Hanafi S (dir.), Un miroir libanais des sciences sociales. Acteurs, pratiques et disciplines, Marseille, Diacritiques, p. 83‑132. ; Souami et Verdeil, 2006[13]Souami T, Verdeil É. (dir.). (2006). Concevoir et gérer les villes : milieux d’urbanistes du sud de la Méditerranée, Paris-Beyrouth, Economica/Anthropos – IFPO.).

L’analyse présentée s’appuie sur des données recueillies pendant une période d’environ une année, entre août 2020 et l’été 2021, marquée par l’incertitude politique et la crise financière et du COVID, mais avant l’accélération vers l’effondrement systémique dans lequel s’enfonce le Liban depuis lors. Cette documentation est diverse mais largement exploratoire. Je suis grandement redevable à mes interlocuteurs libanais engagés dans les politiques publiques de réponse à cette crise, que j’ai interrogés directement sur place (en juillet 2021) ou à distance à divers moments de l’année. Néanmoins, ces entretiens[14]Trois entretiens avec le président de l’ordre des ingénieurs et architectes, deux avec un urbaniste historiquement engagé dans la défense du patrimoine et les projets de reconstruction postexplosion, une universitaire membre du Beirut Urban Lab, une architecte du collectif Public Works, auxquels s’ajoutent des échanges plus informels avec des universitaires et intellectuels locaux., complétés par des visites de terrain, ne remplacent pas une observation de l’intérieur et me laissent à la merci de biais d’interprétation. Je m’appuie également sur une large documentation écrite, combinant presse, documents de politiques publiques émanant des autorités, des acteurs internationaux ou de la société civile, ainsi que des très nombreuses analyses scientifiques ou prises de position normatives disponibles (tribunes, blogs, tables rondes visibles en ligne, etc.).

Dans un premier temps, l’article dresse un état des lieux critique des reconstructions au Liban et des nouveaux paradigmes d’action qui émergent. Puis il présente les impacts de l’explosion sur la ville, avant de revenir sur les défis institutionnels, notamment la déficience des acteurs publics dans le contexte actuel. Il présente ensuite les projets et les modes d’action des acteurs urbanistiques alternatifs qui jouent un rôle majeur. La conclusion revient sur les implicites et les paradoxes de la notion proposée à la discussion d’urbanisme de crise à la lumière du cas libanais[15]Je remercie Joe Nasr et Petra Samaha pour leurs remarques et leur aide sur les enjeux de traduction. Je remercie aussi les évaluateurs pour leurs suggestions, et les éditeurs de ce numéro pour leurs encouragements et leur travail éditorial..

Réinventer un urbanisme postcrise : un débat qui vient de loin

Avant même l’explosion du 4 août 2020, la ville était le lieu de multiples réflexions sur la gestion de crise, en réaction aux expériences de reconstruction que le pays a enchainées depuis la guerre civile, mais aussi à des crises urbaines de natures différentes : géopolitique avec l’afflux de plus d’un million de réfugiés syriens depuis 2012 dans un pays qui compte quatre millions de résidents permanents, et écologique avec un effondrement des services publics d’approvisionnement en électricité et en eau, ainsi que la crise de la collecte et du traitement des déchets, survenue en 2015 et toujours sans solution durable (Verdeil, 2017b[16]Verdeil É. (2017b). « Infrastructure crises in Beirut and the struggle to (not) reform the Lebanese State », Arab Studies Journal, n° XVI(1), p. 84‑112., 2022[17]Verdeil É. (2022). « Le sens de l’événement. Effondrement infrastructurel et interdépendance des réseaux : leçons du Liban en temps de blackout », Flux, n° 128(2), p. 66‑74.). Ces crises environnementales multiples causent des pollutions majeures. Mais si ce débat a des racines locales, la discussion s’inspire également d’autres cas qui conduisent à la proposition d’une nouvelle approche des crises urbaines actuelles.

La critique des reconstructions passées

La critique du modèle urbanistique choisi pour la reconstruction du centre-ville de Beyrouth est immédiatement contemporaine de son lancement, et l’a même précédé. De nombreuses publications dans les sphères politiques, professionnelles et académiques en ont détaillé les facettes (entre autres Beyhum (dir.), 1991[18]Beyhum N (dir.). (1991). « Reconstruire Beyrouth : les paris sur le possible »,  table ronde tenue à Lyon du 27 au 29 novembre 1990, Lyon, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, 426 p. ; Beyhum, Salam et Tabet (dir.), 1992[19]Beyhum N, Salam A, Tabet J (dir.). (1992). Beyrouth: construire l’avenir, reconstruire le passé ?, New York/Beyrouth, Ford Foundation. ; Khalaf et Khoury (dir.), 1993[20]Khalaf S, Khoury PS (dir.). (1993). « Recovering Beirut: Urban design and post-war reconstruction », Social, economic and political studies of the Middle East, n° 47. ; Rowe et Sarkis (dir.), 1998[21]Rowe PG, Sarkis H (dir.). (1998). Projecting Beirut: Episodes in the construction and reconstruction of a modern city, New York/Munich, Prestel.). La critique porte d’abord sur l’atteinte à la propriété privée, à travers un mécanisme original d’expropriation permettant à une société foncière privée de dédommager les ayants droit par des actions plutôt qu’en numéraire. L’économie politique du projet illustre une collusion des intérêts publics et privés : Rafic Hariri, président du Conseil des ministres de 1992 à 2004 (sauf entre 1998 et 2000), en est à la fois l’inspirateur, le décideur et aussi le principal actionnaire et bénéficiaire. La société Solidere se retrouve seule aux commandes de l’aménagement, échappant au contrôle de la municipalité, du gouvernement et du Conseil de développement et de la reconstruction qui lui ont confié son mandat. Les critiques portent aussi sur le parti moderniste, qui entraine des destructions patrimoniales potentiellement évitables. Plus largement, les choix effectués au nom d’une logique marchande, visant le développement du tourisme et de l’immobilier de luxe, impliquent l’éviction des résidents encore présents au début des années 1990 sans permettre le retour de l’ancienne population et des usages mixtes de ce secteur central. Ces critiques initiales se trouvent, 25 ans après le début du projet, largement validées par l’état actuel du développement (Verdeil, 2017a[22]Verdeil, É. (2017a). « Beyrouth: reconstructions, fragmentation et crises infrastructurelles », dans Dominique Lorradans (dir.), Métropoles en Méditerranée. Gouverner par les rentes, Paris, Presses de Sciences Po, p. 61‑108. ; Al-Harithy et Mneimneh, 2021[23]Al-Harithy H, Mneimneh D. (2021). « The [framing] of heritage dans the post-war reconstruction of Beirut central district (Lebanon) », dans Al-Harithy H (dir.), Urban recovery: Intersecting displacement with post war reconstruction, Londres, Routledge, p. 239‑270 [En ligne).

La reconstruction du secteur de Haret Hreik, en banlieue sud de Beyrouth, procède de choix urbanistiques et politiques très différents qui ont néanmoins également suscité de profondes critiques. Plus d’une trentaine d’hectares de ce quartier, siège des activités du Hezbollah mais aussi pôle commercial habité par une population de classes moyennes, ont été véritablement rasés par les bombardements israéliens, en 2006. Trente mille personnes se retrouvèrent sans logement. Ce sont ici les priorités politiques du Hezbollah qui ont guidé la reconstruction. En vue de perpétuer l’hégémonie politique du parti chiite impliqué dans le déclenchement de cette guerre, l’organisation Waad, qui en était une émanation, a privilégié une reconstruction à l’identique. Ce choix permettait d’éviter de longues négociations pour un nouveau schéma directeur avec un gouvernement hostile au parti. Cette organisation a centralisé les indemnités versées aux propriétaires, complétées par des dons divers (notamment iraniens et issus de la diaspora), assurant ainsi le financement de l’opération sans recours au marché, en évitant tout déplacement de population (en tout cas des propriétaires).

D’emblée, d’autres propositions de reconstruction avaient été avancées, notamment par un collectif d’architectes et d’urbanistes de l’Université américaine de Beyrouth (Fawaz et Ghandour (dir.) 2007[24]Fawaz M, Ghandour M (dir.). (2007). The reconstruction of Haret Hreik. Design options for improving the livability of the neighborhood, Beirut, American University of Beirut, Reconstruction Unit at ArD. ; Al-Harithy, 2010[25]Al-Harithy H (dir.). (2010). Lessons in post-war reconstruction: Case studies from Lebanon dans the aftermath of the 2006 war, Routledge.). Les critiques portaient sur la manière dont le projet reproduisait les illégalismes (dépassement des hauteurs autorisées, empiètements sur l’espace public) datant de la période de la guerre civile, qui avaient été régularisés. Ce faisant, le projet renonçait à améliorer le tissu urbain du point de vue de la circulation et des espaces verts. Plus largement, c’est le mécanisme de décision qui était pointé du doigt : un coup de force du Hezbollah excluant les autorités publiques du processus décisionnel, se plaçant dans l’illégalité urbanistique et sur le plan immobilier. Malgré une rhétorique participative, les habitants ne purent intervenir que dans le choix de la décoration et n’avaient d’autres choix, face à des pratiques autoritaires jouant sur l’urgence et la pression du nombre, que d’obtempérer (Fawaz et Harb, 2010[26]Fawaz M, Harb M. (2010). « Influencing the politics of reconstruction in Haret Hreik », dans Al-Harithy H (dir.), Lessons in post-war reconstruction: Case studies from Lebanon dans the aftermath of the 2006 war, Londres, Routledge, p. 21‑45.). En revanche, grosse différence avec l’opération Solidere, la reconstruction de Haret Hreik fut achevée en cinq ans, et ce quartier rendu à une vie ordinaire – quoique toujours sous la férule quotidienne du Hezbollah, plus que jamais dominant dans cette région (Verdeil, 2012b[27]Verdeil É. (2012b). « Retour sur l’atelier de travail sur la reconstruction de la banlieue sud de Beyrouth : une expérience unique », Les carnets de l’Ifpo, 11 septembre [En ligne).

Ces deux opérations majeures de reconstruction traduisent des choix politiques opposés et impliquent des cultures urbanistiques et des modes de faire radicalement différents. Mais elles se rejoignaient dans la définition et la mise en œuvre d’un urbanisme top-down et dérogatoire par rapport aux procédures ordinaires, écartant les autorités publiques, soit au profit d’une entité privée, soit d’une organisation partisane aux intérêts propres, négligeant les aspirations environnementales et refusant d’associer les habitants aux décisions, notamment les plus précaires et les locataires (Fawaz, 2014[28]Fawaz M. (2014). « The politics of property dans planning: Hezbollah’s reconstruction of Haret Hreik (Beirut, Lebanon) as case study », International Journal of Urban and Regional Research, n° 38(3), p. 922‑934. ; Verdeil, 2012a[29]Verdeil É. (2012a). « La reconstruction entre politiques et cultures urbanistiques. Réflexions à partir de l’exemple de Beyrouth », Majalat al-mi’mar al ’arabi (revue d’architecture arabe), n° 4‑5, p. 175‑189. ; Tabet, 2020[30]Tabet J. (2020). « إعادة الإعمار في غياب الدولة: دور المهندسين والنقابة » [En ligne).

Recovery versus reconstruction

Les réactions critiques face à ces opérations emblématiques ont progressivement nourri l’élaboration collective d’un contre-modèle d’action urbanistique, que symbolise l’emploi délibéré du terme anglais de recovery, opposé à celui de reconstruction. C’est dans les travaux théoriques et appliqués des chercheur.e.s et praticien.ne.s rattaché.e.s au Beirut Urban Lab lié à l’Université américaine de Beyrouth que l’élaboration de la notion critique et alternative de l’urbanisme de crise est la plus explicite et poussée. Sans vouloir réduire la richesse des débats libanais sur l’urbanisme de crise, qui sera développée ultérieurement, il semble essentiel de préciser d’abord comment s’énonce ce qui est présenté comme une nouvelle doctrine ainsi que l’identité sociale de ce groupe de chercheuses et professionnel.les, et les expériences urbanistiques qui ont contribué à l’inspirer. Dès les premières semaines suivant l’explosion du 4 août, les documents de diagnostic et de réaction émanant de ce collectif énonçaient très clairement les principaux points de cette nouvelle approche : « Beyond humanitarian aid and relief, a community-based recovery that is inclusive, participatory and environmentally-conscious needs to be envisioned and put on track; one that not only reconstructs physical structures but also addresses the injustices and vulnerabilities that existed before the blast in order to build a stronger community, brought together by multiple social ties, local economic activities, and rich cultural heritage »[31]Qu’on peut traduire ainsi, sachant que le terme de rétablissement pour recovery est un peu faible : « Au-delà de l’aide humanitaire et de l’assistance, il faut imaginer et mettre en œuvre un rétablissement centré sur la communauté habitante, qui soit participatif et environnementalement responsable. Ce rétablissement ne reconstruit pas seulement les structures physiques, mais traite aussi les injustices et les vulnérabilités qui existaient avant l’explosion afin de construire une communauté habitante plus forte, tenue par de multiples liens sociaux, des activités économiques et un riche patrimoine culturel ». (BeirutUrbanLab, Fawaz, Harb, Al-Harithy et Gharbieh, 2020[32]Beiruturbanlab, Fawaz M, Harb M, Al-Harithy H, Gharbieh A. (2020). « Beirut Urban Lab – The Beirut blast: A week on », @BeirutUrbanLab. [En ligne).

Le terme de recovery est particulièrement utilisé dans le domaine médical et peut être traduit par « rétablissement ». S’opposant aux anciens projets de reconstruction centrés sur les dimensions physiques, la démarche de recovery se doit d’être participative et inclusive, et doit s’appuyer sur les habitants des quartiers touchés, les réseaux économiques et sociaux qu’ils forment, avec une attention toute particulière aux enjeux de mémoire, tangible (le patrimoine bâti) et intangible (pratiques, valeurs, etc.)[33]“Any recovery process should start from there. Social and economic networks, both formal and informal, both tangible and intangible, need to be restored and empowered, including sites of shared memories and social significance.” (Ibidem).

Le Beirut Urban Lab est une structure de recherche créée en 2018 par Mona Fawaz, Mona Harb et Howayda Al-Harithy, trois professeures d’architecture et d’urbanisme de l’Université américaine de Beyrouth (AUB). Toutes trois faisaient déjà partie de la Reconstruction Unit, active en 2006. Les formations dispensées en urbanisme et urban design depuis 2001 ont concerné plus d’une centaine de diplômés. Les ressources organisationnelles et financières de l’AUB, la forte internationalisation de son équipe, et les liens forts entre recherche, formation et engagement dans la cité ont fait de ce centre un espace de référence sur les questions urbaines, plus visible et plus à même de structurer le débat public que les autres lieux de formation et de recherche existant au Liban, malgré des similarités dans les publics étudiants (Verdeil, 2021[34]Op. cit.).

Les chercheurs et enseignants en urbanisme, et leurs étudiants, ont été particulièrement sollicités par les deux autres crises qu’a traversées le Liban dans les années 2010 : l’arrivée et l’installation dans les espaces urbains des réfugiés syriens, et la crise des déchets à partir de 2015. De nombreuses recherches et interventions ont cherché à trouver des réponses à ces engagements (Harb, 2018[35]Harb M. (2018). « New forms of youth activism in contested cities: The case of Beirut », The International Spectator, n° 53(2), p. 74‑93.). Il en ressort deux traits majeurs. D’abord, l’accent est mis sur les enjeux d’habitat suscités par ces crises, qui ont conduit à un intérêt marqué pour les questions d’urbanisation informelle en contexte d’urgence sanitaire et humanitaire. Cette préoccupation contraste avec la priorité longtemps donnée à l’analyse de la production de fragments urbains destinés à insérer la ville dans la mondialisation selon les canons néolibéraux (Fawaz, Gharbieh, Harb el-Kak et Salamé, 2018[36]Fawaz M, Gharbieh A, Harb El-Kak M, Salamé D (dir.). (2018). Refugees as city-makers, Beyrouth, American University of Beirut.). Ces travaux procèdent ensuite à une profonde politisation des questions urbaines, soulignant les enjeux financiers, d’économie politique et d’inclusion sociale. La crise des déchets a particulièrement orienté cette prise de conscience et a débouché sur des mobilisations politiques comme les campagnes Beirut Madinati (Beyrouth ma ville) pour les élections municipales de 2016, puis Naqabati en 2017 (élection à l’Ordre des ingénieurs et architectes), largement portées par des acteurs civiques et universitaires préalablement engagés dans cette lutte, et mettant l’accent sur les questions de participation, de logement et d’environnement (Harb, 2018[37]Op. cit.). Ces mobilisations n’ont pas débouché sur des changements dans les politiques publiques, en raison de rapports de force défavorables à l’échelle municipale et au sein de l’ordre. Néanmoins, ils amplifient la montée des critiques contre les anciens référentiels et la réflexion en faveur de nouvelles manières de faire.

L’élaboration de cette approche de l’urbanisme face aux crises se nourrit aussi des expériences de recherche-action menées à Alep en Syrie autour de la reconstruction de certains quartiers, ainsi qu’à Erbil autour de la question du patrimoine rural. La promotion de la notion de recovery pour la nouvelle reconstruction de Beyrouth y puise aussi des enseignements. L’architecte Howayda Al-Harithy en a été l’inspiratrice majeure et en a proposé, dans un texte récent, une synthèse et une généalogie (Al-Harithy et Makhzoumi, 2019[38]Al-Harithy H, Makhzoumi J (dir.). (2019). Post-war recovery of cultural heritage sites. Aleppo Ta7t AlQala’a: An urban and landscape design studio​, Beirut, Architecture Department, AUB [En ligne ; Al-Harithy, 2021[39]Al-Harithy H. (2021). Urban recovery: Intersecting displacement with post war reconstruction, Milton, UK, Taylor & Francis Group. [En ligne ; Al-Harithy, Makhzoumi, Boano, Baper et Viki, 2021[40]Al-Harithy H, Makhzoumi J, Boano C, Baper SY, Viki N. (2021). Rural heritage recovery and post-conflict development in the Kurdistan Region of Iraq (KRI): Erbil’s rural periphery, The Nahrein Network. [En ligne).

Critique de la linéarité des approches classiques, expertes et top-down, focalisées sur la dimension infrastructurelle des reconstructions, le projet de recovery passe par des processus de conception itératifs donnant un rôle central aux habitants déplacés par les dommages, mais toujours ancrés dans les lieux et dépositaires d’une culture et d’une mémoire. Leur participation est une condition essentielle de la réussite de la construction d’un futur post-crise/post-conflit. La notion de recovery implique aussi une critique de l’horizon temporel implicite des reconstructions promouvant souvent, au moins implicitement, le retour à une situation antérieure où pourtant certaines causes du conflit destructeur étaient déjà présentes. Cette démarche de recovery doit laisser place à une « nouvelle normalité », construite graduellement en donnant priorité aux vies humaines et au collectif, dans leurs dimensions économiques, sociales, culturelles et environnementales. Se référant aux travaux de Diane Davis (Davis, 2021[41]Davis DE. (2021). « Refugees, resettlement, and the territorial correlates of resilience », dans Howayda Al-Harithy (dir.), Urban recovery: Intersecting displacement with post war reconstruction, Londres, Routledge [En ligne), Al-Harithy souligne que la notion de recovery s’approche de celle de résilience, en ce qu’elle implique une adaptation collective à un nouveau contexte (Al-Harithy, 2021[42]Op. cit.).

L’explosion du 4 août : enjeux et logiques de gouvernance

Une catastrophe de nature inédite
mais qui réactive des vulnérabilités
provoquées par les politiques urbaines antérieures

Avant de présenter les politiques publiques face à la crise du 4 août, il convient de souligner la spécificité des enjeux. En premier lieu, la nature des dégâts se distingue des situations des reconstructions précédentes. L’explosion de nitrate d’ammonium stocké dans le port depuis 2013 résulte d’un accident dont l’éventualité n’était pas identifiée. Certes, une carte des risques technologiques réalisée pour l’étude d’aménagement du territoire du Liban, publiée en 2003 par le consortium DAR-IAURIF (DAR-IAURIF, 2003[43]DAR-IAURIF. (2003). Schéma directeur d’aménagement du territoire libanais (SDATL). Phase 1. Diagnostics et propositions. Rapport définitif, Beyrouth, Conseil du développement et de la reconstruction.) avait mis en évidence les dangers associés au silo à grain soufflé par l’explosion et divers dépôts pétroliers de la zone portuaire. Mais les autorités ont ignoré les signaux d’alerte, soit par négligence, soit en raison du trafic lucratif et/ou politiquement motivé de cette substance, comme le suggèrent des sources journalistiques. En tout état de cause, l’explosion a été d’une violence inédite par sa puissance et son instantanéité. L’onde de choc s’est étendue sur plusieurs kilomètres. Les premières estimations évoquaient 300 000 sans-abri[44]Soit environ 75 000 familles (environ 4 personnes par ménage). et plus de 6 000 immeubles touchés, mais elles étaient exagérées et mélangeaient des cas de figure très hétérogènes. Une estimation récente évoque une fourchette de 10 à 15 000 logements inhabitables (Tabet, 2021[45]Tabet J. (2021). Bilan provisoire des objectifs définis dans la feuille de route un an après l’explosion du 4 août, Déclaration urbaine de Beyrouth, non publié.). Les analyses plus approfondies menées en septembre 2020 sous l’égide de l’Ordre des ingénieurs ont montré la concentration des dégâts les plus lourds dans les quartiers les plus proches du port, au tissu historique datant de la période ottomane. Plus d’un millier d’immeubles endommagés sont identifiés, dont 323 risquant l’effondrement et 253 gravement. Trois cent soixante immeubles patrimoniaux sont touchés dont une centaine gravement (Order of engineers of Beirut, 2020[46]Order of engineers of Beirut. (2020). « Beirut port explosion of Aug 04 2020: Buildings final structural assessment report », p. 17.) (figure 1).

Figure 1. Carte des dégâts répertoriés par l’Ordre des ingénieurs et architectes de Beyrouth.

Si le bilan physique des dégâts est plutôt moins élevé que lors des reconstructions précédentes, les analystes mettent davantage en évidence l’intrication de multiples crises et facteurs de vulnérabilité, alors que les autres crises ont été analysées, peut-être de manière trop restrictive, comme renvoyant à une cause unique, la violence de la guerre civile ou les bombardements israéliens. L’explosion de 2020 touche une ville et une population déjà fragilisées par les blessures collectives liées aux guerres passées, mal prises en charge par les reconstructions de 1991 et 2006, une politique immobilière néolibérale qui avait encouragé les évictions des habitants économiquement les plus fragiles (personnes âgées, anciens locataires, petits propriétaires impécunieux), dans le contexte d’une crise économique et sociale qui s’amplifiait depuis plusieurs années, notamment une dévaluation dramatique de la monnaie et un défaut sur la dette publique qui place le pays dans une impasse politique. Les crises migratoires et écologiques évoquées ci-dessus ont aggravé les tensions existantes (Harb et Fawaz, 2020[47]Harb M, Fawaz M. (2020). Leave no one behind. For an inclusive and just recovery process in post-blast Beirut, Beirut, UNDP Lebanon.).

Absence des institutions étatiques,
mobilisation des acteurs internationaux
et de la société civile

Face à ces dommages, la réponse publique a été particulièrement limitée. En premier lieu, tous les observateurs notent l’absence de réaction des autorités publiques compétentes. Au niveau gouvernemental, le Haut comité des secours (Higher Relief Committee), très impliqué en 2006, tout comme le Conseil du développement et de la reconstruction qui gérait la reconstruction des années 1990 ne participent ni aux actions d’urgence, telles que l’évaluation des dommages, ni aux réflexions sur les manières de reconstruire. La municipalité de Beyrouth, normalement compétente sur les questions d’urbanisme, n’est pas non plus mobilisée. Seule l’armée a pris un rôle, inhabituel pour elle, de surveillance des zones touchées pour éviter les pillages puis pour coordonner spatialement les interventions des organisations non gouvernementales. Mais les militaires responsables de ces actions s’estimaient peu outillés pour réfléchir à ces actions de reconstruction, et leur travail de coordination manquait d’efficacité, d’autant que le premier chef de mission a été remplacé après quelques mois[48]Témoignage de Mona Harb, entretien, 7 juillet 2021.. Un des rares acteurs publics actifs a été la direction des Antiquités, en charge du patrimoine, impliquée dans le montage de partenariats avec des bailleurs de fonds étrangers ou des mécènes. L’absence des institutions publiques concerne aussi la justice : jusqu’à aujourd’hui, l’enquête sur les causes et sur les responsables de l’explosion n’a pas progressé, un des juges nommés a été récusé, le suivant fait face à l’obstruction de la classe politique (ministres et parlementaires) empêchant le bon déroulement des auditions des suspects. Les révélations de la presse suggèrent l’existence d’une corruption de l’administration du port ayant facilité le stockage durable, voire l’entrée des matières dangereuses, au bénéfice de divers acteurs, et en tout cas au su des plus hauts responsables qui n’ont pris aucune mesure de protection.

L’intensité des crises économiques et sociales liées aux politiques financières et urbaines préalables à la crise, la passivité des administrations en charge face à l’explosion et à ses conséquences, conjuguées aux soupçons entourant les responsables politiques, nourrissent un ressentiment puissant de la population face aux dirigeants et à l’État. Le Liban se trouve aujourd’hui dans une situation rare d’impuissance auto-organisée de ses acteurs publics. Contrairement aux épisodes précédents (Verdeil, 2001[49]Verdeil É. (2001). « Reconstructions manquées à Beyrouth : la poursuite de la guerre par le projet urbain », Annales de la recherche urbaine, n° 91, p. 65‑73., 2012a[50]Op. cit.), où certains acteurs politiques se saisirent de la reconstruction pour construire leur légitimité politique, aucune force en place ne cherche à capitaliser sur la crise urbaine ouverte par l’explosion comme un ressort d’action politique.

Dans ce contexte inédit, la mobilisation des organisations internationales et de la société civile locale est au contraire particulièrement notable. La présence et l’action des organisations internationales s’inscrivent largement dans la continuité de la crise syrienne. L’agence pour les réfugiés (UNHCR), le bureau des Nations Unies pour la coordination de l’aide humanitaire (OCHA), et l’Unicef sont présents dans le pays depuis 2012 et coordonnent avec l’État libanais l’accueil des réfugiés et le soutien qui leur est octroyé. Ces organisations, associées aux agences nationales ou européennes d’aide, gèrent des financements massifs, dont elles délèguent la gestion à des organisations non gouvernementales internationales ou locales. Ces dernières ont une connaissance fine du terrain et ont pu très vite déployer des moyens de secours et d’assistance aux populations touchées à Beyrouth.

En parallèle, de multiples initiatives portées par des associations ou des groupes informels de la société civile ont également joué un rôle dans la réponse d’urgence aux dégâts. Les premiers secours, le dégagement des victimes, les premières interventions dans les bâtiments endommagés ont été apportés par des milliers de volontaires, largement inorganisés, mais à l’action remarquable et relativement efficace dans les premiers jours suivant l’explosion. Par la suite, plusieurs organisations existantes ou constituées pour l’occasion ont pris diverses initiatives, dont certaines seront analysées dans la partie suivante. L’exemple de l’évaluation des dégâts illustre cette gouvernance marquée par l’absence des institutions publiques et le rôle des organisations de la société civile avec la contribution de quelques organisations internationales.

L’exemple de l’évaluation des dégâts

Au lendemain de l’explosion, les premières estimations des dégâts par le gouvernement libanais sont floues et imprécises. Déjà en temps normal, les institutions publiques sont connues pour ne pas produire de données statistiques. Il existe certes, au sein du CNRS Liban, un centre de suivi des risques (Abdallah, Cartier et Gillette, 2018[51]Abdallah C, Cartier S, Gillette C. (2018). « Une réponse institutionnelle incomplète », dans Ghaleb F, Verdeil E, Hamze M (dir.), Atlas du Liban : les nouveaux défis, Coéditions, Beyrouth, Presses de l’Ifpo, p. 72‑73 [En ligne). Mais, plutôt centré sur les incendies et les inondations, il n’a pas publié de données sur les dommages causés par l’explosion. Dans les jours qui l’ont suivie, ce sont les agences des Nations-Unies et des centres de traitement de données satellite américains et européens qui publient des estimations des impacts (Copernicus. Europe’s eyes on Earth, 2020[52]Copernicus. Europe’s eyes on Earth. (2020). « Beirut. Industrial accident (Explosion). Detailed damage assessment analyses over affected areas. Partial Realease », European Union. ; ACAPS, 2020[53]ACAPS. (2020). « Lebanon: Explosion in Beirut, secondary data review » [En ligne). L’unité OCHA des Nations Unies publie chaque jour une mise à jour des sources disponibles. Le 31 août, la Banque mondiale publie un premier rapport synthétique d’évaluation des dégâts (World Bank Group, European Union, et United Nations, 2020[54]World Bank Group, European Union, United Nations. (2020). Beirut rapid damage and needs assessment, World Bank [En ligne).

Plusieurs acteurs de la société civile libanaise prennent le relai. Dès la fin août, le rapport du PNUD proposant une première synthèse des dégâts urbains est rédigé par M. Fawaz et M. Harb de l’AUB. Il propose une mise en perspective des dommages avec une véritable analyse des dysfonctionnements de la gouvernance urbaine libanaise, allant des reconstructions inachevées ou détournées aux lacunes des politiques publiques concernant l’habitat dans le secteur touché (Harb et Fawaz, 2020[55]Op. cit.). L’analyse des dysfonctionnements du marché immobilier se nourrit de données documentant les processus d’éviction, de gentrification, mais aussi de vacance immobilière, produites par l’Urban Lab de l’AUB, qui offre dès ce moment un accès public aux données de son système d’information géographique identifiant les parcelles et les immeubles de la ville. Cette initiative est formalisée, un an plus tard, par le lancement d’un Urban Observatory où sont disponibles des données géoréférencées sur les immeubles, les commerces et les logements des zones les plus touchées avant et après l’explosion (Beirut Urban Lab, 2021a[56]Beirut Urban Lab. (2021a). « Launching an urban observatory amidst a painful and slow recovery », @BeirutUrbanLab [En ligne). Courant septembre, l’Ordre des ingénieurs et architectes de Beyrouth mobilise des équipes composées de membres bénévoles de l’organisation qui effectuent un recensement très fin des dégâts sur les immeubles (Order of Engineers of Beirut, 2020[57]Op. cit.).

L’analyse de la séquence de production de l’évaluation des dégâts illustre clairement l’inaction de l’État, et la collaboration entre les agences internationales, présentes au Liban et actives dans le suivi de la crise syrienne, et des organisations civiles libanaises, universitaires et professionnelles. Leur mobilisation, à titre bénévole, permet de disposer, malgré la carence de l’État, d’un ensemble de données, certes lacunaire, mais néanmoins précis et rapidement partagé avec tous les acteurs.

Vers une gouvernance urbaine
contournant les autorités publiques

La Banque Mondiale, les Nations Unies et l’Union européenne ont annoncé, au lendemain de l’explosion, leur intention d’aider le Liban et la population libanaise à travers la création d’un instrument inédit de financement, officialisé en décembre 2020. The Lebanon Reform, Recovery and Reconstruction Framework (3RF), d’une durée de 18 mois, promeut un effort de reconstruction centré sur les personnes, vise la reconstruction des infrastructures essentielles afin de relancer l’économie, et enfin ambitionne d’appuyer la définition et la mise en œuvre de réformes permettant le rétablissement de la confiance dans le gouvernement par une amélioration de la gouvernance. Or depuis la démission du président du Conseil, le lendemain de l’explosion, le gouvernement est intérimaire faute d’accord politique pour la formation d’une nouvelle équipe, situation qui s’est prolongée jusqu’en septembre 2021, ce qui empêche les réformes institutionnelles et financières attendues. De ce fait, l’assistance promise, de nature principalement humanitaire et consistant essentiellement en dons, ne transite pas par les institutions publiques et bénéficie directement aux personnes, entreprises et collectifs identifiés. Un groupe consultatif regroupant des représentants de huit organisations de la société civile donne son avis sur les projets bénéficiaires de l’aide. Deux organisations directement impliquées dans les projets de reconstruction y siègent en alternance : Beirut Urban Lab et Beirut Heritage Initiative.

Le mode de gouvernance mis en place pour aider les victimes et accompagner la reconstruction des zones touchées traduit donc très clairement les différences de mobilisation entre les différents acteurs : à la forte implication des institutions internationales et de la société civile répond une marginalisation des institutions publiques qui est à la fois un reflet de l’engagement des premières sur le terrain et une mise à l’écart volontaire des secondes, afin d’éviter d’alimenter la corruption et le clientélisme. Toutefois, tant les acteurs internationaux que locaux déplorent cette absence et soulignent la nécessité d’un acteur public coordonnant l’aide. Dès octobre 2020, deux des directrices du Beirut Urban Lab le soulignent dans une tribune évoquant le spectre d’une « République des ONG », prenant la débâcle haïtienne comme point de comparaison (Fawaz et Harb, 2020[58]Fawaz M, Harb M. (2020). « Is Lebanon becoming another “Republic of the NGOs”? » [En ligne). Les articles de presse parus pour l’anniversaire de l’explosion et faisant le bilan très limité des initiatives prises insistent tous sur les impasses liées à cette absence persistante de politiques publiques, tant en matière d’indemnisation, de lois nécessaires (sur la question du patrimoine) ou de mécanismes d’encadrement des actions de réhabilitation immobilière ou infrastructurelle (Salame, 2021[59]Salame R. (2021). « No one knows just how much of blast-damaged Beirut has been rebuilt », L’Orient Today, 4 août [En ligne ; Lewis, 2021[60]Lewis E. (2021). « Civil society stepped in to fill the void left by the state in the port blast recovery efforts — and never left », L’Orient Today [En ligne ; Tutenges et Polverini, 2021[61]Tutenges R, Polverini L. (2021). « Beyrouth, ville poussière », Slate.fr [En ligne).

Réparer Beyrouth, repenser l’urbanisme

Dans la section finale de cet article, l’objectif n’est pas de faire un bilan factuel de l’avancement de cette reconstruction, qui est par nature évolutive et que divers acteurs et sources s’efforcent de documenter (Tabet, 2021[62]Op. cit. ; Beirut Urban Lab, 2021a[63]Op. cit.). Je propose une typologie de modèles d’action urbanistique face à la crise, fondée sur l’analyse des pratiques, des caractéristiques sociologiques et des cultures professionnelles des groupes qui les portent. Le modèle d’action néolibéral, contrairement aux périodes précédentes, ne donne lieu à aucun projet concret. On ne repère pas non plus d’urbanisme partisan, comme en 2006. Trois modèles d’action émergent, portés par des collectifs d’acteurs distincts en termes générationnels et d’approches urbanistiques, mais néanmoins proches dans leur opposition aux pratiques antérieures.

Modernisation et spéculation immobilière

Contrairement aux reconstructions précédentes, la crise n’a pas suscité de propositions visant à mettre en œuvre des restructurations radicales de l’espace urbain. Le modèle dit néolibéral, proposant d’attirer des investissements pour financer un remodelage important de la ville grâce à une nouvelle offre immobilière, est certes présent dans les esprits. Dans les mois qui ont suivi l’explosion, de nombreuses voix au sein de la société civile ont prévenu contre les pratiques spéculatives prêtées à des investisseurs immobiliers profitant de la détresse des victimes, de la crise économique et de l’absence de réaction étatique pour acheter les biens fonciers à bas prix et poursuivre la transformation du tissu urbain en œuvre depuis une vingtaine d’années (Public Works Studio, 2020[64]Public Works Studio. (2020). « Éviter une nouvelle gentrification des quartiers frappés par le drame du 4 août », L’Orient-Le Jour. [En ligne ; Fawaz et Mneimeh, 2020[65]Fawaz M, Mneimeh S. (2020). « Beirut’s blasted neighborhoods: Between recovery efforts and real estate interests », The Public Source, 6 novembre [En ligne). Ce mouvement a pu être facilité, immédiatement après l’explosion, par la volonté d’investisseurs dont les comptes bancaires étaient bloqués et qui ne pouvaient envoyer leurs capitaux à l’étranger, de les placer dans le foncier dans l’attente d’une amélioration de la situation (Boudisseau, 2021a[66]Boudisseau G. (2021a). « Les prix en “lollars” flambent à Beyrouth », Commerce du Levant, 16 mars [En ligne, 2021b[67]Boudisseau G. (2021b). « Les acheteurs en dollars frais à l’affut d’opportunités », Commerce du Levant, 1er juin [En ligne, 2021c[68]Boudisseau G. (2021c). « À Beyrouth, la folie du “dollar frais” gagne le marché locatif », Commerce du Levant, 29 mars [En ligne). Toutefois, cette frénésie n’a pas débouché sur des projets urbains à l’échelle de la zone considérée.

En revanche, les importants dommages dans la zone portuaire, distincte des quartiers résidentiels, ont donné lieu à plusieurs visions cherchant à profiter de la nécessaire réhabilitation du port, infrastructure par laquelle transitait 70 % des importations, pour lancer une restructuration plus vaste redéfinissant les limites entre la zone portuaire et la ville. Les bassins les plus anciens ont en effet connu un déclin de leur activité. Leur reconversion vers des vocations résidentielles et touristiques est présentée comme un levier d’une modernisation plus vaste du port et de la ville, dans une stratégie de reconquête des fronts d’eau qui a fait ses preuves ailleurs. Quatre propositions ont vu le jour et ont fait l’objet d’annonces, plus ou moins détaillées, aux médias. Elles émanent essentiellement d’acteurs impliqués dans l’économie et la gestion portuaire, au Liban (notamment un consortium déjà en charge du port de Tripoli) et à l’étranger : des opérateurs chinois, émiratis, allemands et français (Hage-Boutros, 2021[69]Hage-Boutros P. (2021). « La reconstruction du port de Beyrouth : un chantier crucial laissé à l’abandon », L’Orient-Le Jour, 4 août [En ligne). Même si un projet porté par la société gestionnaire du port de Hambourg, et soutenu par l’ambassade allemande, a fait l’objet d’une médiatisation en mars 2021 (Abboud, 2021[70]Abboud M. (2021). « Les Allemands détaillent leur plan pour le port de Beyrouth », L’Orient-Le Jour, 10 avril [En ligne ; German Embassy in Lebanon, 2021[71]German Embassy in Lebanon. (2021). « Project for a European Revival of The Beirut Port and the Surrounding area » [En ligne), il n’a pas eu de suite. Il avait fait l’objet de virulentes critiques des activistes urbains pour ses hypothèses économiques jugées fragiles, son caractère spéculatif et non démocratique (Public Works Studio, 2021[72]Public Works Studio. (2021). « The reconstruction of the port of Beirut is everyone’s concern », L’Orient Today, 3 mai [En ligne). Les autorités libanaises ont simplement choisi un nouvel opérateur pour gérer le port des conteneurs, sans le lier à la reconstruction des quartiers touchés.

Mobiliser l’expertise urbaine locale pour débloquer les politiques urbanistiques

Un deuxième ensemble de propositions émane d’un groupe de professionnels au sein desquels le président de l’Ordre des ingénieurs et architectes, Jad Tabet, apparaît comme une figure de proue. L’un des animateurs de l’opposition à la reconstruction du centre-ville dans les années 1990, cet architecte vivant entre Paris et Beyrouth est connu pour ses écrits sur la ville. En 2017, il est élu président de l’Ordre des ingénieurs et architectes en se faisant le héraut des luttes urbaines les plus actuelles, contre la spéculation immobilière et la dégradation de l’environnement, et en les inscrivant dans la continuité des combats antérieurs. Ce faisant, il vise à refaire de cette institution un lieu de contre-pouvoir qu’elle a joué à diverses reprises.

Toutefois, son action à la tête de l’ordre est contrariée par son isolement face à un conseil de l’ordre dominé par les partis politiques qui participent au gouvernement , puis par le blocage lié à la crise financière. Alors que le mandat de Jad Tabet est en principe achevé, les vagues successives de la pandémie de COVID conduisent à le prolonger dans sa fonction, qu’il va utiliser pour lancer diverses initiatives fédératrices face à la reconstruction[73]Entretiens, 15 octobre 2020 et 2 janvier 2021.. On l’a vu, l’ordre a joué un rôle essentiel dans la coordination de l’évaluation des dégâts. En outre, dès la mi-août, Tabet utilise son statut de membre de droit au sein du Conseil supérieur de l’urbanisme pour proposer et faire approuver la mise sous étude de la zone touchée. Cette disposition bloque les transactions dans l’attente d’un plan d’aménagement. Cette décision dépend toutefois, pour sa mise en œuvre, d’un vote de la municipalité de Beyrouth qui, malgré les engagements du maire, n’a jamais été mis à l’ordre du jour. Fin septembre, le Parlement vote la loi 194, ayant pour objet la protection des zones sinistrées et de soutien à leur reconstruction. Elle a pour effet de geler les transactions immobilières pour deux ans, dans l’objectif de protéger les propriétaires des appétits des spéculateurs, de bloquer les hausses de loyer, et de créer un comité dirigé par l’armée libanaise auquel sont associés divers acteurs dont l’Ordre des ingénieurs et architectes. La loi prévoit également la mise en place d’un mécanisme d’indemnisation des habitants et entreprises. Pour plusieurs observateurs, cette loi reste cependant insuffisante. Son manque de vision et l’absence d’une autre loi, portant sur le patrimoine, sont notamment déplorés (Bou Aoun, 2020[74]Bou Aoun C. (2020). « La protection du patrimoine dans l’attente de la loi (2) : le projet de loi sur la protection du patrimoine », URBANstances, 27 novembre [En ligne ; El Hage, 2020[75]El Hage AM. (2020). « La loi de préservation des quartiers sinistrés loin de faire l’unanimité », L’Orient-Le Jour, 19 octobre [En ligne). Dans une troisième initiative, Tabet joue un rôle moteur dans la rédaction de la Déclaration urbaine de Beyrouth, en partenariat avec les écoles d’architecture du pays, publiée le 9 octobre  (Collectif, 2020[76]Collectif. (2020). « Déclaration urbaine de Beyrouth. Pour la reconstruction des quartiers dévastés par l’explosion du 4 août », Ordre des ingénieurs et architectes de Beyrouth.). Le document énonce une vision soucieuse de l’identité des quartiers concernés ainsi que de leur protection et revitalisation, tout en soulignant les défis socioéconomiques et en affirmant une vision prospective ambitionnant de transformer la relation entre la ville et le port, ainsi que les déplacements dans le secteur. L’initiative vise à organiser les universitaires, en partenariat avec l’ordre, en un groupe de pression capable de peser sur les décisions des instances officielles, et à produire une vision claire de l’avenir. Tandis que la problématique de la structuration et du partage des données est affirmée, la déclaration de Beyrouth lance une série de conférences et ateliers visant à structurer le savoir sur les quartiers et à proposer des solutions.

Ces différentes initiatives reposent sur plusieurs fondements. Le premier est l’identité professionnelle des architectes et ingénieurs, dépositaires d’une mémoire urbaine et d’une expérience critique des projets de reconstruction et de transformation urbaine passés. L’enjeu de la protection du patrimoine, menacé par les projets autoroutiers et la densification urbaine, renvoie ainsi à de nombreuses luttes des vingt dernières années. Appuyées sur une expertise de la ville, mais aussi sur des instruments d’urbanisme existants mais trop souvent contrariés, ces initiatives n’entendent pas tant inventer de nouvelles méthodes et outils que d’utiliser la crise pour remettre l’urbanisme beyrouthin sur ses rails, en reprenant des idées et des propositions trop longtemps écartées par l’obstruction de la classe politique locale.

Recovery :
approches participatives, urbanisme tactique

Les approches du groupe du Beirut Urban Lab constituent un troisième ensemble d’attitudes et de visions, qui se distinguent sur plusieurs points avec ce qui vient d’être énoncé, quand bien même ce groupe est également signataire de la Déclaration urbaine de Beyrouth et collabore sur plusieurs des chantiers lancés. Les membres de ce groupe se rattachent à une génération plus jeune, qui a commencé à travailler après les luttes de la première reconstruction. Fortement investie dans celle de 2006, elle est plus attentive et ouverte à des modes de faire la ville plus informels et moins cadrés par les institutions urbanistiques. Le recours à la notion de recovery, opposée à celle de reconstruction, traduit certaines spécificités dans leur approche.

D’abord, ce groupe attache une attention inhabituelle aux quartiers les plus populaires. Par contraste avec la focalisation des acteurs du premier groupe sur les quartiers de Gemmayzeh et de Mar Mikhail, dont le patrimoine architectural est le plus remarquable et a fait l’objet de nombreux combats passés, un accent particulier est mis sur le quartier de Karantina, espace de relégation rarement l’objet des initiatives urbanistiques, séparé des autres par une autoroute urbaine. Cela témoigne d’un intérêt pour les catégories d’habitants les plus défavorisées, parmi lesquelles de nombreux réfugiés syriens et migrants qui furent parmi les plus durement touchés par l’explosion, quoique restant relativement à l’écart des circuits d’aide.

Le projet de réhabilitation de Sahet El Khodor et de la rue Mashghara dans ce quartier illustre la mise en œuvre d’une démarche d’enquête participative et de codesign de l’espace public. Elle a d’ailleurs fait l’objet d’une restitution publique aux habitants. La démarche se focalise sur des interventions relativement modestes et s’apparente à de l’urbanisme tactique (Al-Harithy et Yassine, 2020[77]Al-Harithy H, Yassine B. (2020). « Post-disaster Karantina: Towards a people-centered heritage-led recovery », The Public Source, 6 octobre [En ligne ; Beirut Urban Lab, 2021b[78]Beiruturbanlab. (2021b). « Launching of the rehabilitation project of Sahet Al Khodor in Karantina », @BeirutUrbanLab [En ligne). D’autres démarches similaires tentent d’identifier les pratiques citadines dans les espaces délaissés et de les conforter comme moyen de maintenir un rapport aux lieux, bâtis mais aussi non bâtis, un rôle structurant dans l’appropriation urbaine (Mazraani, 2020[79]Mazraani D. (2020). « Urban Vacant Parcels as Opportunities to Reclaim Public Spaces in Times of Crises and Austerity », UNDP Peace Building [En ligne).

D’autres projets, associant des acteurs du Beirut Urban Lab à d’autres professionnels, partagent cet intérêt pour l’espace public comme enjeu essentiel de la reconstruction. Ces acteurs proposent ainsi de profiter de la crise pour mettre en œuvre un cheminement vert dans une zone planifiée depuis plusieurs décennies pour le passage d’une autoroute. Finalement abandonné en 2015 après de longues mobilisations, ce projet libère un vaste ensemble de parcelles qui devaient être expropriées et qui n’ont pas été densifiées. Des propositions de préservation de ces jardins et escaliers à aménager comme espaces publics ont été alors élaborées. Elles sont remises en avant à l’occasion de la crise. Toutefois, les financements pour réaliser les travaux, même modestes, font défaut[80]Ce projet a finalement fait l’objet d’un soutien (modeste) du Comité Liban de la Fondation de France, auquel je participe depuis novembre 2021.. Dans cet exemple, les sources d’inspiration urbanistique ne sont pas les instruments classiques de l’urbanisme libanais, mais tout un ensemble de références et de pratiques promues par des professionnels locaux, souvent soutenus par des agences de coopération étrangère. L’appui de l’ex-IAU-IdF, désormais Institut Paris Région, à la municipalité de Beyrouth, notamment sur la mise en valeur des espaces verts et la promotion de modes doux, doit ici être cité. Ces approches s’inscrivent dans la valorisation de la ville durable et les pratiques habitantes ordinaires, en rupture avec un aménagement valorisant les infrastructures et une vision moderniste et privatisée de la ville[81]Entretien avec Habib Debs, 8 juillet 2021..

Contestations des politiques urbanistiques
et organisation des groupes les plus vulnérables

Les activistes du groupe Public Works Studio illustrent un quatrième ensemble d’attitudes et de conceptions urbanistiques. Animé par des architectes, dont l’une, Abir Saksouk, se distingua par sa contribution à une expérience d’urbanisme participatif pour la reconstruction du village d’Aïta Chaab, au Sud Liban, au lendemain de la guerre de 2006 (Saksouk Sasso, Bekdache et Sheikh Hassan, 2010[82]Saksouk Sasso A, Bekdache N, Sheikh Hassan I. (2010). « Beyond compensation: The post-war reconstruction battles of ‘Aita al-Cha‘b », dans Al-Harithy H (dir.), Lessons in post-war reconstruction. Case studies from Lebanon in the aftermath of the 2006 war, Londres, Routledge, p. 158‑186.), ce groupe a pris part à plusieurs actions singulières témoignant d’un nouvel activisme urbain. Ces militantes (ce sont très majoritairement des femmes) rejoignent en cela des pratiques de plus en plus observées dans les pays occidentaux, en Asie ou dans le monde arabe (Douay et Prévot, 2012[83]Douay N, Prévot M (dir.). (2012). L’Activisme urbain. Engagement et militantisme, L’Information géographique, vol. 76. ; Stadnicki, 2013[84]Stadnicki R. (2013). « De l’activisme urbain en Égypte : émergence et stratégies depuis la révolution de 2011 », EchoGéo, n° 25. [En ligne). Elles ont mené des actions de sensibilisation et de mobilisation contre l’occupation illégale du littoral et pour sa réappropriation populaire (Dictaphone Group, 2013[85]Dictaphone Group. (2013). This Sea is mine – Research booklet, Dictaphone Group, Beirut [En ligne), contre les carrières illégales qui détruisent les milieux naturels du pays, ainsi que contre les évictions liées à la gentrification à Beyrouth (Public Works Studio, 2019[86]Public Works Studio. (2019). « Housing, displacement, and the elderly: Intersectional spatial narratives from Tareek al-Jdeede, Beirut », Jadaliyya – جدلية [En ligne). Leurs méthodes se distinguent par leur dimension participative lors des enquêtes, ainsi que par des actions visant l’implication du public par des formes sensibles, à travers l’art et des performances in situ. Fortement engagées dans la campagne Beirut Madinati en 2016, les militantes ont trouvé dans la situation postexplosion un nouveau terrain d’engagement.

Un premier enjeu concerne le suivi des inégalités résidentielles aggravées par l’explosion. Public Works utilise l’outil The Housing Monitor[87]housingmonitor.org, lancé deux ans auparavant, pour suivre les évictions des habitants des quartiers du fait de la gentrification provoquée par les politiques urbaines. L’organisation alerte le public sur les difficultés des locataires, en particulier ceux bénéficiant de baux anciennement protégés, et les migrants, face aux pressions des propriétaires prétextant des dommages pour récupérer leurs biens et les réparer en expulsant les résidents. Les cas de plusieurs centaines de ménages ayant perdu leurs logements ont été documentés. Ces observations conduisent les militantes à critiquer l’approche des autorités à travers la loi 194, et le soutien que lui apporte l’Ordre des ingénieurs et architectes. Pour Public Works Studio, cette loi est trop focalisée sur la préservation des bâtiments et ne protège pas les résidents (Public Works Studio, 2020[88]Op. cit.).

Public Works Studio développe aussi un discours critique sur la participation. Non seulement le groupe déplore l’absence d’implication des résidents dans les instances de suivi de la reconstruction, qu’elles émanent du gouvernement ou du 3RF, mais il critique aussi le recours à la participation/consultation des habitants dans des projets émanant des experts. À la place de ces modes d’action, Public Works Studio se donne pour objectif de favoriser l’expression des habitants les plus vulnérables et les plus éloignés des politiques publiques en les aidant à s’organiser et à mettre en avant leurs problèmes, tels que le manque d’accès aux indemnités ou les inégalités dans l’aide à la reconstruction. Le groupe finance ainsi des postes d’animateurs chargés de proposer une méthode d’organisation de comités de résidents, suivant les recommandations d’un manuel. Trois groupes distincts sont actifs au moment de mon enquête, en fonction des intérêts spécifiques : les femmes étrangères, les réfugiés syriens et les résidents libanais (majoritairement âgés)[89]Entretien avec Abir Saksouk, 8 juillet 2021.. De plus, le groupe apporte un soutien aux personnes en difficulté pour défendre leur droit au logement. Cette approche, en définitive, est moins soucieuse de proposer des actions de reconstruction que d’organiser politiquement les publics les plus fragiles et marginalisés, dans une perspective critique et de défense des droits.

Les mots de l’urbanisme de crise

Pour conclure cette section, observons d’abord qu’aux différences dans les pratiques d’urbanisme en réponse à l’explosion de Beyrouth s’ajoutent des variations lexicales pour en rendre compte. Le terme de recovery, dont nous avons souligné la nouveauté et l’ambition théorique, promu par les urbanistes du Beirut Urban Lab, n’est en fait pas réellement utilisé par les autres acteurs. Sa traduction en arabe est d’ailleurs hésitante, certains employant le mot ta‘afi et d’autres in‘ach (qui peuvent tous les deux se traduire par guérison ou rétablissement). La déclaration urbaine de Beyrouth emploie pour sa part le terme de reconstruction (al-i‘adat al-i‘mar), tout en lui donnant une orientation différente de son usage pendant les précédentes reconstructions. Chez Public Works Studio, dont les textes sont en arabe, les termes reconstruction et réhabilitation (al-i‘adat al-ta’hil) sont les plus fréquents, et recovery n’est pas particulièrement utilisé. Malgré ces nuances et les oppositions sur certains enjeux, il convient toutefois de ne pas exagérer les différences entre ces groupes. En effet, ils collaborent souvent et sont alliés dans leur lutte contre le système dominant.

La non-utilisation du terme de résilience est un autre point commun partagé par ces acteurs alternatifs, alors qu’il est fréquemment utilisé par les organisations internationales, notamment dans leurs actions en direction des réfugiés au Liban. Ce terme est également souvent employé dans la presse internationale pour qualifier le bricolage quotidien des citoyens face à des institutions et des infrastructures chancelantes. Au lendemain de l’explosion, on pouvait observer sa présence sur un panneau, où l’expression de « quartier traditionnel » sur la signalisation touristique de la municipalité était transformée en « quartier résilient », exprimant la fierté collective d’habitants mobilisés pour faire face, sans l’État, à la catastrophe (figure 2). Pourtant, plusieurs intellectuels rejettent cette notion. L’écrivain Camille Ammoun considère amèrement que « nous ne sommes pas résilients, nous sommes subsidents », constatant justement l’absence de l’État incapable d’agir pour éviter l’effondrement du pays (Ammoun, 2022[90] Ammoun C. (2022). « Nous ne sommes pas résilients, nous sommes subsidents », L’Orient-Le Jour, 26 février [En ligne). Quant au politiste Jamil Mouawad, il avait dès 2017 souligné que seule la classe politique était résiliente, absorbant les chocs successifs tout en restant aux commandes, alors que la population s’enfonçait dans la crise (Mouawad, 2017[91]Mouawad J. (2017). « Unpacking Lebanon’s resilience », IAI Istituto Affari Internazionali, Text [En ligne). Ce refus d’un terme normalisé dans les contextes d’urgence est doublement significatif : il souligne l’opposition des acteurs alternatifs aux politiques menées par les autorités libanaises ainsi que l’inscription de leurs actions dans un horizon temporel dépassant celui de l’urgence et visant, par l’urbanisme, l’invention d’un avenir meilleur.

Figure 2. L’usage populaire du terme « résilient » dans le quartier de Gemmayzeh (photo aimablement communiquée par Michel Mouton).

Conclusion : une crise de l’urbanisme plutôt qu’un urbanisme de crise

Le chantier de la reconstruction de Beyrouth après l’explosion du 4 août 2020 est exceptionnel à bien des égards, mais sans doute surtout parce qu’il se déroule dans le contexte de multiples crises, économique, sociale, financière, écologique, et surtout d’une paralysie étatique qui semble largement auto-organisée par la classe politique en place. L’absence de politique urbanistique dans ce contexte contraste avec la situation d’après la guerre civile ou de 2006. Néanmoins, les analystes locaux identifient des continuités avec ces précédents, en particulier le retrait toujours plus marqué de l’État, d’abord au profit des acteurs privés (logique néolibérale), ensuite au profit d’acteurs partisans (fragmentation politique).

Dans ce contexte d’absence des institutions publiques libanaises, une gouvernance d’urgence permet à des groupes de la société civile, professionnels et universitaires, soutenue par des financements internationaux, de lancer diverses initiatives reposant sur des conceptions urbanistiques alternatives. L’après-crise constitue alors un laboratoire où expérimenter de nouvelles méthodes tentant d’associer les habitants à la définition des priorités. L’attention à la mémoire urbaine, celle des pierres comme celle des résidents, pour guider la reconstruction, se conjugue dans ces approches avec le souci de la justice sociale, et d’approches plus écologiques en matière de mobilité. Dans un contexte d’urgence, ces initiatives privilégient des aménagements temporaires, inspirés de l’urbanisme tactique, attentif à l’existant dans un contexte de rareté des ressources financières. Le recours à la notion de recovery, en particulier de la part des urbanistes et universitaires de l’Université américaine de Beyrouth, rassemble dans un cadre théorique ces différentes dimensions en les reliant à d’autres expériences de crise urbaine, dans le contexte libanais mais aussi régional. Les différences générationnelles et de profils professionnels entre ces groupes alternatifs sont réelles et se traduisent par certaines divergences d’approche. Toutefois, il convient de souligner la proximité entre leurs membres et leur collaboration dans certains projets.

Si l’explosion de Beyrouth offre une situation favorable au déploiement de ces initiatives, ces dernières s’inscrivent dans une histoire complexe, à la fois celle des critiques libanaises des reconstructions antérieures, celle de la circulation internationale de l’activisme urbain et de nouveaux modèles comme l’urbanisme tactique. En ce sens, cet urbanisme de crise ne constitue pas seulement un outil de réponse à des circonstances d’une exceptionnelle gravité. Il répond à une crise durable et profonde de l’urbanisme, qu’il s’agit de réinventer non seulement pour faire face à de telles catastrophes, qui sont avant tout politiques, mais aussi pour repenser dans la durée et dans l’espoir d’un retour à la vie ordinaire, le vivre-ensemble dans la ville.

Le cas de Beyrouth conduit à deux remarques finales concernant l’urbanisme de crise. D’abord, la capacité d’expérimentation fait rapidement face à ses limites faute de mécanismes permettant la sélection et la pérennisation des nouvelles approches au sein du régime ordinaire. À cet égard, la portée heuristique de la situation actuelle au Liban reste faible. Néanmoins, et c’est le deuxième point, le cas libanais invite à ne pas opposer trop fortement la temporalité de la crise, qui appellerait des pratiques spécifiques, à ce qui la précède. On assiste au contraire à l’élaboration d’un répertoire d’innovations nourries des leçons des expériences antérieures, hybridées d’idées nouvelles. Le temps de la crise n’est pas forcément le moment de la réinvention de l’urbanisme, plutôt celui d’une mise à l’épreuve accélérée[92]La première rédaction de ce texte a été soumise le 30 août 2021. La version révisée après les commentaires de la rédaction a été transmise le 19 mars 2022. Le texte a été accepté le 30 juin 2022..


[1] Verdeil E, Atelier cartographique de Sciences Po. (2020). Atlas des mondes urbains, Paris, Presses de Sciences Po, 148 p.

[2] Vale LJ, Campanella TJ. (2005). The resilient city. How modern cities recover from disaster, Oxford scholarship online, New York, Oxford University Press.

[3] Djament-Tran, G, M Reghezza-ZiTT (dir.). (2012). Résiliences urbaines : les villes face aux catastrophes, Paris, Éditions Le Manuscrit.

[4] Rufat S. (2012). « Existe-t-il une “mauvaise” résilience ? », dans Djament-Tran G, Reghezza-Zitt M (dir.), Résiliences urbaines: les villes face aux catastrophes, Paris, Le Manuscrit, p. 195‑241.

[5] Leclercq R. (2017). « Le tournant néolibéral de la résilience ? Pratiques et formes politiques de l’opérationnalisation de la résilience à Dakar », ISTE/Écologie et Environnement, OpenScience, n° 1 [En ligne].

[6] Hernandez J. (2012). « Résiliences contradictoires et résilience toxique dans la Nouvelle-Orléans post-Katrina », dans Djament-Tran G, Reghezza-Zitt M (dir.), Résiliences urbaines : les villes face aux catastrophes, Paris, Le Manuscrit, p. 243‑274.

[7] Joncheray M. (2018). « Des indicateurs au concept “couteau-suisse”, la résilience au prisme d’une géographie du post-conflit », VertigO – La revue électronique en sciences de l’environnement, hors-série n° 30 [En ligne].

[8] Lhomme S, Djament-Tran G, Reghezza-Zitt M, Rufat S. (2012). « Penser la résilience urbaine », dans Djament-Tran G, Reghezza-Zitt M (dir.), Résiliences urbaines : les villes face aux catastrophes, Paris, Le Manuscrit, p. 13‑46.

[9] Le Blanc A, Zwarterook I. (2020). « II. La résilience des communautés dans un territoire industriel en difficulté », Villes et territoires résilients, p. 205‑218. [En ligne].

[10] Benitez F, Reghezza M. (2018). « Les capabilités à faire face ou comment repenser la résilience des individus », VertigO – La revue électronique en sciences de l’environnement, hors-série n° 30 [En ligne].

[11] Sanyal B. (2005). Comparative planning cultures, New York, Routledge.

[12] Verdeil É. (2021). « Les études urbaines au Liban », dans Raymond C, Catusse M, Hanafi S (dir.), Un miroir libanais des sciences sociales. Acteurs, pratiques et disciplines, Marseille, Diacritiques, p. 83‑132.

[13] Souami T, Verdeil É. (dir.). (2006). Concevoir et gérer les villes : milieux d’urbanistes du sud de la Méditerranée, Paris-Beyrouth, Economica/Anthropos – IFPO.

[14] Trois entretiens avec le président de l’ordre des ingénieurs et architectes, deux avec un urbaniste historiquement engagé dans la défense du patrimoine et les projets de reconstruction postexplosion, une universitaire membre du Beirut Urban Lab, une architecte du collectif Public Works, auxquels s’ajoutent des échanges plus informels avec des universitaires et intellectuels locaux.

[15] Je remercie Joe Nasr et Petra Samaha pour leurs remarques et leur aide sur les enjeux de traduction. Je remercie aussi les évaluateurs pour leurs suggestions, et les éditeurs de ce numéro pour leurs encouragements et leur travail éditorial.

[16] Verdeil É. (2017b). « Infrastructure crises in Beirut and the struggle to (not) reform the Lebanese State », Arab Studies Journal, n° XVI(1), p. 84‑112.

[17] Verdeil É. (2022). « Le sens de l’événement. Effondrement infrastructurel et interdépendance des réseaux : leçons du Liban en temps de blackout », Flux, n° 128(2), p. 66‑74.

[18] Beyhum N (dir.). (1991). « Reconstruire Beyrouth : les paris sur le possible »,  table ronde tenue à Lyon du 27 au 29 novembre 1990, Lyon, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, 426 p.

[19] Beyhum N, Salam A, Tabet J (dir.). (1992). Beyrouth : construire l’avenir, reconstruire le passé ?, New York/Beyrouth, Ford Foundation.

[20] Khalaf S, Khoury PS (dir.). (1993). « Recovering Beirut: Urban design and post-war reconstruction », Social, economic and political studies of the Middle East, n° 47.

[21] Rowe PG, Sarkis H (dir.). (1998). Projecting Beirut: Episodes in the construction and reconstruction of a modern city, New York/Munich, Prestel.

[22] Verdeil, É. (2017a). « Beyrouth : reconstructions, fragmentation et crises infrastructurelles », dans Dominique Lorradans (dir.), Métropoles en Méditerranée. Gouverner par les rentes, Paris, Presses de Sciences Po, p. 61‑108.

[23] Al-Harithy H, Mneimneh D. (2021). « The [framing] of heritage dans the post-war reconstruction of Beirut central district (Lebanon) », dans Al-Harithy H (dir.), Urban recovery: Intersecting displacement with post war reconstruction, Londres, Routledge, p. 239‑270 [En ligne].

[24] Fawaz M, Ghandour M (dir.). (2007). The reconstruction of Haret Hreik. Design options for improving the livability of the neighborhood, Beirut, American University of Beirut, Reconstruction Unit at ArD.

[25] Al-Harithy H (dir.). (2010). Lessons in post-war reconstruction: Case studies from Lebanon dans the aftermath of the 2006 war, Routledge.

[26] Fawaz M, Harb M. (2010). « Influencing the politics of reconstruction in Haret Hreik », dans Al-Harithy H (dir.), Lessons in post-war reconstruction: Case studies from Lebanon dans the aftermath of the 2006 war, Londres, Routledge, p. 21‑45.

[27] Verdeil É. (2012b). « Retour sur l’atelier de travail sur la reconstruction de la banlieue sud de Beyrouth : une expérience unique », Les carnets de l’Ifpo, 11 septembre [En ligne].

[28] Fawaz M. (2014). « The politics of property dans planning: Hezbollah’s reconstruction of Haret Hreik (Beirut, Lebanon) as case study », International Journal of Urban and Regional Research, n° 38(3), p. 922‑934.

[29] Verdeil É. (2012a). « La reconstruction entre politiques et cultures urbanistiques. Réflexions à partir de l’exemple de Beyrouth », Majalat al-mi’mar al ’arabi (revue d’architecture arabe), n° 4‑5, p. 175‑189.

[30] Tabet J. (2020). « إعادة الإعمار في غياب الدولة: دور المهندسين والنقابة » [En ligne].

[31] Qu’on peut traduire ainsi, sachant que le terme de rétablissement pour recovery est un peu faible : « Au-delà de l’aide humanitaire et de l’assistance, il faut imaginer et mettre en œuvre un rétablissement centré sur la communauté habitante, qui soit participatif et environnementalement responsable. Ce rétablissement ne reconstruit pas seulement les structures physiques, mais traite aussi les injustices et les vulnérabilités qui existaient avant l’explosion afin de construire une communauté habitante plus forte, tenue par de multiples liens sociaux, des activités économiques et un riche patrimoine culturel ».

[32] Beiruturbanlab, Fawaz M, Harb M, Al-Harithy H, Gharbieh A. (2020). « Beirut Urban Lab – The Beirut blast: A week on », @BeirutUrbanLab. [En ligne].

[33] “Any recovery process should start from there. Social and economic networks, both formal and informal, both tangible and intangible, need to be restored and empowered, including sites of shared memories and social significance.” (Ibidem)

[34] Op. cit.

[35] Harb M. (2018). « New forms of youth activism in contested cities: The case of Beirut », The International Spectator, n° 53(2), p. 74‑93.

[36] Fawaz M, Gharbieh A, Harb El-Kak M, Salamé D (dir.). (2018). Refugees as city-makers, Beyrouth, American University of Beirut.

[37] Op. cit.

[38] Al-Harithy H, Makhzoumi J (dir.). (2019). Post-war recovery of cultural heritage sites. Aleppo Ta7t AlQala’a: An urban and landscape design studio​, Beirut, Architecture Department, AUB [En ligne].

[39] Al-Harithy H. (2021). Urban recovery: Intersecting displacement with post war reconstruction, Milton, UK, Taylor & Francis Group. [En ligne].

[40] Al-Harithy H, Makhzoumi J, Boano C, Baper SY, Viki N. (2021). Rural heritage recovery and post-conflict development in the Kurdistan Region of Iraq (KRI): Erbil’s rural periphery, The Nahrein Network. [En ligne].

[41] Davis DE. (2021). « Refugees, resettlement, and the territorial correlates of resilience », dans Howayda Al-Harithy (dir.), Urban recovery: Intersecting displacement with post war reconstruction, Londres, Routledge [En ligne].

[42] Op. cit.

[43] DAR-IAURIF. (2003). Schéma directeur d’aménagement du territoire libanais (SDATL). Phase 1. Diagnostics et propositions. Rapport définitif, Beyrouth, Conseil du développement et de la reconstruction.

[44] Soit environ 75 000 familles (environ 4 personnes par ménage).

[45] Tabet J. (2021). Bilan provisoire des objectifs définis dans la feuille de route un an après l’explosion du 4 août, Déclaration urbaine de Beyrouth, non publié.

[46] Order of engineers of Beirut. (2020). « Beirut port explosion of Aug 04 2020: Buildings final structural assessment report », p. 17.

[47] Harb M, Fawaz M. (2020). Leave no one behind. For an inclusive and just recovery process in post-blast Beirut, Beirut, UNDP Lebanon.

[48] Témoignage de Mona Harb, entretien, 7 juillet 2021.

[49] Verdeil É. (2001). « Reconstructions manquées à Beyrouth : la poursuite de la guerre par le projet urbain », Annales de la recherche urbaine, n° 91, p. 65‑73.

[50] Op. cit.

[51] Abdallah C, Cartier S, Gillette C. (2018). « Une réponse institutionnelle incomplète », dans Ghaleb F, Verdeil E, Hamze M (dir.), Atlas du Liban : les nouveaux défis, Coéditions, Beyrouth, Presses de l’Ifpo, p. 72‑73 [En ligne].

[52] Copernicus. Europe’s eyes on Earth. (2020). « Beirut. Industrial accident (Explosion). Detailed damage assessment analyses over affected areas. Partial Realease », European Union.

[53] ACAPS. (2020). « Lebanon: Explosion in Beirut, secondary data review » [En ligne].

[54] World Bank Group, European Union, United Nations. (2020). Beirut rapid damage and needs assessment, World Bank [En ligne].

[55] Op. cit.

[56] Beirut Urban Lab. (2021a). « Launching an urban observatory amidst a painful and slow recovery », @BeirutUrbanLab [En ligne].

[57] Op. cit.

[58] Fawaz M, Harb M. (2020). « Is Lebanon becoming another “Republic of the NGOs”? » [En ligne].

[59] Salame R. (2021). « No one knows just how much of blast-damaged Beirut has been rebuilt », L’Orient Today, 4 août [En ligne].

[60] Lewis E. (2021). « Civil society stepped in to fill the void left by the state in the port blast recovery efforts — and never left », L’Orient Today [En ligne].

[61] Tutenges R, Polverini L. (2021). « Beyrouth, ville poussière », Slate.fr [En ligne].

[62] Op. cit.

[63] Op. cit.

[64] Public Works Studio. (2020). « Éviter une nouvelle gentrification des quartiers frappés par le drame du 4 août », L’Orient-Le Jour. [En ligne].

[65] Fawaz M, Mneimeh S. (2020). « Beirut’s blasted neighborhoods: Between recovery efforts and real estate interests », The Public Source, 6 novembre [En ligne].

[66] Boudisseau G. (2021a). « Les prix en “lollars” flambent à Beyrouth », Commerce du Levant, 16 mars [En ligne].

[67] Boudisseau G. (2021b). « Les acheteurs en dollars frais à l’affut d’opportunités », Commerce du Levant, 1er juin [En ligne].

[68] Boudisseau G. (2021c). « À Beyrouth, la folie du “dollar frais” gagne le marché locatif », Commerce du Levant, 29 mars [En ligne].

[69] Hage-Boutros P. (2021). « La reconstruction du port de Beyrouth : un chantier crucial laissé à l’abandon », L’Orient-Le Jour, 4 août [En ligne].

[70] Abboud M. (2021). « Les Allemands détaillent leur plan pour le port de Beyrouth », L’Orient-Le Jour, 10 avril [En ligne].

[71] German Embassy in Lebanon. (2021). « Project for a European Revival of The Beirut Port and the Surrounding area » [En ligne].

[72] Public Works Studio. (2021). « The reconstruction of the port of Beirut is everyone’s concern », L’Orient Today, 3 mai [En ligne].

[73] Entretiens, 15 octobre 2020 et 2 janvier 2021.

[74] Bou Aoun C. (2020). « La protection du patrimoine dans l’attente de la loi (2) : le projet de loi sur la protection du patrimoine », URBANstances, 27 novembre [En ligne].

[75] El Hage AM. (2020). « La loi de préservation des quartiers sinistrés loin de faire l’unanimité », L’Orient-Le Jour, 19 octobre [En ligne].

[76] Collectif. (2020). « Déclaration urbaine de Beyrouth. Pour la reconstruction des quartiers dévastés par l’explosion du 4 août », Ordre des ingénieurs et architectes de Beyrouth.

[77] Al-Harithy H, Yassine B. (2020). « Post-disaster Karantina: Towards a people-centered heritage-led recovery », The Public Source, 6 octobre [En ligne].

[78] Beiruturbanlab. (2021b). « Launching of the rehabilitation project of Sahet Al Khodor in Karantina », @BeirutUrbanLab [En ligne].

[79] Mazraani D. (2020). « Urban Vacant Parcels as Opportunities to Reclaim Public Spaces in Times of Crises and Austerity », UNDP Peace Building [En ligne].

[80] Ce projet a finalement fait l’objet d’un soutien (modeste) du Comité Liban de la Fondation de France, auquel je participe depuis novembre 2021.

[81] Entretien avec Habib Debs, 8 juillet 2021.

[82] Saksouk Sasso A, Bekdache N, Sheikh Hassan I. (2010). « Beyond compensation: The post-war reconstruction battles of ‘Aita al-Cha‘b », dans Al-Harithy H (dir.), Lessons in post-war reconstruction. Case studies from Lebanon in the aftermath of the 2006 war, Londres, Routledge, p. 158‑186.

[83] Douay N, Prévot M (dir.). (2012). L’Activisme urbain. Engagement et militantisme, L’Information géographique, vol. 76.

[84] Stadnicki R. (2013). « De l’activisme urbain en Égypte : émergence et stratégies depuis la révolution de 2011 », EchoGéo, n° 25. [En ligne].

[85] Dictaphone Group. (2013). This Sea is mine – Research booklet, Dictaphone Group, Beirut [En ligne].

[86] Public Works Studio. (2019). « Housing, displacement, and the elderly: Intersectional spatial narratives from Tareek al-Jdeede, Beirut », Jadaliyya – جدلية [En ligne].

[87] housingmonitor.org

[88] Op. cit.

[89] Entretien avec Abir Saksouk, 8 juillet 2021.

[90]  Ammoun C. (2022). « Nous ne sommes pas résilients, nous sommes subsidents », L’Orient-Le Jour, 26 février [En ligne].

[91] Mouawad J. (2017). « Unpacking Lebanon’s resilience », IAI Istituto Affari Internazionali, Text [En ligne].

[92] La première rédaction de ce texte a été soumise le 30 août 2021. La version révisée après les commentaires de la rédaction a été transmise le 19 mars 2022. Le texte a été accepté le 30 juin 2022.