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Enseigner par l’atelier
Chantiers de recherche
et retours d’expériences pédagogiques

• Sommaire du no 12

Agnès Bastin École Normale Supérieure de Paris Claire Carriou université Paris Ouest, Nanterre-la Défense Juliette Maulat Université de Montréal, Géographie-cités Franck Scherrer Université de Montréal

Enseigner par l’atelier : chantiers de recherche et retours d’expériences pédagogiques, Riurba no 12, juillet 2021.
URL : https://www.riurba.review/article/12-atelier-2/editorial-12/
Article publié le 1er oct. 2023

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Agnès Bastin, Claire Carriou, Juliette Maulat, Franck Scherrer
Article publié le 1er oct. 2023
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Éditorial

Dans la continuité du n° 11 de la RIURBA, ce second numéro rassemble sept articles dont quatre retours d’expériences pédagogiques en atelier. Il prolonge les réflexions et débats abordés dans le précédent numéro autour des apprentissages en jeu dans les ateliers, des rapports entre acteurs, de la professionnalisation mais s’en distingue par un accent plus important sur les retours d’expériences (associés à une rubrique dédiée), complémentaires de réflexions plus théoriques sur l’atelier. Ce numéro ouvre de nouvelles pistes en explorant en particulier des situations critiques ou des cas limites de l’atelier par le renouvellement des thématiques abordées (crise environnementale, quartiers populaires) ou les dispositifs pédagogiques mis en œuvre (atelier international, coconception, etc.).

Plusieurs articles du numéro abordent les effets des changements environnementaux sur le contenu des formations et a fortiori sur la pratique de l’atelier. Reuter et Reiter présentent ainsi un outil pédagogique appelé « portfolio structuré », qui accompagne les étudiant·e·s en architecture et urbanisme à l’université de Liège dans l’appréhension de la dimension multicritères de la conception de projets durables. Organisé par chapitres retraçant les étapes de la conception du projet, il invite les étudiant·e·s à justifier chacun·e de leurs choix à l’aune de critères de durabilité fonctionnant en système. Les étudiant·e·s développent ainsi une posture réflexive vis-à-vis de leurs propres processus de conception. La question environnementale est ici prise en compte à travers le cadre de la durabilité, définie comme l’intégration croisée de critères tels que la gestion des eaux, l’ensoleillement ou la santé, établis à partir de référentiels professionnels existants (HQE, Référentiel quartier durable). Cette approche concerne un registre principalement technique. Le retour d’expérience de Rudolf et Mavromatidis propose, lui, une approche exploratoire, qui mobilise plutôt des registres narratifs et poétiques. Par le recours à l’imaginaire et la prise en compte des émotions suscitées par les crises environnementales et migratoires, l’atelier crée une dramaturgie particulière propice à la distanciation critique des étudiant·e·s par rapport aux impensés de l’activité de conception et à ses conséquences sociopolitiques. Cette dramaturgie s’incarne dans un lieu en friche et s’appuie sur des formes pédagogiques concrètes telles que la rédaction d’un journal intime et la création d’images par croquis et photomontages. Les étudiant·e·s expriment ainsi leurs intentions conceptuelles de manière poétique, sans que celles-ci soient encore spatialisées par le dessin. L’atelier conduit à penser le projet urbain comme réponse à des situations catastrophiques et ouvre une réflexion sur l’éthique de la profession en contexte de crises globales. Ces deux articles, en écho à celui d’Emmanuelle Bonneau et Catherine André (2021[1]Bonneau Emmanuelle, André Catherine. (2021). « L’atelier de projet d’urbanisme à l’heure de la transition écologique, Revue internationale d’urbanisme, n° 11.) dans le premier numéro, illustrent donc le renouvellement des pratiques pédagogiques face aux enjeux socio-environnementaux. L’atelier participe à la création de nouveaux récits autour de la durabilité, de l’urgence environnementale et/ou de la transition écologique en urbanisme.

Un autre ensemble d’articles explorent les effets de contextes territoriaux spécifiques sur la situation d’apprentissage. El Asri, Cherkaoui et Matteudi interrogent les apports du contexte international à partir de deux expériences d’ateliers qui rassemblent des groupes d’étudiants français et marocains dans la région de Tétouan. La confrontation à l’altérité est à la fois celle du terrain et celle de l’équipe de travail. L’atelier international met en exergue les spécificités de l’atelier auprès de populations vulnérables dans des quartiers précaires. À la différence du cycle de projet classique, organisé par séquences successives de diagnostic, conception, réalisation, les étudiant·e·s réalisent ces différentes étapes de manière simultanée et ont recours à l’expérimentation architecturale et urbaine coconstruite avec les habitants pour nourrir le diagnostic. L’atelier international devient une manière de développer un regard critique sur l’éthique de la profession : quelle modalité d’intervention pertinente inventer face à l’urgence des situations ? Comment articuler ce temps court de l’urgence au temps long des transformations urbaines ? À la différence du décentrement apporté par l’altérité de disciplines et de contextes étrangers, l’article de Guérin, Burger, Mallet et Raphélis interroge précisément l’ancrage local des ateliers de l’IATEUR dans une ville intermédiaire, et les effets générés par une forte proximité entre commanditaires, enseignant·e·s et étudiant·e·s. Il montre que les ateliers permettent un renouvellement des pratiques de recherche des enseignant·e·s, en ouvrant la voie à une forme de recherche originale, que les auteurs nomment « recherche ancrée dans une situation réelle ». Celle-ci se distingue de la recherche-action ou des grands programmes de recherche institutionnels par la flexibilité et l’informalité du dispositif. Réciproquement, l’atelier permet de diffuser les connaissances académiques vers les mondes opérationnels. Il peut avoir une fonction de légitimation et de défrichage de sujets émergents, parfois venus de la recherche, auprès des services techniques (pollution lumineuse, politiques publiques de la nuit…).

Ces deux articles développent des réflexions intéressantes concernant les temporalités de l’atelier, en particulier autour du rôle du temps long. Dans le cas de l’atelier international analysé par El Asri, Cherkaoui et Matteudi, la stabilisation de partenariats sur le long terme favorise la mise en œuvre des ateliers. Si les étudiants ne sont immergés que pendant une dizaine de jours, des échanges en amont ont lieu pour établir un langage commun entre étudiant·e·s issus de contextes territoriaux et de formations différentes, en l’occurrence l’architecture et l’urbanisme. Le temps long permet également de nouer des relations de confiance avec les acteurs locaux, condition nécessaire à la tenue d’ateliers aux méthodologies participatives. La réflexion engagée par Guérin, Burger, Mallet et Raphélis montre, quant à elle, les ambivalences d’une proximité entretenue et renforcée par le temps long. Celle-ci facilite bien évidemment les transferts de la recherche vers l’opérationnel via la confiance entretenue entre acteurs. Cependant, ces relations d’interconnaissance suscitent également des questions soulevées par les auteur·e·s. Si elles constituent une ressource pour l’institution universitaire, notamment en termes de connaissances du marché de l’emploi et de vivier d’intervenants professionnels, elle peut par là-même constituer un frein à la liberté de la recherche et au positionnement critique du chercheur.

Les autres articles, en forme de retour d’expérience, interrogent également les pratiques et le rôle de l’interdisciplinarité dans la construction des ateliers et les enjeux, plus classiques, liés à la contribution des ateliers à la professionnalisation des étudiant·e·s. L’article de Zaafrane-Zhioua, Belcadhi, Bouricha et Sellem, rend ainsi compte d’un atelier territorial en trois temps (diagnostic, définition d’un master plan et propositions d’aménagement spatialisées) associant cours théoriques et mises en pratiques qualifié d’interdisciplinaire, au regard des étudiants et enseignants mobilisés, mais également des organismes et institutions sollicités. Les apprentissages concernent à la fois la mobilisation de savoirs disciplinaires variés pour l’analyse des processus territoriaux mais également une appréhension d’une pratique professionnelle de l’urbanisme attentive à la concertation, coproduction, collaboration entre experts et acteurs. En lien avec ces réflexions sur les savoirs mobilisés dans les ateliers, et les articulations entre savoirs théoriques et pratiques, Racine discute la portée d’un atelier de projet (Praxis III) de type studio, mis en place à l’Université du Québec à Montréal en dernière année du baccalauréat d’urbanisme (1er cycle). Cet atelier de conception et d’élaboration d’un projet de design urbain vient clore un dispositif progressif de formation à la démarche de projet. Il alterne entre des séminaires, intégrant notamment des lectures de textes sur les théories et pratiques de l’urbanisme, et des séquences de travail en groupe. François Racine interroge la portée de l’atelier Praxis III à l’aune d’une grille de critères proposée par Strickland pour évaluer les apprentissages dans un enseignement de design urbain. Si cette grille pose un cadre nécessairement normatif et restrictif à cette évaluation, elle constitue toutefois un outil heuristique pour analyser les différents apports de cette expérience pédagogique en termes de savoirs (approche historique et culturelle de l’urbanisme), et de savoir-faire (dessin, formalisation, conception de maquette, spatialisation des propositions, présentation collective des travaux, etc.).

Enfin, l’article de Thimonnier et Grasset rend compte d’une expérience longue d’atelier sur commande au sein d’une formation en alternance de l’université Lyon 3 pour discuter du rôle des ateliers dans la professionnalisation des étudiants. Les auteurs évoquent l’outil pédagogique, ses effets et sa finalité, non seulement sur la qualité de la formation dispensée, mais surtout dans ses liens avec le monde professionnel. Les auteurs assument une pédagogie résolument tournée vers l’insertion professionnelle, où la qualité de la réponse à la commande et la « satisfaction du commanditaire » deviennent des critères centraux d’évaluation des productions étudiantes, et les retours des étudiant·e·s le critère de la qualité du dispositif pédagogique. Ce texte peut alors être abordé comme un témoignage de la manière dont l’atelier est mis au service d’une professionnalisation forte des formations en urbanisme, définie ici surtout en termes d’insertion sur le marché de l’emploi. La formation de futurs professionnels à l’esprit critique, capables d’interroger leurs pratiques en continu, est présentée comme un objectif complémentaire. Le croisement avec d’autres textes du numéro ou du précédent, discutant de la professionnalisation des formations en urbanisme (Debrie, 2021[2]Debrie Jean. (2021). « L’atelier dans la formation en urbanisme, outil d’apprentissage d’une université “dans et hors les murs” », Revue internationale d’urbanisme, n° 11. ; Guérin et al., 2023[3]Guérin et al., dans ce numéro.), éclaire ainsi la diversité des positions des enseignants-chercheurs sur ces questions et peut-être l’opportunité d’un débat collectif sur le primat des objectifs d’insertion professionnelle sur d’autres approches de la professionnalisation, attentives à la formation de futurs « praticiens réflexifs » (Schön, 1984[4]Schon Donald A. (1984). The reflective practitioner: How professionals think in action, New York, Basic Books, 384 p. ; Devisme, 2010[5]Devisme Laurent. (2010). « Le praticien réflexif et le théoricien activiste », Urbanisme, n° 372, p. 41-43.). Sur ce point, l’article de Guérin, Burger, Mallet et Raphélis offre un contre-point en montrant que si les ateliers participent d’une première socialisation des étudiant·e·s aux savoir-être et attentes des mondes professionnels, ils constituent surtout une situation exploratoire, qui permet de sortir des normes et routines professionnelles, et d’amener les étudiants à développer une réflexivité critique, mobilisable dans leur trajectoire future.

Les deux numéros publiés par la RIURBA sur l’atelier permettent ainsi de dresser quelques éléments de conclusion sur l’intérêt de ces réflexions pédagogiques en urbanisme et plusieurs débats associés. Tout d’abord, les différents articles donnent à voir une pluralité de postures vis-à-vis de la place et du rôle de l’atelier dans la formation des étudiant·e·s et les apprentissages, souvent associés à des outils favorables à la professionnalisation des étudiant·e·s. Toutefois, plusieurs textes dépassent cette idée et montrent comment les ateliers peuvent aussi être des outils pédagogiques pour favoriser un positionnement critique des étudiant·e·s. Comment l’atelier peut-il constituer un espace de débats et de prise de distance critique vis-à-vis de notions qui saturent le champ de l’urbanisme, mais aussi de normes, modèles, référentiels ou pratiques opérationnelles en urbanisme ? Les situations de « commande » ne fragilisent-elles pas ces possibilités de prise de distance critique (Debrie, 2021[6]Op. cit.) ?

Ensuite, les deux numéros soulignent la richesse des retours d’expérience sur les pratiques pédagogiques, mais peut-être également la difficulté à faire de ces pratiques des objets de recherche comme les autres. La plupart des articles ne s’appuient pas sur des protocoles méthodologiques établis en amont mais sur des retours réflexifs. Certains textes mobilisent toutefois des archives collectives ou personnelles(Guérin et al., 2023[7]Op. cit. ; Carriou et Vivant, 2021[8]Carriou Claire, Vivant Elsa. (2021). « La pédagogie universitaire à l’épreuve de la relation de commandeRevue internationale d’urbanisme, n° 11. ; Roux 2021[9]Roux Jean-Michel. (2021). « Enquêter sur l’atelier pédagogique d’urbanismeRevue internationale d’urbanisme, n° 11.) ou s’appuient sur l’analyse des productions et des livrables finalisés.Parfois, ces analyses sont complétées par la mobilisation d’entretiens avec d’anciens encadrants, avec les commanditaires et avec les étudiant·e·s. Toutefois, il s’agit souvent de dispositifs méthodologiques a posteriori. Comment dépasser le retour réflexif et étudier les pratiques pédagogiques à partir de dispositifs méthodologiques consolidés ? Comment intégrer les commanditaires dans les enquêtes sur l’atelier ? Comment y intégrer les étudiant·e·s au-delà des évaluations institutionnelles ?

Ces remarques interrogent les conditions d’émergence de recherches sur la pédagogie en urbanisme, impliquant certainement de tisser des liens avec d’autres disciplines familières de ces questions, telles que les sciences de l’éducation. S’il y a incontestablement besoin de lieux et d’espaces de retours d’expérience sur les pratiques pédagogiques en urbanisme, le développement dans le monde francophone de recherches sur la pédagogie en urbanisme, à l’instar de celles déjà entamées dans d’autres régions, reste un chantier encore à inventer.


[1] Bonneau Emmanuelle, André Catherine. (2021). « L’atelier de projet d’urbanisme à l’heure de la transition écologique. Pratique du projet et savoirs disciplinaires en renouvellement dans le master UPEPT de l’IATU », Revue internationale d’urbanisme, n° 11.

[2] Debrie Jean. (2021). « L’atelier dans la formation en urbanisme, outil d’apprentissage d’une université “dans et hors les murs” », Revue internationale d’urbanisme, n° 11.

[3] Guérin et al., dans ce numéro.

[4] Schon Donald A. (1984). The reflective practitioner: How professionals think in action, New York, Basic Books, 384 p.

[5] Devisme Laurent. (2010). « Le praticien réflexif et le théoricien activiste », Urbanisme, n° 372, p. 41-43.

[6] Op. cit.

[7] Op. cit.

[8] Carriou Claire, Vivant Elsa. (2021). « La pédagogie universitaire à l’épreuve de la relation de commande dans l’encadrement de l’atelier », Revue internationale d’urbanisme, n° 11.

[9] Roux Jean-Michel. (2021). « Enquêter sur l’atelier pédagogique d’urbanisme. Aux sources d’une méthode », Revue internationale d’urbanisme, n° 11.