Planification urbaine. La ville en devenir
Par Xavier Desjardins

• Sommaire du no 12

Didier Paris Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de Lille, laboratoire Territoires, Villes, Environnement & Société

Planification urbaine. La ville en devenir : par Xavier Desjardins, Riurba no 12, juillet 2021.
URL : https://www.riurba.review/article/12-atelier-2/devenir/
Article publié le 1er oct. 2023

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Didier Paris
Article publié le 1er oct. 2023
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Couverture du livre Planification urbaine
Desjardins Xavier, 2020, Planification urbaine. La ville en devenir. Paris : Armand Colin, 234p.
ISBN 978-2-200-62467-5

Avec Planification urbaine. La ville en devenir, Xavier Desjardins propose un nouvel ouvrage de référence en matière d’urbanisme et d’aménagement des villes, servi par un style clair et efficace. Organisée en quatre parties et douze chapitres, la démonstration s’appuie, au départ, sur le paradoxe inhérent à la planification, fût-elle urbaine : « que valent les plans face à la transformation du monde ? » ; « est-il possible d’imaginer une maîtrise collective du devenir des villes ? », mais aussi « comment organiser le développement des sociétés urbaines sans être prisonnier des urgences de l’immédiateté ? ». Si « la ville ne se pilote pas avec un plan », « la planification urbaine est l’un des outils mis à disposition des citoyens pour mieux maîtriser le devenir des villes ». L’objectif de l’ouvrage est ainsi posé : ne pas défendre la planification, mais « éclairer, critiquer et proposer ».

La première partie revient sur la dimension institutionnelle de la planification, dans le cadre français, en commençant par son fondement, la régulation de l’usage des sols, qui échoie en particulier au P.L.U. « une institution rarement placée sous le feu des projecteurs, mais qui a des incidences majeures sur l’urbanisation, le marché immobilier et la redistribution des patrimoines ». Entre marche vers son intercommunalisation, depuis le grenelle 2 en 2010 et disparition, avec la loi ALUR de 2014, du verrou du coefficient d’occupation des sols (COS), lointain héritage de la Loi d’Orientation Foncière de 1967 (LOF), la donne a considérablement changé en la matière. Notamment, la question de la gestion de la densité s’est retrouvée au centre des préoccupations du législateur face aux injonctions de densification, de préservation de la ressource foncière au profit de l’agriculture, mieux prise en considération, dont les terres n’ont longtemps été considérées que comme une simple réserve foncière pour l’urbanisation.

De façon pragmatique, X. Desjardins nous alerte sur une caractéristique du PLU. Pourquoi intéresse-t-il autant ? « Disons-le nettement : parce qu’il a un impact direct sur la valeur des terrains ». L’auteur revient ainsi sur le rôle du plan dans la constitution de la valeur du foncier, via le compte à rebours, et l’impact sur la forme urbaine (là où la demande est faible, l’optimum économique est une densité faible, moins coûteuse à produire) : le coût du foncier est lié à la demande. Mais cette belle mécanique n’est pas si bien huilée que ça : « le propriétaire foncier est très rarement un acteur économique rationnel qui cherche à maximiser son profit », comme l’avaient montré J. Comby et V. Renard (1996). Les opérations de densification ou de division relèvent davantage d’évènements privés (succession, changements professionnels…) et des aléas de la vie que de la gestion optimisée d’un portefeuille foncier.

L’autre document majeur de la planification urbaine en France est bien entendu le SCOT. X. Desjardins lui consacre un chapitre, interrogeant le renouveau de la planification stratégique spatialisée. Des auteurs comme Alain Motte et Patsy Healey auraient pu être convoqués. X. Desjardins pose d’emblée la question de l’échelle, ou plutôt des échelles de cette planification stratégique qui a pris une dimension nouvelle depuis la loi NOTRE (2015) et l’introduction du couple SRADDET/SCOT, quand bien même, nous rappelle l’auteur, la première génération des nouveaux documents régionaux de planification est encore bien tiède quant à son implication politique vis-à-vis des SCOT. Cependant, c’est désormais, avec la multiplication des autres documents (P.D.U./P.D.M., PLH…) à un processus quasi continu de l’activité planificatrice que l’on assiste au niveau local. La question de la concurrence entre les documents est posée. Elle aurait pu l’être aussi entre SCOT et PLUi-HD, les PLU intercommunaux qui incluent désormais les volets habitat et déplacements en lieu et place des documents thématiques correspondants. La réponse est sans doute dans l’élargissement du périmètre des SCOT au bassin d’emploi, proposé par la même ordonnance.

Quoiqu’incomplet, le renouveau de la planification stratégique est incontestable… mais a ses limites, notamment pour le commerce, un domaine que connaît bien X. Desjardins. A « l’incapacité locale à réguler » répond maintenant l’ordonnance du 17 juin 2020 relative à la modernisation des SCOT avec la mise en place du D.A.A.C au sein du D.O.O. (la technocratie planificatrice française adore les sigles : Document d’aménagement artisanal et commercial – Document d’orientation et d’objectifs) qui ouvre de nouvelles possibilités. Mais après Amazon et la COVID, n’est-il pas déjà trop tard ? N’entrons-nous pas désormais dans une logique de sauve-qui-peut à l’échelle de chaque petite ville, ville moyenne …voire métropole ? C’est maintenant à une autre échelle (régulation à minima européenne des GAFA) que se pose le problème.

La seconde partie propose une mise en perspective historique et européenne, ce qui se révèle particulièrement utile pour le public étudiant. Il s’agit à la fois d’une synthèse et d’une ouverture par la comparaison : les Pays-Bas, l’Allemagne, la Grande-Bretagne sont convoquées, et notamment Londres et Paris qui sont mis dans la balance : ce sont des terrains que connaît bien X. Desjardins, qui en maîtrise parfaitement la planification, notamment au sein des vastes espaces métropolitains. Sa conclusion est forte : trois éléments apparaissent déterminants. La planification ne marche que si elle fait l’objet d’un vaste consensus entre acteurs politiques, entreprises, acteurs du logement… c’est-à-dire la planification comme outil de gouvernance ; la prégnance des réseaux hérités, notamment en matière de transport, joue un rôle stabilisateur dans la longue durée ; enfin les compromis autour des choix de planification tiennent autant par ce qui est dit que parce qui ne l’est pas : les choix de très forte concentration génèrent un renchérissement du foncier et de l’immobilier que les politiques du logement social peinent à contrebalancer… au prix d’une dégradation des conditions d’habiter des plus pauvres.

Dans la troisième partie, X. Desjardins s’intéresse aux acteurs de la planification. Il interroge d’abord la figure de l’urbaniste, l’homme de métier, celui qui est formé notamment dans les instituts et formations de l’APERAU (rarement un champ disciplinaire ou une discipline académique ne s’est auto organisée à travers une association pour promouvoir un modèle de formation fondé sur un équilibre entre théorie et pratique et animer le champ d’un point de vue scientifique). Le technicien navigue entre risque technocratique et risque de l’effacement. Mais l’urbanisme est d’abord une œuvre collective, et X. Desjardins nous rappelle que si un architecte peut signer un bâtiment, un urbaniste ne pourra jamais signer une ville, s’appelle-t-il Sir Abercrombie, Paul Delouvrier ou Bernardo Secchi. Les élus (chapitre 7) et les habitants (chapitre 8) complètent le triptyque proposé ici. Concernant les élus, c’est évidemment la question de l’échelle du gouvernement qui est convoquée, et celle de « l’interterritorialité », des coopérations entre territoires. Si le gouvernement idéal n’existe pas, la parole des habitants interroge également. L’injonction de la participation s’impose désormais dans les procédures, mais si les élus espèrent avoir en face d’eux des citoyens capables de défendre un intérêt général, ils peuvent souvent n’avoir que des habitants qui défendent une singularité, un point de vue, dans un rapport de force ancré sur le NIMBY. L’exercice est indispensable, mais complexe. Différents aspects de la participation citoyenne sont abordés (enquête publique, conseils de développement, CNDP…).

Cette partie se termine avec la critique radicale de David Harvey, pour qui l’urbaniste joue le rôle « d’idiot utile » pour un capital qui cherche à se déployer dans l’espace urbain, l’espace métropolitain dans le cadre de la ville néolibérale. Mais Harvey n’est-il pas prisonnier de son contexte anglo-saxon, quand bien même sa vision permet de pointer certaines réalités systémiques ? Toutes les villes du monde capitaliste génèrent-elles les mêmes conséquences en matière de cadre de vie, aux États-Unis, en Asie, en Europe ? Dans ce dernier continent, la régulation, par la planification, est-elle si inefficace que le libre marché emporte tout ? N’y a-t-il aucune différence culturelle dans le mode de faire la ville, entre un acteur foncier anglo-saxon ou une SEM ou une SPL à la française ?

C’est ainsi par une partie consacrée aux débats que se termine l’ouvrage, autour de quelques questionnements anciens, mais toujours renouvelés (réseaux et/ou territoires?), iconoclastes (quand faut-il ne pas planifier ?) ou qui s’inscrivent en regard d’un nouveau paradigme, celui de la transition urbaine (quelles contributions aux transitions écologiques ?).

Pour le premier questionnement, X. Desjardins part de la dichotomie réseau/zonage pour souligner les failles de la planification territoriale, qui a trop oublié les réseaux, comme l’avait montré G. Dupuy. Il souligne l’évolution ultérieure avec le retour du tramway dans les villes françaises et l’apport, aujourd’hui, de la smart city, avec l’irruption du numérique qui offre des opportunités, notamment par la meilleure connaissance du fonctionnement de la ville, mais pose « un redoutable défi » : dépasser la facilité offerte par les outils numériques, l’idée, vaine, d’un pilotage « expert » et accepter au contraire l’imprévisibilité pour plus d’imagination dans la planification et le renouvellement des cadres de pensée.

Le second questionnement renvoie tant aux critiques de la gauche libertaire des années 1960 qu’à celles de la droite ultra libérale (ici Santiago du Chili sous Pinochet) et leurs impasses. Mais surtout il permet de poser le débat de la relation entre le plan et le projet, sur le mode « la poule et l’œuf », à partir de deux cas (Amsterdam Zuidas où ce sont les logiques privées qui l’emportent et Copenhague Ørestad qui s’inscrit dans le cadre d’une planification métropolitaine). Si « le plan ne précède pas toujours le projet », « les grands projets urbains ont besoin de s’appuyer sur une vision stratégique globale »… et de l’implication des acteurs publics qui en découle, en termes d’investissements, d’équipement, et donc de planification. Les acteurs privés sont les premiers à l’attendre.

Le troisième questionnement concerne l’actualité climatique de la planète, entre « zéro artificialisation nette » et « zéro émission nette », et avec l’entrechoquement des échelles, entre enjeu planétaire, directives européennes, réglementation nationale par la loi, contraintes locales versus le volontarisme politique des élus. Un des obstacles réside aussi dans le flou des indicateurs utilisés pour mesurer les phénomènes et piloter une politique. Mais au-delà des difficultés, la planification spatiale peut apporter sa contribution (questions énergétiques, mobilité…) et retrouve même un second souffle, selon X. Desjardins, par le retour du temps long qui redevient une préoccupation majeure, face aux enjeux environnementaux. Certes, l’urgence climatique s’impose, mais la précipitation est sans doute une mauvaise réponse, s’il n’y a pas un nouveau compromis social à la clef, comme le rappelle l’épisode récent des gilets jaunes.

Et c’est à travers quatre chantiers que X. Desjardins entrevoit, en conclusion, une refondation de la planification spatiale. Le rapport à l’espace : au-delà de l’utilisation du sol, c’est la question des liens entre les territoires qui peut guider la démarche planificatrice. Le rapport au temps : « un plan d’urbanisme, c’est un ajustement des calendriers, une pensée des changements et des transitions ». Le rapport à la nature : les outils de la planification proposent encore une conception obsolète de la relation de l’homme à son milieu. Plutôt que de « protéger », ne faudrait-il pas plutôt « réconcilier » ? Le rapport à la société : comment proposer une répartition des fruits de la croissance plus juste (si l’on réfute le paradigme de la croissance zéro) gage d’une meilleure cohésion sociale… et sans doute territoriale.Planification urbaine de Xavier Desjardins n’est donc pas qu’un manuel pour les étudiants, même s’il leur sera désormais indispensable. C’est aussi un essai d’auteur sur un sujet central en urbanisme qui offre des clefs pour comprendre la ville en devenir, le sous-titre de l’ouvrage.