frontispice

Démopolis
Saisir la complexité des projets territoriaux
par une pratique pédagogique interdisciplinaire

• Sommaire du no 12

Imène Zaafrane Zhioua École Nationale d’Architecture et d’Urbanisme, Université de Carthage, Tunisie Ferdaws Belcadhi École Nationale d’Architecture et d’Urbanisme, Université de Carthage, Tunisie Faiza Bouricha École Nationale d’Architecture et d’Urbanisme, Université de Carthage, Tunisie Férida Sellem École Nationale d’Architecture et d’Urbanisme, Université de Carthage, Tunisie

Démopolis : saisir la complexité des projets territoriaux par une pratique pédagogique interdisciplinaire, Riurba no 12, juillet 2021.
URL : https://www.riurba.review/article/12-atelier-2/demopolis/
Article publié le 1er oct. 2023

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Imène Zaafrane Zhioua, Ferdaws Belcadhi, Faiza Bouricha, Férida Sellem
Article publié le 1er oct. 2023
  • Abstract
  • Résumé

Démopolis: To grasp the complexity of territorial projects by one interdisciplinary pedagogical practice

This article reports on an educational experiment entitled Démopolis conducted at the National School of Architecture and Urbanism (ENAU) at the University of Carthage in Tunisia, during the 2020-21 academic year. The Demopolis studio as an educational device constitutes an open window on professional practice. The workshop project functions here as a device for transmitting skills and producing knowledge. It crosses disciplinary territories. It also aspires to establish tangible links between the academic curriculum and the professional world, thus contributing to better integration into the labor market. From an institutional point of view, Démopolis studio is part of the agreements signed between ENAU and some municipalities of Greater Tunis while drawing inspiration from the new regulatory context based on open governance and citizen participation at the local scale in Tunisia.
The choice of the workshop project as an educational device to apprehend interdisciplinarity in the architectural project makes it possible to explore the synergy between architecture and town planning, at the interfaces of architecture and engineering, architecture and sculpture, architecture and spatial design.

Cet article rend compte d’une expérience pédagogique intitulée Démopolis, menée à l’École Nationale d’Architecture et d’Urbanisme (ENAU) de l’Université de Carthage en Tunisie, au cours de l’année universitaire 2020-21. Le studio Démopolis, en tant que dispositif pédagogique, constitue une fenêtre ouverte sur la pratique professionnelle. L’atelier de projet fonctionne ici comme un dispositif de transmission de compétences et de production de connaissances. Il traverse les territoires disciplinaires. Il aspire aussi à l’établissement de liens tangibles entre le cursus académique et le monde professionnel, contribuant ainsi à une meilleure intégration dans le marché du travail. Du point de vue institutionnel, le studio Démopolis s’insère dans le cadre des conventions signées entre l’ENAU et quelques communes du Grand Tunis, tout en s’inspirant du nouveau contexte règlementaire basé sur la gouvernance ouverte et la participation citoyenne à l’échelle locale en Tunisie.
Le choix de l’atelier de projet, en tant que dispositif pédagogique pour appréhender l’interdisciplinarité dans le projet architectural, permet d’explorer la synergie entre architecture et urbanisme, aux interfaces de l’architecture et de l’ingénierie, de l’architecture et de la sculpture, de l’architecture et du design spatial.

Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
post->ID de l’article : 1922 • Résumé en_US : 1961 • Résumé fr_FR : 1957 •

Introduction

Le savoir de l’architecte découle, comme le souligne Vigano (2012[1]Viganò P. (2012). Le projet comme production de connaissance. Les territoires de l’urbanisme, Genève, MétisPresses, 296 p.), de la confluence de plusieurs disciplines. Comme les jeunes urbanistes, les jeunes architectes doivent être armés de compétences pour affronter des situations urbaines complexes, multi-, inter- ou transdisciplinaires. Edgar Morin (2015[2]Morin E. (2015). Penser global, l’humain et son univers, Paris, Laffont, 180 p.) nous invite à analyser les relations entre les parties et le tout, et à contextualiser nos pratiques. Le choix de « l’atelier de projet » comme dispositif pédagogique nous offre justement prétexte pour aborder l’interdisciplinarité dans le projet architectural. Il constitue un cheminement méthodologique ciblé qui permet d’explorer la synergie entre architecture et urbanisme aux multiples interfaces de l’architecture et de l’ingénierie, de l’architecture et du design urbain, ou encore de l’architecture et de l’écologie urbaine. Dans cette perspective, l’article rend compte d’une expérience pédagogique intitulée Démopolis, menée à l’École nationale d’architecture et d’urbanisme (ENAU), université de Carthage, Tunisie, au cours de l’année universitaire 2020-2021.

Démopolis a impliqué dix enseignants et près d’une centaine d’étudiants qui ont travaillé sur cinq communes du Grand Tunis. Il s’agit d’un programme composé d’un atelier de projet et de séminaires. L’enseignement par l’atelier à l’ENAU se focalise sur le projet d’architecture, les arts plastiques (1ère et 2e année) mais aussi l’urbanisme, essentiellement en 4e année (visite d’étude et analyse urbaine) et en 5e année (atelier villes en mutation). L’expérience offerte par le studio Démopolis vise à diversifier l’offre pédagogique des ateliers de 5e année à l’ENAU. L’atelier « Villes en mutation » se situe dans la continuité pédagogique des ateliers de projet d’architecture des années précédentes : il en possède la même forme et des objectifs pédagogiques similaires. Comme le souligne Scherrer : « l’atelier en urbanisme et l’atelier en architecture partagent le même substrat pédagogique : la réalisation d’un projet, l’apprentissage par la critique, l’adoption d’une attitude réflexive sur la pratique et la résolution d’un problème ouvert (…). » (Scherrer et al., 2017[3]Scherrer F et al. (2017). « La conception innovante en urbanismeRevue internationale d’urbanisme, n° 3.).

Le studio Démopolis tente de relever un triple défi : l’intégration disciplinaire au sein de l’enseignement en atelier, l’intégration de nouveaux acteurs dans le projet à travers l’approche participative et enfin la mise en situation de projets contextualisés. Il vise une meilleure intégration dans le marché du travail (Scherrer et al., 2017[4]Op. cit.).

L’atelier de projet de la 5e année permet une approche interdisciplinaire grâce à l’organisation des enseignements en studios. Dans le cadre du studio Démopolis, les questions posées ont été les suivantes : comment l’interdisciplinarité peut-elle aider à mieux cerner la complexité de la réflexion sur la ville et les enjeux du projet urbain ? Comment l’atelier de projet peut-il jouer le rôle de creuset dans lequel se mêlent les différents apports afin de forger le projet ? Comment peut-on simuler en atelier une situation de collaboration transversale, intersectorielle et interprofessionnelle ? En cherchant à répondre à ces questions, l’outil de « l’atelier de projet » comporterait, en paraphrasant encore Morin (Morin et al., 2003[5]Morin E, Motta R, Ciurana ER. (2003). Éduquer pour l’ère planétaire, Paris, Balland, 157 p.), deux niveaux qui s’articulent et se rétro-alimentent : d’une part, il favoriserait le développement de stratégies pour la connaissance, et d’autre part, il favoriserait des stratégies pour l’action.

Notre article s’organise selon trois parties : une première partie dans laquelle nous développerons notre démarche d’atelier axée sur la pluridisciplinarité/interdisciplinarité, la contextualisation et la simulation de situations concrètes. Une seconde partie sera consacrée à la présentation de la genèse du studio Démopolis, ses objectifs et l’organisation du travail dans les ateliers. Nous finirons notre propos par la présentation des travaux d’un atelier et un retour d’expérience.

Une démarche d’atelier axée sur la pluridisciplinarité,
la contextualisation et la simulation d’actions concrètes

La pluridisciplinarité et l’interdisciplinarité :
principes d’actions

L’atelier constitue une forme particulière de la pédagogie par projet, dans laquelle les étudiants sont confrontés à un problème ouvert, c’est-à-dire n’ayant pas de solution unique prédéfinie, qu’ils doivent reformuler clairement, analyser et résoudre (Shepherd et Cosgriff, 1998[6]Shepherd A, Cosgriff B. (1998). « Problem-based learning: A bridge between planning education and planning practice », Journal of Planning Education and Research, n° 17(4), p. 348-357.). L’apprentissage se fait à travers les propositions des étudiants et les critiques des encadrants (Schön, 1984[7]Schon, DA. (1984), The Architectural Studio as an Exemplar of Education for Reflection-in-Action, Journal of Architectural Education, n°38, p. 2-9.), mais aussi par l’expérience et par la confrontation à un cas concret contextualisé, porté par un regard synthétique, réflexif et critique de leurs apprentissages, qui demande aux étudiants d’affronter le terrain (Long, 2012[8]Long JG. (2012). « State of the studio », Journal of Planning Education and Research, n° 32(4), p. 431-448.).

L’analyse d’un quartier ou d’une ville sous l’angle de plusieurs disciplines pourrait constituer un exemple de situation pluridisciplinaire. La multiplicité des regards disciplinaires contribue à apporter un regard plus riche, un même objet d’étude mais des éclairages différents de chaque discipline. Les disciplines sont abordées distinctement. L’étudiant va éventuellement faire la synthèse et le lien entre les connaissances acquises (figure 1).

Cependant, la pratique interdisciplinaireconsiste à traiter une situation ou un problème en faisant interagir de manière féconde des objets de savoir de différentes disciplines autour d’un but commun. L’interdisciplinarité est une méthode qui permet à l’étudiant de construire des apprentissages nouveaux en articulant des connaissances émanant de différentes disciplines nécessaires à la compréhension d’une réalité complexe. C’est l’étudiant qui fait de l’interdisciplinarité en articulant ses savoirs et en leur donnant du sens.

Principe d’hétérogénéité

L’atelier thématique et méthodologique est placé au centre de la formation. Il est entouré par des séminaires regroupés en champs de compétences servant son apprentissage et sa méthode de conception architecturale. Ateliers et séminaires forment ensemble des studios thématiques. Ainsi, l’étudiant développe au sein de chaque studio des performances spécifiques mises au service des travaux effectués en atelier.

En effet, l’enseignement de l’atelier de 5e année vise à synthétiser les connaissances déjà acquises et les compléter ; aborder la complexité du projet architectural et urbain dans toutes ses dimensions, idéelles, processionnelles et matérielles, par la manipulation de différentes échelles (territoriale, paysagère, urbaine, architecturale, technique, sociale, etc.) ; maîtriser et approfondir la méthodologie du projet et sa représentation : mettre en pratique les capacités d’observation, d’analyse et de critique pour cibler les besoins, de formulation de problèmes et de proposition de stratégies innovantes ; développer les outils et les techniques de communication et de représentation du projet ; et initier l’étudiant à la méthodologie de recherche en sciences humaines et techniques (recherche documentaire, modèles d’analyses, techniques d’enquêtes, normes de rédaction, etc.).

Cette hétérogénéité guide l’étudiant sur le chemin de l’autonomie. Ce dernier doit être capable de réfléchir par lui-même à une problématique donnée, quel que soit son niveau de complexité. La pluridisciplinarité permet la rencontre autour d’un thème commun entre enseignants de disciplines distinctes, tout en conservant chacun la spécificité de ses concepts et méthodes. Il s’agit d’approches parallèles tendant à un but commun par addition des contributions spécifiques.

Principe d’expérimentation

La formation prodiguée tente de privilégier la boucle expérience/interprétation ainsi que tous les formats favorisés par l’intégration des dispositifs contemporains de conception et de représentation (workshop, séminaire, atelier de projet). L’interdisciplinarité suppose le dialogue et l’échange des connaissances, d’analyses entre deux ou plusieurs disciplines. Le studio nécessite une coordination renforcée (interventions communes, corrections périodiques, en alternant les groupes et les enseignants…). Il représente ainsi un lieu de partage où les enseignants pourront expérimenter et diversifier leur démarche exploratoire (figure 2).

Figure 1. Pluridisciplinarité de l’atelier thématique et méthodologique.
Figure 2. Principe d’interdisciplinarité intra-studio 5e année.
Figure 3. Principe de transdisciplinarité intra-studio 5e année.

Principe de renouvellement

Le programme d’enseignement est axé sur le projet architectural et urbain. Celui-ci est censé être dynamique, flexible, évolutif, productif et ouvert sur l’avenir. Un renouvellement permanent des contenus enseignés est ainsi favorisé par la possibilité d’inviter des experts de différents domaines à intervenir temporairement.

Principe de multiplicité

La transdisciplinarité s’oppose à la division des savoirs et des problèmes en disciplines isolées. Dans la cohérence de cette réflexion, chaque studio propose un workshop de projet intensif, assisté par des conférences et des séminaires de recherche. Ces actions aspirent à tisser des partenariats avec les milieux de la recherche et de l’enseignement supérieur dans les domaines de l’aménagement, de l’ingénierie urbaine, de l’urbanisme, du paysage et de l’architecture durable (figure 3).

Contextualisation en vue de l’association
de la connaissance à l’action

Le studio Démopolis s’inscrit dans un contexte d’actualité aussi bien sur le niveau réglementaire, avec la nouvelle constitution de la Tunisie (2014) qui met en avant la gouvernance locale et la participation citoyenne, le nouveau Code des collectivités locales (CCL, 2018) ainsi que celui offert par les nouvelles conventions entre l’ENAU et certaines communes du Grand Tunis. Les objectifs du studio Démopolis sont multiples : ouvrir l’université sur son environnement, rapprocher les étudiants aux problématiques des villes dans le nouveau contexte de décentralisation, promouvoir la vision de la ville en dehors des outils classiques d’aménagement urbain. Il vise essentiellement à développer la prospective préopérationnelle et renforce l’ancrage territorial de la formation en architecture en lien avec les municipalités et les collectivités locales. Ceci est rendu possible grâce à la mise en place d’une politique de décentralisation au lendemain de la révolution.

En effet, depuis son indépendance en 1956, la Tunisie a connu de profondes transformations qui ont conduit à la redéfinition de la politique d’aménagement du territoire. Le premier schéma national d’aménagement du territoire ainsi que les schémas régionaux ont vu le jour en 1985. Le changement politique de 1987 a par la suite donné une nouvelle orientation à la planification territoriale dans le but d’instaurer une organisation spatiale et territoriale équilibrée et conforme aux enjeux du développement durable, et intégrer ainsi les contraintes de la mondialisation. Depuis 2011, les grandes orientations de l’aménagement du territoire tentent d’établir le lien entre les fractures socio-spatiales engendrées par le déséquilibre régional[9]Le fait que la révolution tunisienne de décembre 2010-janvier 2011 soit partie des régions intérieures du pays, particulièrement le centre-ouest, région rurale, alors que beaucoup s’attendaient à une révolution urbaine ou, du moins, à un changement initié par la ville, ne cesse d’interpeller géographes, aménageurs, planificateurs et géopoliticiens. et le déclenchement de la révolution tunisienne de janvier 2011, d’où la nécessité d’opérer une nouvelle lecture du territoire, démocratique et concertée.

Dans la démarche participationniste post-révolution, les collectivités se sont dotées d’outils permanents d’aide à la décision chargés de faire remonter les attentes de la population, de formuler des propositions concrètes issues de ces attentes. Entre différents acteurs (milieu professionnel, universités, associations et élus), une fertilisation croisée est née grâce à des échanges sur des projets urbains, en particulier dans leur dimension socio-spatiale.

À travers ce nouveau contexte réglementaire, l’état tunisien exprime explicitement son objectif de mettre en place une démarche urbaine intégrée qui consiste à remettre le territoire « tel qu’appréhendé, perçu et vécu » par ses occupants au centre des préoccupations des interventions publiques, d’où l’importance de la dimension socio-spatiale des lieux dans cette démarche (Verdier, 2009[10]Verdier P. (2009). Le projet urbain participatif. Apprendre à faire la ville avec ses habitants, Paris, Yves-Michel-Adels.). Notre cadre scientifique est orienté par l’hypothèse qui postule que l’interdisciplinarité pourrait répondre à la complexité du projet urbain en intégrant plusieurs perspectives de lecture des lieux à l’égard des différentes disciplines impliquées. Cette interdisciplinarité a été convoquée à travers le montage de notre dispositif pédagogique centré sur l’atelier du projet.

Le contexte réglementaire

Les conventions récemment établies entre l’École Nationale d’Architecture et d’Urbanisme et quelques communes du Grand Tunis offrent un cadre propice à cet exercice. Elles permettent l’ouverture de l’ENAU sur le monde professionnel et donnent un cadre permettant ainsi de concrétiser ce pont souhaité entre l’enseignement en atelier et la profession, en vue d’éclairer de nouvelles pratiques professionnelles en cohérence avec un nouveau cadre réglementaire.

Le contexte urbain des communes « objets d’études »

Les communes « objets d’études » du studio Démopolis sont situées dans le Grand Tunis. Elles s’inscrivent naturellement dans le contexte urbain de la métropole tunisoise qui a connu ces cinquante dernières années un étalement urbain sans précédent. La tâche urbaine de la métropole a atteint une amplitude de plus de 50 km avec une population estimée à 2,8 millions d’habitants en 2020. Elle est subdivisée en quatre gouvernorats et compte 38 communes.

Les communes « objets d’études » du studio Démopolis sont : la commune d’Ariana au nord (gouvernorat d’Ariana), la commune de Sidi Hassine à l’ouest (gouvernorat de Tunis), la commune de Hammam Lif sur le littoral sud (gouvernorat de Ben Arous), les communes de La Marsa et La Goulette sur le littoral est (gouvernorat de Tunis) (figure 4).

Figure 4. Le découpage territorial du Grand Tunis et les communes « objets d’études » du studio Démopolis selon AUGT (2018).

L’étalement urbain imprégnant ces différentes communes est dominé par un habitat non réglementaire, à faible densité. On assiste à un double processus d’extension urbaine : par périurbanisation, touchant les espaces littoraux et agricoles, et par resserrement autour de la commune centre (la Médina avec ses deux faubourgs et la ville coloniale) et des plans d’eau (lacs et sebkhas). La périurbanisation a causé un mitage des terres agricoles et une dégradation des écosystèmes et des cadres de vie au niveau des communes périphériques (Dlala, 2007[11]Dlala, H. (2007). Métropolisation et recomposition territoriale du Nord-Est tunisien. Cybergeo: European Journal of Geography [En ligne], Environnement, Nature, Paysage, document 410, mis en ligne le 03 décembre 2007.). Le développement urbain de la capitale (AUGT, 2018[12]AUGT. (2018). Le livre blanc de l’aménagement territorial et urbain du Grand Tunis. Phase 1 : Bilan-diagnostic et évaluation de la situation actuelle, ministère de l’Équipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du territoire.) échappe ainsi à tout contrôle ; les planifications territoriales émanant d’un système jusque-là extrêmement centralisé se sont avérées défaillantes. Selon Sami Turki (Turki et Loschi, 2017[13]Turki SY, Loschi C. (2017). « Chantiers de reconstruction politique en comparaison : la décentralisation en période post-révolutionnaire en Tunisie et en Libye », L’Année du Maghreb, n°16, p. 71-88.), il y a « un processus à penser dans un système collectif de fabrication de projets », dans une « logique de réflexion dans laquelle l’État, des collectivités territoriales, la société civile et les habitants participent en termes de conception, réalisation et évaluation […] pour ne pas créer des morceaux de villes déconnectés ». Dans ce contexte, il parait nécessaire de repenser la gouvernance territoriale dans la métropole tunisoise. Notre objectif est d’initier nos étudiants à une démarche de projet basée sur une implication effective des habitants et de la société civile d’une manière générale.

Démopolis : genèse d’un projet, objectifs
et montage du dispositif pédagogique

Présentation et objectifs de la coopération :
la genèse de Démopolis

En immersion dans l’une des cinq communes pendant un semestre, les étudiants sont confrontés aux réalités, ils vont à la rencontre d’experts et d’opérateurs locaux qui partagent leurs expériences. C’est ainsi que cette formation-action revêt une originalité qui consiste à partir de situations concrètes et réelles en vue d’orienter l’action vers une coproduction. Chaque commune déterminera l’objet d’étude et un support de lecture, d’analyse, de réflexion et d’action d’un atelier en corrélation avec une problématique spécifique traitant des besoins des habitants en rapport avec le contexte physique et la conjoncture sociale. Démopolis propose ainsi de considérer la gouvernance participative en rapport avec les différentes communes, et oriente les efforts déployés dans ce cadre pédagogique et scientifique vers la contribution à la réalisation d’un master plan des différentes municipalités objets d’études.

Le studio Démopolis vise ainsi à :

confronter l’étudiant à la commande réelle par rapport à un contexte physique, urbain, architectural et social, collaborer avec les municipalités et créer une démarche appropriée à chaque commune, fondée sur la gouvernance locale participative ;

offrir des connaissances, des outils d’intervention et une culture stratégique pour développer des moyens concrets d’approche de la réalité du terrain ;

appréhender les déterminations historiques, géographiques, environnementales, culturelles… aussi bien physiques qu’idéelles et sociales d’un « lieu », afin de comprendre l’inscription de sa conformation à travers les temporalités et les acteurs ;

focaliser l’analyse sur la corrélation entre la dimension significative de l’espace architectural et urbain, et son interaction avec l’être humain, assurant ainsi sa durabilité ;

prendre en compte le développement social, économique, technologique en rapport avec un environnement viable et durable ;

reconsidérer la mission du concepteur à l’égard de l’approche collaborative, concertée et participative.

Interdisciplinarité
et montage d’un dispositif pédagogique :
le studio Démopolis

En effet, la conception de Démopolis a pris en considération différents séminaires contribuant à la constitution de cette approche :

le séminaire « Environnement sciences humaines et sociales » traite de la notion du paysage et étudie les prospectives du développement local à travers la mise en œuvre de la démarche participative ;

le séminaire « Lecture socio-spatiale au service des démarches participatives et prospectives du développement local : le sens social de l’espace » oriente l’étudiant vers la compréhension des pratiques sociales en tant que productrices des effets de sens. Une investigation sociale « techniques d’enquête » est ainsi indispensable pour mesurer les besoins sociaux. Elle constitue un outil fondamental pour formuler des hypothèses de programmation ;

le séminaire « Territoire de la ville, représentation, composition, plasticité et programmation » permet à l’étudiant d’expérimenter une parole formelle, verbale et spatiale (composition et plasticité), à propos d’une question relative à l’espace urbain de la ville. La représentation n’est plus seulement à l’échelle individuelle mais collective, elle devient une représentation participative constituée d’une mosaïque de perceptions spatiales ;

le séminaire « Expression et modes de représentation : espace pensé vs espace rêvé »présente les avantages et les contraintes d’une conception collective et participative, et permet de confronter, à travers des cas d’études, des exemples opérationnels et pratiques en vue d’évaluer les potentialités et les limites de la démarche participative ;

le séminaire « Sciences et technologies, ingénierie urbaine et ville durable » permet d’élucider la manière selon laquelle les concepteurs s’y prennent pour interpréter les données physiques, topographiques et géographiques des lieux afin d’assurer une pertinence des choix architecturaux et urbains.

Méthodologie du projet urbain socio-spatial :
planification du processus selon trois temporalités

Le studio Démopolis adopte une approche transdisciplinaire de l’espace, considéré comme objet de connaissances multiples et support de lectures et d’interprétations diverses selon qu’on prenne en considération ses aspects anthropologique, socio-économique, géographique, climatique, démographique… Trois temporalités pédagogiques importantes ponctuent le déroulement du premier semestre et couronnent une collaboration étroite entre ateliers et séminaires.

Les trois temporalités sont déterminées par les missions suivantes :

diagnostic territorial spatial : il consiste à faire une description et une analyse de l’état initial du territoire concerné, accompagnées d’une analyse des concepts clés mettant en évidence les points forts et les points faibles en termes de réglementation et de gestion territoriale de la commune. Le diagnostic concerne les pratiques actuelles et les modes d’occupation de l’espace à différentes échelles ;

diagnostic territorial social : il consiste à acquérir des outils d’élaboration d’une stratégie d’action à travers l’approche des lieux en tant que représentations sociales « rituels, scénarios d’action, mémoire collective… » et moyennant des techniques d’enquêtes, de dépouillement et d’interprétation. Chaque groupe d’étudiant est invité à prendre en charge une logique socio-spatiale. La dimension sociale est prise en compte par un travail d’enquête avec les habitants et les représentants de la société civile ;

construction d’hypothèses de programme et esquisses exploratoires : cette étape consiste à élaborer un master plan qui procèdera à une fertilisation croisée entre le spatial et le social. Il ambitionne de réaliser concrètement un ensemble de projets spatiaux-sociaux au plus près des attentes des habitants et en harmonie avec la politique globale de la ville ;

développement du projet de mémoire : durant cette dernière phase, l’étudiant est amené à développer une réflexion sur son projet de mémoire dans un environnement urbain existant, en traitant plusieurs échelles : urbaine, architecturale, humaine, contextuelle, géographique, sociale, culturelle, environnementale, paysagère, idéologique, intellectuelle, formelle, structurelle…

La finalité de cette démarche consiste à outiller l’étudiant quant à l’approche analytique et conceptuelle du contexte du projet architectural et urbain de fin d’études tout en considérant l’interaction avec les usagers. L’étudiant est amené à cibler une problématique précise, en élaborant une démarche théorique et un projet.

L’organisation du travail
selon ses trois temporalités

Le dispositif est axé sur une approche interdisciplinaire et transdisciplinaire de la ville, intitulée « Villes en mutation », dans le but d’atteindre les objectifs décrits plus haut (hétérogénéité, expérimentation, renouvellement, multiplicité). Il est composé d’ateliers de projet (méthodologie du projet) et des séminaires déjà cités. Les ateliers sont par la suite regroupés en studios (entre deux et trois ateliers par studio) en fonction des démarches abordées et des thèmes enseignés.

Pour des raisons de partage des effectifs et d’équilibre des charges horaires, le studio Démopolis a été scindé en deux : Démopolis 1 et Démopolis 2 (figure 5).

Figure 5. Montage du studio Démopolis.

L’organisation du travail au sein des ateliers du studio Démopolis reprend toutes les caractéristiques propres à l’atelier de méthodologie du projet : travail en atelier, en workshop ou sur le terrain, en groupe ou individuel. Les trois temporalités ont été planifiées de manière à intégrer les axes cités, selon la figure 6.

Figure 6. Organisation du travail selon les temporalités.

L’organisation du travail en atelier a été pensée de manière évolutive, d’une temporalité à une autre.

Temporalité 1. Diagnostic socio-spatial

La complexité d’une ville étant difficile à saisir d’une manière holistique pour un étudiant dans un temps assez limité, la phase de diagnostic territorial et social a été abordée par équipes thématiques. Les étudiants ont été partagés au sein de chaque atelier en quatre équipes de quatre ou cinq étudiants (chaque atelier compte entre 16 et 18 étudiants). Après une première visite de terrain, l’ensemble de l’atelier définit quatre thématiques d’analyse en prenant en compte les spécificités de la commune, par exemple la morphologie urbaine, le patrimoine bâti, le paysage, les mobilités, l’environnement, etc. Chaque groupe d’étudiants choisit un thème d’analyse (figure 7).

Figure 7. Répartition des étudiants par thème d’analyse.

Le travail d’analyse spatiale se fait sur terrain (relevés, observations, etc.), auprès des services de la commune (entretiens et recueil d’informations et de documents), mais aussi en atelier (mise en forme des éléments d’analyse). Les attendus de cette phase sont une analyse rendue sous forme d’éléments graphiques (planches thématiques, cartes, diagrammes) ainsi qu’un diagnostic orienté en vue de l’élaboration du master plan. Elle se termine par une présentation des résultats du travail de chaque équipe à l’ensemble de l’atelier afin de partager les connaissances acquises.

Temporalité 2. Construction d’hypothèses de programme et esquisses exploratoires, master plan 

Cette seconde temporalité est aussi abordée par équipe. Son objectif est de développer un scénario d’aménagement sous forme de master plan, couvrant l’ensemble du périmètre d’étude. Afin de permettre à chaque équipe de maîtriser les résultats des différents thèmes d’analyse, les équipes ont été recomposées de manière à avoir dans chacune d’elles un étudiant ayant travaillé sur chaque thème (figure 8).

Figure 8. Recomposition des équipes.

Chaque équipe d’étudiants travaille sur un scénario et choisit de développer un concept en rapport avec les spécificités de la ville et le diagnostic orienté, présenté par les équipes d’analyse. Les attendus de cette phase sont le master plan présentant le scénario d’aménagement choisi (plan, perspectives, coupes de principe) ainsi qu’un court texte de présentation.

Temporalité 3. Développement du projet de mémoire d’architecture 

Cette troisième temporalité est abordée par les étudiants individuellement. Chaque étudiant choisit de développer une composante du scénario proposé lors de la temporalité 2. L’échelle du projet peut varier, de l’échelle urbaine (quartier, lotissement) à l’échelle architecturale (habitat, équipement), en passant par l’aménagement d’un espace public (place, parc ou jardin). L’étudiant choisit un projet qu’il pourra développer par la suite lors de son projet de fin d’études, au second semestre de la cinquième année.

Aboutissement et retour sur expérience

Travaux des étudiants,
inscription dans le processus
et imbrication des échelles :
temporalité 1, temporalité 2 et temporalité 3

La dernière partie de cet article présente des travaux des étudiants du studio Démopolis à la suite de la mise en œuvre de la méthodologie présentée ci-dessus et tout en prenant en considération les rendus partiels relatifs à chaque temporalité. Nous prenons comme exemple l’une des cinq communes supports d’étude du studio Démopolis, afin de présenter les aboutissements de cette démarche en termes de travaux et livrables présentés par les étudiants. La commune d’Ariana est envisagée dans ce sens comme contexte d’expérimentation permettant de tester la validité environnementale de cette commune.

La ville d’Ariana est située au nord-est du Grand Tunis et au sud du gouvernorat d’Ariana (figure 4). Divisée en quatre arrondissements,elle couvre environ 1 855 hectares et comprend 114 486 habitants. Ariana, qui est à l’origine un centre de villégiature, possède d’importantes potentialités environnementales et patrimoniales, notamment une richesse hydrique reconnue depuis l’Antiquité, qui lui permet d’être une destination privilégiée de certains patients à la recherche de la pureté, la douceur de l’eau et la fraîcheur de l’air pur. Ariana, connue pour être « la ville des roses », se caractérise actuellement par une urbanisation massive et rapide. La ville a perdu son charme d’antan et a vu se dégrader la qualité de vie de ses habitants.

Sont présentés ci-après les résultats du travail d’analyse socio-spatiale des étudiants.

Temporalité 1

Figure 9. La corrélation des deux phases de la temporalité 1.

En application de la méthodologie du studio (voir figure 7), le diagnostic socio-spatial en ses deux phases (figure 9) a été orienté vers l’étude de quatre thèmes d’analyse (évoqués par des concepts clés), à savoir « Patrimoine, histoire et mémoire collective », « Environnement et paysage », « Mode d’occupation du sol et densification » et « Infrastructure et mobilité ». Orientés de la sorte, les travaux des étudiants ont permis de mettre en exergue différents phénomènes imprégnant significativement la commune d’Ariana (figure 10).

Figure 10. Relevé des phénomènes prépondérants à Ariana à la suite du diagnostic territorial sociospatial.

Relativement aux thèmes considérés, plusieurs phénomènes ont été relevés par les étudiants, permettant ainsi d’arrêter un diagnostic territorial socio-spatial de la commune d’Ariana.

Thème 1 : « Patrimoine, histoire et mémoire collective »

Le thème « Patrimoine, histoire et mémoire collective » oriente la lecture analytique vers l’histoire de la ville, sa stratification archéologique et le relevé des figures emblématiques qui ont marqué son histoire. Les lieux à valeur patrimoniale sont alors répertoriés en vue d’arrêter la stratégie d’action envisagée.

Ce thème a été abordé à travers l’étude de l’histoire de la ville, riche d’événements marquants et de traces matérielles ponctuant le territoire de la commune d’Ariana. Le travail d’investigation territorial et social s’est orienté vers la mise en exergue des différents acteurs qui ont influencé le cours de l’histoire de la ville d’Ariana et la mesure de l’impact des monuments à valeur patrimoniale sur la perception des usagers de l’espace de la ville d’Ariana.

L’étude historique de la ville a permis de dresser une carte de repérage des vestiges et des monuments repères à valeur patrimoniale.

Les résultats relevés par les étudiants suite aux investigations étayées par des entretiens et des questionnaires ont permis de mettre au jour, d’une part, une méconnaissance de l’histoire de la ville d’Ariana par ses habitants, malgré le potentiel patrimonial attesté par la présence de plusieurs monuments à valeur historique, lesquels sont délaissés, abandonnés ou parfois saccagés ; d’autre part, la cohabitation jadis existante entre les trois communautés religieuses monothéistes attestée par la présence de plusieurs monuments et espaces de culte respectifs et représentatifs des différentes communautés.

Thème 2 : « Environnement et paysage »

Le thème « Environnement et paysage » oriente les investigations vers la mise en lumière du potentiel physique, géographique et environnemental de la ville. Son étude permettra de mesurer l’impact de l’urbanisation sur la qualité environnementale de la commune.

Cette investigation tente d’apprécier la qualité environnementale d’Ariana. L’idée a été d’étudier de quelle manière Ariana pourrait encore être identifiée comme la « ville des roses » et la possibilité qu’a cette ville de garder cette connotation à l’égard de l’impact de l’étalement urbain qu’elle connaît depuis plusieurs décennies.

Après l’étude de l’état paysager, environnemental, territorial et urbain, les étudiants ont focalisé leur travail sur le parcours présenté par l’artère principale de la commune dans le centre-ville d’Ariana. Ils ont ainsi mené une analyse plus approfondie, de laquelle ils ont pu définir l’identité paysagère du quartier et mesurer ainsi son impact sur les citoyens par les entretiens et questionnaires.

Les résultats de ces investigations montrent la dégradation de la qualité environnementale de la ville suite d’une part à une perte des ressources en eau par la mauvaise gestion et par l’urbanisation massive et d’autre part à la pollution et à la mauvaise gestion de ses déchets. Ces investigations ont aussi permis de mesurer l’écart entre l’image de la ville, ancrée dans la mémoire collective de la population, et la réalité de l’environnement urbain aujourd’hui. Ainsi, le mythe « Ariana ville des roses » n’est présent que lors de l’évènement du festival des roses, un évènement annuel reconnu à l’échelle nationale. Le citoyen éprouve ainsi une grande frustration au quotidien.

Thème 3 : « Mode d’occupation du sol et densification »

Le thème « Mode d’occupation du sol et densification » oriente les investigations vers la lecture des modes d’urbanisation de la ville et son évolution, ce qui permettra de mesurer leurs impacts sur le mode de vie des habitants.

Le constat a montré l’étendue de l’urbanisation qui a empiété sur les espaces verts. L’étude et l’analyse de l’évolution du tissu urbain de la ville ont révélé une gentrification des zones créant ainsi une transformation matérielle et sociale du centre-ville. Cette étude tente de relever les zones de flux et de mouvement et leur impact dans la gentrification en décelant la relation entretenue entre le centre de la ville et sa périphérie.

Les résultats qui émanent de cette analyse montrent la portée des phénomènes de la congestion urbaine et de la gentrification dont souffre le centre-ville et la prolifération des quartiers anarchiques sur le territoire communal impactant considérablement le mode de vie des habitants.

Thème 4 : « Infrastructure et mobilité »

Le thème Infrastructure et mobilité oriente les investigations vers l’étude de l’infrastructure de la ville et sa capacité à répondre aux besoins croissants de mobilité de ses habitants

L’analyse de ce thème a permis de révéler la portée d’un phénomène récurrent, à savoir la convergence des voies structurantes vers le centre de la commune qui devient lieu de croisement et de passage des moyens de transport publics et privés. Cette situation a engendré une congestion très importante et un regroupement des équipements le long des grands axes. La faible prise en considération des contraintes topographiques et hydrographiques de la ville d’Ariana a aussi eu un impact négatif sur le centre-ville et le noyau historique. Le mode de vie des citoyens devient inconfortable, stressant et nocif pour la santé en raison des différentes pollutions et des sources de nuisance. L’analyse a aussi mis en exergue l’importance du problème de mobilité et de connexion entre les arrondissements, qui se manifeste par une congestion urbaine aux entrées de la ville et par un encombrement véhiculaire et piétonnier. Ces résultats ont permis de mesurer l’impact des risques d’inondation dans plusieurs zones de la ville.

Temporalité 2

Figure 11. La corrélation des deux phases de la temporalité 2.

La deuxième temporalité (figure 11) consiste en la construction d’hypothèses de programme et des esquisses exploratoires en rapport avec trois versions de master plan de la commune d’Ariana. Chaque version de master plan, proposée par une équipe d’étudiants, est orientée selon une posture d’action ou un concept clé en rapport avec le diagnostic déjà établi dans la temporalité 1. Les trois master plans ont été présentés selon les trois titres suivants : « Ariana, la ville des parcs », « Réécriture des vides urbains d’Ariana », « Ariana, la ville résiliente » (figure 12).

L’organisation des groupes et la situation d’apprentissage au sein des ateliers confrontent l’étudiant à la résolution de problèmes à solutions multiples. Les étudiants sont invités à réfléchir, expérimenter, manipuler de nouveaux outils, se concerter, évaluer, et à trouver des modalités fixées par eux-mêmes. Leurs décisions stratégiques et leurs appréhensions des situations selon le processus d’élaboration du master plan ont été les moteurs pour que leurs réflexions/actions soient efficaces.

Figure 12. Traduction des postures d’action et des concepts clés selon trois versions de master plan.

Équipe 1 – « Ariana, la ville des parcs »

Suite au diagnostic spatial et social relatif à la temporalité 1, ce groupe adopte une posture durable et trace les axes stratégiques de l’action (figure 13) déterminée par :

l’utilisation intelligente, efficace et durable des ressources naturelles ;

la réhabilitation et l’aménagement des espaces verts existants, et la reconversion des vides urbains en poumons verts ;

La révision du plan de circulation en vue d’atténuer la congestion urbaine.

Figure 13. Version 1 du master plan, réalisée par l’équipe 1 « Ariana, la ville des parcs ».

Équipe 2 – « Réécriture des vides urbains à Ariana » 

Les résultats et synthèses de la première étape ont permis à cette équipe de définir leurs objectifs, postures d’action et concepts clés. L’intérêt a été porté sur différents phénomènes en vue de déterminer les postures d’action, remédier ainsi à leurs apparitions à l’échelle de la commune (comment ?) et cibler pertinemment la zone d’intervention (où ?) afin d’atteindre les objectifs fixés (figure 14). Ainsi, la version 2 du master plan « Réécriture des vides urbains à Ariana » est déterminée au niveau de ses orientations.

Figure 14. Schéma récapitulatif de l’équipe 2 « Objectifs, concepts clés et postures d’action ».

Les concepts de « mobilité urbaine », « d’agriculture urbaine » et de « tiers-lieu » agissent en boucle ; ils ne peuvent être appliqués que si les équipements sont bien répartis dans les quartiers et autour des vides urbains (figure 15).

Figure 15. Mise en relation des concepts clés « version 2 du master plan ».

La spatialisation de ces concepts est interprétée de diverses manières selon le type de l’espace interstitiel « vide urbain », son vécu et sa représentativité à l’échelle de la commune (figure 16).

Figure 16. Localisation des zones d’intervention et version 2 du master plan : « zones en vue de réécrire les vides urbains à Ariana ».

Équipe 3 – « Ariana, ville résiliente »

À la suite de la synthèse de la première temporalité, cette équipe a porté son intérêt sur le phénomène du déphasage entre la réalité de l’étalement urbain et la planification urbaine (figures 17 et 18).

Figure 17. Mise en relation et interprétation des concepts.
Figure 18. Développement des concepts opératoires
Figure 19. Version 3 du master plan « Ariana, ville résiliente ».

La figure 19 montre les orientations du master plan en cohérence avec les caractéristiques environnementales, historiques et patrimoniales de la commune, tout en prenant en considération les besoins de ses habitants.

Temporalité 3

Cette dernière phase est dédiée au développement du projet architectural. En effet, la réponse architecturale est considérée comme l’aboutissement de l’approche à différentes échelles. Elle découle de la prise en considération des orientations projetées au niveau des master plans en rapport avec les investigations, les analyses et les diagnostics (figure 20).

Figure 20. Émergence des projets en corrélation avec les différentes versions du master plan.
Figure 21. Implantation des projets individuels dans la commune d’Ariana.

La figure 21 montre la répartition des différents projets des étudiants sur le territoire communal en cohérence avec les orientations du master plan.

Conclusion

Afin de développer les compétences des étudiants en fin de cursus, dans une dynamique de construction de savoir et de savoir-faire par l’expérimentation, un travail en immersion sur site a permis à l’étudiant d’acquérir la capacité à comprendre une information, l’adopter et l’adapter à des situations de projets futurs.

L’organisation de l’encadrement au sein des ateliers Démopolis de toutes les activités, les cadrages, les débats et les encadrements a été basée sur la mise en valeur des potentiels réactifs de chaque membre de l’équipe. La méthode participative et la mise en valeur du sens de l’analyse et de la pensée critique ont structuré une approche logique du travail d’équipe, de la persévérance, de la patience, afin d’accéder aux connaissances nécessaires pour interroger les acteurs et proposer des solutions.

Les cadrages théoriques et méthodologiques permettent de cerner l’imprécision et la précision en même temps. C’est ce qui a laissé une certaine latitude à l’étudiant afin d’instaurer une situation de coproduction, de réflexion, par conséquent d’autonomisation et de construction de son point de vue.

Considération faite à la complexité des différents aspects de la réalité urbaine, le montage pédagogique proposé a présenté un contexte permettant à l’étudiant de mener une réflexion sur son projet de mémoire d’architecture dans un environnement urbain bien déterminé :

Démopolis est un dispositif pédagogique qui permet aux étudiants de saisir la complexité de la ville en vue d’appréhender ses différents aspects dans un cadre pluridisciplinaire ;

une variété de profils d’enseignants mobilisés en rapport avec plusieurs disciplines et dispositifs d’enseignement (atelier/séminaire), (théorie/pratique), (sciences humaines/sciences exactes), mais également organismes et institutions sollicités pour mener à bien cette expérience pédagogique inédite à l’échelle de l’ENAU.

L’objectif majeur de cette initiative est de préparer l’étudiant à la vie professionnelle à travers une simulation de situations concrètes et de besoins réels, mais également une confrontation avec divers intervenants et acteurs sociaux. La progression de la posture envisagée par l’étudiant tout au long d’un semestre en pleine immersion dans un contexte réel est déterminée par une construction par strates allant de l’observation au relevé des phénomènes, à l’analyse, au diagnostic, à la recherche conceptuelle. La démarche consiste à la mise en relation des phénomènes relevés avec un ensemble de concepts, à l’établissement de postures d’actions à différentes échelles jusqu’à la conception et la matérialisation des idées à travers les projets urbains et architecturaux. Conjuguer les échelles et construire une cohérence alliant les différentes postures et attitudes adoptées face à un contexte urbain est un exercice qui pourrait être fastidieux en l’absence d’un travail d’équipe. Ainsi, l’approche participative en tant que concept clé est aussi appréhendée en tant que méthode et approche en vue d’assurer une meilleure interaction et communication entre les différents profils (acteurs, habitants, étudiants, responsables locaux, enseignants). Néanmoins, les circonstances imprégnées par la conjoncture mondiale marquée par le COVID-19 ont inhibé l’interaction interne entre les différents ateliers de Démopolis, mais aussi externe en rapport avec la communication directe avec les habitants des différentes communes. La structure déjà mobilisée dans le cadre de Démopolis est prête à embrasser différents contextes urbains et à intégrer d’autres disciplines présentant d’autres perspectives d’approche de l’espace architectural et urbain. Elle rend lisible des notions de base sur l’espace, la ville et la démarche sociale en se concentrant sur : 1) la nature de l’espace et comment l’être humain perçoit l’espace dans lequel il vit en ville ; 2) la compréhension de ce qu’est une ville et si les villes ont encore un avenir ; 3) la demande sociale et comment les sociologues s’y prennent pour la saisir, 4) la complexité d’un projet urbain et comment les concepteurs s’y prennent pour dessiner la ville.

Au-delà des savoirs de base et des méthodes établies, il s’agit aussi : 1) de faire entrer les apprenants dans différentes étapes du processus de projet urbain et identifier les moyens nécessaires pour approcher la demande sociale avec l’ambition de faire émerger la demande en profondeur plutôt qu’une demande immédiate, formulée en termes de consommation. Ce travail implique un recul critique sur les méthodes à employer, notamment sur le bon usage des enquêtes ; 2) de se poser des questions sur les mécanismes de croisement entre le spatial et le social qui pourraient servir leurs ambitions de faire à grande échelle des projets urbains spatiaux sociaux.


[1] Viganò P. (2012). Le projet comme production de connaissance. Les territoires de l’urbanisme, Genève, MétisPresses, 296 p.

[2] Morin E. (2015). Penser global, l’humain et son univers, Paris, Laffont, 180 p.

[3] Scherrer F et al. (2017). « La conception innovante en urbanisme. Recherche, expérimentation, pédagogie associée à l’atelier de maîtrise en urbanisme à l’Université de Montréal », Revue internationale d’urbanisme, n° 3.

[4] Op. cit.

[5] Morin E, Motta R, Ciurana ER. (2003). Éduquer pour l’ère planétaire, Paris, Balland, 157 p.

[6] Shepherd A, Cosgriff B. (1998). « Problem-based learning: A bridge between planning education and planning practice », Journal of Planning Education and Research, n° 17(4), p. 348-357.

[7] Schon, DA. (1984), The Architectural Studio as an Exemplar of Education for Reflection-in-Action, Journal of Architectural Education, n°38, p. 2-9.

[8] Long JG. (2012). « State of the studio », Journal of Planning Education and Research, n° 32(4), p. 431-448.

[9] Le fait que la révolution tunisienne de décembre 2010-janvier 2011 soit partie des régions intérieures du pays, particulièrement le centre-ouest, région rurale, alors que beaucoup s’attendaient à une révolution urbaine ou, du moins, à un changement initié par la ville, ne cesse d’interpeller géographes, aménageurs, planificateurs et géopoliticiens.

[10] Verdier P. (2009). Le projet urbain participatif. Apprendre à faire la ville avec ses habitants, Paris, Yves-Michel-Adels.

[11] Dlala, H. (2007). Métropolisation et recomposition territoriale du Nord-Est tunisien. Cybergeo: European Journal of Geography [En ligne], Environnement, Nature, Paysage, document 410, mis en ligne le 03 décembre 2007.

[12] AUGT. (2018). Le livre blanc de l’aménagement territorial et urbain du Grand Tunis. Phase 1 : Bilan-diagnostic et évaluation de la situation actuelle, ministère de l’Équipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du territoire.

[13] Turki SY, Loschi C. (2017). « Chantiers de reconstruction politique en comparaison : la décentralisation en période post-révolutionnaire en Tunisie et en Libye », L’Année du Maghreb, n°16, p. 71-88.