frontispice

La fabrication du grand territoire
Résultat d’une vision stratégique planifiée
ou action publique pilotée par opportunités ? L’exemple de la Côte d’Opale
(Nord-Pas-de-Calais-Picardie, France)

• Sommaire du no 2

Philippe Deboudt Université de Lille, laboratoire Territoires, Villes, Environnement & Société Didier Paris Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de Lille, laboratoire Territoires, Villes, Environnement & Société

La fabrication du grand territoire : résultat d’une vision stratégique planifiée ou action publique pilotée par opportunités ? L’exemple de la Côte d’Opale (Nord-Pas-de-Calais-Picardie, France), Riurba no 2, juillet 2016.
URL : https://www.riurba.review/article/02-planification-strategique/opale/
Article publié le 1er juil. 2016

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Philippe Deboudt, Didier Paris
Article publié le 1er juil. 2016
  • Abstract
  • Résumé

The production of urban region: result of strategic planning process or territorial policy led by the opportunities? The case of the Côte d’Opale (Nord-Pas-de-Calais-Picardie, France)

The construction of the urban regions is an important issue in urban planning. Indeed, the contemporary challenges related to the process of metropolisation lead to broaden the territorial scale for the analysis of the spatial systems. Can the construction of urban areas be compared with a process of strategic spatial planning? This paper discusses the construction of a large coastal territory in northern France, the Côte d’Opale, along the Channel and the North Sea between the Belgian border (Dunkerque) and the Somme estuary. The authors analyze the historical process for the last twenty years. The paper focuses on two public policies initiated by the state (DATAR). In a first part, the implementation of integrated coastal zone management is related to an “active subsidiarity”, with the creation of a structure of cooperation for local authorities (“syndicat mixte”). In a second part, the territorial policy for metropolitan development is used to consolidate the territorial project and eventually leads to the creation of a new institutional body (“pôle métropolitain”).

Le sujet de la construction des « grands territoires » anime de longue date les débats scientifiques en aménagement de l’espace et urbanisme. Les enjeux contemporains posés par la métropolisation conduisent les analystes à prendre en compte des territoires plus larges correspondants à la réalité des systèmes spatiaux. La question posée est de savoir si la construction des grands territoires relève d’un processus analogue à la planification stratégique spatialisée. Pour apporter une réponse à cette interrogation, cet article analyse la construction d’un grand territoire littoral en France, sur les façades Manche et Mer du Nord : il s’agit de la Côte d’Opale. L’objet concerne l’analyse du processus historique de fabrication du grand territoire (au cours des vingt dernières années) en mobilisant la référence à deux politiques soutenues par l’État (DATAR). Dans la première partie, la mise en œuvre de la Gestion Intégrée des Zones Côtières (GIZC) est reliée à une forme de « subsidiarité active », avec la création d’un syndicat mixte (Syndicat Mixte de la Côte d’Opale) et l’émergence d’un nouveau périmètre de projets. Dans la seconde partie, c’est la politique de coopération métropolitaine qui prend le relais pour consolider d’un point de vue institutionnel le grand territoire Côte d’Opale avec la création récente d’un pôle métropolitain.

Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
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La question de la construction politique et sociale des « grands territoires » est l’une de celles qui animent de longue date les débats scientifiques en aménagement de l’espace et urbanisme. Les enjeux contemporains posés par le processus de métropolisation et la dilatation à une échelle « métapolitaine » (Ascher, 1995[1]Ascher F. (1995). Métapolis ou l’avenir des villes, Paris, Odile Jacob.) des systèmes métropolitains conduisent en effet les analystes à embrasser plus large. Ainsi, les architectes ont sollicité une « architecture de la grande échelle » (Louguet et al., 2006[2]Louguet P, Tiry C, Vermandel F (dir.). (2006). L’espace de la grande échelle, Cahiers thématiques, n° 6, actes du colloque EURAU 2005, L’Espace de la grande échelle en question, Lille, 23-25 novembre 2015, École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille, Jean-Michel Place éditeur.), quitte à générer une difficulté épistémologique autour de la notion d’échelle ainsi utilisée (Paris, 2006[3]Paris D. (2006). La métropole lilloise : un laboratoire du projet à grande échelle ? Introduction, Cahiers thématiques, n° 6, actes du colloque EURAU 2005, L’Espace de la grande échelle en question, p. 222-226.), faisant fi de la réalité mathématique de la représentation cartographique d’un morceau d’espace, en en inversant la logique (le « grand territoire » correspondant normalement à la plus petite échelle). Si, de longue date, les géographes ont mobilisé l’emboîtement d’échelles comme méthode d’analyse des dynamiques spatiales (Grataloup, 1979[4]Grataloup C. (1979). Des échelles, Espaces Temps, vol. 10 n° 1, Région : enquête sur un concept au-dessus de tout soupçon, p. 72-79.), c’est aussi maintenant d’intrication d’échelles dont il faut parler, notamment aux extrémités, le local et le global : du changement climatique en passant par la mondialisation culturelle (y compris dans le domaine des projets urbains (Smets, 2015[5]Smets M. (2015). Le potentiel d’un urbanisme international, Revue Internationale d’Urbanisme, n° 1.)) ou les flux migratoires mondiaux, les échelles s’entrechoquent, entre processus globaux et conséquences locales (à l’exemple, pour le territoire qui nous concerne ici, du changement climatique et de la gestion de l’érosion côtière ou les conflits armés dans le monde et les flux de migrants à Calais).

C’est dans cette logique que les « grands territoires » constituent un vrai sujet d’aménagement du territoire, autour de la question de leur consolidation. Celle-ci relève-t-elle de la planification stratégique ? Patsy Healey (1995[6]Healey P. (1995). Le renouvellement des politiques urbaines spatialisées en Europe, dans Motte A (dir.), Schéma directeur et projet d’agglomération. L’expérimentation de nouvelles politiques urbaines spatialisées (1981-1993), éditions Juris Service, p. 211-231., 1997[7]Healey P. (1997). Collaborative Planning, Shaping Places, dans Fragmented Societies, Vancouver, University of British Columbia Press.) met en avant la planification stratégique spatialisée comme une tentative collective de production d’une vision spatiale pour une ville, une région urbaine ou un territoire plus important, vision qui impacte la gouvernance collective en termes de coordination des politiques publiques et de mobilisation des acteurs privés : « L’élaboration d’une planification stratégique porte autant sur le processus, c’est-à-dire l’organisation institutionnelle et la mise en œuvre, que sur l’élaboration du contenu des politiques. Les efforts de planification se basent sur les “capacités relationnelles” des territoires, les réseaux et alliances horizontaux et verticaux[8]Healey P. (1995), op. cit. p.214. », nous dit-elle, citant Amin et Thrift[9]Amin A, Thrift N. (1995). Globalisation, instutional ‘thickness’ and the local economy, dans Healey P, Cameron S, Davoudi S et al. (dir.), 1995, Managing cities, the new urban context, John Wiley publisher, p. 91-108..

Pour Louis Albrechts, la planification stratégique doit se concentrer sur un nombre limité de problématiques. Elle prend en compte les forces et tendances, et permet une mobilisation large de la société civile et des acteurs du développement. Elle promeut une vision du long terme aux différentes échelles, prenant en compte les structures de pouvoir et les facteurs d’incertitude, et propose des schémas d’action, des contenus, des cadres de décision et des représentations pour promouvoir le changement spatial. Elle propose de nouvelles idées et de nouveaux processus. Surtout, la planification stratégique se concentre sur les questions de décision, d’action, de mise en œuvre ainsi que sur les résultats, et incorpore celles relatives au contrôle du processus (monitoring), au retour d’expérience (feed-back) et à la révision des schémas. Certes, tout ceci donne une assiette très large à la notion de planification stratégique, mais de fait, elle se définit comme un ensemble (a set) de concepts, de procédures et d’outils, et interroge en premier lieu le processus de mobilisation et la dynamique institutionnelle (Albrechts, 2004[10]Albrechts L. (2004). Strategic (spatial) planning reexamined, Environment and Planning B: Planning and Design, vol. 31, p. 743-758.).

Bref, la planification stratégique participe indubitablement de la construction du territoire, entendu comme un construit social, tel que Guy Di Méo (1998[11]Di Méo G. (1998). Géographie sociale et territoires, Paris, Nathan Université, 320 p.) l’avait développé, c’est-à-dire notamment un espace sur lequel les sociétés agissent.

Mais avec la multiplication des acteurs et la superposition des cadres institutionnels territoriaux, la notion de territoire se complexifie, et se pose alors la question des échelles spatiales de l’action publique. Martin Vanier (Vanier 2008[12]Vanier M. (2008). Le pouvoir des territoires : essai sur l’interterritorialité, Economica-Anthtropos., 2009[13]Vanier M. (dir.). (2009). Territoires, territorialité, territorialisation. Controverses et perspectives. Presses universitaires de Rennes. ; Acadie Conseil, 2010[14]Acadie Conseil (dir. M. Vanier et S. Derzypolski). (2010). Vers de nouvelles régulations territoriales. L’interterritorialité en actes. Problématiques, conditions de mise en œuvre, prospective, recommandations. Région Nord-Pas-de-Calais, Études prospectives régionales, n° 14, mars, 88 p.) avance l’hypothèse de l’interterritorialité, c’est-à-dire, devant le constat de l’impossible « échelle pertinente » pour l’action publique, la capacité des territoires à produire de la coordination, des articulations entre différents périmètres d’action, selon l’objet politique concerné. En quelque sorte, le constat et l’éloge de la complexité… en matière de construction territoriale. Celle-ci n’est cependant pas indépendante des configurations géographiques, tel un cadre physique structurant (littoral), un espace polycentrique ou fortement organisé autour d’un seul pôle urbain. Notamment, la nature du fait métropolitain, qui par essence s’inscrit dans le grand territoire, est essentielle.

La question posée ici concerne le fait de savoir si la consolidation des grands territoires passe uniquement par la mise en œuvre d’une action de planification, fut-elle stratégique, s’exprimant notamment à travers des documents d’orientation et des représentations volontaristes, bref une construction territoriale pilotée par la planification, ou si un autre processus n’est pas possible, à travers la capacité des acteurs à rebondir sur les opportunités politiques qui se présentent pour consolider progressivement le grand territoire : un processus non plus mené de façon parfaitement « planifiée », mais dont les ressorts sont quand même toujours ceux de la planification stratégique, tels que Louis Albrechts nous les a rappelés plus haut (vision de long terme aux différentes échelles, contenus, cadres de décision, représentations, décision, action, résultats, processus de mobilisation, dynamique institutionnelle…). Il s’agirait ainsi d’une planification « en marchant » (pour reprendre de manière métaphorique la notion de « diagnostic en marchant » des urbanistes), itérative en fonction des opportunités, donc quelque part pragmatique.

Pour apporter une réponse à cette interrogation, cet article analyse la construction d’un grand territoire littoral, initiée il y a maintenant près d’un quart de siècle, mais encore en devenir, alors que son identité physique, en tant que territoire littoral, semble pourtant s’imposer. Il s’agit de la Côte d’Opale (Dewailly, 1991[15]Dewailly JM. (1991), Qu’est-ce que la Côte d’Opale ? Ou le difficile ajustement d’un espace touristique, d’une image et d’une appellation, Hommes et Terres du Nord, n° 2-3, p. 131-137.), que l’on considérera ici dans son périmètre le plus large, articulé au projet de territoire du même nom, depuis la frontière belge au nord de Dunkerque, jusqu’au Marquenterre, vers le sud, aux confins de la Somme, et l’Audomarois, la région de Saint-Omer, qui constitue la limite orientale de l’arrière-pays littoral (figure 1).

Le territoire de la Côte d’Opale représente l’exemple d’une démarche de construction d’un grand territoire inscrite dans la durée (un quart de siècle, une génération), qui commence réellement avec le tunnel sous la Manche (décidé en 1986, réalisé en 1994), et qui propose progressivement une vision stratégique de plus en plus structurante. Les pressions qui s’exercent sur ce territoire en termes de dynamiques de l’urbanisation, de consommations foncières, d’expositions aux risques naturels sont relativement homogènes. Cependant, il est partagé entre plusieurs territoires administratifs : une région, deux départements, une communauté urbaine, trois communautés d’agglomération, une trentaine de communes côtières et environ 300 communes dans l’arrière-pays. La question de recherche posée dans cet article est celle de l’analyse de la fabrication par les acteurs de l’échelle d’articulation des politiques territoriales, la plus appropriée, en dehors des périmètres réglementaires de la planification. L’objectif est de montrer comment les acteurs politiques se sont saisis à l’échelle locale des opportunités successives qui se sont présentées depuis un quart de siècle, pour essayer de faire avancer la construction de ce grand territoire, mais aussi de souligner les facteurs de blocage qui freinent le processus. Nous mobilisons deux politiques publiques territoriales, soutenues par la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR[16]Créée en 1963, la DATAR a porté la plupart des politiques d’aménagement du territoire initiée par l’État français : métropoles d’équilibre, villes moyennes, contrat de plan État-région, pôles d’excellence rurale… Depuis 2014, elle est fondue dans le nouveau Commissariat général à l’égalité des territoires.), qui ont favorisé un processus d’intégration spatiale à l’échelle de ce territoire littoral : la première concerne la prise en compte du développement durable dans l’aménagement des territoires littoraux avec le processus de Gestion Intégrée des Zones Côtières (GIZC) ; la seconde, la construction d’un projet métropolitain, initiée par la politique de coopération métropolitaine et confortée par la mise en place d’un « pôle métropolitain ». Pour ces deux politiques, c’est le processus de mobilisation des acteurs qui est déterminant pour favoriser la construction du grand territoire Côte d’Opale. Ceci renvoie à l’observation d’Alain Motte pour qui « le processus est plus important que le plan » ou encore « …la planification stratégique spatialisée est autant concernée par le processus que par le contenu : une stratégie ou un plan ne coordonnent pas grand-chose en eux-mêmes. C’est le processus social d’élaboration des principes et des usages ultérieurs des schémas qui permet la coordination et la mise en œuvre » (Motte, 2011[17]Motte A. (2011). Repenser la planification territoriale à l’échelle des régions urbaines, dans Zepf M, Andres L (dir.), Enjeux de la planification territoriale en Europe, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, p. 55-67.). Par ailleurs, ce mécanisme entre en résonance avec les travaux sur la planification stratégique, notamment ceux de Patsy Healey (2007[18]Healey P. (2007). Urban complexity and spatial strategies: towards a relational planning for our times. Londres, Routledge.). En France, compte tenu des multiples découpages territoriaux, cette démarche bottom-up peut apparaître comme une bonne solution pour promouvoir la structuration des « grands territoires complexes » qui émergent autour d’une métropole ou d’une identité géographique (littoral).

Le fil directeur de l’article est constitué par le processus historique de fabrication du grand territoire en mobilisant dans la première partie la mise en œuvre de la GIZC reliée à une forme de « subsidiarité active », avec la création d’un syndicat mixte et l’émergence d’un nouveau périmètre de projets. Dans la seconde partie, c’est la politique de coopération métropolitaine qui prend le relais de la GIZC pour consolider d’un point de vue institutionnel la Côte d’Opale avec la création récente d’un pôle métropolitain.

Les réflexions contenues dans cet article ont été initialement présentées de manière exploratoire dans le cadre d’une communication lors des journées internationales de l’APERAU en 2008 à Québec (Deboudt et Paris, 2008[19]Deboudt P, Paris D. (2008). « La Côte d’Opale (Nord-Pas-de-Calais, France) : Projet de territoire, entre complémentarité et concurrences. Deux politiques d’aménagement en question : la gestion intégrée des zones côtière et la coopération métropolitaine ». Communication au colloque de l’APERAU, « Caps sur les ports francophones. Ports et littoraux, espaces des métamorphoses territoriales : du désir au devenir », Québec, 3-6 juin 2008.). Dans le format de cet article, elles ont été consolidées par des rencontres avec les acteurs et une dizaine d’entretiens semi-directifs au cours des années 2014-2015. Nous mobilisons aussi les résultats de différents projets de recherche qui concernent ce territoire, et auxquels nous avons participé depuis une dizaine d’années (Deboudt, 2010[20]Deboudt P. (dir.). (2010). Inégalités écologiques, territoires littoraux, développement durable, Presses Universitaires du Septentrion., 2012[21]Deboudt P. (2012). Testing the implementation of ICZM in France, Ocean & Coastal Management, n° 57, p. 62-78. ; Deboudt et al., 2008[22]Deboudt P, Deldrève V, Houillon V, Paris D. (2008). Inégalités écologiques, inégalités sociales, et territoires littoraux : l’exemple du quartier du Chemin Vert à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais, France), Espace Populations Sociétés, n° 1, p. 173-190., 2009[23]Deboudt P, Dauvin JC, Meur-Férec C et al. (2009). Dix ans de démarche GIZC en Côte d’Opale : bilan et enjeux, Actes du colloque « Prospective du littoral – Prospective pour le littoral », ministère de l’Écologie et du Développement Durable, 1 et 2 mars 2005, Paris, dans Lafon X, Treyer S (dir.), Agir ensemble pour le littoral, L’environnement en débat, La Documentation française, Paris, p. 195-212. ; Meur-Ferec et al., 2008[24]Meur-Férec C, Deboudt P, Capet Y. (2008). Étude de cas : La GIZC en Côte d’Opale : expérience d’un territoire de projet, dans Veyret Y (dir.), Le développement durable, SEDES, p. 359-364. ; Préfecture de Région Nord-Pas-de-Calais, 1992[25]Préfecture de Région Nord-Pas-de-Calais (Stevens JF et Paris D (dir.)), 1992, Trois ports, une même porte pour l’Europe. Le littoral du Nord-Pas-de-Calais face à son devenir. Étude du C.E.P.-SGAR, 226 p.). Enfin, notre démonstration s’appuie sur les résultats d’un atelier du master Urbanisme et Aménagement de l’Institut d’Aménagement et Urbanisme de Lille (IAUL), commandé par l’AGUR, Agence d’Urbanisme de Dunkerque (Beaubois-Jude et al., 2015[26]Beaubois-Jude A, Dunglas C, Duplessis N, Lorgeoux E. (2015). “Interterritorialité à l’échelle de la Côte d’Opale”, rapport d’atelier du master Aménagement, Urbanisme et Développement des Territoires (dir. D. Paris), Institut d’Aménagement et Urbanisme de Lille, Université Lille 1 – AGUR, 146 p.).

Une « subsidiarité active », moteur de la fabrication
du grand territoire de la Côte d’Opale

En 1989, lors d’un colloque international organisé à Charleston aux USA, la GIZC a été définie comme « un processus dynamique dans lequel une stratégie coordonnée est développée et mise en application pour l’attribution des ressources environnementales, socio-culturelles et institutionnelles, afin de réaliser la conservation et l’utilisation multiple et soutenable de la zone côtière » (Sorensen, 1993[27]Sorensen J. (1993). The international proliferation of integrated coastal management efforts, Ocean and Coastal Management, n° 21, 1-3, p. 45-80.). Plus récemment, une commission chargée d’analyser les modalités d’une expérimentation de la GIZC en France définit la GIZC comme « un processus dynamique, continu et itératif destiné à promouvoir le développement durable des zones côtières. L’intégration porte sur les objectifs, les nombreux instruments requis pour les réaliser, les domaines d’actions ainsi que les espaces marins et terrestres[28]Deboudt P. (2012), op. cit. ». La GIZC représente non pas une solution à tous les problèmes mais une nouvelle méthode d’approche des enjeux relatifs à l’aménagement des territoires en développant des synergies entre les nombreux acteurs engagés dans des processus de recompositions territoriales (Deboudt et al., 2009). Le fondement de la GIZC peut se résumer à l’application sur le littoral des principes du développement durable (Miossec, 2004[29]Miossec A. (2004). Les littoraux face au développement durable, Historiens & Géographes, n° 387, p. 181-188.).

La fabrication du territoire de la Côte d’Opale (figure 1) s’est réalisée à l’occasion de deux réponses à des appels à projets européen et français relatifs à la mise en œuvre d’un processus de GIZC pour l’aménagement des territoires littoraux, pendant une dizaine d’années (1996-2007), présentés et analysés successivement dans cette partie. La structuration du réseau d’acteurs envisagée pour cette fabrication et les résultats obtenus démontrent la capacité d’innovation de l’échelle locale en matière d’aménagement des territoires. Les perspectives envisagées pour cette échelle du grand territoire suggèrent un nouveau partage institutionnel correspondant à une forme de « subsidiarité active » évoquée par Jacques Theys (2002[30]Theys J. (2002). L’approche territoriale du « développement durable », condition d’une prise en compte de sa dimension sociale, Développement durable et territoires, Dossier n° 1 : Approches territoriales du Développement Durable, mis en ligne le 23 septembre 2002.) : « Aux collectivités locales, aux entreprises et à la société civile de mettre en œuvre démocratiquement, et aux bons niveaux (régions, pays, agglomération, bassins…), les politiques intégrées qui permettront seules un développement durable, dans une perspective d’éco-efficacité, de synergie entre les différentes dimensions, et de qualité globale des territoires ».

La création d’un acteur chef de file,
fédérateur de projets : le Syndicat Mixte
de la Côte d’Opale (SMCO)

Le Conseil européen adopte en 1994 une résolution concernant une stratégie de GIZC en Europe, et la Commission européenne lance en 1995 un programme de démonstration sur l’aménagement intégré des zones côtière à partir de 35 zones expérimentales (Commission européenne, 1999[31]Commission européenne. (1999). Les enseignements du programme de démonstration de la Commission européenne sur l’Aménagement Intégré des Zones Côtières (AIZC). Office des publications officielles des communautés européennes, Luxembourg, 98 p.). Le projet « Côte d’Opale » est l’un des trois projets français sélectionnés par la Commission européenne pour participer à ce programme. Il consiste précisément en l’émergence d’un grand territoire dont les limites ne coïncident pas avec des découpages administratifs mais avec l’association de différentes collectivités dans un syndicat mixte (Syndicat Mixte Côte d’Opale, SMCO) pour construire un projet de territoire à une échelle non institutionnelle (figure 1). Le SMCO est créé en 1996 et regroupe les principales structures intercommunales du grand territoire Côte d’Opale, dont la communauté urbaine de Dunkerque, les communautés d’agglomération de Boulogne-sur-Mer et Saint-Omer, la ville de Calais, les quatre CCI du territoire, les chambres d’agriculture du Nord et du Pas-de-Calais. Ce territoire rassemble les 36 communes côtières de la région Nord-Pas-de-Calais et 384 communes de l’arrière-pays. Il regroupe près de 800 000 habitants sur deux départements.

L’originalité du projet Côte d’Opale réside dans les limites spatiales du territoire choisi pour la mise en œuvre d’une GIZC (figure 1) : ces limites ne recouvrent pas la représentation traditionnelle d’un territoire littoral associé aux seules communes côtières mais incorporent une partie importante de l’arrière-pays. Elles permettent de faire émerger un nouveau cadre territorial qui s’étend de la frontière belge à l’Authie et comprenant quatre grands espaces géographiques : l’Audomarois, le Boulonnais, le Calaisis et le Dunkerquois. Le territoire du projet Côte d’Opale correspond au périmètre du SMCO. Une telle extension de la zone côtière de la Côte d’Opale vers l’intérieur des terres s’explique par « une série de solidarités socio-économiques (impact du tourisme balnéaire sur l’arrière-pays, attractivité économique des villes portuaires), socio-écologiques (interactions entre les bassins versants et les eaux marines) et socio-politiques » (Ghézali, 2000[32]Ghézali M. (2000). Gestion intégrée des zones côtières, l’approche statutaire de la Côte d’Opale, université du Littoral Côte d’Opale/syndicat mixte de la Côte d’Opale, Boulogne-sur-Mer.). Le SMCO est donc doté d’une dimension spatiale qui dépasse les limites départementales ; la réalisation du projet de territoire est fondée sur une vision commune du partenariat et de la concertation (Ghézali, 2000).

La création du SMCO a permis au territoire de la Côte d’Opale de disposer d’un outil fédérateur de projets. Cette structure, en offrant les moyens de répondre à des programmes nationaux et internationaux en matière d’aménagement, d’urbanisme, d’environnement, a permis de conférer à la Côte d’Opale une véritable identité de territoire de projet.

L’expérience de GIZC mise en œuvre dans ce nouveau territoire de projet a donné lieu à plusieurs réalisations. La première étape a été la connaissance globale du territoire avec la réalisation d’un diagnostic territorial (ENR, 1999, 2000), associée à un système d’information géographique Côte d’Opale. Puis le projet « Côte d’Opale » a pris forme, en 1998, dans la rédaction d’une charte pour le développement du littoral, qui intègre le processus de GIZC. Cette charte intègre l’objectif d’un développement durable dans les douze schémas sectoriels qui la composent. Par ailleurs, plusieurs projets, initiés dans le cadre du programme de démonstration européen, ont été finalisés : en particulier le Plan Littoral d’Actions pour la Gestion de l’Érosion (PLAGE) qui tente d’apporter une réponse cohérente et concertée face aux risques d’érosion des espaces urbanisés. Le SMCO est aussi la structure porteuse du Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE) du delta de l’Aa, institué en 2002.

La consolidation d’une gouvernance territorialisée
mais non associée à un instrument
réglementaire adapté

En se fondant sur les enseignements de ce programme expérimental (Commission européenne, 1999[33]Commission européenne. (1999), op. cit.), la Commission européenne a publié en septembre 2000 une Stratégie européenne de gestion intégrée des zones côtières (Commission européenne, 2000[34]Commission européenne. (2000). Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen du 30 octobre 2000 sur l’aménagement intégré des zones côtières : une stratégie pour l’Europe, Bruxelles, COM, 547final/2.) et une proposition de recommandation sur la GIZC en septembre 2000. Cette recommandation a été adoptée le 30 mai 2002[35]Recommandation du Parlement Européen et du Conseil du 30 mai 2002, relative à la mise en œuvre d’une stratégie de gestion intégrée des zones côtières en Europe (2002/412/CE), Journal Officiel des Communautés Européennes, 6 juin 2002, L.148/24-L.148/27. et invite les États membres à élaborer des stratégies nationales de gestion intégrée des zones côtières. En France, le gouvernement a défini en 2004 les nouvelles orientations de la politique française du littoral : « Pour être pleinement efficace, la politique du littoral doit s’appuyer sur des démarches partenariales, concertées et contractuelles, élaborées au niveau local le plus pertinent. Cette nouvelle politique du littoral doit tendre vers une gestion intégrée des zones côtières, qui est au centre de recommandations communautaires ; elle fait l’objet d’expérimentations en Europe et a déjà été adoptée avec succès par plusieurs pays dans le monde. Le développement équilibré du littoral constitue ainsi l’un des enjeux majeurs de la politique d’aménagement du territoire. » (DATAR, 2004[36]DATAR (Bouyer C. (dir.)), 2004. Construire ensemble un développement équilibré du littoral, La Documentation Française.). Pour répondre aux propositions de cette recommandation européenne, en janvier 2005, la DATAR et le Secrétariat Général de la Mer lancent un appel à projets « Pour un développement équilibré des territoires littoraux par une gestion intégrée des zones côtières » : « Cet appel à projets, qui vise à encourager des expérimentations de terrain, adaptées aux besoins des territoires et fondées sur les volontés exprimées au niveau local, contribuera à la politique décidée par le Gouvernement en faveur du littoral et de ses arrière-pays, notamment en matière de développement durable, de préservation de la qualité des espaces et de promotion de l’identité de chacune des régions maritimes de notre pays ». En pratique, l’objectif de cet appel à projets est d’approfondir les processus de décentralisation et de déconcentration et de mettre au point d’éventuelles propositions d’ordre juridique ou financier pour généraliser un aménagement du littoral selon une approche par projets à partir du processus de GIZC. Parmi les 49 réponses à l’appel à projets, 25 dossiers de candidature, dont celui de la Côte d’Opale, ont été retenus et financés pour une expérimentation de 18 mois.

Le projet « Côte d’Opale » a été unanimement reconnu par le jury comme un projet « modèle » et « locomotive », particulièrement avancé dans le processus de GIZC. Il se démarque notamment dans son avancement en matière de stratégie de gestion des risques d’érosion côtière et de pollutions marines, et par sa réflexion engagée sur la question de la gestion du foncier littoral (problème de ségrégation sociale en raison de l’élévation du coût de l’immobilier et du foncier). Il présente également des modalités de gouvernance « avancées » qui reposent sur une expérience acquise dans le pilotage de dispositifs antérieurs (SAGE, Natura 2000, Opération Grand Site). Le projet est en effet animé de façon partenariale dans un processus de co-production où chaque acteur est invité à contribuer formellement à la vie du projet. Ainsi, le comité de pilotage est largement ouvert et rassemble des représentants de collectivités locales, de services de l’État, d’établissements publics, d’universités, d’organismes consulaires et des représentants socioprofessionnels et associatifs.

Un bilan du projet « GIZC Côte d’Opale », soutenu par l’appel à projets de 2005, a été réalisé en 2007 (SMCO, 2007[37]Syndicat Mixte de la Côte d’Opale (SMCO), Région Nord-Pas-de-Calais, 2007, L’expérimentation de la gestion intégrée des zones côtières sur la Côte d’Opale. Bilan et perspectives.). À l’issue de l’expérimentation, une charte de développement du littoral a été approuvée en 2007 et affirme l’intention du SMCO de poursuivre la dynamique initiée par le projet GIZC. Une première charte avait été adoptée en 1998 dans le cadre de l’expérimentation européenne de GIZC. Cette nouvelle charte signée en 2007 élargit les engagements et les partenariats du SMCO (figure 2) avec une dimension interrégionale (Picardie) et transfrontalière (Flandre, Kent). Cette charte « est un document de prospective, l’expression d’une volonté politique et d’une ambition collective pour le littoral pour les dix prochaines années ». Le bilan du projet souligne les avancées, les difficultés et les enseignements de l’expérimentation. Le projet a concrètement consisté en l’organisation de réunions de concertation regroupant différents acteurs en fonction de l’objectif visé. Le principal apport du projet concerne la mise en place d’une « gouvernance GIZC » à l’échelle de la Côte d’Opale par la mutualisation et la mise en cohérence des projets pilotes et stratégiques avec aussi une action de lobbying à échelle nationale et européenne. Le projet Côte d’Opale est l’un des projets lauréats qui possédait une antériorité dans l’expérimentation de la GIZC (en lien avec l’expérimentation européenne). Plusieurs objectifs ont été concrétisés : inscription de la GIZC dans des documents stratégiques (par exemple, les outils de planification stratégique à l’échelle intercommunale, en France, les SCoT, Schémas de Cohérence Territoriale) ; définition collective d’études sur l’érosion côtière ; identification de moyens de lutte en cas de pollutions maritimes ; exploration de l’analyse des mutations foncières. L’échange d’informations entre les acteurs est aussi un élément positif de l’expérimentation. À l’issue de débats avec les techniciens du littoral lors des réunions de concertation, la GIZC a été définie de la manière suivante : « La GIZC peut se caractériser comme une démarche commune à l’ensemble des acteurs concernés visant à gérer durablement le territoire littoral en proposant des solutions aux problématiques territoriales. Cela fait appel aux notions de concertation, de gouvernance, d’approche systémique, de vision transversale, de prise en compte des trois piliers du développement durable, de réflexions sur le long terme, de cohérence et de solidarité territoriale ». L’une des principales difficultés soulignées dans la réalisation du projet est « l’absence de perspectives financières qui enferme la GIZC dans un niveau conceptuel et théorique. Il est indispensable de créer à partir de financements un effet de levier pour inciter les territoires à s’inscrire dans ce processus en élaborant des projets locaux exemplaires et des projets stratégiques démonstratifs ». L’organisation de la concertation a montré la difficulté de mobiliser les acteurs socio-économiques et les représentants des collectivités locales. L’incompréhension du concept de GIZC provoque une difficulté pour certains acteurs dans la mobilisation de ressources sur cette question. Par ailleurs, la GIZC est souvent perçue comme une nouvelle démarche uniquement environnementale et source potentielle de nouvelles contraintes pour le développement. La dimension maritime du projet a été finalement peu investie par les acteurs.

À l’échelle locale, la nouvelle politique du littoral encouragée par le gouvernement français relève d’une gouvernance territorialisée avec une « association dans un cadre contractuel de tous les acteurs du territoire : ni déconcentration, ni décentralisation, mais plutôt territorialisation, la politique du littoral a localement vocation à s’exercer dans des structures territorialisées réunissant autour d’un même projet et d’une même gestion tous les acteurs, institutionnels ou non, dans un périmètre pertinent au regard des enjeux considérés : collectivités territoriales (communes et leurs groupements, départements, régions), État (autorités locales et services déconcentrés), acteurs socioprofessionnels (comité régionaux et locaux des pêches), associations porteuses d’enjeux citoyens et experts et scientifiques[38]DATAR, Secrétariat Général de la Mer. (2006). État d’avancement de l’appel à projets GIZC-DATAR, Paris. » (DATAR et Secrétariat Général de la Mer, 2006). Dans cette perspective, suite à l’appel à projets de 2005, « les 25 projets sélectionnés, pour l’essentiel locaux, devraient faire émerger des structures de gouvernance adaptées ; les plus efficaces devraient pouvoir être généralisées par voie réglementaire, probablement en modifiant un instrument existant » (Ibid.). On sait en effet qu’une des difficultés d’application du principe de développement durable, et donc de la GIZC, est de faire coexister deux logiques qui n’ont, finalement, que très peu de points communs (Theys, 2002[39]Theys J. (2002), op. cit., 2003[40]Theys J. (2003). La Gouvernance, entre innovation et impuissance, Développement durable et territoires, Dossier n° 2 : Gouvernance locale et développement durable, mis en ligne le 1er novembre 2003.) : d’une part, celle des territoires décentralisés qui se mobilisent et agissent avec pragmatisme et efficacité pour le développement local et, d’autre part, celle d’un niveau global (national ou supranational), garant des grands principes de responsabilité, de solidarités, d’éthique. Il faut créer des passerelles entre ces deux logiques, en tissant des « coutures » entre le global-régulateur et le local-moteur (Theys, 2002).

La création du SMCO est une réponse pour surmonter ces contradictions entre les dynamiques locales et les enjeux globaux, en formalisant à la bonne échelle spatiale (grand territoire) un lieu de débat sur l’intégration des politiques publiques territoriales et de formalisation de visions pour imaginer des « coutures » entre les territoires administratifs de la planification stratégique ou réglementaire. Il s’agit ici d’un exemple d’une forme de coopération entre institutions, évoquée par J. Theys et C. Emelianoff (2001[41]Theys J, Emelianoff C. (2001). Les contradictions de la ville durable, Le Débat, 1, n° 113, p. 122-135. [En ligne] : www.cairn.info/revue-le-debat-2001-1-page-122.htm) pour réaliser un « travail de “couturage” entre des institutions trop souvent cloisonnées ou des échelles de décision beaucoup trop éclatées ».

Le rôle joué par le SMCO et ses réalisations (charte de développement du littoral, par exemple) sont une illustration assez exemplaire des théories développées par le courant de recherche de Patsy Healey (2007[42]Healey P. (2007), op. cit.). Citées par Christophe Demazière, les idées avancées par Judith E. Innes sont aussi corroborées par notre démonstration : « what planners do most of the time is talk and interact (…) this ‘talk’ is a form of practical, communicative action » (Innes, 1998[43]Innes J. (1998). Information in communicative planning. Journal of the American Planning Association, n° 64(1), p. 52-63.) ; « le processus d’élaboration d’une vision du territoire et de son devenir compte plus que le résultat, qui se présente classiquement sous la forme d’un diagnostic, de cartes et d’orientations » (Demazière, 2016[44]Demazière C. (2016). Réformes de la planification spatiale et gestion « durable » des grandes agglomérations. Les cas de l’Angleterre et de la France, Revue d’Économie Régionale & Urbaine, n° 1, février, p. 81-100.). Le rôle joué par le SMCO dans l’institutionnalisation de la coopération métropolitaine s’inscrit parfaitement dans cette forme de « subsidiarité active » qui trouvera une traduction réglementaire avec la création ultérieure des pôles métropolitains.

Vers l’institutionnalisation du grand territoire :
la construction du pôle métropolitain Côte d’Opale

Parallèlement à la gestion intégrée des zones côtières, la coopération métropolitaine représente un autre exemple de politique intégratrice à l’échelle des grands territoires, certes, non spécifique au littoral, mais qui a été utilisée ici afin de conforter le projet de territoire de la Côte d’Opale. Cette politique avait été initiée en juin 2004 par l’État, avec le lancement par la DATAR d’un programme, intitulé « Pour un rayonnement européen des métropoles françaises : appel à coopération métropolitaine ». L’objectif est de parvenir, entre l’État et les acteurs impliqués, à l’élaboration d’un « contrat métropolitain » afin de prévoir les financements pour mettre en œuvre les objectifs locaux. Avec cet appel à projets, il s’agit une nouvelle fois de tenter de faire coexister les logiques du global et du local (Theys, 2002, 2003) et, comme pour la GIZC avec la création du SMCO, de formaliser à la bonne échelle spatiale le grand territoire qui pourrait favoriser l’intégration des enjeux entre le global et le local (Theys et Emelianoff, 2001). La différence avec les résultats du processus de GIZC se situe dans la portée de l’outil créé. Ici, la coopération métropolitaine va aboutir à la formalisation, d’un point de vue institutionnel, d’une échelle de grand territoire associée à des compétences réglementaires, notamment en termes de planification spatiale.

La construction d’un projet métropolitain
pour la Côte d’Opale par les acteurs locaux

Répondant à l’objectif affiché par l’État de permettre aux territoires métropolitains de travailler selon une logique de projets, déployée à l’échelle d’un grand territoire, le projet métropolitain Côte d’Opale est proposé en décembre 2004 et recouvre le territoire du SMCO, de Berck-sur-Mer à Dunkerque et le littoral belge de Flandre (figure 3). Il permet à la Côte d’Opale de promouvoir sa propre cohérence à une échelle pertinente, ce qui représente, en termes de développement, un objectif légitime, eu égard à son identité propre. Il s’agissait bien ici de profiter de ce programme pour renforcer la structuration politique du territoire du SMCO, initiée dans le cadre du processus de GIZC, et de développer les relations transfrontalières avec la province de Flandre occidentale voisine (West-Vlaanderen).

Cette première version est refusée par la DATAR, et la question de la relation au second projet proposé dans la région Nord-Pas-de-Calais, le projet de l’aire métropolitaine de Lille, est alors posée. Mais les leaders politiques concernés, y compris au niveau régional, valident la démarche pour deux projets indépendants et complémentaires… dans une sorte de « Yalta » régional. La démarche semblait d’autant plus justifiée pour le littoral que le travail d’élaboration du projet permettait à l’Agence d’Urbanisme de Dunkerque (AGUR), qui portait le dossier au nom du SMCO, de révéler une véritable identité maritime à ce vaste territoire transfrontalier, qu’il s’agisse de la dimension culturelle liée à la mer, aux traditions, à l’unité des paysages, ou de sujets comme la sécurité maritime à proximité de la route maritime la plus fréquentée au monde (détroit du Pas-de-Calais), ou, pour la partie française, la question portuaire à travers les relations entre les trois entités de Dunkerque, Calais et Boulogne-sur-Mer. Bref, c’est réellement un projet bâti sur une identité géographique pleine et entière qui émerge alors.

Deux objectifs complémentaires étaient en fait poursuivis avec le projet de coopération métropolitaine Côte d’Opale. D’une part, l’idée était d’utiliser l’appel à coopération métropolitaine avec son rôle structurant pour le projet de territoire du littoral de la Côte d’Opale, initié avec la création du SMCO, dans un territoire encore peu intégré (échanges modestes entre les bassins d’emploi, recrutement assez majoritairement local des pôles universitaires, notamment dans les premières années, visions portuaires concurrentes…). In fine, c’est le SMCO lui-même qui, malgré ses limites en tant qu’outil de développement (syndicat mixte) porté par le processus de GIZC, a le rôle intégrateur le plus net à l’échelle de l’ensemble du littoral : promotion touristique du littoral, représentation commune au MIPIM (Marché International des Professionnels de l’Immobilier, à Cannes), mise en œuvre d’un développement durable du littoral. D’autre part, pour Michel Delebarre, leader politique porteur d’une vision pragmatique de l’utilisation de ce programme de coopération métropolitaine (à cette période, Michel Delebarre est président du SMCO et a été président de la communauté urbaine de Dunkerque de 1995 à 2014, maire de la ville de Dunkerque de 1989 à 2014, ancien président du Conseil Régional Nord-Pas-de-Calais, ancien député et ancien ministre d’État), il s’agissait de développer le cadre d’action transfrontalier en intégrant les voisins belges de la province de West-Vlaanderen. Il souhaitait alors, grâce à ce programme, aboutir au plus vite à la création d’un district transfrontalier (Groupement Européen de Coopération Territoriale, GECT), concrétisé en 2009 (figure 3). Mais ce dernier point n’intéresse, pour l’essentiel, que le Dunkerquois et la province de West-Vlaanderen. Cette dernière n’a que peu d’intérêt pour ce qui se trouve au-delà de Dunkerque. Il y avait un certain artifice à présenter un dispositif spatial qui s’étendait de Berck-sur-Mer, au sud, à Bruges au Nord. De leur côté, Calais et Boulogne-sur-Mer se sentent plus concernées par le Kent… dont on peut se demander s’il a un réel intérêt dans le développement d’un projet transmanche : culturellement, les Anglais ont avant tout une approche pragmatique quant à la capacité de capter des opportunités de financement, plus qu’ils n’expriment une volonté politique d’ouverture vers les voisins. En réalité, le transfrontalier qui fonctionne est effectivement celui entre Dunkerque et le Westhouck (extrême ouest de la province de West-Vlaanderen), pour des raisons de proximité culturelle évidentes, et parce que les outils techniques de la province et de l’AGUR travaillent ensemble depuis longtemps dans une logique de projets, se connaissent et partagent une confiance réciproque. Concernant cette question transfrontalière, le constat de base est toujours celui d’un effet frontière très net entre les parties française et flamande en termes de comparaison des revenus (plus élevés en Flandre : forte économie résidentielle), de structure par âge (plus jeune en France) et avec, au total, une sorte « d’effet Côte d’Azur » sur le littoral flamand, mis en évidence par les travaux de l’AGUR (2007[45]Agence d’urbanisme de Dunkerque (AGUR), 2007, Atlas transfrontalier Côte d’Opale – West-Vlaanderen. Recueil de cartes transfrontalières. Des clés 2006 pour comprendre le territoire.), alors que le secteur dunkerquois reste marqué dans ses structures socio-économiques, par le poids de l’industrie lourde.

La création du pôle métropolitain Côte d’Opale :
naissance d’un grand territoire et émergence
d’une planification intégrée et interterritoriale

Une opportunité se présente dans l’année 2010 pour conforter le projet de grand territoire Côte d’Opale d’un point de vue institutionnel : les pôles métropolitains. Ces derniers ont été institués par la loi du 16 décembre 2010 sur la réforme des collectivités territoriales, avec des modifications apportées par la loi de Modernisation de l’Action Publique Territoriale et d’Affirmation des Métropoles (MAPTAM) du 27 janvier 2014. Il s’agit d’un nouveau type de syndicat mixte regroupant des intercommunalités en vue d’actions d’intérêt métropolitain, notamment en matière de développement économique, de recherche et d’enseignement supérieur, de culture, de coordination des schémas de cohérence territoriale et d’infrastructure de transport. Ces syndicats mixtes sont dits « fermés », car ils excluent normalement la participation d’autres collectivités territoriales (régions, départements) ainsi que des personnes morales (chambres consulaires, par exemple). Cette nouvelle opportunité se présente alors qu’à la fin des années 2000 émergent de nouvelles réflexions autour de la coordination de la planification à l’échelle de la Côte d’Opale. Jusque-là, la dimension de planification territoriale n’avait pas encore été assumée à cette échelle, chaque sous-territoire ayant développé ses projets d’outils de planification stratégique à l’échelle intercommunale (SCoT) sans perspective commune à l’échelle de la Côte d’Opale.

Le périmètre du grand territoire de la Côte d’Opale (SMCO) regroupe six projets de SCoT (figure 3). En 2010, trois SCoT ont été approuvés : le SCoT de la région Flandre-Dunkerque en 2007, le SCoT de la région de Saint-Omer en 2008 et le SCoT de la Terre des Deux Caps en 2010. Deux projets de SCoT sont bien avancés (SCoT du Calaisis et du Boulonnais). Et un projet a commencé en 2009 (SCoT du Montreuillois). Parallèlement, un nouveau processus commence à émerger dès 2008 avec la démarche inter-SCoT. Les agences d’urbanisme de la Côte d’Opale sont sollicitées par les acteurs politiques locaux, conjointement avec l’État et la Région, pour élaborer une vision littorale plus intégrée de la planification, qui pourrait passer par une démarche inter-SCoT, c’est-à-dire une démarche informelle de coordination des différents SCoT à l’échelle du grand territoire. Une étude est alors lancée avec, comme porte d’entrée de la démarche, l’élaboration d’un plan climat, en particulier autour de la question des transports. Par ailleurs, une démarche d’observation plus globale du grand territoire est menée conjointement par les agences d’urbanisme concernées. L’AGUR (Dunkerque) est le chef de file de cette démarche avec, à l’origine, un programme européen INTERREG (GOGIS) sur la production d’une cartographie transfrontalière entre Dunkerque et West-Vlaanderen, élargi ensuite à toute la Côte d’Opale.

C’est dans ce contexte que, profitant de la nouvelle opportunité offerte par la loi du 16 décembre 2010 sur la réforme des collectivités territoriales, le SMCO décide de se transformer en pôle métropolitain (figure 3) en 2012 (Pôle Métropolitain Côte d’Opale – PMCO, arrêté préfectoral du 2 septembre 2013). En réalité, le PMCO fait figure d’exception (Beaubois-Jude et al., 2015) : la région et les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais appartenaient au SMCO, un syndicat mixte ouvert. Leur maintien dans la nouvelle structure était contradictoire avec le statut « fermé » des pôles métropolitains, jusqu’à ce que la loi MAPTAM (27 janvier 2014) précise que « à la demande du conseil syndical du pôle métropolitain, les régions ou les départements sur le territoire desquels se situe le siège des établissements publics de coopération intercommunale membres peuvent adhérer au pôle métropolitain » (article L. 5731-2 du CGCT modifié). Cependant, ce caractère « ouvert » semblerait ne pas permettre l’adhésion du SMCO au Groupement Européen de Coopération Territoriale (également considéré par le droit français comme un syndicat mixte ouvert), un syndicat mixte ouvert ne pouvant adhérer à un autre syndicat mixte ouvert. Le PMCO est actuellement membre associé du GECT.

Lors de son installation, en novembre 2013, non seulement la question du renforcement de la construction du grand territoire de la Côte d’Opale a été évoquée, mais encore celle de la relation à la métropole lilloise, une thématique nouvelle[46]Deux consultants avaient été sollicités sur le sujet et, indépendamment, un travail d’atelier de l’IAUL lancé sur ce même thème (2013-2014). qui traduit l’amorce d’une évolution de la pensée stratégique des acteurs, qui commencent à imaginer que la Côte d’Opale doit aussi se tourner vers Lille, en tant que sa façade littorale au sein d’une plus vaste région métropolitaine. La création du PMCO permet d’avancer aussi sur la mise en place de la démarche de planification intégrée entre les six SCoT approuvés[47]Le SCoT du Boulonnais est approuvé en 2013. Les SCoT du Calaisis et du Montreuillois sont approuvés en 2014. du grand territoire (démarche inter-SCoT). L’engagement dans une démarche inter-SCoT consiste pour les acteurs dans la poursuite de la dynamique métropolitaine en matière de développement urbain, de transport et mobilité, d’environnement et de développement économique, ainsi que de développer les fonctions d’observation à l’échelle du territoire. Cela passe par l’analyse des contenus des SCoT, favoriser des échanges techniques, créer une culture commune entre élus et acteurs et proposer une vision littorale sur les documents stratégiques régionaux.

Conclusion

Dans le cas de la Côte d’Opale, on peut souligner trois phases majeures dans le processus de fabrication d’un grand territoire engagé dans une planification stratégique spatialisée, selon le propos de Patsy Healey (1997[48]Healey P. (1997), op. cit.). La création du syndicat mixte de la Côte d’Opale en 1996 s’est appuyée sur la mise en œuvre du processus de Gestion Intégrée des Zones Côtières pour faire émerger le périmètre d’un grand territoire doté d’une capacité à formaliser des projets. La mise en œuvre de la GIZC, de 1996 à 2008, permet de donner un objectif opérationnel aux politiques du SMCO, dont l’échelle apparaît comme la plus pertinente pour traiter certains sujets (érosion côtière, lutte contre les pollutions maritimes), en lien avec le principe de subsidiarité. À partir de 2004, la coopération métropolitaine permet de consolider la structuration politique du SMCO et d’y ajouter une dimension transfrontalière. Enfin, la constitution du pôle métropolitain Côte d’Opale en 2012 permet de franchir une nouvelle étape dans l’intégration institutionnelle pour la fabrication d’un grand territoire. On retrouve bien ici ce processus d’organisation d’un grand territoire, à partir des opportunités concrètes qui se sont présentées, résultat d’un pilotage au coup par coup plus que par une démarche planificatrice ex ante. Par contre, le fil rouge dans l’action est fourni par une vision de long terme, tenue dans le temps, portée par les leaders politiques et partagée par les acteurs.

Par rapport à d’autres territoires littoraux en France métropolitaine (Alpes maritimes, estuaires de la Loire ou de la Seine, par exemple), ce projet de construction territoriale ne s’est pas appuyé sur un cadre administratif aussi balisé que pouvait l’être une Directive Territoriale d’Aménagement (DTA), procédure qui implique l’État et dont les orientations sont opposables aux documents d’urbanisme de niveau inférieur, à commencer par les SCoT, du moins avant leur transformation en Directive Territoriale d’Aménagement et de Développement Durable (DTADD) après la loi Grenelle 2 de 2010 (les DTADD ne conservent le principe d’opposabilité que dans le cadre d’un Projet d’Intérêt Général – PIG). On se trouve plutôt ici devant un modèle de construction territoriale de type bottom-up, mais dans lequel la gouvernance politique est surtout portée par un leader politique local (Michel Delebarre). Et la réalité politique s’impose aussi à la réflexion théorique. Dans d’autres territoires français, ce constat est corroboré. Ainsi, par exemple, la Région Urbaine de Lyon (RUL), association créée en 1989, concernant un périmètre de plus de 10 000 km2 autour de la capitale régionale, qui, en tant qu’arène de débat entre les collectivités parties prenantes, illustrait on ne peut mieux une tentative interterritoriale autour du phénomène métropolitain local, s’est dissoute en avril 2015 après la mise en place de la nouvelle métropole lyonnaise. Dans le Nord-Pas-de-Calais, l’association « Aire métropolitaine de Lille », créée en 2008 après l’appel à coopération métropolitaine de la DATAR, aurait pu jouer un rôle comparable, mais n’a aujourd’hui qu’un modeste bilan faute de portage politique effectif. José Serrano et al. (2014[49]Serrano J, Demazière C, Nadou F, Servain S. (2014). La planification stratégique spatialisée contribue-t-elle à la durabilité territoriale ? La limitation des consommations foncières dans les schémas de cohérence territoriale à Marseille-Aix, Nantes Saint-Nazaire, Rennes et Tours, Développement durable et territoires, vol. 5, n° 2.) nous ramènent également à cette réalité politique en précisant, à partir de l’exemple de la consommation foncière périurbaine, les limites concrètes de la démarche de planification spatiale stratégique à l’échelle d’un grand territoire : « Le SCoT est, en théorie, facilitateur de la prise en compte intégrée des enjeux économiques et environnementaux à une échelle élargie. Néanmoins, nos études de cas[50]Il s’agit des aires urbaines de Marseille-Aix, Nantes, Rennes et Tours. montrent que la réflexion de la planification à l’échelle de la région urbaine est plus engagée lorsque se développent, dans la durée et au préalable, des constructions intercommunales et des relations intercommunautaires. Les acteurs publics locaux ont du mal à se défaire des stratégies de développement pensées à l’échelle intercommunale (en lien avec les intérêts communaux). À l’intérieur des périmètres de planification stratégique, les EPCI (intercommunalités) sont en concurrence pour attirer des activités économiques et soutenir leur développement. » (Serrano et al., 2014[51]Serrano J. et al. (2014), op. cit.). Ainsi, les difficultés sont nombreuses, les obstacles multipliés sur le chemin d’une gouvernance efficace des grands territoires métropolitains (Demazière, 2015[52]Demazière C. (2015). Les enjeux de la planification spatiale en Angleterre et en France : regards croisés, Espaces et sociétés, n° 160-161, p. 67-84 [En ligne).

Dans d’autres pays européens, des exemples existent de production effective d’une pensée planificatrice à l’échelle de ces grands territoires. Ainsi, la Ruhr bénéficie dès 1920 de la création d’un des premiers organismes d’aménagement à cette échelle, Siedlungsverband Ruhrkohlenbezirk, devenu Kommunalverband Ruhr (1975), puis Regionalverband Ruhr (2004), en charge de la planification (notamment, le plan de 1966 du SVR avait marqué la pensée planificatrice). L’IBA (Internationale Bauausstellung) de l’Emscher Park (1989-1999) représente sans doute un aboutissement, en tout cas une référence, dans ce qu’il est possible de faire à cette échelle en termes de gouvernance de projet de territoire, à travers une coordination d’initiatives bottom-up au sein d’un projet plus global, sans doute un bon exemple d’« interterritorialité » : mais il y a là près d’un siècle d’histoire (le facteur « durée » avancé par Serrano et al., 2014), et certains sont plus critiques quant à la réalité d’une gouvernance métropolitaine (Kunzmann, 2011[53]Kunzmann K. (2011). Planification prospective pour une région (non)métropolitaine : l’exemple de la Ruhr, dans Zepf M, Andres L (dir.), Enjeux de la planification territoriale en Europe, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, p. 141-161.). Par contre, à en croire l’OCDE, le Randstad Holland, tant vanté en tant qu’espace métropolitain polycentrique, n’échappe pas à la difficulté d’organiser une gouvernance à son échelle (OECD, 2007[54]OECD (OCDE). (2007). Territorial reviews: Randstad Holland, Netherlands, 240 p.). Comme le rappelle F. Ascher, « l’avenir des métapoles dépend (…) de la possibilité de susciter une véritable gouvernance urbaine » (Ascher, 1995[55]Ascher F. (1995), op. cit., p. 268.).

Pour le grand territoire de la Côte d’Opale, dans leur démarche, les acteurs se sont saisis successivement des diverses opportunités qui se présentaient pour conforter le processus de territorialisation : tunnel sous la Manche, nouvelle université en réseau (Université du Littoral Côte d’Opale), programme européen de GIZC, appel à projets national de GIZC, appel à coopération métropolitaine, pôles métropolitains. Dans ce genre de démarche, la dynamique ne tient que par la gouvernance, la force de la conviction des uns et l’adhésion des autres à un projet. C’est donc à la fois une configuration fragile mais aussi riche de promesses si elle aboutit, car elle est alors le résultat d’une démarche collective des différents acteurs, politiques, économiques, de l’ingénierie du développement, qui peuvent tous se retrouver dans un projet partagé. C’est aussi une façon de « faire du territoire ». Les questions qui se posent aujourd’hui, alors que le pôle métropolitain Côte d’Opale prend son rythme de croisière, concernent la capacité à affecter des moyens d’action et d’ingénierie à cette nouvelle échelle, notamment dans un contexte contraint pour les finances publiques. Selon Christophe Demazière (2015, 2016[56]Demazière C. (2016), op. cit.), « en France, le degré élevé de décentralisation permet aux communes de privilégier une construction intercommunale qu’elles maîtrisent et dont elles tirent avantage sur le plan des dotations et des ressources fiscales. En revanche, la jeunesse des EPCI (intercommunalités) – en particulier en secteur périurbain – ainsi que les rivalités entre EPCI autour de l’attraction de ménages et d’emplois, rendent difficile le dialogue interterritorial à l’échelle du grand territoire des agglomérations[57]Demazière C. (2015), op. cit. ». C’est une limite de l’interterritorialité entendue comme mode opératoire collaboratif entre les territoires : elle repose sur la bonne volonté, car pour les élus, les échéances se manifestent à l’échelle de leurs territoires d’implantation. C’est peut-être aussi la chance qu’elle offre, que de dégager l’action publique des échéances électorales directes pour poursuivre, malgré tout, dans le projet. La durée et la volonté politique sont alors les deux ingrédients prioritairement nécessaires à la construction des grands territoires.


[1] Ascher F. (1995). Métapolis ou l’avenir des villes, Paris, Odile Jacob.

[2] Louguet P, Tiry C, Vermandel F (dir.). (2006). L’espace de la grande échelle, Cahiers thématiques, n° 6, actes du colloque EURAU 2005, L’Espace de la grande échelle en question, Lille, 23-25 novembre 2015, École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille, Jean-Michel Place éditeur.

[3] Paris D. (2006). La métropole lilloise : un laboratoire du projet à grande échelle ? Introduction, Cahiers thématiques, n° 6, actes du colloque EURAU 2005, L’Espace de la grande échelle en question, p. 222-226.

[4] Grataloup C. (1979). Des échelles, Espaces Temps, vol. 10 n° 1, Région : enquête sur un concept au-dessus de tout soupçon, p. 72-79.

[5] Smets M. (2015). Le potentiel d’un urbanisme international, Revue Internationale d’Urbanisme, n° 1.

[6] Healey P. (1995). Le renouvellement des politiques urbaines spatialisées en Europe, dans Motte A (dir.), Schéma directeur et projet d’agglomération. L’expérimentation de nouvelles politiques urbaines spatialisées (1981-1993), éditions Juris Service, p. 211-231.

[7] Healey P. (1997). Collaborative Planning, Shaping Places, dans Fragmented Societies, Vancouver, University of British Columbia Press.

[8] Healey P. (1995), op. cit. p.214.

[9] Amin A, Thrift N. (1995). Globalisation, instutional ‘thickness’ and the local economy, dans Healey P, Cameron S, Davoudi S et al. (dir.), 1995, Managing cities, the new urban context, John Wiley publisher, p. 91-108.

[10] Albrechts L. (2004). Strategic (spatial) planning reexamined, Environment and Planning B: Planning and Design, vol. 31, p. 743-758.

[11] Di Méo G. (1998). Géographie sociale et territoires, Paris, Nathan Université, 320 p.

[12] Vanier M. (2008). Le pouvoir des territoires : essai sur l’interterritorialité, Economica-Anthtropos.

[13] Vanier M. (dir.). (2009). Territoires, territorialité, territorialisation. Controverses et perspectives. Presses universitaires de Rennes.

[14] Acadie Conseil (dir. M. Vanier et S. Derzypolski). (2010). Vers de nouvelles régulations territoriales. L’interterritorialité en actes. Problématiques, conditions de mise en œuvre, prospective, recommandations. Région Nord-Pas-de-Calais, Études prospectives régionales, n° 14, mars, 88 p.

[15] Dewailly JM. (1991), Qu’est-ce que la Côte d’Opale ? Ou le difficile ajustement d’un espace touristique, d’une image et d’une appellation, Hommes et Terres du Nord, n° 2-3, p. 131-137.

[16] Créée en 1963, la DATAR a porté la plupart des politiques d’aménagement du territoire initiée par l’État français : métropoles d’équilibre, villes moyennes, contrat de plan État-région, pôles d’excellence rurale… Depuis 2014, elle est fondue dans le nouveau Commissariat général à l’égalité des territoires.

[17] Motte A. (2011). Repenser la planification territoriale à l’échelle des régions urbaines, dans Zepf M, Andres L (dir.), Enjeux de la planification territoriale en Europe, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, p. 55-67.

[18] Healey P. (2007). Urban complexity and spatial strategies: towards a relational planning for our times. Londres, Routledge.

[19] Deboudt P, Paris D. (2008). « La Côte d’Opale (Nord-Pas-de-Calais, France) : Projet de territoire, entre complémentarité et concurrences. Deux politiques d’aménagement en question : la gestion intégrée des zones côtière et la coopération métropolitaine ». Communication au colloque de l’APERAU, « Caps sur les ports francophones. Ports et littoraux, espaces des métamorphoses territoriales : du désir au devenir », Québec, 3-6 juin 2008.

[20] Deboudt P. (dir.). (2010). Inégalités écologiques, territoires littoraux, développement durable, Presses Universitaires du Septentrion.

[21] Deboudt P. (2012). Testing the implementation of ICZM in France, Ocean & Coastal Management, n° 57, p. 62-78.

[22] Deboudt P, Deldrève V, Houillon V, Paris D. (2008). Inégalités écologiques, inégalités sociales, et territoires littoraux : l’exemple du quartier du Chemin Vert à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais, France), Espace Populations Sociétés, n° 1, p. 173-190.

[23] Deboudt P, Dauvin JC, Meur-Férec C et al. (2009). Dix ans de démarche GIZC en Côte d’Opale : bilan et enjeux, Actes du colloque « Prospective du littoral – Prospective pour le littoral », ministère de l’Écologie et du Développement Durable, 1 et 2 mars 2005, Paris, dans Lafon X, Treyer S (dir.), Agir ensemble pour le littoral, L’environnement en débat, La Documentation française, Paris, p. 195-212.

[24] Meur-Férec C, Deboudt P, Capet Y. (2008). Étude de cas : La GIZC en Côte d’Opale : expérience d’un territoire de projet, dans Veyret Y (dir.), Le développement durable, SEDES, p. 359-364.

[25] Préfecture de Région Nord-Pas-de-Calais (Stevens JF et Paris D (dir.)), 1992, Trois ports, une même porte pour l’Europe. Le littoral du Nord-Pas-de-Calais face à son devenir. Étude du C.E.P.-SGAR, 226 p.

[26] Beaubois-Jude A, Dunglas C, Duplessis N, Lorgeoux E. (2015). “Interterritorialité à l’échelle de la Côte d’Opale”, rapport d’atelier du master Aménagement, Urbanisme et Développement des Territoires (dir. D. Paris), Institut d’Aménagement et Urbanisme de Lille, Université Lille 1 – AGUR, 146 p.

[27] Sorensen J. (1993). The international proliferation of integrated coastal management efforts, Ocean and Coastal Management, n° 21, 1-3, p. 45-80.

[28] Deboudt P. (2012), op. cit.

[29] Miossec A. (2004). Les littoraux face au développement durable, Historiens & Géographes, n° 387, p. 181-188.

[30] Theys J. (2002). L’approche territoriale du « développement durable », condition d’une prise en compte de sa dimension sociale, Développement durable et territoires, Dossier n° 1 : Approches territoriales du Développement Durable, mis en ligne le 23 septembre 2002.

[31] Commission européenne. (1999). Les enseignements du programme de démonstration de la Commission européenne sur l’Aménagement Intégré des Zones Côtières (AIZC). Office des publications officielles des communautés européennes, Luxembourg, 98 p.

[32] Ghézali M. (2000). Gestion intégrée des zones côtières, l’approche statutaire de la Côte d’Opale, université du Littoral Côte d’Opale/syndicat mixte de la Côte d’Opale, Boulogne-sur-Mer.

[33] Commission européenne. (1999), op. cit.

[34] Commission européenne. (2000). Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen du 30 octobre 2000 sur l’aménagement intégré des zones côtières : une stratégie pour l’Europe, Bruxelles, COM, 547final/2.

[35] Recommandation du Parlement Européen et du Conseil du 30 mai 2002, relative à la mise en œuvre d’une stratégie de gestion intégrée des zones côtières en Europe (2002/412/CE), Journal Officiel des Communautés Européennes, 6 juin 2002, L.148/24-L.148/27.

[36] DATAR (Bouyer C. (dir.)), 2004. Construire ensemble un développement équilibré du littoral, La Documentation Française.

[37] Syndicat Mixte de la Côte d’Opale (SMCO), Région Nord-Pas-de-Calais, 2007, L’expérimentation de la gestion intégrée des zones côtières sur la Côte d’Opale. Bilan et perspectives.

[38] DATAR, Secrétariat Général de la Mer. (2006). État d’avancement de l’appel à projets GIZC-DATAR, Paris.

[39] Theys J. (2002), op. cit.

[40] Theys J. (2003). La Gouvernance, entre innovation et impuissance, Développement durable et territoires, Dossier n° 2 : Gouvernance locale et développement durable, mis en ligne le 1er novembre 2003.

[41] Theys J, Emelianoff C. (2001). Les contradictions de la ville durable, Le Débat, 1, n° 113, p. 122-135. [En ligne] : www.cairn.info/revue-le-debat-2001-1-page-122.htm

[42] Healey P. (2007), op. cit.

[43] Innes J. (1998). Information in communicative planning. Journal of the American Planning Association, n° 64(1), p. 52-63.

[44] Demazière C. (2016). Réformes de la planification spatiale et gestion « durable » des grandes agglomérations. Les cas de l’Angleterre et de la France, Revue d’Économie Régionale & Urbaine, n° 1, février, p. 81-100.

[45] Agence d’urbanisme de Dunkerque (AGUR), 2007, Atlas transfrontalier Côte d’Opale – West-Vlaanderen. Recueil de cartes transfrontalières. Des clés 2006 pour comprendre le territoire.

[46] Deux consultants avaient été sollicités sur le sujet et, indépendamment, un travail d’atelier de l’IAUL lancé sur ce même thème (2013-2014).

[47] Le SCoT du Boulonnais est approuvé en 2013. Les SCoT du Calaisis et du Montreuillois sont approuvés en 2014.

[48] Healey P. (1997), op. cit.

[49] Serrano J, Demazière C, Nadou F, Servain S. (2014). La planification stratégique spatialisée contribue-t-elle à la durabilité territoriale ? La limitation des consommations foncières dans les schémas de cohérence territoriale à Marseille-Aix, Nantes Saint-Nazaire, Rennes et Tours, Développement durable et territoires, vol. 5, n° 2.

[50] Il s’agit des aires urbaines de Marseille-Aix, Nantes, Rennes et Tours.

[51] Serrano J. et al. (2014), op. cit.

[52] Demazière C. (2015). Les enjeux de la planification spatiale en Angleterre et en France : regards croisés, Espaces et sociétés, n° 160-161, p. 67-84 [En ligne].

[53] Kunzmann K. (2011). Planification prospective pour une région (non)métropolitaine : l’exemple de la Ruhr, dans Zepf M, Andres L (dir.), Enjeux de la planification territoriale en Europe, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, p. 141-161.

[54] OECD (OCDE). (2007). Territorial reviews: Randstad Holland, Netherlands, 240 p.

[55] Ascher F. (1995), op. cit., p. 268.

[56] Demazière C. (2016), op. cit.

[57] Demazière C. (2015), op. cit.