frontispice

La participation urbaine en ses objets
Pour une « respons-abilité » accrue

• Sommaire du no 9

Giulietta Laki Université libre de Bruxelles Rafaella Houlstan-Hasaerts Université libre de Bruxelles Guillaume Slizewicz Luca School of Arts, Bruxelles Greg Nijs Université libre de Bruxelles Thomas Laureyssens Luca School of Arts, Bruxelles

La participation urbaine en ses objets : pour une « respons-abilité » accrue, Riurba no 9, janvier 2020.
URL : https://www.riurba.review/article/09-objets/participation/
Article publié le 1er janv. 2020

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Giulietta Laki, Rafaella Houlstan-Hasaerts, Guillaume Slizewicz, Greg Nijs, Thomas Laureyssens
Article publié le 1er janv. 2020
  • Abstract
  • Résumé

Urban participation through its objects: towards an increased response-ability

Making urban projects relevant by having them match the needs and aspirations of their publics, is – at least in theory – what urban participation aims for. But how are these aims pursued and fulfilled? And how can urban projects become even more relevant to the situation in which they intervene? This paper addresses both questions through a lively and complex case study: the recent development of a large pedestrian area in the centre of Brussels. More specifically, this case study is approached through the lens of the objects of urban participation, such as objects of planning, objects of communication, everyday objects, critical objects and public things. Thanks to this “objectal” approach, and an increased attention to materiality, aesthetics and more-than-human entanglements, we prepare the ground for our main claim: in order to improve their “response-ability”, both scholars and urban planners involved in urban participation processes need to take objects into account, not only by accounting for them but also by making them count, by bringing matter to matter.

Rendre les projets urbains pertinents, en accord avec les besoins et aspirations du terrain, voici à quoi rime – du moins en théorie – l’ambition de la participation urbaine. Comment ces aspirations sont-elles réellement tenues et composées ? Et comment pourrait-on améliorer la pertinence des projets vis-à-vis du terrain ? Ces deux questions sont ici abordées par le biais d’un cas vivant et complexe, celui de la mise en place d’une vaste zone piétonne dans le centre de Bruxelles. Plus spécifiquement, elles sont abordées sous un angle d’approche particulier, celui des objets. Qu’est-ce que cela fait de rendre compte de la participation vue au prisme de ses objets ? Objets de la planification, objets de la communication, objets quotidiens, objets critiques, choses publiques… L’approche « objectale » et les tendances concomitantes de l’attention accrue à la matérialité, à l’esthétique et aux entrelacements plus qu’humains nous permettront d’esquisser un programme pour la participation : prendre en compte les objets et les faire compter, afin d’améliorer notre « respons-abilité » vis-à-vis du terrain.

Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
post->ID de l’article : 3062 • Résumé en_US : 3107 • Résumé fr_FR : 3103 •

Introduction

« Juin 2015. Une barrière Vauban bloque le passage sur l’une des principales artères automobiles du centre de Bruxelles (le boulevard Anspach). Sur la barrière, un symbole de zone piétonne est imprimé sur une feuille de papier, glissé dans une pochette en plastique transparent et fixé avec du ruban adhésif brun (figures 1a et b). D’un côté de la barrière, un gros embouteillage, des automobilistes furieux tentent de faire demi-tour. De l’autre côté, de grandes étendues d’asphalte parsemées de piétons et de cyclistes : il s’agit de la nouvellement proclamée « plus grande zone piétonne d’Europe ». Le beau temps s’est allié à la curiosité de beaucoup de Bruxellois, qui souhaitent découvrir ces artères coupées au trafic automobile. Des bancs et tables de pique-nique les invitent à y prendre place (figure 2) ; certains sont disposés telles des petites scènes et accueillent des artistes de rue. Des tables de ping-pong sont mises à disposition gratuitement. Des grands aplats de couleurs habillent l’asphalte, invitant à imaginer ce lieu transformé. Parmi les animations festives qui inaugurent la phase test du nouveau projet d’aménagement, se promène, au rythme des fanfares, une marionnette géante en osier. Quelques tracts déposés sur les tables des cafés annoncent quant à eux les voix critiques de l’opération urbanistique. Un peu plus loin, des gens inaugurent un gigantesque pot d’échappement, avec la mention « the biggest of Europe » (figure 3). Ici, on s’inquiète pour la qualité de l’air des ruelles moyenâgeuses et populaires avoisinantes, vers lesquelles la circulation est déviée depuis les boulevards. « Ceci n’est pas un piétonnier », scandent-ils, sur fond d’une musique faite de bruits de moteurs et de klaxons. En soirée, les fêtards sont attirés par flots sur les terrasses des cafés qui s’étendent discrètement sur les voiries. Au matin, les riverains enjambent les restes de la veille, désemparés. Les sacs de déchets ménagers dont l’enlèvement peine à s’organiser complètent le tableau, suscitant pour certains les pires cauchemars : un centre-ville qui naufrage dans les ordures. Alors que les pigeons font festin d’une partie de ces restes, tirant profit de cette nouvelle abondance. »

Figures 1a et b. Signalétique officielle de la zone piétonne sur les boulevards centraux
(source : Espèces Urbaines, 7 mai 2018).
Figure 2. Aménagements temporaires pour la phase-test (source : Éric Danhier, 28 juin 2015).
Figure 3. « Le plus grand pot d’échappement d’Europe », sculpture brandie pendant le happening « gloire au miniring » (source : Plateform Pentagone, 28 juin 2015).

Ce récit loufoque, librement composé à partir de situations observables lors de la phase-test du piétonnier[1]Belgicisme qui désigne une zone piétonne. du centre-ville bruxellois, nous permet d’introduire une série d’enjeux pratiques et théoriques qui se posent à ceux et celles qui s’intéressent à la participation des citoyens à la fabrique urbaine. Cette phase-test, en effet, semblait constituer une tentative des pouvoirs publics de raccrocher matériellement les citoyens à un projet urbain, et ce après qu’une série de réunions d’information et de concertation ont été jugées insuffisantes. Avoir de l’espace pour se promener, découvrir les façades avec du recul, jouer et manger en plein air : voilà qui allait peut-être séduire ceux qui restaient réticents. Volontairement ou non, les pouvoirs publics rejoignaient les appels à matérialiser la participation urbaine, après de longues années de prééminence accordée aux discours. C’est que, si participer à la fabrique urbaine peut être l’affaire de prises de parole dans des arènes publiques, cela ne s’y limite nullement. Cela suppose également de faire des choses, de s’y frotter, de les fabriquer, de les faire exister. C’est donc dans un corps à corps avec l’espace lui-même, et non lors d’un débat dans une salle communale, que les citoyens étaient amenés à tester la piétonisation des boulevards centraux, à préfigurer concrètement le « plus grand piétonnier d’Europe ».

Indépendamment de ces propositions des pouvoirs publics, voire à leur encontre, la phase-test a suscité la participation spontanée de citoyens, également repérables dans des artefacts matériels – à l’instar du pot d’échappement géant. Elle a par ailleurs engendré l’apparition d’objets qui, de manière non intentionnelle, contribuaient à dessiner la topographie des lieux – telles les canettes de bière ou les sacs d’ordures. Qui plus est, la phase-test, sa spatialité, sa matérialité et sa cohorte d’objets réunissaient autour d’elles des publics (humains ou non humains), suscitaient des débats, et venaient rendre tangibles ou composer des intérêts et des enjeux parfois insoupçonnés. Pour le meilleur et pour le pire, le récit témoigne d’un constat que nous faisons avec d’autres : la participation urbaine se joue (aussi) en ses objets. Dès lors, se pose un premier jeu de questions : comment et à quelles fins les objets sont-ils mobilisés pour (faire) participer à la fabrique de la ville ? Quels espaces, quelles ambiances contribuent-ils à faire advenir ? Que font-ils exister sur la scène publique ? De quels possibles, promesses, mais aussi conflits ou déceptions participatifs sont-ils assortis ? Peuvent-ils contribuer à rendre la participation urbaine plus juste, plus pertinente, plus adéquate, bref, plus en accord avec les aspirations de différents publics concernés et les besoins du terrain ?

Car, contrairement à ce que l’appellation « phase-test » laissait présager, et contrairement à ce que le mobilier éphémère avait permis à certains d’espérer, les pouvoirs publics n’ont pas profité de cetteoccasion pour nourrir le futur aménagement des lieux. Cette « phase-test » était avant tout destinée à évaluer le nouveau plan de circulation et à favoriser l’adhésion au projet définitif, en grande partie déjà décidé (ARAU, 2015, p. 2[2]ARAU. (2015). « Ceci n’est pas de la participation. Analyse du mercredi 18 février 2015 » [En ligne). À ce titre, elle s’est avérée pour certains citoyens tout aussi décevante que des formes de participation plus classiques. En effet, pour donner sa pleine extension aux potentiels participatifs ouverts par cette phase-test, il aurait fallu observer les manières dont les citoyens manipulaient ou activaient les objets et aménagements proposés, ainsi que les conséquences et répercussions des changements opérés. Il aurait fallu apprendre de cette expérience pour préparer la mise en œuvre du réaménagement en tant que tel. Dès lors, se pose un deuxième jeu de questions, plus opérationnelles : comment tirer parti du pouvoir des objets, de leur côté engageant et mobilisateur ? Comment mieux prendre en compte les espoirs et les trahisons qu’ils opèrent ? Comment mettre à profit leurs manières plus que discursives de rendre présents des dossiers, des enjeux ? Bref, si cela s’avère possible, comment améliorer concrètement la participation urbaine avec les objets ?

Dans cet article, nous proposons de prendre « à bras-le-corps » ces deux jeux de questions, à partir de diverses observations et expériences qui sont au cœur de la recherche-action « p-lab » que nous menons au sein du collectif Espèces Urbaines. Cette recherche vise à élargir et enrichir la définition de la « participation », à partir d’observations et d’interventions sur, autour et à propos du piétonnier du centre-ville[3]Recherche qui a vu le jour suite à un appel à projets d’Innoviris (organisme de financement de la recherche de la région de Bruxelles-Capitale) portant sur le thème « participation sociale et citoyenneté ». Avec une équipe pluridisciplinaire, nous avons pendant deux ans combiné méthodes ethnographiques (observation, parcours commentés), entretiens d’une vingtaine d’acteurs de terrain, revue de presse et des médias sociaux, avec les méthodes plus expérimentales décrites dans la deuxième partie de l’article.. Plus spécifiquement, nous nous intéressons aux manières dont les pouvoirs publics tentent de « faire participer » les citoyens à la vie de la ville, mais aussi aux manières dont les citoyens y participent par eux-mêmes. Cet intérêt est étendu à la participation urbaine de toute une série d’autres entités « non humaines » : des « objets », mais aussi la faune, la flore, des phénomènes, des idées. Dans la première partie, à dominante généalogique et ethnographique, nous revenons sur des objets « pistés » dans les médias ou « suivis » en situation, pour esquisser un répertoire polyphonique et non exhaustif de différents rôles qu’ils peuvent jouer dans la participation urbaine. Dans une seconde partie, plus programmatique, nous présentons une série d’expérimentations où nous tentons d’apprendre à « faire avec » (« making with », Haraway, 2016[4]Haraway D. (2016). Staying with the trouble: Making Kin in the Chthulucene, Durham, Duke University Press.) des objets, afin de tester, étendre et amplifier leurs potentiels participatifs.

Diverses pistes théoriques guident ce cheminement. Comme nous l’avons évoqué, nous rejoignons les appels à matérialiser la participation urbaine (Debaise et Decuypere, 2009[5]Debaise D, Decuypere T. (2009). « Une approche pragmatique de l’architecture », dans Dassonville C, Cohen M (dir.), Le Cinéma Sauvenière, n° 7, p. 42-46. ; Awan, Schneider et Till, 2011[6]Awan N, Schneider T, Till J. (2011). Spatial Agency: Other Ways of Doing Architecture, Abingdon, England, Routledge.), longtemps pensée à l’aune du modèle du débat public mais aussi comme une affaire qui ne concerne que des « humains entre eux » (Weibel et Latour, 2005[7]Weibel P, Latour B. (2005). Making Things Public: Atmospheres of Democracy, Cambridge (MA), MIT Press.). C’est que même la plus logocentrique des assemblées d’urbanisme participatif a lieu dans des situations qui sont spatiales et matérielles (la salle du conseil communal, les chaises disposées face à l’écran de projection) (Berger, 2011[8]Berger M. (2011). « Micro-écologie de la résistance. Les appuis sensibles de la parole citoyenne », dans Berger M, Cefaï D, Gayet-Viaud C, Du civil au politique. Ethnographies du vivre-ensemble, Bruxelles, Peter Lang PIE, p. 101-130.) et repose sur la mobilisation de toute une série d’éléments – plans, photographies… – qui viennent « outiller » la situation (Bailleul, 2008[9]Bailleul H. (2008). « Les nouvelles formes de la communication autour des projets urbains : modalités, impacts, enjeux pour un débat participatif. Analyse du rôle des images dans le débat participatif autour de deux projets urbains en France », Métropoles, n° 3, p. 44.). S’agissant par ailleurs de la fabrique urbaine, la participation porte toujours sur des enjeux qui n’engagent pas que des humains, mais aussi une foule d’entités comme des bâtiments, une place, un banc, des pavés… De nombreux chercheurs se sont ainsi intéressés à des expériences où « participer » ne signifie pas tellement s’engager dans une discussion publique mais plutôt dans la matérialité de la ville, dans des activités incarnées : habiter des espaces, construire des lieux de vie, entretenir un potager… Par ailleurs, tout espace, projet, architecture reste ouvert à différentes formes de participation des citoyens. Il s’agit selon nous d’agencements dynamiques, qui sont indissociables de leur réception, des interprétations et transformations successives dont ils font l’objet, ainsi que des collectifs qui se forment autour d’eux (Houlstan-Hasaerts, 2019[10]Houlstan-Hasaerts R. (2019). Le tournant esthétique de la participation urbaine à l’épreuve de la société civile. Une recherche en terrains bruxellois, Bruxelles, Université libre de Bruxelles.). Radicalisant cette voie, et s’appuyant sur la notion de « participation matérielle » (Marres, 2012[11]Marres N. (2012). Material Participation: Technology, the Environment and Everyday Publics, New York, Palgrave Macmillan., Bennett, 2010[12]Bennett RJ. (2010). Vibrant Matter: A Political Ecology of Things, Durham, Duke University Press.) pour la transposer vers la participation urbaine, les recherches menées par Giulietta Laki (2018[13]Laki G. (2018). « Les choses de la rue et leurs publics. Pour une connaissance ambulatoire de l’espace public objectal à Bruxelles », thèse de doctorat en sciences politiques et sociales, Université libre de Bruxelles.) proposent de considérer des objets de petite taille – stickers, décorations de vitrine… – et des traces matérielles d’usages comme des formes spécifiques, intentionnelles ou non, de participation urbaine. Nous la rejoignons dans son constat que ces objets contribuent à façonner la ville et, en réunissant autour d’eux des « publics » (Dewey, 2010a[14]Dewey J. (2010a). Le public et ses problèmes, Paris, Gallimard.), favorisent des engagements politiques.

En résonance avec les approches « orientées-objets » de la politique (Weibel et Latour, 2005[15] Op. cit. ; Braun et Whatmore, 2010[16]Braun B, Whatmore S. (2010). Political Matter: Technoscience, Democracy, and Public Life, Minneapolis, University of Minnesota Press.), nous réunissons donc sous le terme « objet » autant les artefacts qui favorisent la participation, que les contenus qui lui donnent sens et l’incarnent. À rebours de conceptions utilitaristes et déterministes, ces approches ont en commun de ne pas considérer les objets comme des outils qui n’attendent qu’à être sortis de la boîte pour atteindre une fin. Elles prêtent en effet aux objets une certaine « agentivité » (Latour, 2007[17]Latour B. (2007). Changer de société, refaire de la sociologie, Paris, La Découverte.) : les humains utilisent des objets pour faire des choses, certes, mais ceux-ci leur font faire des choses en retour, tout autant qu’ils font des choses dans le monde. À ce titre, les objets « performent » la participation urbaine de pair avec les humains, leurs échanges discursifs, et bien d’autres entités encore. Par ailleurs, dans ces approches, ce que les objets font à la participation n’est ni prévisible ni univoque (Bonaccorsi et Nonjon, 2012[18]Bonaccorsi J, Nonjon M. (2012). « “La participation en kit” : l’horizon funèbre de l’idéal participatif », Quaderni. Communication, technologies, pouvoir, n° 79, p. 29-44.). Les « choses participatives » doivent être comprises comme « multivalentes » (Marres, 2012[19] Op. cit.), c’est-à-dire suscitant des engagements et des appréciations divers. C’est ainsi que nous suivons les invitations à pluraliser les manières de rendre comptede ce que les objets font à la participation (Marres, 2012[20] Op. cit.) (première partie de l’article), mais aussi les invitations à prendre en compte les objets dans la composition de mondes communs (deuxième partie de l’article). Davantage encore, nous embrassons les approches expérimentales et inventives (Marres, Guggenheim et Wilkie, 2018[21]Marres N, Guggenheim M, Wilkie A (dir.). (2018). Inventing the Social, Manchester, Mattering Press.) qui invitent les chercheurs à travailler les questions de l’agentivité, de la performativité et de la multivalence des objets, non seulement avec des mots, mais en faisant avec eux, en situation (Barad, 2003[22]Barad K. (2003). « Posthumanist Performativity: Toward an Understanding of How Matter Comes to Matter », Signs: Journal of Women in Culture and Society, n° 28(3), p. 801-831. ; Bogost, 2012[23]Bogost I. (2012). Alien phenomenology, or, what it’s like to be a thing, Minneapolis, University of Minnesota Press. ; Salter, 2015[24]Salter C. (2015). Alien Agency: Experimental Encounters with Art in the Making, New York City, Cambridge (MA), MIT Press.). Un « faire avec » qui ne suppose pas uniquement l’acquisition de techniques de fabrication des objets ou de savoir-faire quant à leur manipulation mais suppose également de se « laisser faire » par eux, de les laisser faire, et, par extension, de les faire compter,dans la perspective d’alliances plus qu’humaines (Forlano, 2016[25]Forlano L. (2016). « Decentering the Human in the Design of Collaborative Cities », Design Issues, n° 32(3), p. 42-54. ; Gabrys, 2019[26]Gabrys J. (2019). « Sensors and sensing practices: Reworking experience across entities, environments, and technologies », n° 44(5), p. 723-736.) et l’invention de nouveaux futurs urbains (Clarke et al., 2019[27]Clarke R, Heitlinger S, Light A et al. (2019). « More-than-human participation: design for sustainable smart city futures », Interactions, n° 26(3). ; Heitlinger et Comber, 2018[28]Heitlinger S, Comber R. (2018). « Design for the Right to the Smart City in More-than-Human Worlds », arXiv preprint, p. 13.).

L’inscrivant dans la lignée de ces approches tout en les appliquant à la question de la participation urbaine, la particularité de notre proposition réside sans doute dans l’enchevêtrement spécifique entre ethnographie et prototypage (Wilkie, 2014[29]Wilkie A. (2014). « Prototyping as Event: Designing the Future of Obesity », Journal of Cultural Economy, n° 4, p. 476-492.), les deux ancrés dans un riche terreau conceptuel et narratif. Ce mélange nous conduit à esquisser, au fil de cet article, un projet pour une forme plus responsable de participation, comprenant la « respons-abilité » (Barad, 2007[30]Barad K. (2007). Meeting the universe halfway: Quantum physics and the entanglement of matter and meaning, Durham, Duke University Press. ; Hache, 2019[31]Hache E. (2019). Ce à quoi nous tenons : propositions pour une écologie pragmatique, Paris, La Découverte. ; Haraway, 2016[32]Op. cit.) comme habileté à répondre aux multiples entités qui peuplent la ville.

La participation urbaine, vue en ses objets

Composer en commun des projets urbains plus justes, plus pertinents, plus en accord avec les besoins, les intérêts et les aspirations du terrain, telle est une des ambitions de la participation urbaine. Dans cette section, nous aborderons plus en détails une série de situations qui peuvent être qualifiées de « participatives » au sens large, et qui ont accompagné la mise en place de la grande zone piétonne du centre de Bruxelles. Le récit qui suit débute en amont de la scène d’ouverture et témoigne de la composition collective du projet, dans un va-et-vient entre différents acteurs, experts de la ville et du politique, groupes de pression, « publics » concernés, « simples » citoyens. Chemin faisant, nous montrons plus spécifiquement le rôle qu’ont pu jouer différents objets – objets de communication, objets « planologiques », objets quotidiens, choses publiques – dans la composition de ce projet urbain. Du moment qu’on comprend ce dernier comme un agencement socio-matériel et politique, nous pourrons le dire plus ou moins réussi et satisfaisant, au regard des différents besoins, intérêts, aspirations, enjeux et entités en présence.

L’idée de piétonniser ou du moins de réduire drastiquement la circulation automobile des boulevards du centre de Bruxelles n’est pas neuve. Elle émerge dans les années 1990 et ressurgit périodiquement depuis lors, portée tant dans le cénacle des autorités de la ville (Vermeulen et Hardy, 2016[33]Vermeulen S, Hardy M. (2016). « Communication et participation dans le cadre de grands projets urbains» », dans Corijn E, Hubert M, Neuwels J et al., Portfolio#1 : Cadrages—Kader, Ouvertures—Aanzet,Bruxelles, BSI-BCO, p. 121‑132.), que dans certaines franges de la société civile, notamment des associations mobilisées sur la qualité de vie et de l’environnement (BRAL, 2013, p. 12-13[34]BRAL. (2013). « Alert. Parc Anspach Park »,juillet-août, n° 383.). À partir de 2012, cependant, le cours des événements s’emballe…

Dans le courant du mois de mai, le philosophe Philippe Van Parijs publie dans la presse une « carte blanche » intitulée « Pic Nic The Streets ! » dans laquelle il propose d’occuper sans autorisation le boulevard Anspach entre la Bourse et la place De Brouckère, et d’y organiser tous les dimanches un pique-nique géant. Premier objet de notre compte-rendu, cette carte blanche était une invitation, un appel à l’action, par laquelle le philosophe tentait de susciter l’intérêt de ceux et celles qui se reconnaîtraient dans l’enjeu de rendre les espaces publics centraux à d’autres usages que la circulation automobile. Comme il l’espérait, l’invitation est saisie au vol par une trentaine de personnes, dont beaucoup issues du milieu associatif, déjà sensibles à la cause. Ouverte à la reproduction, à la circulation et à la transformation, la carte blanche se mue en d’autres objets : un tract au visuel suggestif, un événement Facebook… Avec succès. Le 10 juin 2012, plus de 2 000 personnes, quelques riverains mais surtout des Bruxellois venus des quatre coins de la ville, occupent sans autorisation le boulevard Anspach[35]Par la suite, il sera reproché au mouvement d’être peu ancré dans le territoire local, mais aussi son absence de diversité en termes de profils socio-économiques (Tessuto J. (2016). « Changer la ville pour changer la vie ? Le mouvement citoyen PicNic the Streets et l’invisibilisation des enjeux socio-économiques liés au réaménagement du centre-ville de Bruxelles », Environnement Urbain/Urban Environment, n° 10. [En ligne]. Disponible sur : http://journals.openedition.org/eue/1405).. Les voitures, objets de répulsion, sont bannies de l’asphalte au profit des pique-niqueurs, certes, mais aussi d’une pléthore d’objets (figure 4), qui venaient reconfigurer la topographie des lieux : couvertures, nappes, tapis d’Orient ou faux gazon, tables, chaises longues, barbecues… Le tronçon du boulevard Anspach ainsi transfiguré et « remeublé » constituait le premier pas d’une « interpellation en actes » faite aux autorités, une exhortation à s’atteler à rendre les espaces publics à d’autres usagers de la ville. Le monde politique est d’ailleurs présent lors de cet événement « désobéissant », malgré l’absence d’autorisations. Pendant les deux années qui suivent, d’autres pique-niques ont lieu, charriant leur cortège d’objets, qui recréent à chaque itération des îlots d’usages : aux artefacts dédiés au pique-nique s’ajoutent, par exemple, des tables de ping-pong, un terrain de pétanque… Rétrospectivement, on peut dire que ces événements, couplés à ces reconfigurations successives de l’espace, ont constitué une sorte de « prototype » pour le piétonnier, à comprendre comme le « premier d’un type » mais peut-être surtout, comme un dispositif ouvert, qui convoque de manière performative des mondes, des avenirs et des possibles politiques encore absents (Tironi, 2017, p. 40-41[36]Tironi M. (2017). « Rethinking Politics From Design (and Design From Politics) », Diseña, n° 11, p. 37-45.).

Figure 4. Une des éditions de « Pic Nic the streets » (source : Floris Van Cauwelaert, sous licence CC BY-NC-ND 2.0, 9 septembre 2012).

Dans la foulée des pique-niques, qu’il a en partie co-organisés, le mouvement urbain Bral lance l’appel à idées « Parc Anspach Park »[37]Le Bral est un mouvement urbain qui se bat, depuis les années 1970, pour un Bruxelles durable. L’appel à idées ParcAnspachPark [En ligne, pour initier un débat public sur les mobilités alternatives et la place de la nature en ville. Par la même occasion, il s’agissait d’encourager la ville à se montrer plus ambitieuse dans sa politique d’aménagement des espaces publics, en faisant des choix radicaux en faveur de la « verdurisation » des boulevards centraux, seuls espaces vacants dans un centre-ville pauvre et densément peuplé. Une quinzaine de participants, individus ou collectifs[38]Majoritairement des architectes, confirmés ou en herbe. Seul un projet était l’initiative de riverains, membres d’un comité de quartier, associés pour l’occasion à l’architecte Luc Schuiten, connu depuis les années 1970 pour son militantisme environnemental., soumettent leurs propositions, évaluées par un jury et exposées publiquement : plans, coupes, rendus 3D, photomontages, collages, schémas… Alors que ces propositions n’ont jamais dépassé le stade d’« objets planologiques » (Houlstan-Hasaerts et Laki, 2015[39]Houlstan-Hasaerts R, Laki G. (2015). « Objets planologiques en déplacement : vers une jurisprudence de cas ethnographiques », Clara (Bruxelles), n° 3, p. 117-130.), ils faisaient déjà exister différentes visions potentielles du boulevard, des possibles compositions et alliances, et venaient ainsi alimenter les discussions et les moments d’évaluation. L’ensemble de la procédure a contribué à faire émerger des intérêts, des désirs et des enjeux divers, parfois contradictoires. Par exemple, il est apparu bien vite que la question de la « verdurisation » qui animait l’appel à transformer les boulevards centraux en parc ou en coulée verte pouvait être interprétée de différentes manières (figure5) et contrastait avec d’autres impératifs, comme les usages cyclables, par exemple.

Figure 5. Le parc Anspach et son « speaker’s corner » devant la Bourse. Proposition du comité de quartier Saint-Jacques et Luc Schuiten (source : Cité végétale, Luc Schuiten, 2012).

En 2013, Yvan Mayeur devient bourgmestre de la ville de Bruxelles. Il tente de faire de la piétonisation des boulevards centraux le projet phare de son mandat et travaille pour obtenir l’aval de la majorité siégeant au Collège. La nécessité et la pertinence du projet sont, entre autres, justifiées au regard des actions menées par les mouvements citoyens (Vermeulen et Hardy, 2016[40]Op. cit.). Le bourgmestre (socialiste) arrivera à ses fins, au prix d’un compromis avec les libéraux : celui de maintenir le centre-ville accessible aux transports motorisés. Face à la réticence des pouvoirs publics, on peut dire que les pique-niques et les projets de l’appel à idées ont agi comme prototypes et comme preuves, in vivo ou de papier, dont la force évocatrice permettait d’imaginer un centre-ville différent de l’existant. Bien plus, par leur caractère concret et tangible, ces objets ont donné de la consistance à ces possibles, les rendant un peu plus atteignables et donc aussi plus probables (Debaise et Stengers, 2016[41]Debaise D, Stengers I. (2016). « L’insistance des possibles : pour un pragmatisme spéculatif », Multitudes, n° 65(4), p. 82.).

Les pouvoirs publics n’ont cependant pas saisi la multiplicité des possibles ouverts par les pique-niques et l’appel à idées pour en nourrir le projet. À diverses reprises, les autorités ont insisté sur la nécessité de rester pragmatiques et rappelé les nombreuses contraintes techniques avec lesquelles le projet doit composer[42]Notamment les impétrants et le passage des trams en sous-sol, ce qui rend difficile la plantation d’arbres en pleine terre.. « Il n’y aura pas de forêt sur les boulevards », avertissent-ils, par exemple, en référence à l’appel à idées du Bral (ARAU, 2015, p. 6[43] Op. cit.). Un processus participatif est néanmoins engagé pour accompagner la mise en place du projet. À partir de l’automne 2014, une série de réunions d’information-concertation et d’ateliers citoyens sont animés par un bureau spécialisé. Mais il apparaît bien vite, au fil de ces rendez-vous, que les grandes lignes du piétonnier étaient déjà définies : le processus ne vise qu’à en affiner les détails. Les plans et les rendus 3D, déjà prêts, fixaient et cadraient les entités à prendre en compte (figure 6). Bien qu’ils n’étaient pas rendus disponibles à la manipulation, et finalement assez peu à la discussion, ces objets ont toutefois permis à certains participants de mettre en évidence, en creux, des enjeux qui étaient absents des ordres du jour, tel le plan de mobilité ou encore les incidences du projet sur les quartiers avoisinants (voire sur la ville dans son entièreté). Le projet leur apparaissait ainsi déconnecté du territoire local et métropolitain ainsi que des enjeux environnementaux plus larges qu’il est supposé servir : « Un petit peu comme si ce piétonnier était en suspension dans l’air », faisait remarquer une participante[44]Isabelle Marchal ; voir « Commission de concertation sur le piétonnier de la Ville de Bruxelles », YouTube [En ligne.

Figure 6. Commission de concertation (source : Espèces Urbaines, 2 juin 2017).

Certains absents ont vite été ramenés dans le débat par différents publics (Dewey, 2010a[45]Op. cit.) concernés, dont celui rassemblé sous le nom de « Platform Pentagone ». Dès 2015, une série d’acteurs hétéroclites, réunis dans des alliances inédites (entre habitants, militants et commerçants, par exemple), tente de qualifier les troubles qui affectent leurs activités quotidiennes : nuisances sonores, pollution, perte de vitesse commerciale, accessibilité décrue…Ils s’attachent à définir les problèmes que pose, selon eux, ce projet de piétonnier « mal pensé », déconnecté de ses externalités et de ses conséquences… Ainsi, outre le piétonnier lui-même, des projets connexes comme la construction de quatre parkings souterrains, la mise en place d’une boucle de desserte dans les rues avoisinantes ou encore le réaménagement sur le piétonnier du palais de la Bourse en « Temple de la Bière », en viennent également à faire l’« objet » de cette mobilisation. Peu à peu, les incohérences environnementales du projet, mais aussi les dynamiques d’esthétisation et de « festivalisation » qu’il favorise et ses problématiques corollaires (gentrification, touristification, remplacement de l’offre commerciale) (IEB, 2015[46]IEB. (2015). « Bruxelles en mouvement. No parking, no mini-ring, no bling bling! », n°175.) émergent comme les matters of concern (Latour, 2004[47]Latour B. (2004). « How to talk about the body? The normative dimension of science studies », Body & Society, n° 10(23), p. 205-229. ; Latour et Weibel, 2005[48] Op. cit.), matières qui touchent et tiennent ces acteurs hétéroclites… Avec comme slogan « No Mini-Ring, No Parking, No Bling-Bling », la plateforme met en place une pléthore d’actions pour veiller aux conséquences de décisions qui les affectent et auxquelles ils estiment ne pas avoir participé (ce qui correspond à la définition de « public » selon Dewey (2010a, p. 95[49] Op. cit.). Cela va de la fabrication du pot d’échappement géant rencontré dans notre scène initiale, la réalisation de tracts et caricatures qui sensibilisent aux effets du projet (figure 7), jusqu’au recours au Conseil d’État contre le plan de circulation, ou aux pétitions pour un processus participatif plus conséquent et la réalisation d’études d’incidences.

Figure 7. Tract « Ceci n’est pas un piétonnier » (source : Platform Pentagone, 2015).

C’est dans ce contexte de vive controverse, qui met en péril jusqu’à la réalisation même du projet, qu’a lieu la phase-test dont le récit ouvre cet article. Il s’agissait pour la commune de rendre tangible la piétonisation au plus vite, de mettre à l’épreuve le plan de circulation, tout en suscitant l’adhésion du plus grand nombre. Ce piétonnier testé grandeur nature s’est d’ailleurs avéré à certains égards un succès – en termes de fréquentation, par exemple, ou de la diversité des usagers qu’il a attirés, notamment grâce à sa qualification spatiale et matérielle. De fait, de nombreux Bruxellois s’y sont rendus, se sont rencontrés sur les bancs, ont pique-niqué aux tables, joué à la pétanque dans des bacs à sable, ou encore dansé au rythme des accords d’un musicien de rue avantageusement placé en plein centre du boulevard… Mais la phase-test a eu également des répercussions inattendues, voire contraires à ce qu’escomptaient les pouvoirs publics. L’esthétique bricolée de l’ensemble, les aléas d’une gestion plus difficile que prévu (comme le suggéraient les poubelles débordantes), le bannissement effectif de la circulation automobile : autant d’éléments matériels qui ont attisé des résistances au projet[50]Résistances portées entre autres par différents usagers motorisés du centre-ville – franges de la classe moyenne ou aisées des périphéries, navetteurs, livreurs, … mais aussi par les commerçants dont l’attractivité s’est trouvée impactée par la diminution de l’accessibilité automobile, les problèmes de propreté…, dont certaines directement repérables dans la concrétude de la ville. Ainsi, des commerçants impactés affichaient à leur porte un autocollant « pas élu, pas le bienvenu », interdisant l’entrée à Yvan Mayeur, bourgmestre en fonction, tandis que certaines librairies bradaient dans leur vitrine un livre qui lui était attribué, intitulé Mon projet pour Bruxelles, et ne contenant que des pages blanches. Pour certains usagers, pourtant a priori séduits, la mise à disposition du mobilier éphémère couplée à l’appellation « phase-test » ont suscité de faux espoirs quant à la possibilité de pouvoir influer, par leurs usages, sur l’aménagement définitif[51]Déception mise en évidence, entre autres, à l’issue d’un questionnaire réalisé par Cecilia Ducamp auprès d’habitants du piétonnier, dans le cadre de son stage à Espèces Urbaines (2018-2019).. Plus spécifiquement, certains ont regretté le passage d’un aménagement labile, ouvert et gratuit, caractérisé par la variété (ou l’indéfinition) usagère à un aménagement permanent considéré comme policé, trop structuré voire bourgeois et commercial[52]Nous nous référons entre autres à l’entretien réalisé avec Isabelle Marchal, membre de l’ARAU, le 26 avril 2019..

Bon an, mal an, le projet obtient son permis et les travaux débutent. Mais le temps de la participation n’est pas fini pour autant. Outre une série d’initiatives institutionnelles et citoyennes qui portent sur l’efficacité de la gestion et l’usage partagé du piétonnier, on assiste à l’éclosion d’autres formes de participation au sens large, dont certaines sont également perceptibles dans le corps de la ville. Ajustements, extensions ou ajouts discrets opérés par des citoyens, modifications involontaires de la topographie des lieux ou effets des usages, autant de contributions « objectales » (Laki, 2018[53]Op. cit.) informelles, parfois anonymes voire non intentionnelles qui contribuent à façonner le projet au gré d’intérêts, d’enjeux et de besoins divers. Des fausses plaques de rue rebaptisent le boulevard Anspach en « rue Semira Adamu », en hommage à la demandeuse d’asile tuée par des policiers lors d’une tentative d’expulsion forcée du territoire belge. Des fissures dans les murs du bâtiment de la Bourse sont encadrées et dotées d’un titre, créant ainsi un musée en plein air de détails du quotidien (figure 8). Sur un des balcons de la Bourse, quelques livres, une couverture, des sacs, renseignent cette alcôve comme la demeure de quelqu’un. Comme un lointain écho au parc fantasmé par certains, ou comme pour pallier une absence, des hybrides d’objets et d’espèces végétales viennent compléter les parterres plantés du nouveau piétonnier : ici les balustrades des balcons supportent de généreux bacs à fleurs, là des fleurs artificielles délimitent et pavoisent les terrasses, pour le plaisir des yeux et le confort des clients. Encore ailleurs, des « potageurs » inconnus ont profité des jardinières de la ville pour y planter des tomates, tandis que, accroché à un poteau, un pot semé d’herbe invite les passants à multiplier ce genre d’actions pour « optimiser la ville » (figure 9). Plus loin encore, les semis égarés des parterres officiels et quelques espèces sauvages pointent leur nez dans le peu de terre présent entre deux pavés de pierre bleue. Autant d’acteurs, humains et non humains, qui participent eux aussi à façonner « le plus grand piétonnier d’Europe ».

Figure 8. « Humpback Whale », auteur inconnu (source : Espèces Urbaines, 13 septembre 2018).
Figure 9. Action « Optimize the city », auteur inconnu (source : Espèces Urbaines, 18 avril 2017).

Quels fils pouvons-nous tirer à partir de cette tentative de rendre compte de certaines situations participatives qui accompagnaient la mise en place du piétonnier ? Quel est l’état de la participation urbaine si l’on prend en compte les prises objectales, matérielles et esthétiques, voire les nombreux entrelacements plus qu’humains ? Il apparaît clairement que les objets jouent un rôle dans ces multiples scènes, à la fois comme outils pour (faire) participer, mais aussi comme formes de participation, voire comme participants à part entière de la fabrique urbaine. Ainsi, nous avons vu comment certains participants délèguent (Latour, 1994[54]Latour B. (1994). « Une sociologie sans objet ? Note théorique sur l’interobjectivité », Sociologie du travail, n° 36(4), p. 587-607.) aux objets (la carte blanche, le mobilier de la phase test…) le pouvoir d’inviter à participer au projet du piétonnier, mais aussi comment des objets invitent par eux-mêmes, voire obligent (Lefebvre, 2012[55]Lefebvre P. (2012). « Un art de l’instauration. Répondre à ces êtres qui nous obligent », séminaire EDT Architecture & Complexité II « Outils pratiques et théoriques de la projétation : concevoir avec les acteurs du projet », Bruxelles, p. 1-10) une série de personnes à s’engager dans les affaires courantes de la gestion de la ville (par exemple, une boucle de desserte qui augmente la présence automobile, les nuisances sonores et la pollution dans le centre-ville, poussant les habitants à se mobiliser). D’autres objets (les plans et les rendus 3D, les nappes et les barbecues) sont mis à contribution pour représenter, comparer, imaginer ou mettre en œuvre collectivement des agencements, que ce soit en venant « outiller » les débats publics sur le projet ou parce qu’ils sont « manipulés ». Mais ces mêmes objets ne sont pas que des représentations, des projections ou des artefacts inertes, ils peuvent embarquer des participants avec eux dans les avenirs qu’ils font exister, leur faire faire des choix ou les faire agir dans des directions qu’ils n’avaient pas escomptées. On peut ainsi émettre l’hypothèse que les pique-niques géants et leur cortège d’objets ont en partie contribué à convaincre les franges les plus dubitatives du conseil communal du bien-fondé de la piétonisation des boulevards centraux. À ceux et celles qui savent se rendre sensibles et attentifs à ces objets, ils fournissent de précieux renseignements sur ce à quoi les personnes tiennent, sur les valeurs qu’elles défendent (Bidet et al. 2011[56]Bidet A, Truc G, Quéré L. (2011). « Ce à quoi nous tenons. La formation des valeurs chez John Dewey », dans Dewey J, La formation des valeurs, Paris, La Découverte. ; Dewey, 2011[57]Dewey J. (2011). La formation des valeurs, Paris, La Découverte.) et donc aussi, sur les besoins qui ne sont pas rencontrés. Des objets apparemment aussi anodins qu’un sticker collé sur une porte ou un pot de fleur accroché à un poteau témoignent de préoccupations démocratiques et environnementales tout autant – sinon davantage – que leur invocation dans un discours politique. Porter attention à ces objets renseigne également sur les parties en présence – humains et non humains – qui n’ont pas exprimé leurs besoins et leurs intérêts au sein d’une assemblée (Latour, 2018[58]Latour B. (2018). « Esquisse d’un Parlement des choses », Écologie politique, n° 56(1), p. 47-64. ; Rosanvallon, 2014[59]Rosanvallon P. (2014). Le Parlement des invisibles, Paris, Raconter la vie.), qui ne rempliront aucun questionnaire. Cela permet, dans une conception élargie de la participation urbaine, de néanmoins les considérer comme de véritables participants, en tant que contributeurs à la fabrique de la ville (Laki, 2018[60]Op. cit.). La couverture, les livres et les sacs sur le balcon de la Bourse constituent la preuve factuelle de nécessités d’habitants du piétonnier que le débat aménagiste ignore, et que le projet concerne pourtant.

Mais ces objets ne sont pas que des sources de renseignement sur les préférences, opinions et besoins détectables sur un terrain ; ils en sont la matière même. Ils ne sont pas seulement ce à quoi des personnes et autres entités tiennent, mais aussi ce qui les tient et par quoi elles tiennent ensemble (Bidet et al., 2011[61]Op. cit.). Ils sont ce sur quoi des personnes et autres entités veillent, ce dont elles prennent soin, mais aussi ce qui prend soin d’elles ou les affecte (Puig de la Bellacasa, 2017[62]Puig de la Bellacasa M. (2017). Matters of Care: Speculative Ethics in More than Human Worlds, Minneapolis, University of Minnesota Press.). Il en est ainsi des « potageurs » anonymes qui s’occupent des jardinières de la ville en y cultivant des tomates, jardinières et plantations qui leur apportent à leur tour leurs fruits et bienfaits. C’est d’ailleurs dans cette optique que l’usage furtif de ces bacs est toléré par les agents de la ville responsables de la gestion de l’espace public et des plantations communales : parce qu’ils le perçoivent comme un véritable moyen de subsistance de personnes vivant dans la rue. Des alliances, des consensus se forgent ainsi avec toutes sortes d’objets communs. Symétriquement, des objets peuvent être aussi ce qui sépare : sources de dissensus, objets de la discorde. Les tables de pique-nique et autres pièces de mobilier éphémère installées sur le piétonnier pendant la phase-test étaient d’un côté valorisées pour les usages gratuits qu’elles proposaient et les publics multiples qu’elles rassemblaient, de l’autre discréditées pour leur esthétique bricolée et les publics « indésirables » – sans-abris et autres « branleurs » – qu’elles attiraient. En ce sens, le piétonnier tout entier, en tant qu’objet de multiples désirs concurrents, participe au « partage du sensible » (Rancière, 2000[63]Rancière J. (2000). Le partage du sensible : esthétique et politique, Paris, La Fabrique.), c’est-à-dire à la dimension esthétique et matérielle du politique, où se partagent (au sens de mettre en commun autant que de diviser) les parts et les « places ».

Avec ce compte-rendu, nous soulignons différents rôles que les objets peuvent jouer dans toutes sortes de transactions participatives (Dewey, 2010b[64]Dewey J. (2010b). L’art comme expérience, Paris, Gallimard.). Cependant, les rendez-vous et occasions manqués, les possibles très vite clôturés, ainsi que les déceptions et incompréhensions, ou encore les moments où ils étaient instrumentalisés plutôt que considérés dans l’étendue de leurs pouvoirs, nous font émettre l’hypothèse que la participation urbaine se trouverait enrichie de leur véritable prise en compte. C’est dans ces brèches que nous inscrivons notre programme de faire la participation avec ces objets, avec pour ligne d’horizon la composition en commun de projets urbains plus justes, plus pertinents, plus en accord avec les besoins, les intérêts et les aspirations du terrain.

Faire la participation avec les objets

À la lumière du caractère mobilisant et engageant des objets, ceux et celles qui travaillent dans le domaine de la participation urbaine se voient de facto obligés de les prendre en compte, de les inclure d’une manière ou de l’autre dans leur (plan d’) action. Comme nous l’avons vu dans la première partie, cette prise en compte se limite souvent à des tentatives d’en minimiser l’emprise ou d’en contrôler les effets. À partir du piétonnier du centre de Bruxelles, nous avons pointé les limites de cette conception purement utilitariste des objets et montré a contrario ce qui se passe si l’on commence à rendre compte des transactions participatives à travers eux. Nous voudrions ici élargir le champ, pour sonder, sous un angle plus programmatique, les possibilités d’une posture davantage proactive envers les objets, œuvrant pour leur véritable prise en compte.

Cette opération n’est pas anodine : elle s’inscrit dans le changement plus large et plus radical qu’est celui de l’adoption d’une perspective plus qu’humaine. Car la conscience grandissante des interdépendances planétaires et écologiques invite à raviver ou à inventer d’autres formes d’interaction et d’imagination vis-à-vis d’entités non humaines, vivantes ou non, biologiques ou non (Haraway, 2008[65]Haraway D. (2008). When species meet, Minneapolis, University of Minnesota Press., 2016[66]Op. cit.). À son tour, ce déplacement jette un nouvel éclairage sur la question de la participation urbaine. D’une part, certaines espèces animales ou végétales reprennent place de manière inattendue au sein d’environnements radicalement transformés par l’humain, telles les villes (Tsing et al., à paraître[67]Tsing A et al. (à paraître). Feral Atlas: The More-Than-Human Anthropocene, Redwood City (CA), Standford University Press.). D’autre part, la nécessité de veiller à la verdurisation et à la biodiversité des environnements urbains est devenue – ne fût-ce que pour le bien-être et la sécurité des humains – une évidence. Cependant, les améliorations concrètes restent le plus souvent insuffisantes. Dans ce contexte, des voix se lèvent pour prôner l’adoption d’une véritable perspective plus-qu’humaine de l’urbanisme (Houston et al., 2017[68]Houston D, Hillier J, MacCallum D et al. (2017). « Make kin, not cities! Multispecies entanglements and ‘becoming-world’ in planning theory », Planning Theory, n° 17(2), p. 190-212.). À rebours de l’exceptionnalisme humain, les disciplines de l’urbanisme, mais aussi celles de l’art et du design, cherchent de plus en plus à développer des nouvelles formes de participation ou de cocréation plus qu’humaines (Clarke et al., 2019[69] Op. cit. ; Heitlinger et al., 2019[70]Heitlinger S, Bryan-Kinns N, Comber R. (2019). « The Right to the Sustainable Smart City », Glasgow, ACM Press. ; Smith et al., 2017[71]Smith N, Bardzell S, Bardzell J. (2017). « Designing for cohabitation: naturecultures, hybrids, and decentering the human in design », Proceedings of the 2017 CHI Conference on Human Factors in Computing Systems, New York City, Association for Computing Machinery, p. 1714-1725. ; Calvillo, 2018[72]Calvillo N. (2018). « Political airs: From monitoring to attuned sensing air pollution », Social Studies of Science, n° 48(3), p. 372-388. ; Forlano, 2016[73] Op. cit. ; Gabrys, 2019[74]Op. cit.).

À partir de notre pratique expérimentale de recherche, mais en résonance avec les défis qui se posent dans l’action publique, nous nous proposons d’explorer ici non seulement des manières de prendre en compte les objets et autres entités non humaines avec lesquelles l’environnement urbain est partagé et composé (« Puiser dans la rue pour créer des dispositifs participatifs »), mais aussi d’explorer des manières de faire compter ces autres entités, de sensibiliser à elles et aux enjeux dont elles sont porteuses (« Vers l’invention de formes de participation plus qu’humaines »). En effet, en tant que chercheurs, nous prônons une posture qui assume pleinement l’intervention dans la réalité que la recherche se propose d’étudier. Chaque méthode, en détectant certains aspects plutôt que d’autres, amplifie ceux dont elle rend compte et passe sous silence les autres (Law, 2004[75]Law J. (2004). After Method: Mess in Social Science Research, London, Routledge.). Si toute méthode est performative, nous rejoignons l’appel à assumer la pleine responsabilité de ces interventions, y compris des assemblages créatifs et inventifs (Marres et al., 2018[76] Op. cit.) qui résonnent avec le besoin de renouveler des narrations plus qu’humaines (Haraway, 2016[77]Op. cit.). Dans notre pratique de recherche, nous nous basons ainsi toujours sur une connaissance fine du terrain pour réarticuler certaines observations dans des dispositifs d’enquête matériels. À leur tour, ces dispositifs nous permettent de mettre à l’épreuve nos hypothèses, directement sur le terrain.

Puiser dans la rue
pour créer des dispositifs participatifs

La recherche-action p-lab porte sur les différentes formes de participation qui sous-tendent, accompagnent et répondent au projet urbain du piétonnier du centre-ville de Bruxelles ; la diversité des participants y est de la plus haute importance. Dans le but d’y inclure en tant qu’informateurs non seulement activistes, pouvoirs publics, commerçants, mais aussi la multiplicité d’autres usagers humains de cet espace (passants, sans-abris, mendiants, livreurs, balayeurs de rue, touristes, navetteurs…), ainsi que ses habitants non humains (pigeons, animaux de compagnie, virus, plantes…), nous misons notamment sur le déploiement de dispositifs de recherche in situ, dans la rue, afin d’accrocher et de sonder ceux et celles qui fréquentent cet espace, quelles que soient les raisons qui les guident.

Notre défi est ainsi de créer des objets et situations« invitants », et ce, pour des publics radicalement divers. À cette fin, nous avons, au fil de notre pratique, développé une méthodologie circulaire entre observation et prototypage qui nous permet de tester en pratique des hypothèses que la partie ethnographique de notre travail nous mène à formuler[78]Par exemple, en tentant de reproduire partiellement certains procédés observés afin de nous les approprier par la pratique et d’en affiner notre compréhension. Accomplir les mêmes gestes, manipuler la même matière conduit dans une certaine mesure à partager le même monde (cf. Uexküll (von) J. (1965). Mondes animaux et monde humain suivi de Théorie de la signification, Paris, Denöel ; James W. (1996). A pluralistic universe: Hibbert lectures at Manchester College on the present situation in philosophy. Lincoln, University of Nebraska Press ; James W. (2003). Essays in radical empiricism, Mineola, New York, Dover Publications ; Despret V, Galetic S. (2007). « Faire de James un lecteur anachronique de von Uexküll : esquisse d’un perspectivisme radical », dans Debaise D (dir.), Vie et expérimentation. Peirce, James, Dewey, Paris, Librairie Philosophique Vrin ; Laki, 2018, op. cit.). Le fait de puiser amplement dans les ressources du terrain – de lesprendre en compte – nous permet aussi de nous accorder avec les langages, les manières de faire, les styles, ainsi que les thématiques, les matters of concern, qui traversent ce terrain-là.

À l’approche des élections communales belges d’octobre 2018, nous avons, par exemple, exploré le caractère politique des opérations de rénovation urbaine ainsi que le pouvoir politisant des élections (moment participatif par excellence des démocraties représentatives). Pour ce faire, nous avons puisé inspiration auprès d’un objet qui avait eu la capacité de poser exactement ce genre de questions. Il s’agissait d’une simple feuille accrochée à un panneau de circulation à l’entrée d’une rue en travaux à Saint-Gilles (commune limitrophe de Bruxelles-ville). Sur cette feuille figurait le texte suivant : « Avis à la Population : l’administration communale tient à souligner que les travaux de réaménagement des voiries n’ont rien à voir avec les prochaines élections communales. » La photographie de cette affichette avait été partagée sur un réseau social et y avait suscité un débat animé. Nous ne connaissions pas davantage les conditions de réalisation de l’affiche que les autres internautes, mais nous remarquions que les avis sur son authenticité étaient partagés et tranchés à la fois : vrai ou faux, chacun était sûr de le savoir, et le débat portait dès lors sur le lien entre les travaux et les élections. Que ce soit pour défendre ou pour dénoncer les choix de l’administration communale, la plupart des commentateurs n’avait aucun doute que ces travaux avaient « quelque chose à voir » avec les élections : un simple chantier devenait soudainement politique. Pour notre part, nous avons surtout été frappés par la formidable capacité de cette simple affiche à attiser un débat, et ce, dans une période préélectorale marquée par le désintéressement politique[79]« Élections communales 2018: des signes de démocratie en souffrance », RTBF [En ligne. Quelle était la clé de sa réussite ? Selon nous, sa force résidait avant tout dans son caractère ambigu, ouvert à interprétation. Multivalente, elle apportait de l’eau à tous les moulins. En se prêtant à différentes interprétations, elle parlait à des personnes aux avis et affinités très disparates, et réussissait ainsi à faire émerger un débat qui était jusque-là latent, inexprimé. Bien sûr, c’était un débat local, peut-être anecdotique pour certains, mais tout à fait pertinent par rapport à notre objectif de tracer des formes quotidiennes et ordinaires de participation urbaine et leurs possibles glissements du civil vers le politique (Berger et al., 2011[80]Berger M, Cefaï D, Gayet-Viaud C. (2011). Du civil au politique : ethnographies du vivre-ensemble, Bruxelles, PIE Peter Lang.). En cherchant à explorer plus avant le potentiel politisant de cet objet, nous avons produit des affichettes similaires et les avons apposées sur notre terrain d’études, le chantier du piétonnier du centre-ville. Nous avons par ailleurs multiplié l’opération en la transposant à d’autres types d’objets et de situations, également présents dans la nouvelle zone piétonne, et qui pouvaient, selon nos observations préalables, susciter un débat car ils touchaient de près ou de loin à des dossiers qui y étaient sensibles. On pouvait, par exemple, lire sur une affiche que nous avons accrochée à côté d’une fresque sur le football : « Avis à la population. Nous tenons à souligner que le football n’a rien avoir avec les prochaines élections communales ». En sus du caractère politique de l’industrie du football, ce message faisait localement écho à des affrontements entre forces de l’ordre et supporteurs qui avaient suivi un match de qualification du Maroc l’année précédente. La gestion de ces affrontements avait ravivé les critiques, plus larges, de la gestion communale des usages du piétonnier et leurs débordements[81]Ponciau L. (2017). « Émeutes à Bruxelles: polémique autour de l’absence de Philippe Close » dans Le Soir [En ligne, et le souvenir en restait gravé dans la ville. À quelques mètres de la fresque, des informateurs nous avaient signalé un arbre carbonisé lors de la répression de ces émeutes, qui persistait tel un témoin silencieux. Ces histoires locales fournissaient ainsi une série de prises qui pouvaient être activées par ceux ou celles qui apercevaient cet étrange avis à la population. Une autre affiche était placée à proximité d’un arbre coupé et annonçait : « Avis à la population. Nous tenons à souligner que la coupe radicale de cet arbre n’a rien avoir avec les prochaines élections communales » (figure 10). Cette fois aussi, le texte pouvait résonner avec des enjeux du terrain, comme les mobilisations fréquentes à Bruxelles contre l’abattage d’arbres. Ou encore, cela pouvait rappeler les vives critiques du manque de végétalisation du projet d’aménagement retenu pour le piétonnier, aspect pourtant mis en avant par les propositions issues de la société civile (notamment avec l’appel ParcAnspachPark, cf. supra). Le football, l’absence d’arbres, la religion, les sans-papiers… chacune des thématiques étaient raccrochées à des objets repérés dans la rue. En outre, le texte offrait de manière laconique, ambiguë et humoristique des prises critiques et locales pour la compréhension de la situation, et devaient nous permettre de sonder les matters of concern de ceux et celles qui remarqueraient l’affiche. En plus d’observer les réactions des passants, nous avons posté des photographies des affichettes en situation sur les réseaux sociaux, pour voir si elles y susciteraient un débat public. Sans grand succès, car nous manquions du temps et des moyens nécessaires à la réalisation d’une telle campagne numérique. La récolte de commentaires était dès lors insuffisante pour nous permettre de véritablement évaluer le procédé.

Figure 10. La campagne d’affichage « Avis à la population » (source : Espèces Urbaines, octobre 2018).

Nous avons cependant poursuivi l’enquête par d’autres dispositifs. L’un d’entre eux conservait l’accroche humoristique et questionnante pour attirer les passants et créer des occasions de discussion directement dans la rue. Avec ce deuxième dispositif, nous adressions plus directement l’hypothèse sur laquelle la première affiche nous avait mis ; à savoir que les élections constituent un moment propice à révéler la dimension politique de toutes sortes de sujets, objets ou situations qui constituent la ville, même ceux qui ne sont généralement pas considérés comme tels. Une manière parmi tant d’autres de découvrir une multitude de choses qui ont « à voir avec les élections communales » est d’effeuiller les programmes électoraux des différents partis. En voulant passer en revue ces programmes, afin d’objectiver ce à quoi ces élections touchaient, nous nous sommes rendus compte qu’ils n’étaient pas facilement consultables. Ils n’étaient nulle part réunis, ni sur Internet, ni sur papier. Nous avons donc rassemblé, imprimé et disposé ces programmes sur un module ambulant (un vélo triporteur) baptisé « Bibliothèque libre et indépendante de programmes électoraux » (figure 11). À l’instar de ce que nous avions fait pour la campagne d’affichage, de gros panneaux fixés à notre véhicule mettaient en avant (cette fois par des photographies) des éléments liés au terrain qui étaient à première vue peu ou pas en lien avec les élections : la Bourse, James Bond et les pigeons. Pourtant, dans la mesure où nous les avions puisés dans les programmes des candidats, ces éléments avaient littéralement un lien avec les élections. Cette opération avait pour but de susciter la curiosité mais aussi le doute chez les passants et de les inviter à trouver une réponse en consultant les programmes dans notre bibliothèque. Nous nous sommes ensuite rendus dans la zone piétonne avec ce triporteur amélioré pour offrir nos services de bibliothécaires aux passants intéressés.

Figure 11. La « Bibliothèque libre et indépendante de programmes électoraux » (source : Espèces Urbaines, octobre 2018).

Les accroches esthétiques et humoristiques, couplées à la dimension volontairement impartiale et représentative de la bibliothèque, nous ont ainsi permis d’engager des conversations avec de nombreux passants intéressés, sur leur rapport au vote, leur engagement politique, ainsi que les objets ou dossiers qui devraient selon eux être mis en avant par les politiciens. Bien que ce module nous ait permis de mener des entretiens avec des personnes qui n’auraient autrement peut-être pas participé à notre recherche (comme des personnes n’ayant pas le droit de vote à Bruxelles), il a principalement interpellé des personnes déjà sensibles à l’importance des élections, qui voyaient une occasion ludique de s’informer ou venaient nous faire part de leurs avis et désarrois. De plus, il nous est apparu que ce dispositif restait trop centré sur des interactions discursives, ce qui ne satisfaisait pas nos ambitions méthodologiques et épistémologiques. Les prises non verbales se réduisaient aux affiches avec les éléments étonnants, alors que l’interaction principale proposée par le dispositif passait soit par la consultation de programmes électoraux écrits, soit par la discussion avec les chercheurs.

Lors des élections régionales, fédérales et européennes, quelques mois plus tard, nous avons ainsi réalisé une deuxième itération de ce dispositif et tenté d’augmenter sa capacité tant à rencontrer et accueillir des publics et des intérêts plus diversifiés (Houlstan-Hasaerts et al., 2020[82]Houlstan-Hasaerts R, Laki G, Slizewicz G et al. (2020). « Des dispositifs d’enquête et de participation : susciter l’intérêt, accueillir ce qui importe », dans Mezoued A et al. (dir.). Au-delà du Pentagone. Le centre-ville métropolitain de Bruxelles, Bruxelles, ULB et VUB Press, p. 190-203.) qu’à adopter d’autres modes de communication. Nous avons notamment cherché à approfondir le potentiel offert par la démultiplication des registres (ludique, humoristique, sérieux, engagé), tout en proposant des modes d’interaction qui offraient des prises plus diverses que le verbal, comme le geste, la posture ou l’image. Cela s’est traduit par une installation formée de deux modules (figures 12a, b et c). Un module de vote un peu particulier exposait une collection de cartes postales où figuraient différents objets et situations du piétonnier, a priori apolitiques, mais qui pouvaient être saisis sous un angle politisant. Les passants étaient invités à choisir une ou plusieurs de ces cartes et à les déposer dans une des deux urnes pour voter si l’objet de la carte avait – ou pas – à voir avec les élections. S’ils ou elles le souhaitaient, les participants étaient en outre invités à motiver leurs choix oralement ou par écrit, sur le verso de la carte. Un deuxième module reprenait les codes de l’affiche électorale (logo, visage du candidat, slogan) pour les détourner et proposer aux passants de se prendre en photo à travers ce cadre en le personnalisant pour mettre en avant ce qu’ils ou elles considéraient être leur « engagement » au quotidien. Ces deux modules ont eu un franc succès sur la place de la Bourse, où nous les avons déployés. Ils nous ont permis de rencontrer et échanger avec des publics aussi divers que ceux qui fréquentent ce lieu : étudiants, SDF, travailleurs, gilets jaunes, touristes, « expats », un jeune homme faisant partie d’un programme gouvernemental chinois, des ivrognes habitués des marches de la Bourse, chercheurs, candidats aux élections… Avec chacune de ces personnes, nous avons engagé de vrais échanges ou conversations, sur les élections (et leur éventuel désintérêt ou critiques de celles-ci), sur d’autres manières qu’elles ont de contribuer à la société et son devenir, sur les raisons qu’elles ont de le faire, et, en retour, les différentes manières dont le politique – et son « proxy », les élections – impacte leur ville et leur vie, y compris pour des questions très pratiques.

Figures 12a, b et c. Le « Bureau de la participation sauvage » et ses différents modules (source : Espèces Urbaines, mai 2019).

Que pouvons-nous tirer de ces expériences ? Sans vouloir proférer des recettes ou désigner ces expérimentations comme « la » bonne méthode, nous souhaitons souligner une série de bénéfices que la prise en compte des objets et affaires du terrain a donnés à ces dispositifs. Premièrement, les objets du terrain peuvent offrir des indices sur les thématiques auxquelles s’intéresser et desquelles traiter : les arbres, le football, le sans-papiers… S’accorder avec les sujets qui importent – les matters of concern – est une manière simple (mais pourtant pas très répandue) de s’assurer de faire des propositions ancrées dans la situation, des propositions pertinentes. Deuxièmement, ces choses peuvent constituer un répertoire d’ordre formel dans lequel puiser : elles offrent des matériaux, objets, esthétiques, qui sont dans une certaine mesure familières au terrain et disposent d’une certaine capacité évocatrice au sein de cet écosystème. S’inspirer de ces registres et langages constitue une manière d’augmenter les chances de se (faire) comprendre. Ce qui n’est pas si commun non plus, notamment quand la recherche ou le processus d’urbanisme participatif souhaite s’adresser à des publics dits « difficilement atteignables », ou lorsque les intérêts de la recherche (ou des pouvoirs publics) sont très éloignés de ceux de leurs informateurs (Laki, 2017[83]Laki G. (2017). « À quoi tient une enquête de terrain ? Postures épistémologiques en chair et en os », Revue de l’Instistut de Sociologie. Écrire la sociologie, n° 87,  p. 105-121). En outre, le fait de réintroduire certains objets dans le terrain les rend autrement disponibles et manipulables, et permet parfois des interactions et appropriations inédites[84]C’est le cas, par exemple, des sujets des cartes postales dans le « bureau de vote » décrit ici, mais plus encore dans d’autres de nos dispositifs d’enquête : des petits morceaux du solen chantier proposés aux passants comme « souvenirs » ou « pièces archéologiques » à emporter, ou encore les panneaux signalant les caméras de surveillance dans l’espace public, qui sont lus à voix haute par le petit robot que nous allons présenter ci-dessous.. Cela peut ainsi également favoriser l’émergence d’intérêts communs, si modestes soient-ils. Pour finir, le fait de mettre en avant ces éléments puisés du terrain les présente dans un cadrage nouveau. En les agençant autrement, en les articulant à d’autres objets, d’autres causes ou formats, ils sont dans une certaine mesure réinventés. L’arbre élagué, par exemple, recadré par l’affichette, donne voix à la cause de la végétation en ville. Cela constitue une dimension spéculative de la recherche, qui peut avoir pour effet de faire compter autrement ces objets du terrain. C’est cette relation de soin et d’attention envers non seulement les objets mais aussi d’autres habitants non humains du piétonnier du centre-ville de Bruxelles, que nous allons approfondir ci-dessous.

Vers l’invention de formes de participation plus qu’humaines

En tant que chercheurs et designers engagés dans une recherche-action, nous sommes non seulement sensibles à ce que nos comptes rendus mettent en avant, renforcent, dénoncent ou amplifient, mais aussi à ce que chacune de nos propositions fait concrètement advenir dans la ville (Marres et. al., p. 27-28[85]Op. cit.) :« If to inquire is to participate, and it is impossible to avoid intervention, then we may as well try to become good at it, i.e. to learn the artful diligence and response-ableness of experimentation ». Pendant une session de travail collective intensive appelée « Amplificathon »[86]Cette session de travail collective et intensive (sur le mode du « Hackathon ») a eu lieu à Bruxelles en novembre 2019 et a rassemblé six artistes et designers autour de notre terrain et de notre pratique., nous avons partagé notre méthodologie circulaire entre observation et intervention avec quelques designers et artistes invités. Le but de cette semaine était de mettre notre manière de travailler à l’épreuve d’autres pratiques, notamment en abordant la question des conditions de réussite (Despret, 2002[87]Despret V. (2002). Quand le loup habitera avec l’agneau, Paris, Les empêcheurs de penser en rond.) lorsqu’il s’agit de (faire) participer à la vie de la ville. Une des propositions développées dans ce cadre avait la particularité d’aborder de manière très littérale ce qui nous semble être l’intérêt – et l’aspiration – de chacune de nos interventions, c’est-à-dire d’assumer pleinement le fait que toute méthode de recherche scientifique opère ce que John Law (2004[88] Op. cit.) appelle une amplification de certains traits de la réalité. Présenter cette proposition nous permettra ainsi d’expliciter davantage nos visées pour d’autres cas, comme pour le petit robot que nous allons présenter en deuxième lieu.

Dès le début de la semaine de l’Amplificathon, une des participantes – l’artiste Wendy Van Wynsberghe – s’est montrée très intéressée par l’ensemble des acteurs non humains qui peuplent le piétonnier, et tout particulièrement par ce qu’elle a nommé des « espèces interstitielles ». Elle a problématisé leur présence au sein de cet environnement lourdement urbanisé en posant les questions suivantes : quel est le statut de ces espèces dans un environnement entièrement façonné par l’humain ? Où trouve-t-on encore de la vraie terre dans la zone piétonne ? Comment reconnaître l’existence de ces espèces ? Comment honorer leur présence ? Afin d’apporter des réponses à ces questions, elle s’est proposée d’accomplir une série d’opérations, auxquelles elle a convié l’ensemble des participants de l’Amplificathon. Il s’agissait d’abord de repérer ces autres espèces dans la zone piétonne, notamment les plantes vivaces. Les cherchant d’abord dans les interstices, les joints, les bordures et fissures… le groupe a vite repéré d’autres plantes vivaces qui, sans avoir été placées par les services communaux (ni par d’autres humains), s’étaient infiltrées clandestinement dans les îlots destinés aux « cultures » officielles (figure 13a). Ensuite, le groupe a identifié ces espèces végétales à l’aide d’un logiciel de reconnaissance d’images pour l’identification des espèces sauvages. Loin d’être un ensemble de « mauvaises herbes », nous découvrions à la fois des espèces indigènes et exotiques : geranium pusilum, salix alba, oxalis stricta, sonchus asper, buddleja davidii, cosmos bipinnatus… Nous les avons ensuite enregistrées sur une plateforme de science participative, d’autant plus que nous découvrions qu’aucune espèce végétale ou animale n’y était à ce jour repertoriée pour le centre-ville de Bruxelles. Il s’agissait en quelque sorte de faire un pas vers leur reconnaissance – factuelle mais aussi culturelle voire narrative (Heise, 2016, p. 66[89]Heise UK. (2016). Imagining Extinction: The Cultural Meanings of Endangered Species, Chicago, The University of Chicago Press.). En complément de ces actions de prise en compte, l’artiste a introduit plusieurs éléments sur le piétonnier. Tout d’abord, elle apportait un peu de compost aux rares pans de terre de la zone piétonne. Sous le regard curieux des passants, un groupe de personnes parcourait le piétonnier, servant des cuillerées de compost au moindre petit pan de terre (figure 13b). Ce geste tout simple mettait en évidence que le sol n’est pas qu’un substrat inerte, mais une matière vivante, même dans un centre-ville. Avec Maria Puig de la Bellacasa (2019, p. 393[90]Puig de la Bellacasa M. (2019). « Re-animating soils: Transforming human–soil affections through science, culture and community », The Sociological Review, n° 67(2), p. 391-407.), nous pensons que ce genre d’interventions – publiques, situées, ludiques et performatives – peuvent, aussi petites soient-elles, contribuer à raviver les indispensables relations de soin au sol, en créant des narrations alternatives à celles, épiques, de l’homme-technoscience. Pour finir, elle souhaitait réaliser des étiquettes à placer dans la rue afin de mettre en évidence et en valeur ces plantes surprenantes qui, pourtant, passent tout à fait inaperçues. Alors que l’idée initiale était celle d’apposer leur nom binominal latin, il est vite apparu qu’il s’agissait d’une manière très restrictive et ethnocentrique de mise en valeur. Nous avons ainsi pluralisé les registres et manières de faire, en concevant non seulement des étiquettes en d’autres langues (néerlandais, français, anglais et arabe) mais aussi en dessinant des cadres, des flèches, ou en ajoutant des expressions indexicales comme « ici », « là »… Quant aux matériaux, quelques essais nous ont permis de découvrir qu’il était possible de graver et découper le cuir de kombucha à la découpeuse laser (figures 13c et d). Avec le temps, ces petits cadres allaient ainsi se décomposer et nourrir le sol, dans une sorte de participation matérielle vivante. Placés à côté ou autour des plantes, ces cadres ou signes invitaient les passants non seulement à « remarquer » mais aussi à soigner leur « attention » aux êtres désignés (van Dooren et al., 2016[91]Dooren (van) T, Kirksey E, Münster U. (2016). « Multispecies Studies: Cultivating Arts of Attentiveness », Environmental Humanities, n° 8(1), p. 123.). En d’autres mots, ils invitaient à faire compterles plantes sauvages du piétonnier.

Figures 13a, b, c et d. Intervention « Espèces interstitielles » par Wendy Van Wynsberghe et Espèces Urbaines, capturée par Manon Kleynjans et Vincent Blairon (source : Espèces Urbaines, 16 décembre 2019).

Pour le deuxième prototype issu de notre pratique de recherche-action, la relation de soin et de sensibilisation est peut-être moins explicite, mais elle nous permet cependant de préciser comment ce programme s’étend à toute sorte d’objets et entités – humaines et non, vivantes et non, biologiques et non. Ce qui correspond à la récente tendance dans le domaine de l’Interaction Homme-Machine (IHM) à prôner, sous l’influence des STS (Science and Technology Studies) et les humanités environnementales, la prise en compte d’entités technologiques pour les considérer comme des participants à part entière au projet de la smart city (Clarke et al., 2019[92] Op. cit. ; Heitlinger et Comber, 2018[93] Op. cit.).

L’occasion pour nous de travailler ce pan de la participation urbaine avecses objets, se présenta dès les premiers mois de la recherche. Les avancées technologiques ainsi que la relative démocratisation et accessibilité de composantes électroniques pour assembler et programmer un petit robot nous ont poussés à tenter d’en créer un pour notre terrain d’étude. En effet, une série d’observations préalables s’alignaient pour nous confirmer la pertinence de cette piste : un engin de chantier du piétonnier abandonné à lui-même, encore allumé et bougeant tout seul, ainsi que des petits chiens mécaniques lâchés par certains vendeurs de rue nous avaient soufflé le caractère disruptif du mouvement autonome d’objets a priori inanimés. De plus, les multiples présences d’animaux de compagnie et leur rôle de facilitateur entre humains dans les interactions en public nous confirmaient l’intérêt de créer une « espèce compagne » (Haraway, 2010[94]Haraway D. (2010). Manifeste des espèces compagnes. Chiens, humains et autres partenaires, Paris, L’Éclat.) pour la recherche, c’est-à-dire une créature technologique engagée avec nous dans un travail/jeu terrestre pour coapprendre la « respons-abilité », en tant que compagnons (Haraway, 2011, p. 9, n/trad.[95]Haraway D. (2011).  « SF: Science Fiction, Speculative Fabulation, String Figures, So Far », Pilgrim Award Acceptance Comments, Lublin, SFRA, p. 1-17.). Toute une série de questions se sont posées à nous : qu’est-ce que cet être allait faire ? Allait-il « désirer » s’adresser aux gens ? Si oui, comment allait-il interagir avec eux ? Nous nous sommes vite rendu compte que le questionnement devait être plus fondamental, que cet être n’allait certainement pas avoir les mêmes intérêts que nous, qu’il n’allait pas se mouvoir dans le même espace que nous, étant donné les spécificités de son expérience du même environnement. Les moyens dont nous disposions étaient simples : une structure roulante, un micro-controller arduino, un raspberry pi, une petite enceinte portable bluetooth et un capteur : une caméra. Nous avons tenté d’imaginer ce qu’une machine dotée d’un seul capteur visuel pouvait percevoir. Nous avons ainsi puisé dans notre base de données de photographies du piétonnier, passée au crible d’un algorithme de reconnaissance de texte dans les images naturelles. Notre robot commençait à prendre forme : nous l’avons baptisé « Dévogramme », premier exemplaire connu de l’espèce Scripta Vorax, une espèce vorace en écriture. Une fois lâché dans les rues de Bruxelles, Dévogramme y déclame, à l’aide d’une fonction de synthèse vocale, les mots et caractères préalablement détectés (figures 14a, b, c). Sa voix artificielle diffuse sans distinction des messages à caractère publicitaire (« Brushing simple apd 30.00 »), administratif (« les poubelles démontées doivent être stockées dans un dépôt de la ville pendant toute la durée du chantier »), politique (« Vulva la Revolucion »), ou encore des enchaînements de lettres ou chiffres. Un simple numéro de téléphone est, par exemple, lu d’une seule traite et devient un nombre astronomique.

Figures 14a, b, c. Dévogramme en action dans l’espace public (source : Espèces Urbaines, 2018 et 2019).

D’une part, Dévogramme constituait ce que nous avons appelé un dispositif d’intéressement (Houlstan-Hasaerts et. al., à paraître[96] Op. cit.) par lequel nous voulions convier des passants à participer à notre recherche, en leur proposant une accroche non verbale ouverte à interprétation pour sonder ce à quoi ils tiennent. D’autre part, ce petit robot rendait palpable, pour nous comme pour beaucoup de passants, l’omniprésence de formes de vie artificielles, d’objets et de processus automatisés, par exemple ceux pour la récupération d’information dans l’espace public (ensemble formé par des caméras de surveillance, des algorithmes pour la reconnaissance d’objets, le machine learning, les lois de protection de la vie privée, les politiciens à l’origine de ces lois… pour en arriver jusqu’aux électeurs mais aussi, aux autocollants dénonçant ces formes de contrôle, aux saboteurs d’antennes relai 5G, etc.). Par son aspect incarné, sa petite taille, son apparence attachante (avec sa fourrure, ses écailles ou son pavillon surdimensionné, selon ses différentes itérations/mutations), peut-être aussi par ses mouvements assez maladroits, le Dévogramme rendait ces processus plus à portée de main, plus proches et saisissables. À la vue de Dévogramme, les passants avec lesquels on s’est entretenu ont évoqué les problématiques de la surveillance numérique, de la protection de la vie privée ou encore de l’automatisation du travail. D’autres, pour le caractériser, ont parlé d’un mammouth ou d’un être venu d’un passé lointain, soulignant à la fois son altérité radicale et une sorte de familiarité.

Chacune des deux interventions que nous avons décrites dans cette partie présente une démarche spécifique, mais elles attestent aussi d’un programme commun, qui est celui de contribuer à amplifier et faire compter des entités préalablement pas ou peu remarquées, pas ou peu valorisées. L’intervention adressant les espèces végétales sauvages le montrait explicitement : la prise en compte de ces êtres et des enjeux dont ils sont porteurs est indissociable de leur perception, de l’attention et du soin qu’on leur porte. Toutes ces opérations préparent et font advenir – par les gestes, les frottements, les expériences nouvelles – une certaine forme de reconnaissance. Mais il y a plus. Pour les plantes, si l’on s’était limité à les doter d’étiquettes leur attribuant un nom binominal latin et une place dans la classification des espèces, ou à les enregistrer dans la base de données, contribuant ainsi à leur localisation et leur comptage, on ne les aurait pas faites compter dans leur altérité. On aurait continué à les subordonner à la perspective humaine. Nous pensons que cela n’est pas suffisant, et qu’une véritable prise en compte comporte – pour la recherche comme pour l’action publique – une nécessaire prise de risque, une certaine possibilité de transformation dans la rencontre. C’est ce qui s’est produit lorsque nous réfléchissions aux étiquettes à apposer aux plantes repérées : étiqueter devenait problématique, le latin devenait intenable, les matériaux devenaient un enjeu, les formes devaient être réinventées. Et si on faisait des cadres ? C’était la proposition la plus « polie » (Despret, 2002[97] Op. cit.) qui nous substituait le moins à notre interlocuteur, la plante. Dans le cas de Dévogramme, chaque étape de sa conception nous a mis au travail. Lorsque nous décidions de sa fourrure (« fourrure ? ce n’est pas un animal ! et attention, il ne faut pas qu’il soit trop mignon ») ; lorsque notre collègue nous expliquait ses capacités de déplacement (« pourquoi devrait-il vouloir s’approcher des humains ? ») ; et ainsi de suite. Le processus de sa conception a fini par nous concevoir, par redéfinir notre propre pratique (Stengers, 2003[98]Stengers I. (2003). Cosmopolitiques, Paris, La Découverte.). S’il est possible, pour Ian Bogost (2012), de fabriquer des dispositifs qui ont la capacité de rendre palpables des expériences et perspectives radicalement autres, comme celles des objets, c’est certainement l’expérience que nous faisons avec le Dévogramme. En sa compagnie, nous jetons ainsi les bases pour une alien ethnography visant à sonder spéculativement ces expériences par le biais de prototypes capables de produire des échanges nouveaux entre choses et personnes (Lenskjold et Jönsson, 2014[99]Lenskjold TU, Jönsson L. (2014). « Speculative Prototypes and Alien Ethnographies: Experimenting with Relations Beyond the Human », Diseña, n° 11, p. 134-147.). Dans la mesure où nous étions nous-mêmes au premier rang pendant tous les échanges, l’opération de sensibilisation nous concernait et impliquait toujours plus que nous ne l’avions imaginé ; nous en sortions nous-mêmes transformés.

Vers une participation urbaine responsable

Les crises écologiques des dernières décennies se présentent selon Bruno Latour « comme une révolte généralisée des moyens : plus aucune entité – baleine, rivière, climat, ver de terre, arbre, veau, vache, cochon, couvée – n’accepte […] d’être traitée simplement comme un moyen mais toujours aussi comme une fin » (Latour, 2004, p. 211[100] Op. cit.). Comment se positionner face à ces révoltes ? Comment moraliser la politique pour y inclure ces autres entités ? Il nous faut, selon Émilie Hache (2019[101] Op. cit.), « écologiser » la responsabilité, à savoir l’orienter vers l’examen des relations et attachements entre toutes les entités en jeu, qu’elles soient humaines ou non. Loin de considérer la nature comme valeur en soi, les propositions morales écologiques et pragmatistes sont tout d’abord descriptives, pour rendre compte de ce qui compte pour chacun, des relations morales existantes ou en train de se faire. Si le terme « responsabilité » renvoie étymologiquement à la « capacité de répondre », il ne s’agit pas, pour les partisans d’une responsabilité écologique, de se positionner en tant que juge autonome qui « répond de » mais comme un être entièrement impliqué dans le processus — et en tant que tel lui-même intéressé, lié – qui « répond à » quelqu’un/quelque chose (Barad, 2007[102] Op. cit. ; Hache, 2019[103] Op. cit. ; Haraway, 2016[104] Op. cit.).

Comment donner une voix aux non-humains ? La question n’est pas nouvelle. Elle a implicitement traversé toute l’histoire de la science, avec son aspiration à rendre compte du réel. Elle s’est posée de manière particulièrement pressante pour ceux ou celles qui étudiaient les animaux. La philosophe des sciences Vinciane Despret (2002[105]Op. cit.) l’a montré finement : les éthologistes qui étaient censés donner une voix aux animaux, se sont le plus souvent substitués à ceux-ci, les asservissant à leurs propres questions et agendas de recherche, sans arriver dès lors à s’accorder avec ce qui compte pour ces animaux.

Les parallèles avec la participation urbaine sont flagrants. Les dispositifs institutionnels de participation se limitent souvent à un processus de simple consultation (Arnstein, 1969[106]Arnstein S. (1969). « A Ladder of Citizen Participation », JAIP, n° 35(4), p. 216-224.) sans moyens de contrôle assurant que les avis des citoyens soient effectivement pris en compte. De plus, ces dispositifs formatent les réponses possibles (Blondiaux, 2007[107]Blondiaux L. (2007). « La démocratie participative, sous conditions et malgré tout : un plaidoyer paradoxal en faveur de l’innovation démocratique », Mouvements, n° 50(2), p. 118-129.), et ce, selon des modalités de participation centrées sur l’argumentation rationnelle, peu accueillantes vis-à-vis de publics fragilisés. Ces derniers manquent en effet souvent de maîtrise de la langue officielle ainsi que d’autres codes de conduite, instaurés de facto par les experts qui mènent ces situations participatives (Berger, 2009[108]Berger M. (2009). « Répondre en citoyen ordinaire : enquête sur les engagements profanes dans un dispositif d’urbanisme participatif à Bruxelles », thèse de doctorat en sciences politiques et sociales, Bruxelles, Université Libre de Bruxelles, ULB.). On peut bien entendu se demander qui devrait être capable de se « déplacer » dans une telle discussion, capable d’adopter les registres des autres parties, faire des efforts de « traduction » : les experts ou les autres participants ? De toute manière, cela confirme qu’il est question de devenir capable de répondre. Et que bien répondre signifie aussi répondre d’une manière qui est compréhensible pour les autres parties en jeu. En ce sens, le chercheur, l’expert, l’architecte et l’élu ont en commun qu’ils doivent commencer à pluraliser et à hybrider les registres, langages et gestes qui constituent leurs pratiques.

Être « respons-able » signifie se rendre capable de répondre à des êtres qui sont toujours à la fois autres, extérieurs et différenciés, mais aussi attachés, concernés, enchevêtrés. Pour Karen Barad, c’est précisément dans l’intra-activité que ces différenciations et liaisons se forment. « À chaque intra-action, la multiplicité des relations enchevêtrées est reconfigurée. Ainsi, la conséquence, la responsabilité et l’obligation de rendre compte prennent une valeur entièrement nouvelle. Il n’y a pas de cause unique. Et il n’y a pas d’agents individuels de changement. La responsabilité n’est pas seulement la nôtre. Et pourtant, notre responsabilité est plus grande qu’elle ne le serait si elle n’était que la nôtre. La responsabilité implique une réactivité permanente à l’enchevêtrement du soi et de l’autre, ici et là, de temps en temps. » (Barad, 2007, p. 393-394, n/trad.[109] Op. cit.) Si la responsabilité est envisagée comme capacité à répondre aux autres et à prendre soin des enchevêtrements de nos relations, cette capacité est liée à notre aptitude à devenir différents dans et à travers la réponse (Meißner, 2014[110]Meißner H. (2014). « Politics as encounter and response-ability. Learning to converse with enigmatic others », Artnodes, 23 février.), tout comme nous avons été transformés dans le processus de réalisation de nos dispositifs d’enquête.

Cette conception polyphonique, matérielle, charnelle et performative de la responsabilité présente plusieurs caractéristiques qui nous semblent cruciales pour la participation urbaine. Premièrement, elle a pour fondement une approche descriptive, tout en assumant le caractère performatif des comptes-rendus. La première partie de notre proposition est ainsi constituée d’un compte-rendu,celui des enchevêtrements matériels et agentiels dans les formes et modalités existantes de la participation urbaine. Loin de considérer les objets et autres entités plus qu’humaines uniquement comme des outils, comme des moyens extérieurs à ce qui est accompli, ce compte-rendu les fait aussi exister comme des entités intégrées aux conséquences produites (Dewey, 2010b, p. 326-328[111] Op. cit.), c’est-à-dire comme participants à part entière de la mise en œuvre d’un projet urbain. Deuxièmement, le caractère matériel et performatif de cette forme de responsabilité ouvre des possibilités d’intervention dans les relations pratiques et (donc) morales : en forgeant des nouvelles relations ou en affinant ou adaptant celles qui existent déjà. C’est le pari que nous adoptons dans notre recherche-action, à la fois dans sa dimension ethnographique – générer des comptes-rendus des enchevêtrements matériels et agentiels de la participation urbaine – et dans les dispositifs que nous introduisons dans le milieu urbain, que nous détaillons dans la deuxième partie de l’article. Ces dispositifs visent à (faire) participer à la ville et la vie en commun avec des objets et autres entités plus qu’humaines, c’est-à-dire ni malgré eux, ni même par leur biais, mais dans un échange vivant. Prendre en compte les manières que les objets ont d’agir et de nous faire agir ; mais aussi faire compter ces manières pour nous et pour d’autres, nous faire tenir par elles, nous laisser transformer par elles. En tant que chercheurs, nous nous positionnons ainsi comme parties prenantes du processus polyphonique (et parfois cacophonique) de la fabrique de la ville.


[1] Belgicisme qui désigne une zone piétonne.

[2] ARAU. (2015). « Ceci n’est pas de la participation. Analyse du mercredi 18 février 2015 » [En ligne].

[3] Recherche qui a vu le jour suite à un appel à projets d’Innoviris (organisme de financement de la recherche de la région de Bruxelles-Capitale) portant sur le thème « participation sociale et citoyenneté ». Avec une équipe pluridisciplinaire, nous avons pendant deux ans combiné méthodes ethnographiques (observation, parcours commentés), entretiens d’une vingtaine d’acteurs de terrain, revue de presse et des médias sociaux, avec les méthodes plus expérimentales décrites dans la deuxième partie de l’article.

[4] Haraway D. (2016). Staying with the trouble: Making Kin in the Chthulucene, Durham, Duke University Press.

[5] Debaise D, Decuypere T. (2009). « Une approche pragmatique de l’architecture », dans Dassonville C, Cohen M (dir.), Le Cinéma Sauvenière, n° 7, p. 42-46.

[6] Awan N, Schneider T, Till J. (2011). Spatial Agency: Other Ways of Doing Architecture, Abingdon, England, Routledge.

[7] Weibel P, Latour B. (2005). Making Things Public: Atmospheres of Democracy, Cambridge (MA), MIT Press.

[8] Berger M. (2011). « Micro-écologie de la résistance. Les appuis sensibles de la parole citoyenne », dans Berger M, Cefaï D, Gayet-Viaud C, Du civil au politique. Ethnographies du vivre-ensemble, Bruxelles, Peter Lang PIE, p. 101-130.

[9] Bailleul H. (2008). « Les nouvelles formes de la communication autour des projets urbains : modalités, impacts, enjeux pour un débat participatif. Analyse du rôle des images dans le débat participatif autour de deux projets urbains en France », Métropoles, n° 3, p. 44.

[10] Houlstan-Hasaerts R. (2019). Le tournant esthétique de la participation urbaine à l’épreuve de la société civile. Une recherche en terrains bruxellois, Bruxelles, Université libre de Bruxelles.

[11] Marres N. (2012). Material Participation: Technology, the Environment and Everyday Publics, New York, Palgrave Macmillan.

[12] Bennett RJ. (2010). Vibrant Matter: A Political Ecology of Things, Durham, Duke University Press.

[13] Laki G. (2018). « Les choses de la rue et leurs publics. Pour une connaissance ambulatoire de l’espace public objectal à Bruxelles », thèse de doctorat en sciences politiques et sociales, Université libre de Bruxelles.

[14] Dewey J. (2010a). Le public et ses problèmes, Paris, Gallimard.

[15] Op. cit.

[16] Braun B, Whatmore S. (2010). Political Matter: Technoscience, Democracy, and Public Life, Minneapolis, University of Minnesota Press.

[17] Latour B. (2007). Changer de société, refaire de la sociologie, Paris, La Découverte.

[18] Bonaccorsi J, Nonjon M. (2012). « “La participation en kit” : l’horizon funèbre de l’idéal participatif », Quaderni. Communication, technologies, pouvoir, n° 79, p. 29-44.

[19] Op. cit.

[20] Op. cit.

[21] Marres N, Guggenheim M, Wilkie A (dir.). (2018). Inventing the Social, Manchester, Mattering Press.

[22] Barad K. (2003). « Posthumanist Performativity: Toward an Understanding of How Matter Comes to Matter », Signs: Journal of Women in Culture and Society, n° 28(3), p. 801-831.

[23] Bogost I. (2012). Alien phenomenology, or, what it’s like to be a thing, Minneapolis, University of Minnesota Press.

[24] Salter C. (2015). Alien Agency: Experimental Encounters with Art in the Making, New York City, Cambridge (MA), MIT Press.

[25] Forlano L. (2016). « Decentering the Human in the Design of Collaborative Cities », Design Issues, n° 32(3), p. 42-54.

[26] Gabrys J. (2019). « Sensors and sensing practices: Reworking experience across entities, environments, and technologies », n° 44(5), p. 723-736.

[27] Clarke R, Heitlinger S, Light A et al. (2019). « More-than-human participation: design for sustainable smart city futures », Interactions, n° 26(3).

[28] Heitlinger S, Comber R. (2018). « Design for the Right to the Smart City in More-than-Human Worlds », arXiv preprint, p. 13.

[29] Wilkie A. (2014). « Prototyping as Event: Designing the Future of Obesity », Journal of Cultural Economy, n° 4, p. 476-492.

[30] Barad K. (2007). Meeting the universe halfway: Quantum physics and the entanglement of matter and meaning, Durham, Duke University Press.

[31] Hache E. (2019). Ce à quoi nous tenons : propositions pour une écologie pragmatique, Paris, La Découverte.

[32] Op. cit.

[33] Vermeulen S, Hardy M. (2016). « Communication et participation dans le cadre de grands projets urbains» », dans Corijn E, Hubert M, Neuwels J et al., Portfolio#1 : Cadrages—Kader, Ouvertures—Aanzet,Bruxelles, BSI-BCO, p. 121‑132.

[34] BRAL. (2013). « Alert. Parc Anspach Park »,juillet-août, n° 383.

[35] Par la suite, il sera reproché au mouvement d’être peu ancré dans le territoire local, mais aussi son absence de diversité en termes de profils socio-économiques (Tessuto J. (2016). « Changer la ville pour changer la vie ? Le mouvement citoyen PicNic the Streets et l’invisibilisation des enjeux socio-économiques liés au réaménagement du centre-ville de Bruxelles », Environnement Urbain/Urban Environment, n° 10. [En ligne]. Disponible sur : http://journals.openedition.org/eue/1405).

[36] Tironi M. (2017). « Rethinking Politics From Design (and Design From Politics) », Diseña, n° 11, p. 37-45.

[37] Le Bral est un mouvement urbain qui se bat, depuis les années 1970, pour un Bruxelles durable. L’appel à idées ParcAnspachPark [En ligne] est une initiative de Bral, avec le soutien de Clara (Centre de recherche de la faculté d’architecture de l’ULB), Bruxelles Nature, Convivence, Natagora Bruxelles, Coordination Senne et Gracq.

[38] Majoritairement des architectes, confirmés ou en herbe. Seul un projet était l’initiative de riverains, membres d’un comité de quartier, associés pour l’occasion à l’architecte Luc Schuiten, connu depuis les années 1970 pour son militantisme environnemental.

[39] Houlstan-Hasaerts R, Laki G. (2015). « Objets planologiques en déplacement : vers une jurisprudence de cas ethnographiques », Clara (Bruxelles), n° 3, p. 117-130.

[40] Op. cit.

[41] Debaise D, Stengers I. (2016). « L’insistance des possibles : pour un pragmatisme spéculatif », Multitudes, n° 65(4), p. 82.

[42] Notamment les impétrants et le passage des trams en sous-sol, ce qui rend difficile la plantation d’arbres en pleine terre.

[43] Op. cit.

[44] Isabelle Marchal ; voir « Commission de concertation sur le piétonnier de la Ville de Bruxelles », YouTube [En ligne].

[45] Op. cit.

[46] IEB. (2015). « Bruxelles en mouvement. No parking, no mini-ring, no bling bling! », n°175.

[47] Latour B. (2004). « How to talk about the body? The normative dimension of science studies », Body & Society, n° 10(23), p. 205-229.

[48] Op. cit.

[49] Op. cit.

[50] Résistances portées entre autres par différents usagers motorisés du centre-ville – franges de la classe moyenne ou aisées des périphéries, navetteurs, livreurs, … mais aussi par les commerçants dont l’attractivité s’est trouvée impactée par la diminution de l’accessibilité automobile, les problèmes de propreté…

[51] Déception mise en évidence, entre autres, à l’issue d’un questionnaire réalisé par Cecilia Ducamp auprès d’habitants du piétonnier, dans le cadre de son stage à Espèces Urbaines (2018-2019).

[52] Nous nous référons entre autres à l’entretien réalisé avec Isabelle Marchal, membre de l’ARAU, le 26 avril 2019.

[53] Op. cit.

[54] Latour B. (1994). « Une sociologie sans objet ? Note théorique sur l’interobjectivité », Sociologie du travail, n° 36(4), p. 587-607.

[55] Lefebvre P. (2012). « Un art de l’instauration. Répondre à ces êtres qui nous obligent », séminaire EDT Architecture & Complexité II « Outils pratiques et théoriques de la projétation : concevoir avec les acteurs du projet », Bruxelles, p. 1-10

[56] Bidet A, Truc G, Quéré L. (2011). « Ce à quoi nous tenons. La formation des valeurs chez John Dewey », dans Dewey J, La formation des valeurs, Paris, La Découverte.

[57] Dewey J. (2011). La formation des valeurs, Paris, La Découverte.

[58] Latour B. (2018). « Esquisse d’un Parlement des choses », Écologie politique, n° 56(1), p. 47-64.

[59] Rosanvallon P. (2014). Le Parlement des invisibles, Paris, Raconter la vie.

[60] Op. cit.

[61] Op. cit.

[62] Puig de la Bellacasa M. (2017). Matters of Care: Speculative Ethics in More than Human Worlds, Minneapolis, University of Minnesota Press.

[63] Rancière J. (2000). Le partage du sensible : esthétique et politique, Paris, La Fabrique.

[64] Dewey J. (2010b). L’art comme expérience, Paris, Gallimard.

[65] Haraway D. (2008). When species meet, Minneapolis, University of Minnesota Press.

[66] Op. cit.

[67] Tsing A et al. (à paraître). Feral Atlas: The More-Than-Human Anthropocene, Redwood City (CA), Standford University Press.

[68] Houston D, Hillier J, MacCallum D et al. (2017). « Make kin, not cities! Multispecies entanglements and ‘becoming-world’ in planning theory », Planning Theory, n° 17(2), p. 190-212.

[69] Op. cit.

[70] Heitlinger S, Bryan-Kinns N, Comber R. (2019). « The Right to the Sustainable Smart City », Glasgow, ACM Press.

[71] Smith N, Bardzell S, Bardzell J. (2017). « Designing for cohabitation: naturecultures, hybrids, and decentering the human in design », Proceedings of the 2017 CHI Conference on Human Factors in Computing Systems, New York City, Association for Computing Machinery, p. 1714-1725.

[72] Calvillo N. (2018). « Political airs: From monitoring to attuned sensing air pollution », Social Studies of Science, n° 48(3), p. 372-388.

[73] Op. cit.

[74] Op. cit.

[75] Law J. (2004). After Method: Mess in Social Science Research, London, Routledge.

[76] Op. cit.

[77] Op. cit.

[78] Par exemple, en tentant de reproduire partiellement certains procédés observés afin de nous les approprier par la pratique et d’en affiner notre compréhension. Accomplir les mêmes gestes, manipuler la même matière conduit dans une certaine mesure à partager le même monde (cf. Uexküll (von) J. (1965). Mondes animaux et monde humain suivi de Théorie de la signification, Paris, Denöel ; James W. (1996). A pluralistic universe: Hibbert lectures at Manchester College on the present situation in philosophy. Lincoln, University of Nebraska Press ; James W. (2003). Essays in radical empiricism, Mineola, New York, Dover Publications ; Despret V, Galetic S. (2007). « Faire de James un lecteur anachronique de von Uexküll : esquisse d’un perspectivisme radical », dans Debaise D (dir.), Vie et expérimentation. Peirce, James, Dewey, Paris, Librairie Philosophique Vrin ; Laki, 2018, op. cit.)

[79] « Élections communales 2018: des signes de démocratie en souffrance », RTBF [En ligne].

[80] Berger M, Cefaï D, Gayet-Viaud C. (2011). Du civil au politique : ethnographies du vivre-ensemble, Bruxelles, PIE Peter Lang.

[81] Ponciau L. (2017). « Émeutes à Bruxelles: polémique autour de l’absence de Philippe Close » dans Le Soir [En ligne].

[82] Houlstan-Hasaerts R, Laki G, Slizewicz G et al. (2020). « Des dispositifs d’enquête et de participation : susciter l’intérêt, accueillir ce qui importe », dans Mezoued A et al. (dir.). Au-delà du Pentagone. Le centre-ville métropolitain de Bruxelles, Bruxelles, ULB et VUB Press, p. 190-203.

[83] Laki G. (2017). « À quoi tient une enquête de terrain ? Postures épistémologiques en chair et en os », Revue de l’Instistut de Sociologie. Écrire la sociologie, n° 87,  p. 105-121

[84] C’est le cas, par exemple, des sujets des cartes postales dans le « bureau de vote » décrit ici, mais plus encore dans d’autres de nos dispositifs d’enquête : des petits morceaux du solen chantier proposés aux passants comme « souvenirs » ou « pièces archéologiques » à emporter, ou encore les panneaux signalant les caméras de surveillance dans l’espace public, qui sont lus à voix haute par le petit robot que nous allons présenter ci-dessous.

[85] Op. cit.

[86] Cette session de travail collective et intensive (sur le mode du « Hackathon ») a eu lieu à Bruxelles en novembre 2019 et a rassemblé six artistes et designers autour de notre terrain et de notre pratique.

[87] Despret V. (2002). Quand le loup habitera avec l’agneau, Paris, Les empêcheurs de penser en rond.

[88] Op. cit.

[89] Heise UK. (2016). Imagining Extinction: The Cultural Meanings of Endangered Species, Chicago, The University of Chicago Press.

[90] Puig de la Bellacasa M. (2019). « Re-animating soils: Transforming human–soil affections through science, culture and community », The Sociological Review, n° 67(2), p. 391-407.

[91] Dooren (van) T, Kirksey E, Münster U. (2016). « Multispecies Studies: Cultivating Arts of Attentiveness », Environmental Humanities, n° 8(1), p. 123.

[92] Op. cit.

[93] Op. cit.

[94] Haraway D. (2010). Manifeste des espèces compagnes. Chiens, humains et autres partenaires, Paris, L’Éclat.

[95] Haraway D. (2011).  « SF: Science Fiction, Speculative Fabulation, String Figures, So Far », Pilgrim Award Acceptance Comments, Lublin, SFRA, p. 1-17.

[96] Op. cit.

[97] Op. cit.

[98] Stengers I. (2003). Cosmopolitiques, Paris, La Découverte.

[99] Lenskjold TU, Jönsson L. (2014). « Speculative Prototypes and Alien Ethnographies: Experimenting with Relations Beyond the Human », Diseña, n° 11, p. 134-147.

[100] Op. cit.

[101] Op. cit.

[102] Op. cit.

[103] Op. cit.

[104] Op. cit.

[105] Op. cit.

[106] Arnstein S. (1969). « A Ladder of Citizen Participation », JAIP, n° 35(4), p. 216-224.

[107] Blondiaux L. (2007). « La démocratie participative, sous conditions et malgré tout : un plaidoyer paradoxal en faveur de l’innovation démocratique », Mouvements, n° 50(2), p. 118-129.

[108] Berger M. (2009). « Répondre en citoyen ordinaire : enquête sur les engagements profanes dans un dispositif d’urbanisme participatif à Bruxelles », thèse de doctorat en sciences politiques et sociales, Bruxelles, Université Libre de Bruxelles, ULB.

[109] Op. cit.

[110] Meißner H. (2014). « Politics as encounter and response-ability. Learning to converse with enigmatic others », Artnodes, 23 février.

[111] Op. cit.