frontispice

Le programme des villes nouvelles
au Maroc
Rupture ou prolongement
d’un urbanisme de rattrapage ?

• Sommaire du no 4

Tarik Harroud Institut national d’aménagement et d’urbanisme du Maroc

Le programme des villes nouvelles au Maroc : rupture ou prolongement d’un urbanisme de rattrapage ?, Riurba no 4, juillet 2017.
URL : https://www.riurba.review/article/04-varia/maroc/
Article publié le 1er juil. 2017

Copier la référence
Télécharger le PDF
Imprimer l’article
Tarik Harroud
Article publié le 1er juil. 2017
  • Abstract
  • Résumé

Program of new cities in Morocco: breaking or continuation in the urbanism of emergency?

It is during 2000s in the particular economic and political context when Morocco is going to know the launch of an ambitious program of creation of new towns about the horizon of 2020. Introduced by the Ministry of the Housing environment and the Town planning in 2004, this program was often registered within the framework of an innovative town planning which introduces new practices of urban planning in Morocco. But the analysis of the technical, procedural and institutional modalities of its implementation and the various constraints having marked its realization showed the continuation of a town planning of opportunity which justify the numerous delays and the met dysfunctions. The absence of a real political commitment around this program, the institutional and legal vagueness on its driving and the lack of a real strategic reflection upstream to its launch represent its main handicaps which reflect the real deficiencies regarding planning and management of the urban spaces in Morocco.

C’est au cours des années 2000, dans un contexte économique et politique particulier, que le Maroc va connaitre le lancement d’un ambitieux programme de création de villes nouvelles à l’horizon de 2020. Initié par le ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme en 2004, ce programme a été souvent inscrit dans le cadre d’un urbanisme novateur qui introduit de nouvelles pratiques d’aménagement urbain au Maroc. Or l’analyse des modalités techniques, procédurales et institutionnelles de sa mise en œuvre et les différentes contraintes ayant marqué sa réalisation ont montré la persistance et le prolongement d’un urbanisme d’opportunité et de rattrapage qui justifient les nombreux retards et dysfonctionnements rencontrés. L’absence d’un véritable engagement politique autour de ce programme, le flou institutionnel et juridique sur sa conduite et le manque d’une véritable réflexion stratégique en amont de son lancement représentent ses principaux handicaps, reflétant en réalité des dysfonctionnements profonds en matière de planification et de gouvernance des espaces urbains au Maroc.

Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
post->ID de l’article : 4422 • Résumé en_US : 4664 • Résumé fr_FR : 4661 •

Lancement d’un nouveau programme de villes nouvelles
avec de fortes ambitions

Depuis quelques années, le thème des villes nouvelles occupe le devant de la scène médiatique et politique[1]Cet intérêt est également observé sur le plan scientifique avec la multiplication récente de travaux académiques et universitaires sur ce thème, au Maroc et au Maghreb. Pour plus d’informations sur ces travaux, se référer au dossier consacré aux villes nouvelles au Maghreb, coordonné par Pierre Signoles dans les Cahiers d’EMAM, n° 29, 2017. au Maroc, au point d’être présenté comme l’une des innovations en matière de politiques urbaines au Maroc (Abouhani, 2011[2]Abouhani A. (2011). « De la politique des lotissements à la politique des villes nouvelles. Préface », dans Harroud T. (dir.), Pratiques professionnelles et processus de productions des villes nouvelles et grands ensembles au Maroc, Rabat, Publications de l’INAU.). Pourtant, la création des villes nouvelles ne date pas d’aujourd’hui puisqu’elle remonte à l’époque du protectorat français qui a réalisé, au-delà des cités coloniales accolées aux anciennes médinas, un ensemble de villes nouvelles localisées dans différentes zones stratégiques du territoire national : Kenitra, Khouribga, Youssoufia, Khémisset, Jerada, etc. (Gillot, 2014[3]Gillot G. (2014). « La ville nouvelle coloniale au Maroc : moderne, salubre, verte, vaste », dans Leimdorfer F (dir.), Dire les villes nouvelles, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, coll. « Les mots de la ville ». ; Jelidi, 2012[4]Jelidi C. (2012). Fès, la fabrication d’une ville nouvelle, 1912-1956, Lyon, ENS Éditions.).

Ce qui est nouveau, en revanche, c’est la taille et le contexte du lancement du nouveau programme de villes nouvelles, érigé selon ses initiateurs en une véritable « politique nationale » (Harroud, 2017[5]Harroud T. (2017). « Handicaps et contradictions du Programme de villes nouvelles au Maroc », Les Cahiers d’EMAM, n° 29. ; Ballout, 2017[6]Ballout JM. (2017). « Un bilan intermédiaire du Programme de villes nouvelles au Maroc », Les Cahiers d’EMAM, n° 29.). Il ambitionne de créer une quinzaine de villes nouvelles à l’horizon 2020 qui, à la différence des grandes opérations immobilières ponctuelles créées par les pouvoirs publics depuis l’Indépendance (Hay Ryad, Hay Salam, Sala Al Jadida, etc.), vont s’étaler sur des superficies importantes avec un programme (tel qu’il est présenté initialement) diversifié et multifonctionnel.

Lancé en 2004 par l’ancien ministère délégué auprès du Premier ministre, chargé de l’habitat et l’urbanisme[7]Faisant partie d’un gouvernement constitué principalement de technocrates, avant l’arrivée en 2012 de l’actuel gouvernement dominé par le Parti « islamiste », le PJD (Parti de la Justice et de Développement) issu des changements politiques et constitutionnels qu’a connu dernièrement le Maroc, à l’instar de la plupart des pays arabes., ce programme se veut ambitieux par sa consistance, avec l’ouverture de 5 000 ha à l’urbanisation, pouvant accueillir à l’horizon 2020 une population d’un million d’habitants, mais aussi par l’importance des attentes et des objectifs qui y sont assignés[8]Le programme a été souvent présenté comme un instrument principal pour la réalisation d’une autre stratégie, fortement médiatisée par le ministère de l’Habitat de l’Urbanisme, celle relative aux « villes sans bidonvilles » qui consistait à éradiquer à l’horizon 2010 tous les bidonvilles au Maroc !.

Son lancement s’est fait par ailleurs dans un contexte de néolibéralisation de l’action publique marqué par les grandes incitations offertes aux investisseurs privés, qui vont favoriser l’arrivée d’importants promoteurs immobiliers et l’émergence de grands projets d’aménagement urbain au Maroc. Des opérations de grande envergure présentant différents concepts et vocations (pôles urbains, zones d’urbanisation nouvelle, cités satellites ou simplement grands projets d’aménagement) qui s’inscrivent dans le cadre d’un urbanisme de projet et illustrent le rôle croissant qu’occupe le secteur privé dans le financement de l’aménagement au Maroc (Barthel, 2008[9]Barthel PA. (2008). « Faire du “grand projet” au Maghreb. L’exemple des fronts d’eau (Casablanca et Tunis) », Géocarrefour, vol. 83(1).). Dans le cadre de ces projets, il est important de distinguer ici, d’une part, les nouvelles entités urbaines faisant partie du programme des villes nouvelles initié par le ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme (à travers son outil opérationnel Al Omrane) et celles créées de façon fragmentaire par des opérateurs privés ou en partenariat avec le secteur public (faisant référence ici à la Société CDG, la Caisse de dépôt et de gestion, à travers ses différentes filiales créées à cet effet (Zenata, Anfa) et la Société OCP, Office chérifien des phosphates, qui s’est engagée, par le bais de sa fondation, dans la création de grands projets d’aménagement urbain (la ville verte de Benguérir) (Barthel et Zaki, 2011[10]Barthel PA, Zaki L. (2011). « Les holdings d’aménagement, nouvelles vitrines techniques de l’action urbaine au Maroc. Les cas d’Al Omrane et de la CDG Développement », dans Zaki L (dir.), L’action urbaine au Maghreb, enjeux professionnels et politiques, Paris, Karthala.).

Dans cette contribution, l’accent sera mis particulièrement sur le premier cas de figure marqué par son ancienneté et sa consistance, et dont la mise en œuvre a rencontré une série de dysfonctionnements.

Après une douzaine d’années depuis son lancement, soit quelques années avant son terme officiel, il est opportun de s’interroger sur les acquis et les réalisations de ce programme. De l’avis de nombreux professionnels et responsables politiques, il semble que le bilan enregistré est très mitigé au regard des ambitions et des attentes prévues (Souafi, 2011[11]Souafi M. (2011). « Villes nouvelles : quels enjeux et quelles réalités ? », Le Matin du Sahara, entretien de F. Moha avec M. Souafi, ancien directeur de l’Aménagement du territoire, 09/03/2011.). Alors, comment peut-on expliquer un tel décalage entre la réalité des réalisations et les ambitions qui y sont affichées ?

Quelle lecture peut-on faire des nouvelles pratiques d’urbanisme qui y sont annoncées ou expérimentées (sur le plan technique, partenarial, urbanistique, foncier, etc.) et en quoi représentent-elles une rupture ou un prolongement par rapport à celles qui sont en vigueur dans le cadre d’un urbanisme marqué principalement par des logiques d’opportunité et de rattrapage[12]Par urbanisme de rattrapage, nous entendons toutes les pratiques d’intervention sur l’espace urbain marquées par des approches plus curatives que préventives et dominées par la gestion de l’immédiat et de l’urgence. ?

Dans le cadre de cette contribution, nous avançons l’hypothèse que ce programme, marqué par une série de dysfonctionnements, notamment en termes de conception et de gouvernance, prolonge les caractéristiques d’un urbanisme de rattrapage et d’opportunité, qui a marqué l’acte de planifier et de maîtriser la ville au Maroc (Barthel, 2008[13]Op. cit. ; Rachik, 2002[14]Rachik A. (2002). Casablanca, l’urbanisme de l’urgence, Casablanca, Imprimerie Najah el Jadida.).

En cherchant à mettre en lumière le processus d’élaboration dudit programme ainsi que les difficultés et contradictions ayant marqué sa conception et sa mise en œuvre, la présente contribution s’interroge plus globalement sur les modalités d’élaboration des politiques publiques au Maroc et plus particulièrement sur les modes de leur gouvernance (Signoles et al., 2014[15]Signoles P et al., (avec la coll. de F. Troin). (2014). Territoires et politiques dans les grandes villes du Maghreb, Paris, Karthala.). Elle s’inscrit de manière plus spécifique dans le cadre d’un débat sur la fabrique urbaine au Maroc et son rapport avec la réalité sociale, politique et économique locale (Sitri et Hanzaz 2016[16]Sitri Z, Hanzaz M. (2016). « Pouvoirs et contre-pouvoirs en matière de planification urbaine au Maroc : pour une nouvelle régulation des pouvoirs de décision », Revue internationale d’urbanisme, n° 2. ; Zaki 2011[17]Zaki L (dir.). (2011). L’action urbaine au Maghreb, enjeux professionnels et politiques, Paris, Karthala. ; Gharbi 2006[18]Gharbi L. (2006). « La planification urbaine au Maroc : bilan des 50 années et perspectives », dans Rapport du cinquantenaire de l’indépendance du Royaume du Maroc, 50 ans du développement humain et perspectives 2025, Rabat.).

D’un point de vue méthodologique, le travail a reposé sur l’exploitation d’un corpus diversifié de documents et de rapports officiels publiés (études préliminaires, études de programmation, notes de présentation, procès-verbaux des réunions, rapports de suivi et d’évaluation, cahiers des charges, conventions de partenariat, etc.) par le département ministériel concerné et ses différents Organismes Sous Tutelle (OST) ayant trait au processus d’élaboration et de gouvernance dudit programme. Cette recherche documentaire a été croisée par des sorties dans quelques opérations en cours de réalisation (Tamesna et Tamensourt), afin de comparer les prévisions et les réalités sur le terrain. Enfin, une série d’entretiens ont été conduits auprès d’un ensemble d’acteurs intervenant dans le processus de production des villes nouvelles, permettant de croiser différents points de vue sur les modalités de gouvernance et de mise en œuvre des villes nouvelles.

Une nouvelle politique des villes nouvelles au Maroc :
des ambitions considérables face à de nombreuses contraintes
institutionnelles et financières

Dès la fin des années 1990, les professionnels et les décideurs politiques au Maroc sont de plus en plus conscients que les approches classiques adoptées dans le domaine de l’urbanisme et de la planification urbaine sont inappropriées pour surmonter les dysfonctionnements dont souffrent les espaces urbains[19]Comme le montrent les résultats des études et des concertations menées dans le cadre de l’élaboration du Schéma National de l’Aménagement du Territoire (SNAT) et du projet de code de l’urbanisme, etc. (El Malti, 2006[20]El Malti M. (2006). « L’urbanisme et la question de la ville », dans Rapport du cinquantenaire de l’indépendance du Royaume du Maroc. 50 ans du développement humain et perspectives 2025, Rabat. ; Gharbi, 2006[21]Op. cit.). Le bilan dressé par le SNAT a été à ce propos très explicite, en montrant les limites voire la crise actuelle du système de planification urbaine et l’ampleur des déficits urbains observés, tant dans le temps présent que dans l’avenir. Le recours à des approches nouvelles permettant de répondre à ces défis s’avère alors nécessaire. À ce titre, le lancement de villes nouvelles a été souvent présenté dans les discours et les plans d’action ministériels comme une approche alternative et originale pour donner lieu à un urbanisme dit durable et novateur. C’est ce qui ressort de l’extrait suivant de ce discours, prononcé par l’ex-ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme[22]Considéré comme étant l’architecte et l’initiateur principal du programme de Villes nouvelles au Maroc. en marge d’un colloque portant sur le même thème : « Le diagnostic minutieux fait au niveau de notre espace urbain imposait la recherche immédiate d’une alternative à la logique corrective des dysfonctionnements dont souffrent nos villes, dus à l’essoufflement de leurs structures d’accueil et aux effets négatifs de l’absence d’une véritable politique de la ville sur l’équilibre des structures urbaines et sociales initiales. La politique de création de villes nouvelles vient à point nommé pour rompre avec les solutions palliatives et assurer le passage vers une logique de création et d’innovation[23]Dans Villes nouvelles et villes satellites, Rabat, Colloque Journées d’études, 14 et 15 décembre 2004, ministère de l’Habitat, de l’Urbanisme et de l’Aménagement de l’Espace, p. 8. ».

On pourrait comprendre de ce discours qu’il s’agit là d’une stratégie fondée et bien concertée tant d’un point de vue politique que professionnel. Or l’analyse de la manière avec laquelle cette stratégie a été mise en place permet de nuancer un tel propos. En effet, cette politique, construite de façon progressive[24]C’est après le lancement de deux opérations dans les périphéries de Marrakech et de Rabat qu’un programme de villes nouvelles a été lancé. n’a pas reposé en réalité sur une véritable réflexion en amont[25]À l’exception d’un séminaire scientifique organisé par le ministère en 2004, portant sur les villes nouvelles au Maroc, dont l’objet étant surtout de présenter des expériences nationales et internationales à ce sujet, aucun débat ou travaux de concertation n’ont été organisés sur ce programme, tant au niveau central que régional., notamment sur des études de faisabilité ou d’opportunité[26]Quelques études d’opportunité ont été réalisées pour certaines opérations programmées mais souvent après leur lancement et avec l’objectif d’affiner leur programme. ou sur des réflexions dans le cadre d’une politique d’aménagement du territoire), révélant ainsi sa pertinence et son originalité.

Au contraire, le véritable document de planification territoriale (SNAT) ayant fait l’objet d’un large consensus, tant sur le plan politique que sur le plan technique, l’a relativisée voire l’a critiquée[27]Conscients, en effet, des dérives que peut connaître un tel programme et les moyens coûteux qu’exige sa réalisation, les auteurs du rapport SNAT mettent en garde contre l’utilisation du concept dans des opérations immobilières qui lui font perdre sa finalité d’aménagement du territoire. C’est ainsi qu’ils n’ont pas hésité à qualifier les villes nouvelles de « fuite en avant devant les difficultés de la question foncière… Cette pratique [doit être alors] clairement condamnée », dans Rapport des orientations, SNAT, Direction de l’aménagement du territoire, p. 35. complètement, en raison des investissements énormes qu’exige sa mise en œuvre.

Toutefois, l’arrivée en 2003 d’un nouveau gouvernement dominé par les technocrates[28]Il est à souligner ici le changement de contexte politique et social qui a marqué les gouvernements au cours des années 2000, chacun incarnant des visions et des ambitions totalement différentes. Si le gouvernement, dit de l’alternance 1998-2000 (ayant connu l’arrivée au pouvoir des partis de l’opposition), voulait instaurer une rupture par rapport aux modes de gestion et de planification du territoire national en privilégiant une logique qualitative de planification territoriale, le gouvernement technocrate qui lui a succédé (2003-2009, dominé par le Parti de l’Indépendance et présidé par un Premier ministre technocrate) a adopté, à la suite des directives royales pour la lutte contre l’habitat insalubre, une logique quantitative d’aménagement centrée sur l’intensification de la production du logement social comme priorité nationale. et la non-adoption d’une loi sur l’aménagement du territoire ont précipité le lancement de cette stratégie[29]Il fait suite également au discours royal de 2002, dans lequel quatre priorités nationales ont été annoncées, parmi lesquelles figurent l’habitat et l’investissement. C’est à la suite de ce discours que le ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme a été rattaché directement à la primature, et qu’un programme ambitieux pour éradiquer les bidonvilles et créer 100 000 logements sociaux a été annoncé par le même ministère.. Un lancement qui a beaucoup profité d’un contexte économique favorable à l’époque, suite à l’intérêt manifesté par des investisseurs immobiliers tant nationaux qu’étrangers pour le secteur de l’immobilier, et surtout la mobilisation d’énormes disponibilités foncières dans les marges des grandes villes du royaume[30]Sans oublier la volonté politique et royale de faire face au fléau de l’habitat insalubre au Maroc.. La volonté des pouvoirs publics de libérer les terrains agricoles appartenant à deux sociétés publiques d’exploitation agricole, Sodea et Sogeta[31]Il s’agit de deux sociétés publiques d’exploitation agricole qui exploitaient les terres riches détenues auparavant par le Protectorat français., a permis au ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme de se doter, dans le cadre d’une convention bipartite avec le département des finances, d’une assiette foncière considérable dans les communes rurales limitrophes des grandes villes (Marrakech, Rabat, Tanger). La consistance de ces terrains en termes de taille et de superficie (1 000 ha en moyenne) et leur emplacement relativement éloigné par rapport aux villes limitrophes (plus de 20 km) justifient les qualificatifs qui leur sont attribués progressivement par le ministère en question : « zones d’urbanisation nouvelles » au départ, « pôles urbains » par la suite et « villes nouvelles » en dernier lieu. C’est dans ce contexte que des études techniques de deux nouvelles villes ont été lancées à partir de 2004 (Tamesna et Tamensourt). L’intérêt affiché progressivement pour ces deux opérations par les promoteurs privés nationaux et internationaux a conduit le ministère à rehausser et changer ses ambitions de départ, pour passer de quelques opérations immobilières isolées à une stratégie de « villes nouvelles » comportant une quinzaine d’opérations à créer à l’horizon 2020.

Par ailleurs, le choix et l’identification des quinze villes nouvelles inscrites dans le programme ministériel et de leur répartition spatiale n’ont pas reposé sur des études de planification territoriale, à l’instar des expériences internationales connues dans ce domaine (l’exemple français et égyptien). Ils se sont fondés sur une opération de recensement assez exhaustif — réalisée par les organismes sous tutelle du ministère (holding Al Omrane et agences urbaines) — des principales assiettes foncières disponibles, permettant ainsi d’en localiser une quinzaine à l’échelle du territoire[32]Il est à préciser qu’à l’exception des quatre opérations déjà lancées de villes nouvelles, aucune indication n’a été donnée sur la localisation, la taille, la superficie des autres opérations faisant partie du programme lancé par le ministère. La note de cadrage annonce uniquement les objectifs et les finalités du programme sans donner de détails sur le planning et les modalités de mises en œuvre., souvent en contradiction avec les orientations des documents d’urbanisme et d’aménagement[33]L’instauration depuis 2000 de la dérogation comme procédure, permettant de déroger ou de transgresser les options des documents d’urbanisme dont l’optique est d’encourager l’investissement, a facilité le lancement de ces opérations dont la plupart s’inscrivent dans cet urbanisme dit dérogatoire. dans les zones d’implantation de ces projets.

Il s’agit ainsi d’un urbanisme qui peut être qualifié d’opportunité, dicté par la présence de grandes disponibilités foncières mais aussi de grandes demandes d’investissement de la part des promoteurs immobiliers qui vont marquer et conditionner le fonctionnement ou le « dysfonctionnement » des grandes agglomérations du royaume.

Par ailleurs, à aucun moment ce programme n’a été érigé en priorité nationale, ni fait l’objet d’une volonté politique claire assurée au plus haut niveau. En fait, ce qui était prioritaire sur le plan politique, c’était le logement, avec des consignes bien précises d’intensifier la production de logement social et lutter contre la prolifération de l’habitat insalubre[34]Il faut rappeler également que l’habitat insalubre, et particulièrement les bidonvilles dans les grandes villes, ont été considérés, à la suite des attentats terroristes qu’a connus Casablanca en 2002, comme étant des zones d’insécurité et des abris pour des cellules terroristes qu’il faut immédiatement résorber.. Cela explique le fait qu’il a été réduit à un programme sectoriel piloté et géré par le ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme, malgré les efforts de ce dernier de lui conférer une dimension intersectorielle en cherchant à mettre en place un comité interministériel des villes nouvelles qui n’a pas été formalisé.

Des ambitions considérables face à un contexte
institutionnel et juridique classique

Les signes préliminaires du succès qu’ont connu les deux opérations pionnières lancées par le ministère[35]Si l’on se réfère notamment au nombre considérable de dossiers de candidature déposés par les promoteurs immobiliers dans le cadre des appels à manifestation, l’adhésion affichée par un ensemble d’acteurs institutionnels et surtout l’intérêt manifesté par les différentes couches sociales aux produits immobiliers proposés (logement social et villas économiques, avant même leur réalisation, etc.).ont été à l’origine de l’idée d’initier un véritable programme national incluant une quinzaine d’opérations à réaliser à l’horizon 2020. C’est ce qui ressort d’ailleurs du discours d’un ensemble de ses responsables, qui trouvent dans le succès préalable de ces opérations, les signes tangibles d’une politique prometteuse de villes nouvelles. Avec le lancement de ces opérations pilotes, une dizaine de « villes nouvelles vont être créées prochainement qui donneront à l’horizon 2020 une image nouvelle du Maroc » (Bousfiha, 2005[36]Bousfiha A. (2005). « Vers la production de 15 villes nouvelles ? », Architecture du Maroc, n° 21, p. 31.).

Depuis le lancement du programme, en 2004, une analyse sommaire de sa mise en œuvre, appuyée par les informations chiffrées communiquées par Al Omrane en 2012[37]Il n’existe pas de données officielles et actualisées sur l’état d’avancement des travaux de réalisation des villes nouvelles par Al Omrane. Nous étions contraints alors de nous référer au rapport qu’il a publié en 2012., montre toutefois des écarts considérables entre les prévisions de départ et les réalisations enregistrées sur le terrain.

Sur les quinze projets annoncés, seulement quatre ont été effectivement lancés (Tamensourt en 2004, Tamesna en 2005, Lkhyayta en 2007, Chrafate en 2009), avec des niveaux de réalisation distincts. Concernant les autres projets, il n’est pas officiellement précisé s’ils seront abandonnés ou simplement reportés pour une date ultérieure.

Le tableau ci-dessous, réalisé par Al Omrane en 2012 et présentant l’état d’avancement de réalisation des quatre projets, montre clairement le retard considérable enregistré au niveau des logements à réaliser, du peuplement[38]Seuls 7 % de la population prévisionnelle dans les quatre opérations ont déjà acquis un logement (et n’y sont pas forcément installés)., et surtout au niveau des équipements publics[39]Le taux annuel de réalisation de ces composantes spatiales observé en 2012 ne permet pas, s’il est maintenu tel quel, d’atteindre les prévisions affichées initialement à l’horizon 2020. Pour ce qui est des équipements réalisés, il s’agit principalement des équipements de proximité qui ne contribuent pas à la promotion de l’attractivité de ces projets., notamment dans les projets les plus anciens (Tamesna[40]Pour le cas de la ville de Tamesna, les promoteurs du projet ont prévu la réalisation de 147 équipements publics ; seulement 16 % ont été réalisés, selon une évaluation faite par Al Omrane en 2014. et Tamensourt). Par ailleurs, aucune indication n’a été donnée sur la réalisation des infrastructures viaires et de desserte, qui constituent un élément majeur de l’attractivité de ces grands projets.

Chercher à lister et expliquer l’ensemble des raisons à l’origine de ces écarts reste un exercice difficile à entreprendre vu la multiplicité des facteurs techniques, politiques, sociaux, juridiques et normatifs qui interviennent dans le processus de production de ces opérations complexes. Nous mettons l’accent particulièrement sur quelques éléments d’explication ayant trait notamment aux outils juridiques, techniques et opérationnels d’aménagement mis en place.

Face à un chantier de grande envergure, il y a lieu de s’interroger d’abord, au-delà de l’efficience des moyens techniques et financiers qui y sont mobilisés — citons ici, par exemple, la capacité technique et financière du ministère en charge du dossier (à travers son opérateur technique Al Omrane) à réaliser par ses propres moyens techniques et logistiques un nombre aussi important d’opérations complexes — sur les raisons de la fixation d’un échéancier assez court pour leur réalisation[41]Compte tenu des horizons temporels assez étendus qu’exige généralement leur mise en œuvre..

À cette ambition importante, voire démesurée, de réaliser une quinzaine de villes dans un délai assez bref, s’ajoute également celle de concrétiser un ensemble d’objectifs[42]Ces objectifs s’articulent autour des nécessités d’équilibrer le réseau urbain et régional, de désengorger les grandes villes et anticiper le développement urbain, de réguler le marché foncier et immobilier, et surtout de répondre au déficit énorme en matière de logement social., dont le plus important est celui de résorber à 80 % le déficit en logement social à l’horizon de ce programme. Une telle ambition, qui réduit d’ailleurs les visées de ces projets d’envergure à des objectifs d’ordre quantitatif touchant le logement, a été justifiée par la présence d’un ensemble de disponibilités foncières[43]Étant donné que le foncier est souvent considéré comme le défi majeur pour réaliser ce type de logements. dans les projets de villes nouvelles à créer et surtout par les nombreuses incitations accordées par l’État, dans le cadre du programme de 200 000 logements sociaux, aux promoteurs privés désirant investir dans la production de ce type de logement. Mais il semble par la suite que la crise économique mondiale ayant touché particulièrement le secteur de l’immobilier[44]Depuis la mise en place, en 2000, de procédures incitatives pour la promotion de l’investissement au Maroc, différents investisseurs étrangers (européens et arabes du Moyen-Orient) ont investi des secteurs économiques divers (industrie, immobilier, tourisme, énergie, etc.), contribuant à accroître la dépendance de l’économie locale au marché international. a relativisé l’engouement initial des promoteurs immobiliers et a remis en question les ambitions chiffrées annoncées dans le cadre du programme des villes nouvelles.

Enfin, c’est l’absence de véritables dispositifs techniques, juridiques et institutionnels appropriés à ce type d’opérations de grande envergure qui représente les principales entraves à sa mise en œuvre.

Ainsi, sur le plan juridique, force est de constater que le principal outil disponible pour mettre en œuvre des opérations d’aménagement au Maroc demeure le lotissement (dans le cadre de la loi sur les lotissements et les groupements d’habitation, qui date des années 1990). Or dès qu’on dépasse un seuil de grandeur ou qu’on veut réaliser des grandes opérations telles que les villes nouvelles, ce cadre devient inadapté.

Face à ce manque juridique, la conception de ces villes nouvelles se fait souvent dans le cadre d’un urbanisme fonctionnaliste de zonage[45]Réalisé par des architectes, désignés souvent sans appel à concurrence et ayant travaillé dans le passé avec Al Omrane dans la conception de simples lotissements résidentiels., qui prolonge d’ailleurs les pratiques d’urbanisme en vigueur dans les villes marocaines et remettant en question les propos officiels d’un urbanisme novateur et solidaire.

Sur le plan foncier, le lancement du programme de villes nouvelles n’a pas reposé sur une véritable refonte du système foncier permettant un apurement et une mobilisation rapides des assiettes foncières pour la réalisation de ces projets. Vu la complexité de la mobilisation du foncier, marqué par la diversité de ses statuts, le ministère s’est orienté vers le foncier public (le domaine privé de l’État) déjà épuisé dans les grandes villes, impliquant par ailleurs le choix de localisations périphériques lointaines dans des communes rurales. Au-delà des faibles coûts que permet l’acquisition du foncier public[46]Cette question du coût faible du foncier public est à relativiser, car l’emplacement périphérique de ces assiettes foncières entraînera en contrepartie des coûts exorbitants pour la création des réseaux de raccordement et de desserte avec la ville mère., (contribuant à diminuer ainsi les charges de réalisation des villes nouvelles), c’est surtout la question de sa mobilisation rapide[47]Comparativement aux autres statuts fonciers dont la mobilisation exige des temps plus prolongés. qui permettrait au ministère de mener la réalisation de ces projets dans les délais impartis.

Sur le plan financier, aucun dispositif n’a été dédié pour la réalisation de ces projets, si ce n’est les incitations fiscales et financières accordées aux promoteurs immobiliers pour la réalisation du logement social. Cela explique le recours massif aux promoteurs privés, dans le cadre d’une approche partenariale public-privé pour la réalisation des logements et une partie des équipements[48]Dans les conventions de partenariat pour la commercialisation des îlots dans les villes nouvelles, conclues entre Al Omrane et les promoteurs immobiliers, il a été préconisé que ces promoteurs s’engagent à consacrer 20 % de leur offre en logement, pour le logement à faible Valeur Immobilière Totale (VIT) et à réaliser quelques équipements publics. Or, avec la crise immobilière de 2007, nombre de ces promoteurs n’ont pas pu honorer cette clause. et des infrastructures prévus dans les villes nouvelles. Cela entraînera une forte dépendance de ces projets au financement du secteur privé, lui-même dépendant des aléas du marché local et international.

Au final, force est de constater le flou institutionnel, financier et réglementaire dans lequel se retrouvent ces opérations depuis leur lancement. Cette situation n’a pas empêché toutefois le ministère de tutelle de lancer sa politique de villes nouvelles en ayant recours à un ensemble de mesures de rattrapage permettant d’enclencher le démarrage dudit programme.

De nombreux dispositifs de rattrapage proposés mais sans réels effets

Conscient des difficultés et des démarches assez longues que pourrait entraîner le processus de mise en place d’un cadre institutionnel et juridique spécifique pour la production des villes nouvelles, le département de l’urbanisme a lancé ce programme en adoptant une série de mesures permettant de solutionner les différentes entraves pouvant bloquer le déroulement de sa mise en œuvre.

Un projet de code d’urbanisme « non adopté »

Pour pallier le vide juridique concernant la réalisation des villes nouvelles, le département de tutelle a élaboré, après le lancement de ces opérations, un projet de code de l’urbanisme incluant un chapitre sur les modalités de programmation et de réalisation des villes nouvelles.

Issu d’un processus de concertation mené à différentes échelles et impliquant divers horizons institutionnels et professionnels, ce code apporte de nouvelles approches dans l’acte de planifier et de gérer l’espace urbain.

Parmi les divers thèmes proposés, le code a réservé un long chapitre à la conception et la mise en œuvre des villes nouvelles, dans lequel il définit les mécanismes institutionnels, fonciers, financiers et techniques encadrant leur production et leur gestion.

Toutefois, en l’absence d’un engagement et d’un consensus politique sur ce projet, sa validation administrative n’a pas connu l’engouement qui avait marqué son lancement, puisqu’il n’est pas encore approuvé par le secrétariat général du gouvernement, malgré les tentatives entreprises par le ministère pour le relancer.

Des filiales dédiées
mais sans véritables pouvoirs d’intervention

En l’absence d’un cadre institutionnel et juridique précisant clairement les missions et les prérogatives des sociétés en charge de la mise en œuvre et de la gestion des villes nouvelles, ainsi que les relations qu’elles doivent entreprendre avec les autres acteurs institutionnels, tant au niveau central (départements ministériels en charge des équipements publics) qu’au niveau local (autorités locales et collectivités territoriales) ainsi qu’avec les habitants des villes nouvelles, un ensemble de mesures ont été entreprises par le ministère de tutelle en vue de surmonter les contraintes rencontrées dans ce sens. Ainsi, la mission de production de ces grandes opérations a été confiée à la holding Al Omrane. En effet, avec l’idée du département concerné de fusionner en 2003 les différents organismes sous sa tutelle dans une seule holding dotée de ressources techniques et financières plus conséquentes, on avait cru au départ que la réalisation des opérations complexes comme les villes nouvelles ne poserait aucune difficulté, puisque la holding en question, forte de son expérience dans la réalisation des grands lotissements, allait déployer son savoir-faire et ses moyens pour mener à bien la mise en œuvre de ces opérations. Or, avec une telle conception, on ignorait complètement que la conduite d’une ville nouvelle n’est pas uniquement une question de portage technique (réduite à une mission de promotion et de gestion) mais aussi et surtout une question de portage politique et institutionnel permettant d’englober différents volets liés à la fois à la promotion, la réalisation, la gouvernance et la gestion de ces opérations et à la régulation sociale.

Au sein de cette holding, des filiales dédiées pour chaque ville nouvelle ont été créées pour leur promotion, sans toutefois qu’elles soient dotées de véritables pouvoirs d’intervention. En effet, les décrets de leur création font mention de simples missions de réalisation, de promotion et de suivi technique des villes nouvelles sans inclure les autres prérogatives indispensables pour une bonne conduite de ces opérations complexes, relatives au contrôle, à la gestion des infractions, à l’urbanisme et l’instruction des dossiers de construction, à la maîtrise foncière des zones périphériques, à la gestion des projets de dérogation à l’intérieur[49]Pour le cas des villes nouvelles de Tamesna et de Tamensourt, une dizaine de projets de dérogation ont été autorisés par les pouvoirs publics dans la périphérie de ces deux projets, sans que leurs sociétés d’aménagement ne soient impliquées ou concernées par leur autorisation. Ce qui implique l’absence d’une maîtrise foncière et urbanistique des espaces situés en bordure de ces villes nouvelles. Ces projets autorisés sans avoir l’aval de la société d’aménagement ont contribué à ralentir le peuplement de la ville nouvelle. et à l’extérieur de ces projets[50]Nous avons pu constater, lors d’une visite de la ville nouvelle, comment un grand projet résidentiel (étalé sur une soixantaine d’hectares) autorisé sous forme de dérogation, en périphérie de Tamesna, n’a prévu que quelques équipements de proximité qui sont insuffisants par rapport à la taille de population prévisionnelle. Interrogés à ce sujet, les promoteurs de ce lotissement nous ont signalé que leur projet bénéficie de la proximité de Tamesna et que, par conséquent, leurs clients pourront utiliser les équipements (déjà rares) qui y sont réalisés !, etc. En l’absence de telles prérogatives et face au manque de structures ad-hoc[51]En l’absence d’une autonomisation de réalisation de la ville nouvelle par la société d’aménagement, des chevauchements de rôles et un manque de coordination sont à observer entre les différents acteurs intervenant (commune rurale, préfecture, autorité locale, agence urbaine, etc.), qui rappellent d’ailleurs les pratiques de l’urbanisme de rattrapage en vigueur dans les villes marocaines. pour la conduite de ces opérations (réunissant l’ensemble des acteurs locaux et métropolitains, concernés par le projet), ces filiales se retrouvaient souvent en situation de handicap pour maîtriser la réalisation de la ville nouvelle et faire respecter les délais prévus initialement. À la différence de ces sociétés dédiées aux villes nouvelles, de telles prérogatives ont bien été accordées à d’autres établissements publics chargés de la réalisation de grands projets d’aménagement touristique et récréatif (l’aménagement de la vallée de Bouregreg à Rabat ou l’aménagement de la lagune de Marchica à Nador). Une différence qui pose des interrogations, d’autant plus que les villes nouvelles représentent également et incontestablement un enjeu social et économique d’une grande importance. L’un des éléments de réponse à cette question est à rechercher dans le registre politique, où l’on peut souligner l’absence d’un véritable engagement de la part des hautes sphères dirigeantes vis-à-vis de ces opérations, contrairement aux autres opérations d’aménagement récréatif[52]Nous pouvons citer à ce sujet le cas de l’opération du Sala Al Jadida, dans la périphérie de Rabat, qui a été initiée et impulsée par le Roi Hassan II. Grâce à cette volonté politique ferme, la réalisation de ce projet a bénéficié d’une grande mobilisation de la part des différents départements ministériels, au point que l’ensemble des équipements publics ont été réalisés dans les délais impartis, de même la société chargée de sa réalisation a été dotée d’importantes prérogatives techniques et administratives..

Par ailleurs, l’un des problèmes majeurs auxquels étaient confrontées les sociétés d’aménagement des villes nouvelles concerne la question de la gestion urbaine de ces entités (gestion des ordures ménagères, des réseaux d’assainissement et d’éclairage public, entretien des jardins publics, etc.). Cette mission qui, pour rappel, ne fait pas partie de leurs prérogatives, devait être assumée par les communes dans lesquelles sont implantées les villes nouvelles. Toutefois, vu que ces communes rurales sont dépourvues de moyens techniques et humains nécessaires pour réaliser de telles missions, les sociétés d’aménagement[53]Il est étonnant de souligner à ce sujet que les sociétés d’aménagement ne bénéficient pas des taxes d’hygiène qui seront perçues par les communes rurales, et surtout elles devront payer des taxes pour les terrains non bâtis au sein de la ville nouvelle, ce qui va alourdir davantage leurs charges de gestion de ces projets. ont été contraintes de conclure avec elles des conventions de partenariat, permettant une gestion urbaine partagée des villes nouvelles. Cette gestion partagée a souvent été fixée selon une durée moyenne de cinq à dix ans, au-delà de laquelle de sérieuses questions se posaient sur la capacité de ces communes à assumer seules la gestion de ces projets gigantesques[54]C’est dans le même sens que s’inscrit le propos de Chakib Benmoussa, ancien ministre de l’Intérieur et président du Conseil économique et social du Maroc : « Les villes nouvelles se développent en zones rurales, dans des communes qui ne comptent pas plus que quelques milliers d’habitants et auxquelles nous avons la prétention de confier ultérieurement une ville avec 100 000 ou 200 000 habitants, donc avec des problèmes pour lesquels elles n’ont probablement ni les compétences, ni les ressources humaines, ni les ressources financières. », dans Villes nouvelles et vies nouvelles, Livre blanc, première rencontre du CDS, 28 mars 2012, p. 28 (dont la population moyenne avoisine les 200 000 habitants).

Un comité interministériel des villes nouvelles :
un dispositif inopérant

Au niveau central et afin de permettre une plus grande implication des ministères concernés, le département chargé de l’habitat et de l’urbanisme s’est œuvré à créer un dispositif de coordination, matérialisé par le comité interministériel des villes nouvelles, avec comme objectif de conférer ou légitimer une dimension intersectorielle, absente dans le programme de villes nouvelles, et de surmonter les différentes contraintes observées sur le terrain. Toutefois, ce comité, qui regroupait quelques ministères, est en réalité une entité non formelle qui n’a pas été institutionnalisée dans le cadre de textes juridiques précisant son rôle, son statut, ses missions, et son secrétariat[55]Dans le cadre du projet de code de l’urbanisme non adopté, un volet spécifique au rôle du comité interministériel a été réservé pour formaliser la mise en place de ce dispositif.. Cela justifie le fait qu’il se soit réuni une seule fois en 2007 sans pouvoir émettre de véritables décisions ou de mesures concrètes pour surmonter les contraintes observées dans les villes nouvelles.

La réalisation des équipements publics :
le recours à des approches partenariales insuffisantes

Parmi les autres problèmes majeurs ayant marqué ou entravé la production de ces villes nouvelles, figure la question épineuse de la réalisation des équipements publics. Des milliers d’équipements[56]Pour le cas de la ville nouvelle de Tamesna, une centaine d’équipements publics ont été prévus, exigeant des coûts considérables pour leur réalisation. ont été programmés dans ces projets, dans le cadre d’une grille normative très « consommatrice » d’équipements[57]Cette grille a été souvent contestée lors de l’élaboration des plans d’aménagement au Maroc, en raison de son décalage avec les réalités locales et ses prévisions souvent surestimées. Dans ce sens, des évaluations conduites par le ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme ont révélé que seulement 20 % des équipements programmés dans les plans d’aménagement des grandes villes ont été réalisés., sans pour autant s’assurer de la capacité technique et financière des pouvoirs publics à les réaliser. Pour construire ce nombre considérable d’équipements, les sociétés d’aménagement ont tenté de combiner entre deux options qui se sont avérées insuffisantes. La première, plus classique, consiste à confier la réalisation de ces équipements aux départements ministériels concernés. Des conventions de partenariat ont été conclues avec ces départements, précisant le nombre et le planning des réalisations. Toutefois, en l’absence, encore une fois, d’un cadre contractuel clair sur ces conventions, peu sont les départements qui ont honoré leurs engagements, surtout par rapport aux délais convenus. Le plus souvent, ces départements mobilisent l’argument qu’ils ont d’autres priorités sur le territoire national dans le cadre de leur plan pluriannuel de réalisation des équipements. Ils se plaignent surtout de l’absence de véritables concertations en amont avec les sociétés d’aménagement et les bureaux d’études chargés de la programmation pour la définition et la fixation du nombre d’équipements à réaliser. L’autre argument, qui nous a été présenté par un représentant du département de l’éducation, est lié au faible peuplement des villes nouvelles. « Nous ne pouvons pas réaliser des équipements, assurer leur gestion et entretien, ramener du personnel et mettre en place le matériel nécessaire pour le fonctionnement, alors que ces villes nouvelles n’ont pas atteint un seuil suffisant et raisonnable d’habitants » (d’après l’entretien avec le représentant du département, décembre 2014). De l’autre côté, nous avons également constaté qu’une bonne partie de la population dans les grandes villes ne souhaite pas s’installer dans ces villes nouvelles qui ne sont pas suffisamment dotées d’équipements publics. Ce qui donne lieu finalement à un cercle vicieux pour la réalisation de ces équipements, compromettant in fine l’attractivité de ces projets.

La seconde option consiste à mobiliser le secteur privé dans le cadre d’approches partenariales pour la réalisation d’une partie des équipements publics. Les conventions conclues avec ces promoteurs précisent la nature et le nombre d’équipements à réaliser. Toutefois, en l’absence de véritables dispositifs de pression et de négociation avec ces promoteurs, et suite à la crise immobilière de 2007, peu sont les promoteurs qui ont honoré leur engagement.

En somme, malgré les différentes mesures de rattrapage adoptées par les concepteurs de ce programme afin de pallier les nombreuses contraintes rencontrées, il semble que la plupart de ces entraves n’ont pas été surmontées, comme le confirme le bilan très mitigé des réalisations enregistrées après pratiquement une douzaine d’années depuis le lancement du programme.

Certes, les effets de la crise économique et immobilière ont été l’origine principale du ralentissement du rythme de la production des villes nouvelles, mais cela ne doit pas occulter les nombreuses lacunes et anomalies ayant entaché le processus de leur programmation et de leur conception.

Les blocages et les retards énormes enregistrés au niveau du processus de leur mise en œuvre ont été reconnus par ailleurs par le nouveau ministre de l’Habitat, en 2012, qui affirme « qu’ il est nécessaire de penser ces grands projets structurants comme des projets prospectifs et ne pas être uniquement soumis à une pression régulière pour répondre aux phénomènes de l’habitat et du logement, et aux questions de bidonvilles et d’habitat insalubre », souligne-t-il en marge d’une table ronde sur le sujet[58]Dans « Les grands projets urbains : expériences et avenirs », colloque, Institut CDG, 15 mai 2012.. Plus critique est le bilan dressé par le Conseil national de développement et de solidarité, créé en 2011 suite à une initiative royale afin de discuter et évaluer les effets des politiques publiques[59]Ce conseil se définit comme « une instance de réflexion, une force de propositions, un Think tank dont la mission centrale consiste à suivre la situation économique et sociale du pays. Il commandite des études et auditionne tout acteur — public et privé — à même de l’éclairer dans la suggestion d’orientations programmatiques et de dispositifs légaux financiers ou opérationnels, utiles au Maroc », dans site officiel du conseil. [En ligne] : www.cds-online.org.. Ce conseil, qui réunit parmi ses membres des hommes politiques, des hommes d’affaires, des professionnels, des chercheurs universitaires, a consacré sa première réunion intitulée « villes nouvelles, vies nouvelles », en mai 2011, à l’analyse et l’évaluation à mi-parcours de la « politique » des villes nouvelles. Cette réunion a été l’occasion de dresser le bilan des réalisations entreprises depuis le lancement de ce chantier et surtout de ressortir les nombreux dysfonctionnements et lacunes ayant marqué sa mise en œuvre[60]On peut y ajouter plus récemment le rapport de la Cour des comptes sur la ville nouvelle de Tamesna, dans lequel elle a relevé une série de dysfonctionnements sur le plan juridique, technique et opérationnel ayant marqué la production de ce projet (cf. Cour des Comptes. (2014). Rapport sur la société d’aménagement de Tamesna).. Les débats qui ont marqué cette session se focalisaient autour d’un ensemble de constats alarmants : « De grandes ressources déployées par l’État dans ces villes nouvelles pour “un résultat médiocre”… Le Maroc risque [ainsi] de voir surgir des banlieues et des ghettos s’il limite sa vision des “Villes Nouvelles” à des villes dortoir [dont la logique de production est dominée par la composante habitat[61]Des extraits de ces débats ont été rapportés par le journal Finances New Hebdo, « Plaidoyer pour des villes nouvelles et non des villes dortoirs », du 26 mai 2011.] ».

Pour pallier les difficultés et les retards observés, le nouveau ministère s’est attaché, à partir de 2012, à mettre en œuvre une stratégie d’intervention pour la redynamisation des villes nouvelles, axée essentiellement sur l’accélération de la mise en œuvre du programme actuel des quatre villes nouvelles à travers des mesures d’accompagnement, telles que l’inscription de leur développement dans la logique de la démarche de la politique de la ville ; activer le comité interministériel des villes nouvelles ; réactiver les conventions signées avec les départements ministériels pour la réalisation des équipements publics, etc.

Or ce plan de relance, largement médiatisé par le ministère afin de rehausser l’image des villes nouvelles, semble loin d’impulser pour l’instant une dynamique de changement dans ces projets, dans la mesure où il n’a pas réglé les véritables contraintes déjà citées sur les plans politique, juridique, institutionnel et financier.

Conclusion

Au final, si l’on peut admettre le principe — tant affiché par les responsables du département de la tutelle — selon lequel il serait hâtif et prématuré d’apporter un jugement à ce stade sur le succès ou l’échec de ces opérations, puisque leur achèvement et leur occupation par les futurs habitants se feront sur de longues durées, l’absence d’engagement et d’implication réelle de toutes les instances publiques et politiques tant au niveau central que local, ne laisse pas, du moins pour l’instant, présager un avenir prometteur pour ces grandes opérations urbaines.

Par ailleurs, il est légitime de se demander, au vu des multiples dysfonctionnements ayant entaché leur mise en œuvre, si l’on est finalement dans le prolongement des politiques précédentes de la planification urbaine et territoriale en vigueur au Maroc. La manière de conduire ces grands projets interroge tous les discours officiels initialement affichés sur la conduite d’un urbanisme novateur, partenarial et durable, révélant au contraire la persistance d’un urbanisme d’opportunité et de rattrapage qui a marqué et caractérise toujours l’acte de planifier et de gérer les espaces urbains au Maroc.

On pourrait s’interroger à ce propos sur la manière de concevoir une stratégie, par essence prospective et anticipatrice[62]Puisqu’elle se projette sur des horizons très lointains., dans le cadre d’une approche pensée dans l’immédiateté et l’urgence où l’atteinte des niveaux de production de logements devient l’enjeu principal. Comment une telle stratégie, qualifiée souvent de démarche territoriale assurant un certain équilibre spatial, peut-elle être totalement dépendante des opportunités foncières disponibles et facilement mobilisables ? Comment cette stratégie qui se veut gouvernementale et nationale est-elle finalement l’affaire d’un seul ministère ou, plus précisément, d’un simple opérateur public (Al Omrane), déjà engagé dans une multitude de programmes immobiliers ? Enfin, comment peut-on lancer un tel programme sans initier en amont un véritable débat à ce niveau et assurer un consensus politique à l’instar des grands chantiers nationaux[63]Paradoxalement, ce débat sur les villes nouvelles a émergé ultérieurement après le démarrage du programme (et suite aux glissements qu’il a connus), que ce soit dans les chambres parlementaires que dans les médias et au sein des partis politiques. ?

En fait, le chantier ambitieux des villes nouvelles, qu’on soit d’accord ou pas sur sa pertinence, reflète une réalité plus profonde concernant le système de planification urbaine et plus globalement la question de la gouvernance urbaine au Maroc. Engager une politique publique de cette envergure sans avoir un consensus et un aval politique est une parfaite illustration des dysfonctionnements majeurs de la gestion et de la gouvernance des espaces urbains au Maroc.

Enfin, pour conclure, on pourrait se demander si les projets de villes nouvelles lancés par d’autres opérateurs « plus qualifiés » et dotés de plus de moyens financiers et opérationnels (en l’occurrence la CDG et l’OCP), vont modifier la donne par rapport aux modalités actuelles de production de ces grandes opérations au Maroc. Pour répondre à cette interrogation, qui exige bien entendu des investigations plus poussées, nous pensons que ces opérations, à la différence des projets « étatiques » de villes nouvelles, expérimentent — avec l’appui des experts spécialistes et des bureaux d’études internationaux de renom — de nouvelles normes et pratiques d’urbanisme en matière de programmation, de management, de conception et de marketing territorial. Toutefois, des questions restent toujours posées sur les modalités de leur gouvernance (relatives à l’implication des instances locales et municipales) et surtout leur inscription spatiale dans le cadre de visions intégrées d’aménagement sur le plan national, régional ou métropolitain, qui pourrait relativiser cette pratique d’urbanisme d’opportunité en vigueur au Maroc !


[1] Cet intérêt est également observé sur le plan scientifique avec la multiplication récente de travaux académiques et universitaires sur ce thème, au Maroc et au Maghreb. Pour plus d’informations sur ces travaux, se référer au dossier consacré aux villes nouvelles au Maghreb, coordonné par Pierre Signoles dans les Cahiers d’EMAM, n° 29, 2017.

[2] Abouhani A. (2011). « De la politique des lotissements à la politique des villes nouvelles. Préface », dans Harroud T. (dir.), Pratiques professionnelles et processus de productions des villes nouvelles et grands ensembles au Maroc, Rabat, Publications de l’INAU.

[3] Gillot G. (2014). « La ville nouvelle coloniale au Maroc : moderne, salubre, verte, vaste », dans Leimdorfer F (dir.), Dire les villes nouvelles, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, coll. « Les mots de la ville ».

[4] Jelidi C. (2012). Fès, la fabrication d’une ville nouvelle, 1912-1956, Lyon, ENS Éditions.

[5] Harroud T. (2017). « Handicaps et contradictions du Programme de villes nouvelles au Maroc », Les Cahiers d’EMAM, n° 29.

[6] Ballout JM. (2017). « Un bilan intermédiaire du Programme de villes nouvelles au Maroc », Les Cahiers d’EMAM, n° 29.

[7] Faisant partie d’un gouvernement constitué principalement de technocrates, avant l’arrivée en 2012 de l’actuel gouvernement dominé par le Parti « islamiste », le PJD (Parti de la Justice et de Développement) issu des changements politiques et constitutionnels qu’a connu dernièrement le Maroc, à l’instar de la plupart des pays arabes.

[8] Le programme a été souvent présenté comme un instrument principal pour la réalisation d’une autre stratégie, fortement médiatisée par le ministère de l’Habitat de l’Urbanisme, celle relative aux « villes sans bidonvilles » qui consistait à éradiquer à l’horizon 2010 tous les bidonvilles au Maroc !

[9] Barthel PA. (2008). « Faire du “grand projet” au Maghreb. L’exemple des fronts d’eau (Casablanca et Tunis) », Géocarrefour, vol. 83(1).

[10] Barthel PA, Zaki L. (2011). « Les holdings d’aménagement, nouvelles vitrines techniques de l’action urbaine au Maroc. Les cas d’Al Omrane et de la CDG Développement », dans Zaki L (dir.), L’action urbaine au Maghreb, enjeux professionnels et politiques, Paris, Karthala.

[11] Souafi M. (2011). « Villes nouvelles : quels enjeux et quelles réalités ? », Le Matin du Sahara, entretien de F. Moha avec M. Souafi, ancien directeur de l’Aménagement du territoire, 09/03/2011.

[12] Par urbanisme de rattrapage, nous entendons toutes les pratiques d’intervention sur l’espace urbain marquées par des approches plus curatives que préventives et dominées par la gestion de l’immédiat et de l’urgence.

[13] Op. cit.

[14] Rachik A. (2002). Casablanca, l’urbanisme de l’urgence, Casablanca, Imprimerie Najah el Jadida.

[15] Signoles P et al., (avec la coll. de F. Troin). (2014). Territoires et politiques dans les grandes villes du Maghreb, Paris, Karthala.

[16] Sitri Z, Hanzaz M. (2016). « Pouvoirs et contre-pouvoirs en matière de planification urbaine au Maroc : pour une nouvelle régulation des pouvoirs de décision », Revue internationale d’urbanisme, n° 2.

[17] Zaki L (dir.). (2011). L’action urbaine au Maghreb, enjeux professionnels et politiques, Paris, Karthala.

[18] Gharbi L. (2006). « La planification urbaine au Maroc : bilan des 50 années et perspectives », dans Rapport du cinquantenaire de l’indépendance du Royaume du Maroc, 50 ans du développement humain et perspectives 2025, Rabat.

[19] Comme le montrent les résultats des études et des concertations menées dans le cadre de l’élaboration du Schéma National de l’Aménagement du Territoire (SNAT) et du projet de code de l’urbanisme, etc.

[20] El Malti M. (2006). « L’urbanisme et la question de la ville », dans Rapport du cinquantenaire de l’indépendance du Royaume du Maroc. 50 ans du développement humain et perspectives 2025, Rabat.

[21] Op. cit.

[22] Considéré comme étant l’architecte et l’initiateur principal du programme de Villes nouvelles au Maroc.

[23] Dans Villes nouvelles et villes satellites, Rabat, Colloque Journées d’études, 14 et 15 décembre 2004, ministère de l’Habitat, de l’Urbanisme et de l’Aménagement de l’Espace, p. 8.

[24] C’est après le lancement de deux opérations dans les périphéries de Marrakech et de Rabat qu’un programme de villes nouvelles a été lancé.

[25] À l’exception d’un séminaire scientifique organisé par le ministère en 2004, portant sur les villes nouvelles au Maroc, dont l’objet étant surtout de présenter des expériences nationales et internationales à ce sujet, aucun débat ou travaux de concertation n’ont été organisés sur ce programme, tant au niveau central que régional.

[26] Quelques études d’opportunité ont été réalisées pour certaines opérations programmées mais souvent après leur lancement et avec l’objectif d’affiner leur programme.

[27] Conscients, en effet, des dérives que peut connaître un tel programme et les moyens coûteux qu’exige sa réalisation, les auteurs du rapport SNAT mettent en garde contre l’utilisation du concept dans des opérations immobilières qui lui font perdre sa finalité d’aménagement du territoire. C’est ainsi qu’ils n’ont pas hésité à qualifier les villes nouvelles de « fuite en avant devant les difficultés de la question foncière… Cette pratique [doit être alors] clairement condamnée », dans Rapport des orientations, SNAT, Direction de l’aménagement du territoire, p. 35.

[28] Il est à souligner ici le changement de contexte politique et social qui a marqué les gouvernements au cours des années 2000, chacun incarnant des visions et des ambitions totalement différentes. Si le gouvernement, dit de l’alternance 1998-2000 (ayant connu l’arrivée au pouvoir des partis de l’opposition), voulait instaurer une rupture par rapport aux modes de gestion et de planification du territoire national en privilégiant une logique qualitative de planification territoriale, le gouvernement technocrate qui lui a succédé (2003-2009, dominé par le Parti de l’Indépendance et présidé par un Premier ministre technocrate) a adopté, à la suite des directives royales pour la lutte contre l’habitat insalubre, une logique quantitative d’aménagement centrée sur l’intensification de la production du logement social comme priorité nationale.

[29] Il fait suite également au discours royal de 2002, dans lequel quatre priorités nationales ont été annoncées, parmi lesquelles figurent l’habitat et l’investissement. C’est à la suite de ce discours que le ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme a été rattaché directement à la primature, et qu’un programme ambitieux pour éradiquer les bidonvilles et créer 100 000 logements sociaux a été annoncé par le même ministère.

[30] Sans oublier la volonté politique et royale de faire face au fléau de l’habitat insalubre au Maroc.

[31] Il s’agit de deux sociétés publiques d’exploitation agricole qui exploitaient les terres riches détenues auparavant par le Protectorat français.

[32] Il est à préciser qu’à l’exception des quatre opérations déjà lancées de villes nouvelles, aucune indication n’a été donnée sur la localisation, la taille, la superficie des autres opérations faisant partie du programme lancé par le ministère. La note de cadrage annonce uniquement les objectifs et les finalités du programme sans donner de détails sur le planning et les modalités de mises en œuvre.

[33] L’instauration depuis 2000 de la dérogation comme procédure, permettant de déroger ou de transgresser les options des documents d’urbanisme dont l’optique est d’encourager l’investissement, a facilité le lancement de ces opérations dont la plupart s’inscrivent dans cet urbanisme dit dérogatoire.

[34] Il faut rappeler également que l’habitat insalubre, et particulièrement les bidonvilles dans les grandes villes, ont été considérés, à la suite des attentats terroristes qu’a connus Casablanca en 2002, comme étant des zones d’insécurité et des abris pour des cellules terroristes qu’il faut immédiatement résorber.

[35] Si l’on se réfère notamment au nombre considérable de dossiers de candidature déposés par les promoteurs immobiliers dans le cadre des appels à manifestation, l’adhésion affichée par un ensemble d’acteurs institutionnels et surtout l’intérêt manifesté par les différentes couches sociales aux produits immobiliers proposés (logement social et villas économiques, avant même leur réalisation, etc.).

[36] Bousfiha A. (2005). « Vers la production de 15 villes nouvelles ? », Architecture du Maroc, n° 21, p. 31.

[37] Il n’existe pas de données officielles et actualisées sur l’état d’avancement des travaux de réalisation des villes nouvelles par Al Omrane. Nous étions contraints alors de nous référer au rapport qu’il a publié en 2012.

[38] Seuls 7 % de la population prévisionnelle dans les quatre opérations ont déjà acquis un logement (et n’y sont pas forcément installés).

[39] Le taux annuel de réalisation de ces composantes spatiales observé en 2012 ne permet pas, s’il est maintenu tel quel, d’atteindre les prévisions affichées initialement à l’horizon 2020. Pour ce qui est des équipements réalisés, il s’agit principalement des équipements de proximité qui ne contribuent pas à la promotion de l’attractivité de ces projets.

[40] Pour le cas de la ville de Tamesna, les promoteurs du projet ont prévu la réalisation de 147 équipements publics ; seulement 16 % ont été réalisés, selon une évaluation faite par Al Omrane en 2014.

[41] Compte tenu des horizons temporels assez étendus qu’exige généralement leur mise en œuvre.

[42] Ces objectifs s’articulent autour des nécessités d’équilibrer le réseau urbain et régional, de désengorger les grandes villes et anticiper le développement urbain, de réguler le marché foncier et immobilier, et surtout de répondre au déficit énorme en matière de logement social.

[43] Étant donné que le foncier est souvent considéré comme le défi majeur pour réaliser ce type de logements.

[44] Depuis la mise en place, en 2000, de procédures incitatives pour la promotion de l’investissement au Maroc, différents investisseurs étrangers (européens et arabes du Moyen-Orient) ont investi des secteurs économiques divers (industrie, immobilier, tourisme, énergie, etc.), contribuant à accroître la dépendance de l’économie locale au marché international.

[45] Réalisé par des architectes, désignés souvent sans appel à concurrence et ayant travaillé dans le passé avec Al Omrane dans la conception de simples lotissements résidentiels.

[46] Cette question du coût faible du foncier public est à relativiser, car l’emplacement périphérique de ces assiettes foncières entraînera en contrepartie des coûts exorbitants pour la création des réseaux de raccordement et de desserte avec la ville mère.

[47] Comparativement aux autres statuts fonciers dont la mobilisation exige des temps plus prolongés.

[48] Dans les conventions de partenariat pour la commercialisation des îlots dans les villes nouvelles, conclues entre Al Omrane et les promoteurs immobiliers, il a été préconisé que ces promoteurs s’engagent à consacrer 20 % de leur offre en logement, pour le logement à faible Valeur Immobilière Totale (VIT) et à réaliser quelques équipements publics. Or, avec la crise immobilière de 2007, nombre de ces promoteurs n’ont pas pu honorer cette clause.

[49] Pour le cas des villes nouvelles de Tamesna et de Tamensourt, une dizaine de projets de dérogation ont été autorisés par les pouvoirs publics dans la périphérie de ces deux projets, sans que leurs sociétés d’aménagement ne soient impliquées ou concernées par leur autorisation. Ce qui implique l’absence d’une maîtrise foncière et urbanistique des espaces situés en bordure de ces villes nouvelles. Ces projets autorisés sans avoir l’aval de la société d’aménagement ont contribué à ralentir le peuplement de la ville nouvelle.

[50] Nous avons pu constater, lors d’une visite de la ville nouvelle, comment un grand projet résidentiel (étalé sur une soixantaine d’hectares) autorisé sous forme de dérogation, en périphérie de Tamesna, n’a prévu que quelques équipements de proximité qui sont insuffisants par rapport à la taille de population prévisionnelle. Interrogés à ce sujet, les promoteurs de ce lotissement nous ont signalé que leur projet bénéficie de la proximité de Tamesna et que, par conséquent, leurs clients pourront utiliser les équipements (déjà rares) qui y sont réalisés !

[51] En l’absence d’une autonomisation de réalisation de la ville nouvelle par la société d’aménagement, des chevauchements de rôles et un manque de coordination sont à observer entre les différents acteurs intervenant (commune rurale, préfecture, autorité locale, agence urbaine, etc.), qui rappellent d’ailleurs les pratiques de l’urbanisme de rattrapage en vigueur dans les villes marocaines.

[52] Nous pouvons citer à ce sujet le cas de l’opération du Sala Al Jadida, dans la périphérie de Rabat, qui a été initiée et impulsée par le Roi Hassan II. Grâce à cette volonté politique ferme, la réalisation de ce projet a bénéficié d’une grande mobilisation de la part des différents départements ministériels, au point que l’ensemble des équipements publics ont été réalisés dans les délais impartis, de même la société chargée de sa réalisation a été dotée d’importantes prérogatives techniques et administratives.

[53] Il est étonnant de souligner à ce sujet que les sociétés d’aménagement ne bénéficient pas des taxes d’hygiène qui seront perçues par les communes rurales, et surtout elles devront payer des taxes pour les terrains non bâtis au sein de la ville nouvelle, ce qui va alourdir davantage leurs charges de gestion de ces projets.

[54] C’est dans le même sens que s’inscrit le propos de Chakib Benmoussa, ancien ministre de l’Intérieur et président du Conseil économique et social du Maroc : « Les villes nouvelles se développent en zones rurales, dans des communes qui ne comptent pas plus que quelques milliers d’habitants et auxquelles nous avons la prétention de confier ultérieurement une ville avec 100 000 ou 200 000 habitants, donc avec des problèmes pour lesquels elles n’ont probablement ni les compétences, ni les ressources humaines, ni les ressources financières. », dans Villes nouvelles et vies nouvelles, Livre blanc, première rencontre du CDS, 28 mars 2012, p. 28

[55] Dans le cadre du projet de code de l’urbanisme non adopté, un volet spécifique au rôle du comité interministériel a été réservé pour formaliser la mise en place de ce dispositif.

[56] Pour le cas de la ville nouvelle de Tamesna, une centaine d’équipements publics ont été prévus, exigeant des coûts considérables pour leur réalisation.

[57] Cette grille a été souvent contestée lors de l’élaboration des plans d’aménagement au Maroc, en raison de son décalage avec les réalités locales et ses prévisions souvent surestimées. Dans ce sens, des évaluations conduites par le ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme ont révélé que seulement 20 % des équipements programmés dans les plans d’aménagement des grandes villes ont été réalisés.

[58] Dans « Les grands projets urbains : expériences et avenirs », colloque, Institut CDG, 15 mai 2012.

[59] Ce conseil se définit comme « une instance de réflexion, une force de propositions, un Think tank dont la mission centrale consiste à suivre la situation économique et sociale du pays. Il commandite des études et auditionne tout acteur — public et privé — à même de l’éclairer dans la suggestion d’orientations programmatiques et de dispositifs légaux financiers ou opérationnels, utiles au Maroc », dans site officiel du conseil. [En ligne] : www.cds-online.org.

[60] On peut y ajouter plus récemment le rapport de la Cour des comptes sur la ville nouvelle de Tamesna, dans lequel elle a relevé une série de dysfonctionnements sur le plan juridique, technique et opérationnel ayant marqué la production de ce projet (cf. Cour des Comptes. (2014). Rapport sur la société d’aménagement de Tamesna).

[61] Des extraits de ces débats ont été rapportés par le journal Finances New Hebdo, « Plaidoyer pour des villes nouvelles et non des villes dortoirs », du 26 mai 2011.

[62] Puisqu’elle se projette sur des horizons très lointains.

[63] Paradoxalement, ce débat sur les villes nouvelles a émergé ultérieurement après le démarrage du programme (et suite aux glissements qu’il a connus), que ce soit dans les chambres parlementaires que dans les médias et au sein des partis politiques.