frontispice

Ville verte et nouvelles tendances
de la production urbaine au Vietnam

• Sommaire du no 6

Helga-Jane Scarwell EA 4477 TVES, université de Lille Divya Leducq UMR CNRS 7324 CITERES, université de Tours

Ville verte et nouvelles tendances de la production urbaine au Vietnam, Riurba no 6, juillet 2018.
URL : https://www.riurba.review/article/06-modeles/vietnam/
Article publié le 1er juil. 2018

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Helga-Jane Scarwell, Divya Leducq
Article publié le 1er juil. 2018
  • Abstract
  • Résumé

Green city and new urban planning orientations in Vietnam

The growing number of scientific publications dealing with models, such as references, practices and policies, often calls into question the production of the city and the role of international models. However, the Asian context where the long-term challenges of environmental protection, social cohesion and economic transition are huge is somewhat less studied. Within the context of a wider global craze for green cities, Vietnam has been promoting its planning since 2011, such as the Master Plan of Hanoi 2030 vision 2050 whose motto is « a green, cultural and modern city ». This article thus considers the circulation and implementation of the model of the « green city », and questions it as a tool of regional and urban planning. Specifically, it aims to find out to what extent Hanoi takes into account the reproduction of dominant models in the context of rapid and massive urbanization and the demand for sustainability.

Le nombre croissant de publications scientifiques traitant de modèles comme références, pratiques et politiques remet souvent en question la production de la ville et le rôle des modèles internationaux. Cependant, le contexte asiatique où les défis durables sont énormes en termes de protection de l’environnement, de cohésion sociale et de transition économique est en quelque sorte moins éclairé. Sur le terrain, devant l’engouement mondial pour les « villes vertes », le Vietnam encourage, depuis 2011, leur planification, à l’instar du Master Plan de Hanoi 2030 vision 2050 dont la devise est « une ville verte, culturelle et moderne ». L’article interroge donc la circulation et la mise en œuvre du modèle de « ville verte » en tant qu’outil d’aménagement régional et urbain et entend montrer dans quelle mesure Hanoi prend en compte la reproduction de modèles dominants dans un contexte d’urbanisation rapide, massive et d’injonction à la durabilité.

Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
post->ID de l’article : 4013 • Résumé en_US : 4029 • Résumé fr_FR : 4026 •

Introduction

Devant l’engouement mondial pour les « villes vertes », le Vietnam encourage depuis 2011 leur planification, à l’instar du Master Plan de Hanoi 2030 vision 2050 dont la devise est « une ville verte, culturelle et moderne ». Tels sont les mots qui doivent désormais caractériser la ville-province de Hanoi et les provinces adjacentes qui constituent la région capitale[1]Le périmètre retenu de l’étude comprend principalement le Master Plan de la ville-province de Hanoi (élaboré par trois entités : le groupement PPJ, le HUPI et le VIAP) mais s’appuie également sur l’aménagement des provinces voisines du delta du Fleuve Rouge, dont le document d’orientation est le Plan régional de Hanoi (coproduit par l’IAU et le MOC) incluant notamment la province de Hung Yen où se trouve Ecopark. Ce choix d’échelles se justifie en raison des interdépendances géographiques et économiques entre les arrondissements, districts et provinces de cette grande région urbaine., s’appuyant sur des modèles internationaux d’urbanisme durable choisis (Hult, 2017[2]Hult A. (2017). Unpacking Swedish Sustainability: The promotion and circulation of sustainable urbanism, Thesis in planning and decision analysis, KTH Royal University. ; Sze et Greenberg, 2015[3]Sze J, Greenberg M. (2015). « Critical sustainabilities, competing discourses of urban development in California », Berkeley, University of California Press ; Haas, 2012[4]Haas T (dir.). (2012). Sustainable urbanism and beyond: Rethinking cities for the future, New York, Rizzoli.), gages d’une future ville vivable et soutenable. En réalité, si Hanoi a récemment pris conscience du rôle et des avantages offerts par le verdissement de son développement urbain (Pharm et Nobukazun, 2008[5]Pham D, Nobukazun N. (2008). « Analyzing urban green space pattern and eco-network in Hanoi, Vietnam », Urban Forestry & Urban Greening, n° 7, p. 25-40.), un certain nombre de travaux scientifiques récents et de rapports d’experts ont montré que Hanoi est toujours bien loin d’avoir atteint cet objectif. Toutefois, les planificateurs et les décideurs proposent de grandes transformations du tissu urbain, impulsées par les orientations de la planification stratégique de son Master Plan. Aussi, le présent article ne revient pas sur la méthodologie car elle n’est pas innovante et ne présente que des résultats sur le cas hanoien mais vise à comprendre comment la « ville verte » contemporaine est promue au Vietnam, et quelles en sont les intentions et les effets performatifs ? En effet, s’agit-il d’un engouement de nature discursive et hégémonique ou constitue-t-il une réelle option en faveur de la durabilité urbaine ?

De même, l’article interroge la circulation et la mise en œuvre du modèle de « ville verte » en tant qu’outil d’aménagement urbain et régional (Ward, 2000[6]Ward S. (2000). « Reexamining the international diffusion of planning », dans Freestone R (dir.), Urban planning in a changing world, London, E. & F.N. Spon, p. 40-60.) et entend montrer quels sont les objets qui circulent et dans quelle mesure Hanoi prend en compte la reproduction de modèles dominants dans un contexte d’urbanisation rapide, massive et d’injonction à la durabilité.

Autrement dit, que nous apprennent ces processus sur la production des villes contemporaines en termes d’homogénéisation, de standardisation ou de différenciation des pratiques, des formes urbaines et des territoires locaux ?

Le nombre croissant de publications traitant de modèles comme références, pratiques et politiques remet souvent en question la production de la ville et le rôle des modèles internationaux. Cependant, le contexte des Sud où les défis durables sont énormes en termes de protection de l’environnement, de cohésion sociale et de transition économique est en quelque sorte moins éclairé. En conséquence, la ville de Hanoi, en Asie du Sud-Est, offre une occasion unique d’analyser la circulation internationale et l’enracinement local du modèle de « ville verte » en tant que stratégie de planification dans un contexte de métropolisation et post-Doi Moi[7]Le Doi Moi, adopté en 1986, signifie « renouveau » en vietnamien et symbolise une libéralisation économique progressive. Avec le Doi Moi, le Vietnam opte pour le développement d’une économie de marché à « orientation socialiste »..

La « ville verte » : appropriation d’un objet circulant attractif et durable

De l’injonction de la durabilité
à la mobilité des villes durables

Plusieurs courants ont marqué l’histoire contemporaine de l’urbanisme en s’intéressant aux moyens de concilier mode de vie durable, industrialisation et urbanisation. La Garden City, New Town et Techno-City sont des exemples de tentatives de réinvention de la ville dans l’ère industrielle du xixe et du xxe siècle. La conclusion à laquelle aboutissent environnementalistes et urbanistes repose sur l’idée que la dégradation de l’environnement joue en interférence avec des facteurs tant sociaux, économiques, techniques, culturels et comme limite globale (Deléage et Hemery, 1989[8]Deléage JP, Hemery D. (1989). « De l’éco-histoire à l’écologie-monde », L’Homme et la société, n° 91-92, p. 13-30.). À la fin du xxe siècle, une nouvelle vision de la modernité a progressivement vu le jour, basée sur la nécessité de rendre les villes — dont la croissance est rapide et les effets collatéraux préjudiciables (gaz à effet de serre, importante pollution, étalement urbain) — plus durables (Beatley 2000[9]Beatley T. (2000). Green urbanism: learning from European cities, Washington DC, Island Press, 512 p., Satterthwaite 2001[10]Satterthwaite D (dir.). (2001). The Earthscan reader in sustainable cities, London, Earthscan Publications, 320 p.). En effet, l’urbanisation planétaire en cours rend indispensable la nécessité de remodeler le paysage urbain pour assurer aux citadins une « bonne qualité de vie ».

Aussi, au cours de ces 40 dernières années et à la suite de la publication du rapport Brundtland en 1987 et du Sommet de la Terre à Rio en 1992, le Développement Durable (DD) est devenu une injonction mobilisatrice pour l’action publique qui tente de concilier des intérêts contraires relevant des trois sphères économiques, environnementales et sociales. De nombreuses lectures critiques ont dénoncé le consensus « mou » autour du répertoire du DD, et certains ont même considéré « qu’il est trop tard pour le développement durable » (Meadows, 2013[11]Meadows D. (2013). « Il est trop tard pour le développement durable », dans Sinaï A (dir.), Penser la décroissance. Politiques de l’Anthropocène, Paris, Presses de Sciences Po, p. 195.). Quoi qu’il en soit, pour les uns, le développement durable serait un concept de rapprochement multidimensionnel (Meadowcroft, 2000[12]Meadowcroft J. (2000). “Sustainable development: a new(ish) idea for a new century?”, Political Studies, n° 48, p. 381.), pour d’autres, il aurait une dimension universalisante (Swyngedouw, 2007[13]Swyngedouw E. (2007). « Impossible “sustainability” and the post-political condition » dans Gibbs D, Krueger Rob (dir.), The sustainable development paradox: Urban political economy in United States and Europe, New York, Guilford Press, p. 13-40.) qui justifierait qu’il s’impose aujourd’hui comme un nouvel impératif de l’action publique urbaine et métropolitaine. À ce titre, il infuse dans les espaces urbains sous l’égide onusienne (conférences Habitat I à III, Forum urbain mondial, programme des Nations-Unies pour le développement, Journée mondiale de l’urbanisme, objectifs de développement durable) et la ville durable s’assemble désormais dans la boîte à outil mondiale (Zukin et al., 2015[14]Zukin S, Kasinitz P, Chen X (dir.). (2015). Global cities, local streets: everyday diversity from New York to Shanghai, New York, Routledge, 242 p.) de « l’urbanisme mobile » (Mc Cann et Ward, 2011[15]Mc Cann E, Ward K (dir.). (2011). Mobile urbanism. Cities and policymaking in the global age, Minneapolis, University of Minnesota Press, 256 p.). Entre rupture mais aussi continuité (Ernst, 2002[16]Ernst I (dir.). (2002). Cultures urbaines et développement durable, Paris, ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement.), la durabilité s’impose aujourd’hui comme une stratégie clé pour soutenir ce qui est connu pour être insoutenable (Swyngedouw, 2010[17]Swyngedouw E. (2010). « Apocalypse forever? Post-political populism and the spectre of climate change », Theory, Culture & Society, n° 27(2-3), p. 213-232. ; Lidskog et Elander, 2012[18]Lidskog R, Elander I. (2012). “Ecological modernization in practice? The case of sustainable development in Sweden”, Journal of Environmental Policy and Planning, vol. 14, n° 4, p. 411-427.), et elle est confortée par le facteur accélérateur que sont les réponses apportées aux problèmes du changement climatique et de l’urbanisation à l’échelle mondiale (Joss et al., 2011[19]Joss S, Tomozieu D, Cowley R. (2011). “Eco cities. A global survey 2011”, International Eco Cities Initiative, London, University of Westminster, 117 p.).

Le DD postulerait l’émergence d’une nouvelle figure de la ville, la ville durable, qui servirait de référence à un type de projet urbain novateur et plus globalement à la façon de « faire la ville » en tentant d’infléchir les trajectoires urbaines désormais articulées autour de la qualité de vie et de la qualité de l’environnement. Ainsi, une nouvelle effervescence autour de la ville durable mobilise les villes dans une grande compétition d’image et d’attractivité, alors même que la définition de la durabilité ne va pas de soi. Un non-dit sous-jacent repose sur l’idée que les villes devraient continuer à jouer un rôle de premier plan dans le maintien de la croissance économique. La durabilité assurerait un développement économique qui serait favorable à l’environnement en lui donnant la capacité de considérer les conséquences à long terme des actions et de penser la cohésion sociale. En l’espèce, la plupart des villes seraient actuellement non durables, ce qui nous renvoie sans doute à la question de la prégnance des imaginaires urbains dans le développement et les pratiques urbaines (au sens où les villes portent avec elles leurs propres fictions) et à la charte d’Aalborg fondée sur une démarche globale. Loin de clore le débat, cette perspective nous amène à souligner la complexité de ce qui est en jeu dans les espaces urbains plutôt qu’à défendre un modèle spatial de référence.

À travers une analyse statistique et lexicale, Philippe Hamman (2017[20]Hamman P. (2017). « Definitions and redefinitions of urban sustainability: A bibliometric approach », Environnement Urbain / Urban Environment, n° 11 [En ligne) a dégagé plusieurs déclinaisons principales de la « ville durable ». La ville verte, hybridation des préoccupations à la fois environnementales et économiques, en serait une déclinaison opérationnelle. Toutefois, de nombreux travaux distinguent plusieurs niveaux de « ville verte » (Mersal, 2017[21]Mersal A. (2017). « Eco city challenge and opportunities in transferring a city into green city », Procedia Environmental Sciences, n° 37, p. 22-33.), allant de la résorption de la ville insalubre à la création de villes utopiques. On fera le constat que selon les variantes sélectionnées mettant l’accent sur un aspect ou un autre (éléments environnementaux biophysiques, transports publics, consommation des ressources, élimination des déchets et recyclage, etc.) et en fonction des contextes temporels et spatiaux, des priorités d’action et des acteurs, certaines déclinaisons peuvent se chevaucher partiellement. Les nombreuses approches de la durabilité urbaine (Vallance et al., 2012[22]Vallance S, Perkins H C, Bowring J. (2012). « Almost invisible: Glimpsing the city and its residents in the urban sustainability discourse » Urban Studies, vol. 49(8), p.1695-1710.) voire des compétitions et de la concurrence entre les villes rendent ainsi difficile une définition significative de celle-ci (Rapoport, 2014[23]Rapoport E. (2014). « The eco-city past, present and future », Geography Compass, vol. 8, n° 2, p. 137-149. ; Kenworthy, 2006[24]Kenworthy JR. (2006). « The eco-city: ten key transport and planning dimensions for sustainable city development », Environment & Urbanization, vol. 18(1), p. 67-85.).

Un répertoire pluriel de références
pour la « ville verte »

Les projets urbains « du type écoquartier ou quartier vert » n’ont pas d’indicateurs de durabilité communs et se concentrent sur des questions spécifiques de durabilité. Aussi, nous suggérons de nous attarder davantage sur la forme de durabilité urbaine qui est développée au nom des villes dites « vertes ». Signalons que les travaux de Joss (2011[25]Joss S. (2011). « Eco-cities: the mainstreaming of urban sustainability; key characteristics and driving factors », International Journal of Sustainable development and Planning, vol. 6, n° 3, p. 268-285.) et de Joss et Molella (2013[26]Joss S, Molella A. (2013). « The eco-city as urban technology: Perspectives on Caofedian International Eco-City (China) », Journal of Urban Technology, vol. 20, n° 1, p. 115-137.) sont à ce jour les plus complets sur la notion de « ville verte ». Les villes vertes sont définies comme des villes qui s’efforcent d’atténuer leurs impacts environnementaux, réduire les déchets, développer le recyclage, réduire les émissions, accroître la densité de logements, tout en agrandissant les espaces publics et encourager le développement d’entreprises locales durables. Ce concept tirerait une force supplémentaire de sa capacité à matérialiser des idéaux de bon développement, à une époque souvent considérée comme marquée par l’incertitude, la mondialisation, le néolibéralisme, l’urbanisation effrénée et le changement climatique.

Les villes vertes ont été initialement conçues comme des interventions à petite échelle dans des environnements bâtis existants, qui devaient être mis au point par un processus ascendant conduit par les citoyens et les architectes motivés par des préoccupations concernant les limites écologiques et l’équité sociale (Rapoport, 2014[27]Op. cit.). En ce sens, les racines idéologiques de l’écoville ont toujours été anticorporatistes et ont procédé d’une méfiance vis-à-vis de la science et de la technologie, sur la base des développements décentralisés ascendants qui cherchent à unir les hommes et l’écologie. L’origine intellectuelle de l’écoville à long terme provient d’un contexte particulier : le milieu de la contre-culture de San Francisco, dans les années 1970. Idéologiquement, les écovilles articulaient durabilité écologique et des approches vernaculaires de l’architecture, du design et du paysage (Sze et Greenberg, 2015[28]Op. cit.). En réponse à la prise de conscience des problèmes du changement climatique mondial, les écovilles sont devenues une « solution » à la crise environnementale. Le concept de l’écoville mise aujourd’hui sur la planification à grande échelle et transnationale de ce que l’on appelle les écovilles « globales » (ibid.).

Si, à l’origine, l’éco-ville concernait le développement communautaire, elle correspond aujourd’hui à des exemples « mondialisés » et met en évidence le rôle du profit dans des projets de développement durable. Il est important de noter ici qu’il y a aujourd’hui beaucoup de formes et pratiques différentes en lien avec la définition antérieure des projets d’écoville (figure 1). Un grand nombre de ces projets partagent des structures de gouvernance politique autoritaire (ibid.). Beaucoup de ces écovilles sont également inspirées ou influencées par les écoquartiers célèbres (Hammarby Sjöstad en Suède ou Fribourg en Allemagne) ou des villes durables très médiatisées (Vancouver au Canada, Portland aux États-Unis, Hambourg en Allemagne et Copenhague au Danemark), situés dans les pays dits du Nord ou occidentaux.

Sze et Greenberg (2015[32]Op. cit.) écrivent que l’écoville mondiale contemporaine est structurée avec une étroite imbrication des élites politiques et technocratiques. Théoricien politique de la mobilité des modèles, Ward (2005[33]Ward K. (2005). « Entrepreneurial urbanism and the management of the contemporary city: The example of business improvement districts », Transnational Seminar Lecture Paper, University of Illinois at Urbana-Champaing, Centre for Global Studies, 35 p.) affirme qu’un élément important de notre temps et du projet de la mondialisation est l’existence de communautés professionnelles transnationales qui partagent et mettent en application leur connaissance et expertise. Celles-ci ont parfois été appelées communautés épistémiques (Haas, 2012[34]Op. cit.) ou Global Intelligence Corpus (GIC) (Rimmer, 1988[35]Rimmer P. (1988). « The internationalization of engineering consultancies: Problems of breaking into the club », Environment and Planning, A, n° 20, p. 761-788.). Le terme de communautés épistémiques fait référence à des groupes d’experts transnationaux montrant une compréhension commune et des approches méthodologiques, et GIC se réfère plus particulièrement aux praticiens experts opérant à travers les frontières nationales (ibid.). Il est néanmoins important de souligner que le caractère « actuel » des débats actuels autour de la circulation des idées et des modèles en aménagement-urbanisme semble parfois sous-estimer la nature et l’importance des échanges internationaux et l’antériorité des assemblages mondial-local.

L’invocation des modèles de villes vertes
dans le Master Plan 2030-2050 d’Hanoi

L’analyse du Master Plan confirme que l’hybridation de plusieurs modèles de villes vertes permettrait pour les autorités urbaines d’atteindre l’objectif fixé : exister dans la nouvelle compétition interurbaine, tout en garantissant la cohésion sociale du territoire, la protection de l’environnement et le nouvel impératif participatif (Leducq, 2018[36]Leducq D. (2018). « Référencement international et production urbaine standardisée. Hanoi, des modèles à la déclinaison », Annales de la Recherche Urbaine, n° 113.). Les villes citées par le Master Plan constituent des références pour les aspects de leurs politiques urbaines qui sont associés à leur réussite en tant que ville durable ou pour des éléments de conception urbaine tels que les bords de fleuve associant des aspects de nature et de culture. Les élus de Hanoi perçoivent ainsi dans ce travail imaginatif d’inter-référencement de villes ou d’opérations modèles (Roy et Ong, 2011[37]Roy A, Ong A. (2011). Worlding cities: Asian experiments and the art of being global, Oxford, Willey-Blackwell.) une mise en pratique de l’idée qu’ils se font de leur capitale dans 20 à 40 ans (Söderström, 2012[38]Söderström O. (2012). « Des modèles urbains mobiles », Dossier « Modèles urbains », Urbanisme, n° 383, p. 43-45.). La mise en pratique d’une nouvelle régulation urbaine hanoienne passe par la déclinaison des stratégies métropolitaines de référence et l’invocation d’archétypes programmatiques urbains à la mode (Arab, 2007[39]Arab N. (2007). « À quoi sert l’expérience des autres ? Bonnes pratiques et innovation dans l’aménagement urbain », Espaces et Sociétés, n° 131, p. 33-47.). Des modèles établis récemment, véhiculés tant par la production des cabinets de conseil que dans la littérature académique, sont ainsi instrumentalisés au service d’une vision politique.

Suite à une phase de benchmarking, le Master Plan 2030 vision 2050 de Hanoi retient donc précisément des orientations promues et testées dans les villes globales de référence (figure 2). Plusieurs cibles fonctionnelles et encouragées par les Master Plans des différentes villes sont identifiables et peuvent être regroupées sous des énoncés reconnus mondialement visant à faire face à la complexité et à l’incertitude du monde en promouvant la « ville verte, inclusive et attractive » autour des leviers de durabilité environnementale et écologique tels que pratiqués autour de l’énergie à Rotterdam ou à travers des stratégies de verdissement de certaines villes occidentales (Melbourne, Londres, Vancouver…).

L’analyse exhaustive des orientations de planification retenues permet d’identifier deux objectifs ayant trait au verdissement des agglomérations métropolitaines exemplaires et de les mettre en résonnance avec les orientations d’aménagement et de programmation de Hanoi. D’une part, la solidarité territoriale entre les deux rives du Fleuve Rouge et l’équilibre spatial entre la ville centre et le reste de la région urbaine peuvent se construire autour de deux stratégies d’aménagement de l’espace déjà expérimentées ailleurs : le développement de villes satellites multifonctionnelles, dites « villes écologiques », à partir de pôles urbains existants situés à l’ouest de la ville centre, et le déplacement de la capitale administrative dans une des villes nouvelles suffisamment éloignées du centre historique. D’autre part, le développement durable apparaît comme toile de fond des discours sur le développement des zones de fortes densités, la mixité des usages, l’accessibilité appropriée et les espaces publics de haute qualité. Pour résumer, les autorités de Hanoi souhaitent faire du verdissement de la ville (70 % d’espaces verts métropolitains grâce au corridor vert et la préservation d’une ceinture verte périurbaine[41]Le Master Plan 2030-2050 de Hanoi prévoit un corridor vert et une ceinture verte. Le corridor vert couvre 70 % de la superficie de Hanoi et comprend la zone rurale, les berges de la rivière Day, les montagnes de Ba Vi et de Huong Tich, et une zone tampon le long du périphérique 4. La ceinture verte couvre la zone périurbaine de Hanoi à partir de la rivière Nhue jusqu’à la rivière To Lich. La ceinture verte de Hanoi se trouve dans 4 arrondissements (Nam Tu Liem, Bac Tu Liem, Ha Dong et Hoang Mai) et un district (Thanh Tri).) l’un des piliers du renforcement de son image et de son attractivité résidentielle, afin de développer de nouvelles activités économiques (tourisme urbain, économie créative, industries de la connaissance). Ce qui, comme l’ont souligné Fanchette et al. (2015[42]Fanchette S, Musil C, Moustier P, Nguyen TT. (2015). « La ville de demain : réformes territoriales et projets urbains », dans Fanchette S (dir.), Hanoi, future métropole. Rupture dans l’intégration urbaine des villages, Bondy, IRD, p. 101-120.), n’est pas sans poser des questions compte tenu des niveaux de la vitesse d’urbanisation dans ces espaces et des capacités aléatoires de l’administration et autorités locales à conserver ces espaces verts et agricoles.

Acteurs et planification de la ville verte

Scènes et modalités d’échanges
pour le verdissement de la capitale

Assurément, le développement urbain est le principal moteur de l’économie vietnamienne (Courrier du Vietnam, 2018[43]Courrier du Vietnam. (2018). « Développement des centres urbains intelligents vers une croissance verte », 30 mars [En ligne), aussi, la ville de Hanoi a entamé depuis 1990 un processus de « rattrapage urbain » pour devenir une métropole internationale attractive et contrôler un territoire à la hauteur de ses ambitions urbanistiques. Face au risque de ne pouvoir financer ses projets urbains, Hanoi s’est référée à l’idée que le succès des villes entrepreneuriales se mesure à leur capacité à nouer des partenariats avec le privé, à attirer des donateurs internationaux, à mobiliser l’appui de la Banque mondiale et de la Banque asiatique de développement pour la réalisation de projets urbains, et à disposer d’assistance financière et technique. Le recours aux consultants, aux sociétés d’ingénierie et aux bureaux d’études étrangers est souligné dans les discours et est mis en scène, comme une activité de branding, étape incontournable pour convaincre les investisseurs tant nationaux qu’internationaux que la ville a définitivement fait le choix de la modernité pour devenir plus attrayante, vivable et compétitive. Ajoutons que les standards internationaux et les injonctions à agir en faveur de la ville durable selon les objectifs de l’Organisation des Nations-Unies (ONU) exercent une attraction significative sur le Vietnam, dont l’accès aux dons et aux prêts dans le cadre de l’Aide Publique au Développement (APD) est nécessaire à sa croissance urbaine. Cette coopération intervient le plus souvent dans le cadre des programmes urbains d’aides bilatérales et multilatérales qui prévoient les modalités du recours à la consultance étrangère sous la forme des transferts de savoir-faire, d’accompagnement de l’ingénierie vietnamienne, de la supervision de systèmes techniques ou de la planification.

C’est fort de cette ambition métropolitaine que le Master Plan a été conçu à partir de 2010, sur un an, par négociation incrémentale entre le consortium de consultants internationaux PPJ — regroupant dans l’offre commerciale l’Américain Perkins Eastman, les Sud-Coréens Posco E&C et Jina, l’Institut de Planification Urbaine de Hanoi (HUPI) et l’Institut de la Planification Urbaine et Rurale du Vietnam[44]Autrefois dénommé Institut d’Architecture et de Planification Urbaine et Rurale du Vietnam (VIAP). (VIUP) appartenant au ministère de la Construction[45]Le positionnement hiérarchique de Hanoi, capitale du Vietnam et siège du gouvernement central, renforce le rôle des ministères techniques dont la proximité avec les autorités urbaines favorise l’implication des services dans l’élaboration du Master Plan, en plus de l’organisme compétent de la ville-province de Hanoi.. Il faisait suite aux orientations stratégiques déclinées par l’équipe du projet HAIDEP[46]Programme et schéma du développement urbain de Hanoi (Projet HAIDEP). composé du Comité Populaire de Hanoi et de l’Agence de Coopération Internationale du Japon (JICA) qui finançait l’étude. Tout au long du processus d’élaboration, l’HUPI, agence d’urbanisme locale, a été impliqué et a participé à l’amendement du projet, à sa validation et enfin à sa traduction en plan, en fonction des critères retenus par les autorités municipales. À l’occasion du millénaire de la ville, le Premier ministre vietnamien a approuvé le Master Plan de Hanoi 2030-2050 (Décision 90/2008/QD-TTg, 2010). Ces consultants étrangers ont été contactés dès l’amont de la conception du document de planification afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs que par le passé. Pour autant, pouvons-nous affirmer que ces transferts de connaissances entre intervenants étrangers et acteurs locaux et la dépendance aux financements extérieurs contribueraient à la diffusion d’un modèle de durabilité par collage d’influences extérieures ?

Les travaux de Goldblum (1988[47]Goldblum C. (1988). Métropoles de l’Asie du Sud-Est. Stratégies urbaines et politiques du logement, Paris, L’Harmattan, 276 p.) avaient déjà montré que le Vietnam a longtemps eu recours à des intervenants étrangers, architectes et urbanistes venus d’URSS, en matière de planification urbaine sans « conclure à la convergence vers un modèle unique » (Cusset, 2005[48]Cusset JM. (2005). « Expertise étrangère et expertise locale : le cas des villes au Viêt-nam », Géocarrefour, vol. 80, n° 3. [En ligne]. Disponible sur : http://journals.openedition.org/geocarrefour/1201). Les travaux de Rimmer (1988[49]Op. cit.) ont souligné l’existence de connexions entre les consultants étrangers et la diffusion de modèles exportés, à l’instar de la green city, notamment dans les villes du Sud en matière d’aménagement urbain. Toutefois, ils n’ont pas démontré qu’il pourrait exister une reconfiguration possible des modèles exportés selon un agencement pragmatique et une approche plus internaliste liée à la culture et à l’hétérogénéité des situations de partenariat, ou tout simplement à l’élargissement à une diversité d’acteurs. Plus récemment, Hogan et al. (2012[50]Hogan T, Bunnell T, Pow CP, Permanasari E, Morshidi S. (2012). « Asian Urbanisms and the Privatization of Cities », Cities, vol. 29, n° 1, p. 59-63.), Cusset (2005[51]Op. cit.), Baye et Cusset (2004[52]Baye É, Cusset JM. (2004). Les consultants internationaux et leurs rapports à l’ingénierie locale dans les infrastructures urbaines au Vietnam, rapport de recherche PRUD, LET, CEFURD (Ho Chi Minh Ville), IMV (Hanoi).) ont mis en évidence les relations, les transferts de savoir-faire et les idées susceptibles de s’hybrider au cours des missions des consultants nationaux et étrangers en matière d’ingénierie locale dans les infrastructures urbaines au Vietnam et au Cambodge.

Néanmoins, ces travaux, bien que récents et riches d’enseignements, ne correspondent pas à la période du Master Plan de Hanoi 2030-2050 qui constitue une rupture assumée en matière de fabrique de la ville. Ils concluent d’ailleurs à la prise de distance des acteurs locaux dans leurs échanges avec les intervenants étrangers quant à des compositions urbaines répliquées systématiquement, et suggèrent l’appropriation et l’assimilation des modèles importés par le Vietnam au point de s’interroger sur l’existence d’un modèle vietnamien (Nguyen, 1998[53]Nguyen L. (1998). « Esquisse de la politique de modernisation et de développement urbain à Hanoi et Ho Chi Minh Ville (1986-1996) », thèse de doctorat d’urbanisme et d’aménagement, université de Paris 8, Institut français d’urbanisme, 2 tomes. ; Cusset, 2005[54]Op. cit.). Le contexte historique, culturel, économique et les contraintes spatiales justifient que le Vietnam refuse non seulement de se référer à un seul modèle mais aussi renonce à une planification centrale, d’inspiration encore trop « soviétique », statique et normative et de ce fait peu adaptable, au profit d’une planification spatiale stratégique. Celle-ci est selon le Master Plan conçue à travers le pluralisme des échelles et implique, pour sa mise en œuvre pragmatique, l’apparition de nouveaux acteurs intervenant dans les processus de production urbaine et de formes contractuelles, avec des financements intégrés comme les Partenariats Public-Privé (PPP) de type « Construire, Posséder, Exploiter (BOO[55]Il existe une gamme de modèles de Partenariats Public-Privé (PPP) qui répartissent les responsabilités et les risques entre les partenaires de différentes manières. Selon la nature du projet et la structure, les accords contractuels utilisés pour les nouveaux projets incluent notamment : « Build, Own, Operate » (BOO) : arrangement contractuel en vertu duquel un concessionnaire est autorisé à financer, construire, posséder, exploiter et entretenir une infrastructure ou une installation de développement ; « Build, Operate, Transfer » (BOT) : arrangement contractuel en vertu duquel le concessionnaire se charge de la construction, y compris du financement d’une infrastructure donnée, ainsi que de son exploitation et de sa maintenance ; « Build-and-Transfer » (BT) : accord contractuel en vertu duquel le concessionnaire prend en charge le financement et la construction d’une infrastructure ou d’une installation de développement et, une fois celle-ci achevée, la confie à l’organisme gouvernemental ou à l’unité des administrations locales concernée, qui verse au promoteur, selon un calendrier convenu, le montant total des investissements consacrés au projet, auquel s’ajoute un taux de rendement jugé raisonnable.) » ou « Construire, Exploiter et Transférer (BOT) », et aussi « Construire et Transférer (BT) ». S’agissant de la planification, celle-ci ne doit être ni en décalage avec la réalité, ni trop rapide pour ne pas rendre obsolètes les plans prévus (Nguyen, 2008[56]Nguyen MH. (2008). Potential for Saigon river miracle, Ho Chi Minh City, General, Publisher in Vietnamese. ; Coulthart et al., 2007[57]Coulthart A, Nguyen Q, Sharpe H. (2007). Urban development strategy meeting the challenges of rapid urbanization and the transition to a market oriented economy, World Bank Report.). Toutefois, les mécanismes hérités et les principes arithmétiques de la période d’économie planifiée pèsent encore sur la planification (Berger et Quertamps, 2012[58]Berger P, Quertamps F. (2012). « Faire la ville : lecture croisée des méthodes et outils de l’urbanisme en France et au Vietnam. Capitalisation des expériences de la coopération décentralisée », Paris-Hanoi, PADDI – IMV.), qui manque de considérations stratégiques.

De la difficulté méthodologique
d’identifier les acteurs locaux de l’assemblage

Pour approfondir la question des modalités de circulation du modèle de la ville verte, nous avons tout d’abord reconstitué le schéma des acteurs intervenants dans les processus de production urbaine afin de répondre à la question suivante : quels sont les agents potentiels de circulation entre l’échelle transnationale et locale ? Ainsi, malgré une apparente décentralisation, le système est toujours très centralisé. Le VIUP et l’HUPI y tiennent une place centrale (figure 3).

Ensuite, nous avons identifié les liens que ces acteurs entretiennent afin de montrer les interactions possibles et les scènes où peuvent s’effectuer les modalités d’échange. Cependant, il n’est pas possible d’opérer un référencement précis des canaux — acteurs et scènes d’échange — diffusant le modèle de la ville verte, et ceci pour deux raisons principales :

en premier lieu, la complexité des montages parfois difficilement appréhendables de l’extérieur en raison des relations formelles et informelles nouées entre acteurs intervenant dans les sphères décisionnaires, auxquels s’ajoutent des intervenants supplémentaires selon qu’il s’agisse du Master Plan et/ou de ses déclinaisons en plans sectoriels, à l’exemple du Plan vert (réseaux des parcs, jardins et espaces fleuris). Les travaux de Huynh (2015[59]Huynh D. (2015). « The misuse of urban planning in Ho Chi Minh City », Habitat International, vol. 48, p. 11-19.) ont montré que la tutelle de l’État et du Parti communiste est autant présente que le marché en matière de planification et de gestion urbaine. Dans le même ordre d’idée, la Chambre de commerce et d’industrie du Vietnam et l’United States Agency for International Development (Ambassade de France, 2018[60]Ambassade de France au Vietnam, service économique. (2018). « Économie de Hanoi », 2 p.) ont déclaré qu’Hanoi se caractérise par un environnement d’affaires opaque (charges informelles, absence de transparence dans la prise de décision, délais et retards dans les projets urbains, difficultés d’accès à la propriété foncière etc.) ;

en second lieu, si le Vietnam offre une plus grande stabilité qu’auparavant dans le domaine de l’urbanisme et de l’aménagement de son territoire, le cadre législatif évolue parfois en temps réel afin de prendre en compte certaines gestions de projets déficientes et de s’adapter aux contraintes économiques et spatiales. C’est dans ce contexte, par exemple, que le ministère de la Construction (MOC) a élaboré une nouvelle réglementation (décret 11/2013/ND-CP32) qui impose une obligation d’élaborer un planning précis des investissements et des constructions à l’échelle de la zone et de la ville. Son article 11 mentionne que le développement urbain se fait désormais par zone et non plus par projet et dans le respect du « planning de développement urbain » de la ville, évitant ainsi que les projets lancés sans avoir les garanties financières suffisantes ne soient suspendus pendant un temps indéterminé (Ramel, 2013[61]Ramel P. (2013). La gouvernance urbaine à Ho Chi Minh-Ville, Rapport PADDI.) et achevés ou repris par d’autres promoteurs.

Ville verte et production urbaine à Hanoi :
entre demande sociale et nouveaux marchés

Idée transnationale
et promotion immobilière privée

Nos visites d’opérations urbaines identifiées à Hanoi, depuis 2012 jusqu’à aujourd’hui[62]Sept séjours sur le terrain auxquels les auteures participent annuellement (2012-2018) ont été effectués dans le cadre d’un partenariat universitaire entre l’institut d’aménagement et d’urbanisme de Lille et l’université d’architecture de Hanoi. La conduite sur place d’ateliers de projet, de cours et l’encadrement de plusieurs thèses soutenues sur le développement urbain contemporain de Hanoi alimentent ainsi la réflexion transversale de cet article., et les entretiens menés avec des habitants de ces espaces ou des praticiens de l’urbanisme nous permettent de faire plusieurs constats (Tran DD, 2015[63]Tran DD. (2015). « La planification urbaine à l’épreuve du développement durable : appropriation du modèle ou génération de formes singulières ? Cas de Hà Nội (Viêt Nam) », thèse de doctorat en géographie et aménagement, université de Lille 1, 463 p. ; Tran HN, 2016[64]Tran HN. (2016). « Contribution à la valorisation de l’eau dans les espaces urbains durables : l’exemple de Hà Nội (Việt Nam) », thèse de doctorat d’urbanisme et d’aménagement, université de Lille 1, 315 p.) dans le contexte particulier d’un marché immobilier émergent marqué par des fièvres foncières et immobilières.

D’abord, celui de la montée en puissance des acteurs privés transnationaux au sein de communautés épistémiques, « architectes stars », réseaux bilatéraux ou multilatéraux de collaboration et financements liés (Peyroux et Sanjuan, 2016[65]Peyroux E, Sanjuan T. (2016). « Stratégies de villes et “modèles” urbains : approche économique et géopolitique des relations entre villes », ÉchoGéo, n° 36.) en amont du processus de planification. Le recours à des cabinets extérieurs, spécialistes du benchmarking, permet d’avoir accès à des répertoires d’exemples planétaires et à des solutions toutes prêtes, et encourage la sélection de bonnes pratiques. Mais il s’agit aussi de rendre visible l’image de ce que l’on voudrait réaliser, d’accompagner la réussite économique de la ville et enfin de la repositionner au niveau mondial dans le cadre de la globalisation.

Ensuite, à une échelle plus opérationnelle, certains promoteurs nationaux sont eux aussi des diffuseurs du modèle de la ville verte selon des modalités différentes. Désormais « l’abondance d’espaces verts ne suffit plus à rendre la ville désirable » et verte (Guet, 2011[66]Guet JF. (2011). « Ville désirable ou ville durable : quelle place pour les espaces verts ? », Revue Métropolitiques [En ligne) comme semblaient le penser autrefois certains promoteurs locaux. Les exemples de Viet Hung Village, Vincom Village, Dang Xa à Gia Lam-Long Bien ont montré que la présence d’un lac ou d’une végétation luxuriante ne rend plus cet espace suffisamment attractif si d’autres éléments ne sont pas présents comme la qualité du bâti, les services apportés ou la sécurité de la zone.

La majorité des promoteurs immobiliers étrangers venant de Singapour, d’Indonésie, de Corée ou du Japon l’ont bien compris et développent des projets aux standards internationaux « verdissants » (Ciputra, etc.), qui s’inscrivent dans la perspective d’une ville verte intelligente pour être en conformité avec les ambitions du Master Plan, et donc susceptibles de trouver des acheteurs dans un délai très court de retour sur investissement.

Les promoteurs vietnamiens directement, ou plus rarement dans le cadre de joint-ventures pour des opérations immobilières (Pandolfi, 2001[67]Pandolfi L. (2001). « Une terre sans prix : réformes foncières et urbanisation au Vietnam », thèse de doctorat d’urbanisme, université de Paris 8.), ont adopté le modèle de la « ville verte » et se plient à l’exercice de sa promotion afin de réaliser un retour sur investissement important (Leducq et Scarwell, 2017[68]Leducq D, Scarwell HJ. (2017). « The new Hanoi: Opportunities and challenges for future urban development », Cities, n° 72, p. 70-81. [En ligne]. Disponible sur : https://doi.org/10.1016/j.cities.2017.08.003). Ainsi, le projet Ecopark Satellite City s’inscrit dans cette perspective. Il a donné lieu à de nombreuses contestations, notamment en raison des expropriations menées sans trop de concertation et pour lesquelles les compensations ont été très faibles (Labbé, 2015[69]Labbé D. (2015). « Media dessent and peri-urban land struggles in Vietnam: The case of the Van Giang incident », Critical Asian Studies, vol. 47, n° 4, p. 495-513.). Il est situé pour une toute petite partie sur la Province de Hanoi et le reste à Hung Yen. Développé par Viet Hung Urban Development et Investment JSC (VIHAJICO), c’est un projet qui s’étend sur 500 ha où vivent actuellement 30 000 habitants, et doit pouvoir en accueillir jusqu’à 150 000. Le projet, lancé depuis 2004, devrait se prolonger sur une période de 18 ans. Il a reçu le prix d’architecture et d’urbanisme « Best Mixed-use Development Vietnam[70]Le prix d’urbanisme et d’architecture « Best Mixed-use Development Vietnam » fait partie du programme régional PropertyGuru Asia Property Awards, mis en place en 2005. Avec un système de prix géré par des professionnels supervisés par BDO, le cinquième cabinet mondiale d’audit et de comptabilité, PropertyGuru Vietnam Property Awards est la plus prestigieuse des récompenses pour les sociétés immobilières, célébrant ainsi les meilleurs promoteurs, projets et concepteurs. » (figure 4). Ce projet développe une philosophie dite des « 5 E » : l’Écologie, créer un cadre de vie harmonieux entre l’homme et la nature ; les Émotions, c’est-à-dire développer des valeurs propres à une communauté, celle d’Ecopark ; « l’Édu-divertissement », entre éducation et divertissement ; l’Économique, il s’agit d’améliorer la compétitivité de ses produits immobiliers ; l’Élite, proposer une offre correspondant à un mode de vie luxueux, incluant les services qui sont associés, comme une école, un golf, une piscine, un supermarché etc. L’une des écoles présentes sur le site d’Ecopark a pour slogan « Doan Thi Diem, Greenfield School ».

Figure 4. Ecopark, mixité fonctionnelle et verdissement des nouveaux quartiers d’habitation (clichés : Helga-Jane Scarwell, 2018).

Un autre exemple concerne le projet Times City (arrondissement d’Hai Ba Trung), qui illustre l’évolution des modalités de diffusion du modèle de ville verte et atteste d’une standardisation des caractéristiques de la ville mondiale et des recettes qui ont fait leurs preuves ailleurs. L’ensemble Vinhomes Times City comprend 3 espaces et s’étend sur une surface de 37 ha. Le secteur Times City proprement dit (haut standing, 12 tours, livrées en 2011), Park Hill (haut standing, 8 tours, livrées en 2016) et Park Hill Premium (standing supérieur, 4 tours, livrées en 2015) concrétisent une montée en gamme et en qualité des services offerts. Times city inclut un espace d’eau de type lac artificiel, alors que Park Hill, comme le montre le croquis ci-dessous (figure 5), présente des espaces relativement élaborés, mêlant eau et composition minérale. Enfin, Park City Premium est censé donner accès à de nouveaux privilèges (conciergerie, accueil, accessibilité limitée…) et à des aménités environnementales supérieures comparativement aux autres. En définitive, il s’agit, selon le projet, d’une « station balnéaire » avec une piscine en plein air. Pour autant, c’est un espace entièrement artificiel et dont la vocation n’est pas de reproduire la nature à son état pur.

Vingroup, le promoteur de ce projet résidentiel (Vinhomes) a ajouté dans son projet des services supplémentaires, comme un hôpital (Vinmec Times City), une école internationale de la maternelle au lycée et une université (Vinschool), une piscine intérieure et extérieure (Vinpearl), un supermarché (VinMart), etc. Vingroup a fait le choix d’appeler des designers et des architectes étrangers pour acquérir des savoir-faire dans le but de monter en gamme. Sur chaque plan, le nom d’un architecte étranger rend visible pour les acheteurs potentiels le modèle de référence au sein duquel s’inscrit le projet : un projet moderne qui répond aux critères internationaux. Le promoteur utilise donc à son profit le modèle de « ville verte » pour s’enrichir en offrant une qualité urbaine sur laquelle les autorités publiques sont défaillantes.

Au sein de cet ensemble mixte et de haute densité, Vingroup vend un « mode de vie vert » à ses résidents, voire à une population plus large, puisqu’une partie des équipements présents sur le site de Times City est accessible à des Hanoiens extérieurs à ces ensembles immobiliers. Nos entretiens exploratoires avec des habitants des trois ensembles de Times City nous ont permis de conclure que Vingroup a bien compris l’intérêt de répondre aux aspirations des acheteurs potentiels, dont le degré d’exigence est conforme aux standards internationaux. D’ailleurs, plusieurs résidents de Times City et Park Hill sont sur une liste d’attente pour emménager à Park City Premium, qui cumule un plus grand nombre d’aménités, d’espaces publics, de domotique au sein des appartements (serrure à reconnaissance digitale, possibilité de poser des caméras, climatisation, alarme incendie, domotique par Bluetooth, éclairage en détecteur de mouvements dans la salle de bains, visiophone, etc.). Ces opérateurs peuvent, au sein d’une même zone, faire évoluer l’offre de logement, notamment depuis que la loi propose plus de modalités de concertation avec les autorités et la possibilité pour un investisseur d’élaborer le plan détaillé d’aménagement du secteur qui lui a été confié.

La diffusion d’un modèle de ville verte et d’un mode de vie vert est plus démonstratif s’il s’agit de conduire de grands projets d’aménagements lesquels sont perçus comme un levier pour agir simultanément sur plusieurs champs de la vie collective : transport public, logement, espaces publics, politique culturelle. Nos observations au cours des sept dernières années nous ont amenées à penser que l’association et la négociation entre des acteurs locaux et des prestataires internationaux favorise la diffusion de nouvelles pratiques et promeut des modes de vie plus conformes aux standards internationaux. Ces collaborations sont d’autant plus nombreuses qu’elles permettent aux promoteurs étrangers d’accéder au marché immobilier vietnamien et aux promoteurs locaux de monter en gamme. Certains promoteurs vietnamiens, du fait de leur expérience à l’étranger et de leur appropriation des modèles importés, se transforment progressivement à leur tour en diffuseurs d’un modèle de ville verte et moderne. Ils intègrent dans leur entreprise des consultants et des architectes étrangers. Comme ils ont une meilleure compréhension du marché local, ils prennent moins de risques financiers que les investisseurs étrangers (Nguyen, 2011[71]Nguyen T, Nga T. (2011). « Foreign direct investment in real estate projects and macroeconomic instability », ASEAN Economic Bulletin, n° 28(1) [En ligne). Les travaux de Nguyen et al. (2014[72]Nguyen TB, Van der Krabben E, Samsura A. (2014). “Commercial real estate investment in Ho Chi Minh City – A level playing field for foreign and domestic investors?”, Habitat International, n° 44, p. 412-421.) ont montré que les investisseurs locaux ont de meilleures opportunités pour acquérir des terres dans les zones centrales — où ils possèdent déjà des terres — qu’en périphérie. Toutefois, s’ils se sont concentrés depuis longtemps sur le développement de bureaux avec des loyers moyens, ils s’intéressent aujourd’hui à des projets à plus vaste échelle (et à usage mixte) avec des loyers plus élevés et un mode de gestion intégré, à l’instar de Vingroup sur Times City.

La ville verte, un modèle véhiculé
pour l’investissement et la croissance

Comme nous l’avons suggéré précédemment, la nouvelle terminologie de « ville verte » reflète sans doute l’intuition répandue que quelque chose change dans la structure de la société (Weibust, 2013[73]Weibust I. (2013). Green leviathan: The case for a federal role in environmental policy, London, Ashgate Publishing Ltd.). En effet, la ville verte, facette de la ville durable, apporterait son lot de promesses tant environnementales (résorption des îlots de chaleur, désimperméabilisation des sols, dépollution de l’air, contribution aux trames vertes et bleues) qu’économiques (croissance verte, marché immobilier dynamique, rentes immobilières) pour répondre à plusieurs défis rencontrés par la ville contemporaine de Hanoi (Kitchin, 2015[74]Kitchin R. (2015). « The promise and peril of smart cities », Computers and law: the journal of the Society for Computers and Law, vol. 26, n° 2.). La juxtaposition du « vert » avec « ville » et(?) avec « croissance » ou « économie », semble indiquer que la société a reconnu que les problèmes écologiques et économiques seraient inextricablement liés. D’autant que cet engouement répond également à la demande citoyenne de verdissement de plus en plus forte (bien-être, performance énergétique des logements et préservation de la biodiversité). Les éléments végétaux deviennent alors des objets désirés dans l’espace urbain, notamment pour les classes moyennes et supérieures vietnamiennes.

L’usage du label « ville verte » à Hanoi correspond à la mobilisation chez les Vietnamiens de valeurs culturelles ancrées dans l’harmonie avec la nature, la qualité de vie, la modernité et la sécurité, ou encore une vision hédoniste du fait urbain. Or, justement, « l’hédonisme est désormais un facteur déterminant des prix de l’immobilier » (Guet, 2011[75]Op. cit.). Du degré de verdissement de la ville dépend son attractivité, les investisseurs et promoteurs d’opération d’aménagement l’ont bien perçu. Par ailleurs, les ambitieuses stratégies de végétalisation ou de « technologies vertes » ne répondent-elles pas aux préconisations en faveur de la croissance verte de la Banque mondiale (Meadowcroft, 2012[76]Meadowcroft J. (2012). « Greening the state », dans Steinberg P, Vandeveer S (dir.), Comparative environmental politics: Theory, practice, and prospects, p. 63-87. ; Messner et al., 2010[77]Messner D, Schellnhuber J, Rahmstorf S, Klingenfeld D. (2010). « The budget approach: A framework for a global transformation toward a low carbon economy », Journal of Renewable and Sustainable Energy, n° 2, p. 17-25.) et de l’OCDE (2011[78]OCDE. (2011). Vers une croissance verte. Résumé à l’intention des décideurs, 28 p.), dont les objectifs visent à : « favoriser l’investissement et l’innovation, qui soutiendront une croissance soutenue et donneront lieu à de nouvelles opportunités économiques » (ibid., p. 18). RIO + 20 et les Nations Unies ont eux aussi clairement exprimé leur soutien à la croissance verte et ont associé l’économie verte au développement durable comme thèmes d’action prioritaires, dont les principaux moteurs sont non seulement écologiques, mais aussi économiques, sociaux et techniques. C’est à ce titre que le Premier ministre vietnamien a lancé, dès 2012, et avec le soutien de l’agence allemande de coopération internationale pour le développement (GIZ), la première « Stratégie nationale pour la croissance verte 2011-2020 avec une vision à 2050 » (Décision 1393/ QD-TTg, 25/02/2012). Les trois piliers centraux du programme sont une croissance faible en carbone, « l’écologisation » de la production et des modes de vie. La stratégie prévoit à court terme des incitations ou amendes fiscales. Si la réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2020-2030 est clairement une cible, le texte mentionne que, pour 2050, le Vietnam devra avoir pleinement intégré le développement économique vert.

En d’autres termes, les approches sous-jacentes des futures stratégies de déclinaison de la ville verte à Hanoi semblent vouloir élargir le marché des produits immobiliers et des services pour soutenir la croissance sans perspective ambitieuse de croissance verte socialement inclusive et propice à des transformations structurelles ou même à une réduction de l’empreinte environnementale totale. Il s’agit d’un récit visant à la poursuite de la libéralisation des marchés et de pratiques de reformulation du discours business as usual, finalement rien de plus qu’un greenwashing de la croissance économique conventionnelle (croissance grise) qu’il importe de maintenir pour nourrir les ambitions internationales de la ville. La rhétorique « verte » actuelle induit un accroissement des capitaux privés étrangers dans la production urbaine mais elle transcende aussi la maîtrise de la croissance économique. En témoigne la décision récente du Premier ministre relative à l’adoption du « Plan de croissance verte pour le plan de développement économique à l’horizon 2030 » (Décision 84/QD -TTg, 19/01/2018). La décision projette, d’une part, que les projets d’urbanisme et de développement urbain doivent désormais aller dans le sens d’une croissance verte en réponse au changement climatique et, d’autre part, que les fonds mobilisés pour la mise en œuvre de cette croissance verte proviendront de financements internationaux et nationaux : prêts de l’aide au développement, investissements des entreprises privées, fonds propres de l’État et autres sources de capitaux légalement mobilisés, conformément aux dispositions de la loi vietnamienne. De même, la Banque asiatique de développement[79]L’ADB soutient le Vietnam à hauteur de 170 millions de dollars pour développer des villes vertes [En ligne soutient formellement le développement des villes vertes qui, selon elle, sont en nombre insuffisant au Vietnam. Tout comme Gamuda Land[80]Gamuda City [En ligne, investisseur immobilier malaisien, qui affirme que les villes vertes ne seraient être qu’une tendance. C’est une orientation durable pour la vraie ville du futur, qui justifie les investissements et la nécessité pour les villes vietnamiennes de changer de stratégies pour attirer des Investissements Directs Étrangers (IDE) de nouvelle génération. La rhétorique « verte » apparaît comme un moyen de répondre aux limites environnementales et au changement climatique. Elle n’est plus perçue exclusivement comme un coût mais comme une opportunité permettant des investissements dans l’environnement, fussent-ils techniques, et comme l’occasion de « coupler » environnement et croissance. La « ville verte » hanoienne, associée à la « croissance verte », nourrit le discours sur la modernisation écologique (Dryzek, 1997[81]Dryzek J. (1997). The politics of the earth, environmental discourses, Oxford, Oxford University Press., Prasad et Elmes, 2005[82]Prasad P, Elmes ‎M. (2005). « In the name of the practical: Unearthing the hegemony of pragmatics in the discourse of environmental management », The Journal of Management Studies, vol. 42, 845-867.), dont l’objectif technico-économique vise à améliorer l’efficacité environnementale pour maximiser les profits sans pour autant minimiser les coûts environnementaux (Springett, 2003[83]Springett D. (2003). « Business conceptions of sustainable development: a perspective from critical theory » Business Strategy and the Environment, vol. 12, p. 71-86.).

Conclusion

Plus qu’une mise en mots à travers son Master Plan, la promotion de la « ville verte » à Hanoi ne tendrait-elle pas finalement à une mise en scène, orchestrée tant par des facteurs exogènes qu’endogènes ? En ce sens, la ville-capitale post-Doi Moi appliquerait le répertoire du développement durable comme levier de la croissance urbaine pour favoriser des changements dans les modes et cadres de vie, comme levier pour alimenter la croissance économique tout en constituant aussi une fenêtre de rééquilibrage vers des territoires plus durables.

Nos recherches ont montré que le choix du modèle de la « ville verte » induit un accroissement des capitaux privés étrangers dans la production urbaine et le développement de rentes foncières pour les promoteurs. Même s’il nous a été difficile de démontrer précisément en quoi des micro-modèles peuvent émerger par une hybridation négociée entre des acteurs locaux et des prestataires internationaux, nous ambitionnons sur un temps plus long de questionner les réalités concrètes et diversifiées au plus près des terrains « émetteurs » et « récepteurs » des références urbaines et en privilégiant une approche comparative nationale et internationale des « villes vertes » pour mieux saisir les points communs et spécificités d’une grammaire de la ville durable vietnamienne.

L’étude approfondie du Master Plan de Hanoi, mis en regard, d’une part, avec les opérations contemporaines d’aménagement en cours, et d’autre part, avec les discours des acteurs locaux et internationaux entrant dans la fabrique urbaine, permet de mettre en évidence les formes urbaines, les figures et les modèles de la standardisation de la capitale vietnamienne. Ainsi, dans le cas de Hanoi, le multiréférencement des modèles et la pluralité des échelles soulignent à la fois les pratiques expérimentées et ayant fait leurs preuves ailleurs (Bourdin et Idt, 2015[84]Bourdin A, Idt J (dir.). (2016). L’urbanisme des modèles. Références, benchmarking et bonnes pratiques, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube.) et les objets hybridés mobilisés dans le cadre de la stratégie de métropolisation du Grand Hanoi.

Cet article renseigne l’aménagement du territoire et l’urbanisme dans un contexte national spécifique au sein du Sud global, récemment ouvert à l’économie de marché. La décomposition du système de production urbaine permet d’identifier les idéaux-types qui font sens, leur poids respectif dans la planification stratégique d’une région-capitale émergente, les acteurs et réseaux qui participent à la diffusion des idées et pratiques, et les réalisations concrètes qui en découlent sur le terrain.

Les mises en chantier des zones résidentielles et quartiers d’affaires comme autant d’enclaves décontextualisés au sein du tissu urbain hanoïen interpellent quant à la traduction empirique de l’imaginaire de ville durable, au risque de n’être qu’une coquille vide légitimant la ville compétitive et privatisée où la société traditionnelle disparaît progressivement. Comment intégrer de manière plus fine et intelligente les modèles invoqués à la fabrique urbaine de Hanoi ? Quelles sont les capacités d’innovation des villes et des territoires pour intégrer un projet de croissance urbaine durable au tissu urbain existant ? Autant de questions pour de futures recherches en lien avec les résultats présentés dans cet article.


[1] Le périmètre retenu de l’étude comprend principalement le Master Plan de la ville-province de Hanoi (élaboré par trois entités : le groupement PPJ, le HUPI et le VIAP) mais s’appuie également sur l’aménagement des provinces voisines du delta du Fleuve Rouge, dont le document d’orientation est le Plan régional de Hanoi (coproduit par l’IAU et le MOC) incluant notamment la province de Hung Yen où se trouve Ecopark. Ce choix d’échelles se justifie en raison des interdépendances géographiques et économiques entre les arrondissements, districts et provinces de cette grande région urbaine.

[2] Hult A. (2017). Unpacking Swedish Sustainability: The promotion and circulation of sustainable urbanism, Thesis in planning and decision analysis, KTH Royal University.

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[7] Le Doi Moi, adopté en 1986, signifie « renouveau » en vietnamien et symbolise une libéralisation économique progressive. Avec le Doi Moi, le Vietnam opte pour le développement d’une économie de marché à « orientation socialiste ».

[8] Deléage JP, Hemery D. (1989). « De l’éco-histoire à l’écologie-monde », L’Homme et la société, n° 91-92, p. 13-30.

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[27] Op. cit.

[28] Op. cit.

[29] Op. cit.

[30] Op. cit.

[31] Op. cit.

[32] Op. cit.

[33] Ward K. (2005). « Entrepreneurial urbanism and the management of the contemporary city: The example of business improvement districts », Transnational Seminar Lecture Paper, University of Illinois at Urbana-Champaing, Centre for Global Studies, 35 p.

[34] Op. cit.

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[40] Hanoi Urban Planning Institute – HUPI. (2011). Hanoi Capital construction master plan to 2030 and vision to 2050, vol. 1 & 2, 499 p.

[41] Le Master Plan 2030-2050 de Hanoi prévoit un corridor vert et une ceinture verte. Le corridor vert couvre 70 % de la superficie de Hanoi et comprend la zone rurale, les berges de la rivière Day, les montagnes de Ba Vi et de Huong Tich, et une zone tampon le long du périphérique 4. La ceinture verte couvre la zone périurbaine de Hanoi à partir de la rivière Nhue jusqu’à la rivière To Lich. La ceinture verte de Hanoi se trouve dans 4 arrondissements (Nam Tu Liem, Bac Tu Liem, Ha Dong et Hoang Mai) et un district (Thanh Tri).

[42] Fanchette S, Musil C, Moustier P, Nguyen TT. (2015). « La ville de demain : réformes territoriales et projets urbains », dans Fanchette S (dir.), Hanoi, future métropole. Rupture dans l’intégration urbaine des villages, Bondy, IRD, p. 101-120.

[43] Courrier du Vietnam. (2018). « Développement des centres urbains intelligents vers une croissance verte », 30 mars [En ligne].

[44] Autrefois dénommé Institut d’Architecture et de Planification Urbaine et Rurale du Vietnam (VIAP).

[45] Le positionnement hiérarchique de Hanoi, capitale du Vietnam et siège du gouvernement central, renforce le rôle des ministères techniques dont la proximité avec les autorités urbaines favorise l’implication des services dans l’élaboration du Master Plan, en plus de l’organisme compétent de la ville-province de Hanoi.

[46] Programme et schéma du développement urbain de Hanoi (Projet HAIDEP).

[47] Goldblum C. (1988). Métropoles de l’Asie du Sud-Est. Stratégies urbaines et politiques du logement, Paris, L’Harmattan, 276 p.

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[49] Op. cit.

[50] Hogan T, Bunnell T, Pow CP, Permanasari E, Morshidi S. (2012). « Asian Urbanisms and the Privatization of Cities », Cities, vol. 29, n° 1, p. 59-63.

[51] Op. cit.

[52] Baye É, Cusset JM. (2004). Les consultants internationaux et leurs rapports à l’ingénierie locale dans les infrastructures urbaines au Vietnam, rapport de recherche PRUD, LET, CEFURD (Ho Chi Minh Ville), IMV (Hanoi).

[53] Nguyen L. (1998). « Esquisse de la politique de modernisation et de développement urbain à Hanoi et Ho Chi Minh Ville (1986-1996) », thèse de doctorat d’urbanisme et d’aménagement, université de Paris 8, Institut français d’urbanisme, 2 tomes.

[54] Op. cit.

[55] Il existe une gamme de modèles de Partenariats Public-Privé (PPP) qui répartissent les responsabilités et les risques entre les partenaires de différentes manières. Selon la nature du projet et la structure, les accords contractuels utilisés pour les nouveaux projets incluent notamment : « Build, Own, Operate » (BOO) : arrangement contractuel en vertu duquel un concessionnaire est autorisé à financer, construire, posséder, exploiter et entretenir une infrastructure ou une installation de développement ; « Build, Operate, Transfer » (BOT) : arrangement contractuel en vertu duquel le concessionnaire se charge de la construction, y compris du financement d’une infrastructure donnée, ainsi que de son exploitation et de sa maintenance ; « Build-and-Transfer » (BT) : accord contractuel en vertu duquel le concessionnaire prend en charge le financement et la construction d’une infrastructure ou d’une installation de développement et, une fois celle-ci achevée, la confie à l’organisme gouvernemental ou à l’unité des administrations locales concernée, qui verse au promoteur, selon un calendrier convenu, le montant total des investissements consacrés au projet, auquel s’ajoute un taux de rendement jugé raisonnable.

[56] Nguyen MH. (2008). Potential for Saigon river miracle, Ho Chi Minh City, General, Publisher in Vietnamese.

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[61] Ramel P. (2013). La gouvernance urbaine à Ho Chi Minh-Ville, Rapport PADDI.

[62] Sept séjours sur le terrain auxquels les auteures participent annuellement (2012-2018) ont été effectués dans le cadre d’un partenariat universitaire entre l’institut d’aménagement et d’urbanisme de Lille et l’université d’architecture de Hanoi. La conduite sur place d’ateliers de projet, de cours et l’encadrement de plusieurs thèses soutenues sur le développement urbain contemporain de Hanoi alimentent ainsi la réflexion transversale de cet article.

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[70] Le prix d’urbanisme et d’architecture « Best Mixed-use Development Vietnam » fait partie du programme régional PropertyGuru Asia Property Awards, mis en place en 2005. Avec un système de prix géré par des professionnels supervisés par BDO, le cinquième cabinet mondiale d’audit et de comptabilité, PropertyGuru Vietnam Property Awards est la plus prestigieuse des récompenses pour les sociétés immobilières, célébrant ainsi les meilleurs promoteurs, projets et concepteurs.

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[75] Op. cit.

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[78] OCDE. (2011). Vers une croissance verte. Résumé à l’intention des décideurs, 28 p.

[79] L’ADB soutient le Vietnam à hauteur de 170 millions de dollars pour développer des villes vertes [En ligne le 24/08/2018].

[80] Gamuda City [En ligne le 24/08/2018].

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[84] Bourdin A, Idt J (dir.). (2016). L’urbanisme des modèles. Références, benchmarking et bonnes pratiques, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube.