frontispice

Stratégies territoriales
de transition énergétique
Vers de nouveaux systèmes
de coordination des acteurs
et de valorisation des ressources locales ?

• Sommaire du no 5

Gilles Novarina LabEx Architecture Environnement & Cultures Constructives Natacha Seigneuret PACTE UMR CNRS 5194, université Grenoble Alpes

Stratégies territoriales de transition énergétique : vers de nouveaux systèmes de coordination des acteurs et de valorisation des ressources locales ?, Riurba no 5, janvier 2018.
URL : https://www.riurba.review/article/05-transition/acteurs/
Article publié le 1er janv. 2018

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Gilles Novarina, Natacha Seigneuret
Article publié le 1er janv. 2018
  • Abstract
  • Résumé

Territorial energy transition policies towards new models of coordination of public and private actors and development of local energy resources

The emergence of territorial energy transition policies is an evolving phenomenon, explained by, on one hand, a growing role of local and regional authorities in the control of local energy resources and the fight against climate change; on the other hand, a growing desire on the part of local authorities, enterprises and households, to better control their energy and to become themselves local energy producers. In our paper, we hypothesize that the territorial nature of energy transition policies is not simply linked to the pre-existence of differential resources endowments, but rather to emerging organization and structuring of the resources by local actors. Our article is based on research, funded by the French Energy Council, with the cross analysis of three European cases: Grenoble (France), Bristol (United Kingdom) and Freiburg-Im-Breisgau (Germany).

L’émergence de politiques territoriales de transition énergétique est un phénomène en cours, porté par une accentuation du rôle des collectivités territoriales dans la maîtrise des ressources énergétiques locales et la lutte contre le changement climatique ; et une volonté croissante des acteurs consommateurs que sont les collectivités territoriales, les entreprises et les ménages, de mieux maîtriser leurs dépenses énergétiques et de devenir eux-mêmes acteurs producteurs locaux d’énergie. Dans notre article, nous formulons l’hypothèse que le caractère territorial des politiques de transition énergétique n’est pas lié à la seule préexistence de dotations différenciées de ressources mais à l’organisation et à la structuration de ces ressources par les acteurs locaux. Notre article s’appuie sur une recherche financée par le Conseil français de l’Énergie, à partir de l’analyse croisée de trois villes européennes : Grenoble (France), Bristol (Royaume-Uni) et Fribourg-en-Brisgau (Allemagne).

Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
post->ID de l’article : 4428 • Résumé en_US : 4451 • Résumé fr_FR : 4447 •

Introduction

Si, dans un premier temps, les accords internationaux, qui portaient sur le développement durable puis sur la lutte contre le changement climatique, identifiaient les gouvernements nationaux comme les acteurs des changements nécessaires, désormais, selon l’Agence internationale de l’énergie, « les villes doivent être au cœur des efforts de décarbonisation » d’une part, « de transition énergétique » de l’autre (International Energy Agency, 2016[1]International Energy Agency. (2016). Energy Technology Perspective 2016. Towards Sustainable Energy Systems, p. 4-5.).

Ce n’est pas seulement parce qu’elles doivent accueillir d’ici 2050 les deux tiers de la population mondiale, mais aussi parce qu’elles disposent de compétences étendues dans l’organisation du territoire et la fourniture de services publics que les villes sont aujourd’hui « en première ligne » de la transition énergétique. En jouant leur rôle de planification territoriale, elles peuvent, d’une part, favoriser les économies d’énergie dans le bâtiment et les transports (qui représentent respectivement 60 % et 20 % de la consommation d’énergie dans les pays de l’OCDE), d’autre part, en luttant contre le sprawl, elles peuvent encourager les circuits courts dans le domaine de l’alimentation et préserver la biodiversité. En tant qu’autorités organisatrices des services urbains, elles peuvent contribuer au recyclage des déchets, à la récupération de la chaleur dans les circuits d’eaux usées et à une utilisation soutenable des ressources en eau (Lorrain, Halpern, Chevauché, 2018[2]Lorrain D, Halpern C, Chevauché C. (2018). Villes sobres. Nouveaux modèles de gestion des ressources, Paris, Sciences Po Les Presses, p. 18-20.).

Dans un tel contexte, depuis une quinzaine d’années, les initiatives locales, dans les différents pays du Nord comme du Sud, se multiplient pour faire face aux défis de la transition écologique. Elles portent sur des domaines variés : mise au point de programmes de constructions neuves permettant d’atteindre des performances toujours plus ambitieuses en matière d’économies d’énergie ; mobilisation des innovations technologiques dans le cadre de projets de développement urbain durable (smart grids) ; politiques de mobilité durable ; recherche d’une intégration plus poussée entre planification énergétique et planification territoriale. Elles participent d’une stratégie de « réappropriation locale » qui prend selon les pays et les villes deux formes :

la « remunicipalisation », après une période de privatisation qui a débuté dans les années 1980, de la production et de la distribution de l’énergie, avec, par exemple, un renforcement du rôle des Stadtwerke dans de nombreuses villes allemandes ;

l’émergence de « projets citoyens » ou communautaires (création de coopératives) visant à faire des usagers des acteurs des politiques de transition, voire même des producteurs d’énergie (Rudiner, 2016[3]Rudiner A. (2016). La réappropriation locale de l’énergie en Europe. Une étude exploratoire des initiatives publiques en Allemagne, en France et au Royaume-Uni, Energycities, ADEME, p. 11-14.).

Ces initiatives et stratégies concourent à l’émergence, à côté des grands réseaux techniques qui visent au service universel et sont organisés sous forme de monopole, de petits systèmes décentralisés, qui cherchent à mettre sur pied à l’échelle du bâtiment, de l’îlot ou du quartier, une gestion intégrée de la production (cogénération) et de la distribution (compteurs intelligents ou smart meters, circuits d’échanges courts ou cascades) de l’énergie. Cette émergence conduit à une remise en cause des principes sur lesquels fonctionnent les grands réseaux, notamment celui des économies d’échelle comme fondant l’efficacité économique et celui de la séparation entre le bâtiment (privé) et la rue (public) (Lorrain, Halpern, Chevauché, 2018[4]Op. cit., p. 20.).

Certains analystes n’hésitent pas à voir dans ces systèmes énergétiques décentralisés, qui naissent au croisement des nouvelles technologies de l’énergie et de celles de l’information, la préfiguration d’un rôle nouveau pour les citoyens, voire d’une reconfiguration du modèle économique capitaliste, reconfiguration fondée sur une plus grande coopération entre les acteurs (Rifkin, 2013[5]Rifkin J. (2013). The third industrial revolution: how lateral power is transforming energy, the economy and the world, New York, Palgrave, Macmillan.). D’autres, moins prophétiques sans doute, appellent de leurs vœux une description fine des expériences en cours pour esquisser un modèle de « ville sobre », qui se présente comme une troisième voie entre la décroissance et le business as usual, et qui tente de minimiser les effets du développement économique et urbain sur l’environnement et sur les ressources naturelles (Lorrain, Halpern, Chevauché, 2018[6]Op. cit.).

C’est dans cette seconde perspective que s’inscrit notre recherche, qui porte sur l’étude de la reconfiguration des stratégies de planification territoriale et des démarches de projets urbains, dans la perspective d’une prise en compte des objectifs de transition énergétique. Cette recherche porte sur trois villes (Bristol en Angleterre, Fribourg-en-Brisgau en Allemagne et Grenoble en France) qui peuvent être considérées comme pionnières en matière de développement durable et de lutte contre le changement climatique.

Dans cet article, qui synthétise les principaux résultats de notre recherche, nous nous attacherons tout d’abord à identifier :

les contraintes (impact des politiques nationales et régionales sur le soutien aux économies d’énergie et de promotion des énergies renouvelables ; situation géographique des villes et dispositions de leur site) auxquelles doivent faire face les acteurs locaux ;

et les ressources (naturelles, économiques, sociales et culturelles) qu’ils peuvent mobiliser lors de la construction de stratégies territoriales de transition énergétique.

Nous procéderons ensuite à une analyse de la manière dont les trois villes articulent les différents outils à leur disposition (plans territoriaux à l’échelle métropolitaine et locale, plans et programmes sectoriels, projets urbains opérationnels) pour construire ces stratégies de transition. À cette occasion, nous mettrons l’accent sur les spécificités des stratégies propres à chacune de ces villes.

Nous nous intéresserons enfin à la gouvernance de ces stratégies en faisant l’hypothèse qu’elles constituent ce que E. Friedberg appelle des « systèmes d’action concrets », qu’il définit comme des ensembles organisés d’institutions, d’acteurs, d’outils, de pratiques et de règles (Friedberg, 1993[7]Friedberg E. (1993). Le pouvoir et la règle. Dynamiques de l’action organisée, Paris, Le Seuil.). Nous examinerons plus particulièrement le rôle différencié que jouent les institutions publiques, les acteurs économiques privés, les communautés d’usagers et les associations d’habitants dans cette gouvernance. Et, en conclusion, nous reviendrons sur le caractère inclusif de stratégies territoriales de transition énergétique et nous nous demanderons si elles peuvent favoriser une implication non seulement des acteurs politiques et économiques, mais aussi des habitants et des usagers.

Une méthodologie de recherche
au croisement du quantitatif et du qualitatif

L’analyse des stratégies et projets de transition énergétique menées par trois villes européennes (Bristol, Fribourg-en-Brisgau et Grenoble) a été conduite dans le cadre d’une recherche financée par le Conseil Français de l’Énergie, réalisée entre 2014 et 2016, et qui s’est appuyée sur un partenariat entre ENERDATA, bureau d’études économiques spécialisé dans le secteur de l’énergie, et des chercheurs des laboratoires de sciences humaines et sociales PACTE, d’architecture et d’urbanisme AE&CC, et de génie électrique G2E Lab.

Dans un premier temps, nous avons réalisé une analyse comparative de vingt villes européennes. Cette analyse a pris en considération les liens et relations existant entre les caractéristiques territoriales (cadre géographique, ressources naturelles disponibles, climat, compacité ou diffusion de l’urbanisation), les dynamiques socio-économiques de ces villes et l’émergence de stratégies de gestion décentralisée de l’énergie. À ce stade, les singularités locales nous ont permis d’observer une grande diversité dans les actions de politique énergétique, car les villes européennes sont informatrices et incitatrices. Elles peuvent être à la fois consommatrices d’énergie, productrices, distributrices ou gestionnaires, avec une diversification dans la production énergétique, dans les modes de distribution ou dans la gestion des réseaux énergétiques : « Les villes, et les territoires urbanisés, sont certainement la clé de la transition énergétique dans la mesure où ils représentent les pôles de consommation les plus émetteurs et regorgent d’atouts et de main-d’œuvre pour développer des solutions locales et adaptables. » (Masboungi, 2014[8]Masboungi A. (2014). L’énergie au cœur du projet urbain, Paris, Le Moniteur, p. 6.).

Dans un second temps, nous avons étudié, à Bristol, Fribourg-en-Brisgau et Grenoble, les stratégies de la planification territoriale et les projets urbains dont l’objectif est de favoriser la transition énergétique. Ce travail est fondé :

sur l’analyse de documents portant sur les politiques énergétiques nationales et régionales et sur l’étude des plans territoriaux et des projets urbains emblématiques à l’échelle locale ;

sur des entretiens avec les élus, techniciens, architectes, urbanistes, ingénieurs, universitaires, habitants ;

sur des visites d’opérations architecturales et urbaines.

L’analyse des projets et stratégies a été conduite avec une approche en entonnoir : de la situation des pays (systèmes politiques et administratifs, politiques énergétiques et acteurs nationaux) aux planifications et politiques énergétiques régionales, jusqu’au contexte particulier des collectivités territoriales, politiques locales d’urbanisme et de l’énergie et projets urbains emblématiques. L’analyse menée accorde autant d’importance à l’observation, à la description qu’à l’analyse. Elle cherche à montrer les relations plus que les oppositions qui peuvent exister entre stratégies de planification métropolitaine et mises en œuvre de projets urbains locaux.

Les facteurs d’émergence des stratégies territoriales
de transition énergétique

La transition énergétique fait partie des politiques de l’Union Européenne, et cette dernière a mis en place des incitations qui ont été reprises différemment par les gouvernements nationaux et, dans les pays fédéraux, par les autorités régionales. L’Allemagne est sans conteste le pays qui s’est engagé, de la manière la plus volontaire, dans la promotion des énergies renouvelables, alors qu’au Royaume-Uni, pays qui dispose des ressources pétrolières de la Mer du Nord, et en France, où le nucléaire assure 80 % de la production énergétique, priment des initiatives prises par les autorités locales qui, pour une partie d’entre elles, sont souvent présentées comme exemplaires par les analystes des politiques énergétiques. Il convient donc de se demander si ce caractère exemplaire est lié à des différences qui tiennent aux spécificités (géographiques, sociales et économiques) du contexte local.

Les contextes nationaux et régionaux

Les trois pays étudiés, France, Royaume-Uni et Allemagne, partagent les objectifs de l’Union Européenne, pour faire en sorte que les ressources soient utilisées plus efficacement ; pour limiter les émissions de carbone tout en prévenant la dégradation de l’environnement et de la biodiversité ; et pour renforcer la compétitivité de l’économie. Cependant, la réalisation de ces objectifs s’inscrit différemment dans les politiques nationales des trois pays observés : « Le Royaume-Uni est dépendant à 42 % de ses importations (données 2012, Eurostat)… Sa production énergétique est proche de celle de la France ou de l’Allemagne (de l’ordre de 110-130 millions de tonnes équivalent pétrole), mais le modèle britannique est radicalement différent. Si la France produit essentiellement une énergie nucléaire (plus de 80 %), cette part n’est que de 13,5 % au Royaume-Uni, contre 70 % pour les hydrocarbures. Si le charbon et ses dérivés (notamment le lignite) représentent environ 45 % de l’énergie produite en Allemagne, ils ne constituent plus que 10 % de la production britannique » (Bailoni, 2014[9]Bailoni M. (2014). « Les évolutions du modèle énergétique britannique face aux enjeux géopolitiques internes », Vertigo, vol. 14, n° 3.).

Ainsi, en France, malgré l’extension des pouvoirs des collectivités territoriales, l’État garde la maîtrise des grands programmes d’investissement (autoroutes, TGV, centrales nucléaires…). L’investissement dans le nucléaire est aussi une singularité, avec parmi les acteurs de l’énergie, Électricité de France, qui est un acteur déterminant dans les choix d’une politique qui se traduit aujourd’hui par une place prépondérante du nucléaire dans la production d’électricité (78 %) qui, combiné à l’hydraulique (12 %), assure donc 90 % de production d’électricité sans émission de gaz à effet de serre (ministère de l’Écologie, de l’Énergie et du Développement durable, France, 2015). Il faut attendre les lois Grenelle (2009 et 2010) et la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (2015) pour que la France reconvertisse une partie de son modèle énergétique.

Le Royaume-Uni, qui lui aussi est un pays centralisé, a construit son modèle énergétique sur la mise en valeur de ses ressources en privilégiant le charbon, puis le gaz et le pétrole de la Mer du Nord. Si ces ressources ont contribué à son indépendance énergétique, elles s’épuisent et, depuis 2004, le Royaume-Uni est devenu importateur de gaz puis de pétrole. Aujourd’hui, le Royaume-Uni affiche un objectif de low carbon transition, qui préconise la mise en place d’un mix énergétique qui associe les renouvelables, le nucléaire et les gaz de schiste. Toutefois, des prémices de relance du nucléaire sont identifiables avec le rachat, en 2008, de British Energy par Électricité de France et l’annonce, en 2013, de la création d’une douzaine de nouvelles centrales. (Dans la suite de notre article nous présentons plus particulièrement la situation de l’Angleterre car elle diffère de la situation du Royaume-Uni).

A contrario, dans la République Fédérale Allemande, l’industrie électrique n’est pas structurée autour d’une grande entreprise, mais autour d’entreprises régionales, E.ON (Prusse et Bavière), RWE (Rhénanie et Westphalie) et EnBW (Bade-Wurtemberg), qui ont développé des monopoles territoriaux en relation directe avec le découpage des Länder. Ce sont des entreprises cotées en bourse, mais gérées par les réglementations publiques de leur Land, qui est actionnaire principal. De plus, le renoncement allemand au nucléaire a nécessité un tournant (Energiewende), entraînant un défi sociétal et un projet économique. La transition énergétique a nécessité l’acceptation sociétale d’une politique fondée, d’une part, sur l’augmentation des factures d’énergie pour les citoyens et les industries, d’autre part, sur la fermeture de toutes les centrales nucléaires d’ici 2022. Cette transition se fait aujourd’hui avec des centrales thermiques, utilisant gaz et charbon.

Dans ces trois pays, des politiques nationales de transition énergétique sont engagées (tableau 1) mais se poursuivent à des rythmes différents, à cause notamment du poids des lobbys (du nucléaire en France, des hydrocarbures en Angleterre). Ces politiques sont relayées par les Lander en Allemagne, dans une moindre mesure par les régions en France. Ainsi Fribourg a trouvé un appui auprès du Land du Bade-Wurtemberg qui dispose d’une large marge de manœuvre avec des politiques régionales qui favorisent le recours aux énergies renouvelables et les économies d’énergie, et Grenoble a su tirer parti des mesures du Schéma régional climat air énergie approuvé en 2014 par la région Rhône-Alpes. Mais en Angleterre, après le vote en 2011 par la nouvelle majorité conservatrice du Localism act, la planification régionale a été laissée à la libre initiative des autorités locales qui peuvent se fédérer dans le cadre de Combined Authorities.

Contraintes et ressources liées au contexte local

Les trois villes européennes, sur lesquelles a porté notre recherche, si elles ont comme trait commun de s’être engagées dans des actions innovantes pour la transition énergétique, s’inscrivent dans des contextes territoriaux différents (figure 1).

Cadre géographique et formes urbaines

Située dans le Sud-Est de la France, Grenoble (405 156 habitants) est localisée à l’écart des grands axes de circulation (qu’ils soient routiers, autoroutiers ou ferroviaires). Cette situation d’enclavement a été présentée comme une contrainte avec laquelle les acteurs locaux ont dû compter pour développer leurs entreprises (Blanchard, 1935[11]Blanchard R. (1935). Grenoble. Étude de géographie urbaine, Grenoble, Didier et Richard.). Un fond de vallée, à la confluence de l’Isère et du Drac, entouré par trois massifs montagneux (figure 2), constitue un site qui comporte des handicaps (étroitesse de la plaine empêchant une urbanisation en tache d’huile, présence d’eau dans le sous-sol, barrières constituées par les rivières) qui ont façonné l’urbanisation. Le manque d’espace explique la nécessité d’intensifier l’urbanisation, ce qui se traduit à la fois par un indice de compacité (3 673 habitants par km2) et surtout une densité (8 500 habitants par km2) élevés. L’agglomération se caractérise par une juxtaposition de tissus urbains (centre historique, immeubles en copropriété, maisons individuelles, grands ensembles, zones d’activités), donnant naissance à un paysage hétéroclite.

Figure 2. Site de Grenoble (source : Grenoble Alpes Métropole, Écocité grenobloise, 2011[12]Grenoble-Alpes Métropole. (2011). Écocité grenobloise. Vivre la ville post-carbone dans les Alpes.).

Située dans le Sud-Ouest de l’Angleterre, Bristol (440 000 habitants en 2014) occupe, dans un paysage de collines, le fond de la vallée de la rivière Avon et est bien reliée aux grands axes internationaux de circulation. Le cadre géographique de Bristol apparaît donc favorable au développement, et les contraintes liées à sa situation géographique sont peu prégnantes (figure 3). Quant aux formes urbaines, Bristol s’est urbanisée en adoptant une typologie propre aux villes anglaises, à savoir la maison en bande. Bristol se situe en effet dans une situation intermédiaire : « The proportion of detached housing in the city is much lower than the South West average. The proportion of terraced housing (found particulary in the inner suburbs) and flats or converted house (found particulary in the city centre) is much higher than the South West average » (Bristol City Council, 2011[13]Bristol City Council. (2011). Bristol Development Framework Core Strategy, p. 9). Cette situation est confirmée par les analyses menées à partir des bases de données Corine Land Cover et Eurostat (2006) : Bristol constitue le pôle urbain principal d’un territoire encore majoritairement agricole, avec une zone centrale urbaine relativement étendue par rapport au nombre d’habitants (avec un indice de compacité[14]Rapport entre la population et la surface de la zone centrale. de 1 639 habitants par km2 et une densité de 3 900 habitants par km2).

Située dans le Sud-Ouest de l’Allemagne, Fribourg-en-Brisgau est une ville moyenne (220 286 habitants) localisée dans la vallée du Rhin, au pied du massif de la Forêt Noire. Elle appartient à un des principaux couloirs de transports à l’échelle européenne (figure 4). La ville comprend à la fois une zone de plaine et des coteaux. Elle fait partie d’un chapelet de villes moyennes le long de la vallée du Rhin. La forme urbaine témoigne d’une dualité : l’indice de compacité (calculé pour la seule zone centrale) est de 3 558 habitants au km2, alors que la densité au niveau de l’ensemble de la commune) est de 1 400 habitants au km2. À côté du centre historique, qui a fait l’objet depuis les années 1950 d’une requalification, se sont développées des extensions constituées de petits immeubles ou de maisons. Fribourg est « une ville organique, à croissance lente, qui a dû affronter peu de changements structurels ou de ruptures fortes, par rapport aux agglomérations de la Ruhr » (Mayer, 2013, p. 21[16]Mayer A. (2013). Les écoquartiers de Fribourg. 20 ans d’urbanisme durable, Paris, Le Moniteur.).

Ressources économiques et sociales

La situation géographique explique, pour partie au moins, l’existence ou la non-existence de ressources énergétiques particulières. Grenoble, localisée au pied des montagnes, est depuis le XIXe siècle un lieu particulièrement propice pour l’utilisation de la force liée aux chutes d’eau, qui fait tout au long de la première moitié du XXe siècle la richesse de la ville (papeteries, fonderies, chimie). Bristol, située sur la côte atlantique de l’Angleterre, dispose d’une bonne exposition aux vents, ce qui permet d’envisager des installations éoliennes. Quant à Fribourg, un peu moins de la moitié de son territoire est couvert de forêts, ce qui lui permet une valorisation de la biomasse, et des possibilités existent quant à l’utilisation du vent. Cependant, les dotations en ressources naturelles ne semblent pas avoir eu d’effets déterminants sur l’engagement des villes dans la transition énergétique et elles n’expliquent pas, à elles seules, le fait de privilégier tel ou tel type de ressource renouvelable.

Les trois villes ont en commun leur passé industriel et ont dû affronter avec des succès variés des reconversions économiques. Bristol et Fribourg ont su prendre le tournant de la tertiarisation et constituent des agglomérations attractives : entre 2008 et 2011, le taux annuel de croissance de l’emploi salarié continue d’être positif (autour de 1,5 %) et le solde migratoire (2007-2012) est respectivement de 1,7 % et de 5,9 %. À Grenoble, a contrario, les indicateurs sont plus mitigés : la croissance de l’emploi est négative (-0,27 %) et le solde migratoire n’atteint que 0,8 %. Si ces trois villes ont joué la carte du développement du tertiaire (la part des services dits supérieurs dans l’emploi est, en 2011, de 16,8 % à Bristol, de 14,5 % à Fribourg et de 16,1 % à Grenoble), elles ont construit des stratégies de développement plus ou moins diversifiées[18]Les données statistiques ont été élaborées, dans le cadre de la recherche ENERDATA, par Magali Talandier à partir de la base de données Eurostat..

À Grenoble, la volonté de privilégier l’innovation scientifique et technologique, si elle s’est traduite par une croissance des emplois dans la conception et la recherche, n’a pas permis de faire face au déclin des emplois industriels, amorcé dès les années 1975 (Novarina, 2011[19]Novarina G. (2011). « Verso la città dell’innovazione ? L’area metropolitana di Grenoble», Stato e Mercato, n° 93, p. 395-420.; Novarina et Seigneuret, 2015[20]Novarina G, Seigneuret N. (2015). De la technopole à la métropole ? L’exemple de Grenoble, Paris, Le Moniteur.). Bristol, si elle met en avant le niveau de formation de ses habitants (34,5 % ont un diplôme supérieur contre 29 % à l’échelle nationale), la présence de l’université et le nombre de ses étudiants (54 000), insiste par ailleurs sur la diversité ethnique et culturelle et la richesse de son patrimoine qui en font une « vibrant city » (Bristol City Council, 2011[21]Op. cit.). Fribourg, qui compte elle aussi une université et des laboratoires de recherche, est devenue un lieu de visite dans la vallée du Rhin, liée à la qualité de la restauration de son centre-ville et des politiques d’apaisement du trafic automobile à partir de 1990. Cette attractivité touristique ne s’est pas depuis démentie et a même été renforcée par la création des écoquartiers de Vauban et Rieselfeld qui accueillent aujourd’hui 25 000 visiteurs par an (Mayer, 2013[22]Op. cit., p. 9).

Le dynamisme plus ou moins fort de ces trois villes est moins lié à la présence de fonctions dites métropolitaines, au premier rang desquelles l’enseignement supérieur et la recherche, qu’à leur capacité à lier création d’entreprises et d’emplois dans le secteur productif et développement d’une économie résidentielle, liée notamment à la qualité de la ville et à un aménagement soigné des lieux qui l’accueillent. Alors que Bristol se veut « vibrant » et que Fribourg revendique une « douceur de vivre », Grenoble continue à se définir comme une « ville de l’innovation[23]L’idée de ville de l’innovation renvoie à la présence d’activités de recherche et de nouvelles technologies relevant de ce que l’INSEE dénomme les « fonctions métropolitaines » et à une approche strictement économique de l’attractivité. L’idée de « vibrant economy » s’inscrit dans une volonté de dépasser cette approche et donne lieu, de la part de consultants anglo-saxons, à la mise au point d’indicateurs prenant en compte la qualité de la vie et le bien-être. Le cabinet d’audit et de conseil Grant Thomson définit la « vibrant economy » comme « one that goes beyond financial returns and takes into account the wellbeing of society and everybody’s ability to thrive ». ».

Les stratégies territoriales de transition énergétique
et leurs contenus

Les contextes géographiques (une vallée étroite dans les Alpes, la vallée du Rhin, un estuaire en bordure de l’Atlantique) dans lesquels s’inscrivent les trois villes étudiées, sont différents ; cependant, les densités sont voisines et l’urbanisation est constituée par la juxtaposition de centres urbains denses et de zones périphériques plus diffuses. Il y a là une confirmation de l’absence de relation directe entre compacité des formes urbaines et priorité donnée à la durabilité dans les politiques : « Une ville étalée peut être durable, tandis qu’une ville compacte peut ne pas l’être. Si par exemple les villes méditerranéennes, pour la plupart, font face à une congestion de la ville centre et à un mitage du périurbain, les villes d’Europe du Nord sont, quant à elles, davantage confrontées à une désaffection des centralités urbaines au profit de zones périurbaines étalées » (Laigle, 2007[24]Laigle L. (2007). « Les villes durables en Europe : enjeux et perspectives », dans Villes durables en Europe. Entre enjeux de territoires et objectifs de développement durable, CSTB, PUCA, dossier Premier Plan, n° 15, p. 3-7.). Les acteurs locaux savent en effet dépasser de telles contraintes et mobiliser les ressources à leur disposition aux niveaux européen, national, régional et local pour construire des stratégies innovantes.

L’Eco-Cité grenobloise :
innovations technologiques et démonstrateurs

La région urbaine de Grenoble présente une forte potentialité de développement de projets énergétiques durables, dont les pouvoirs publics ont conscience. Un dynamisme technologique et d’innovation et une forte disponibilité pour la mise en œuvre des projets d’énergie décentralisée se retrouvent auprès des trois acteurs majeurs que sont l’opérateur énergétique local, Gaz Électricité de Grenoble, les pouvoirs publics, la ville de Grenoble, Grenoble-Alpes Métropole et les organisations publiques spécialisées dans l’énergie (figure 5). Autour de ce tissu favorable, de nombreuses PME ainsi que des start-up se sont développées. « La complémentarité des acteurs grenoblois entre les industriels de l’énergie, les laboratoires de recherche à la pointe de la technologie et les PME innovantes, dégage des conditions extrêmement favorables à l’avancée des nouvelles technologies principalement dans le domaine de l’énergie et de l’électricité » (Rey, 2013[25]Rey M. (2013). « Grenoble fait le pari des énergies vertes », L’Entreprise, n° 319, p. 64-67.).

La politique urbaine s’est renouvelée autour des questions énergétiques avec des projets démonstrateurs localisés. En premier lieu, la démonstration a été conduite conjointement sur un quartier neuf, l’écoquartier de Bonne, et une opération programmée d’amélioration thermique et énergétique des bâtiments sur un quartier existant, les Grands Boulevards. Une conjonction d’intérêts techniques et politiques locaux s’est alors concrétisée dans un dispositif complet, qui s’est appuyé sur les innovations technologiques réalisées dans ces deux opérations urbaines, sur un guide de préconisations pour une Haute Qualité Environnementale Architecturale et Urbaine, annexé au Plan Local d’Urbanisme et sur un outil de communication et de valorisation des projets démonstrateurs, la Biennale du développement durable. En second lieu, la démonstration a porté sur la Presqu’île scientifique avec un projet urbain, préfiguration de la « ville post carbone » (figure 6). Ce projet a développé de manière prioritaire des innovations technologiques pour une « ville sobre » et une « ville apaisée », avec à l’échelle d’îlots urbains intégrés, la gestion coopérative de l’énergie et une approche globale de la mobilité. (Seigneuret, 2015[26]Seigneuret N. (2015), Développement durable, analyse comparative (rapport de recherche pour le ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire, POPSU, Paris).). Cette orientation techniciste répondait à la fois aux critères fixés par le gouvernement pour le financement de l’ÉcoCité grenobloise et au poids du milieu scientifique local pour innover avec un laboratoire territorial d’expérimentation restreint et dans un jeu d’acteurs non inclusif.

Cependant, au-delà de la construction d’une vitrine technologique, le projet Presqu’île a permis d’initier et de rendre concrète une stratégie métropolitaine en cours de redéfinition depuis la transformation, au 1er janvier 2015, de la communauté d’agglomération en métropole. Ce changement institutionnel a pour conséquent un élargissement des compétences de l’intercommunalité au détriment des communes : « Le transfert de ces compétences confère à la métropole un statut d’autorité organisatrice de la distribution d’énergie sur son territoire. Elle apparaît alors comme l’échelon pertinent pour mettre en œuvre la transition énergétique » (entretien collectivité territoriale ; technicien ; Grenoble ; 2015). Grenoble-Alpes Métropole se propose de reproduire ce type de projet sur l’ensemble du territoire métropolitain avec des objectifs élargis : lors de la candidature « ÉcoCité 2 » (2015) à la recherche de l’efficacité et de la sobriété énergétique sont venus s’ajouter la volonté d’ouvrir le jeu des acteurs et le souhait d’aider les consommateurs à mieux contrôler leurs dépenses d’énergie et à devenir des producteurs.

La métropole a également l’obligation d’élaborer un Plan Local d’Urbanisme intercommunal (PLUi) qui doit remplacer, le 31 décembre 2019, les 49 plans communaux. Pour son élaboration, une idée forte met en relation étroite planification territoriale et énergétique : le Green New Deal. L’expression a vu le jour, pour la première fois, en 2007, dans le New York Times et elle a été reprise par le nouveau maire écologiste de Grenoble en 2015 lors d’une réunion de l’Association des maires des grandes villes de France sur le thème Climat, territoires et moyens financiers : « Au lieu d’imposer une austérité préjudiciable au niveau social et environnemental, le Green New Deal propose de re-réguler l’industrie financière et de canaliser d’importantes sommes d’argent vers des investissements verts avec une stratégie globale ». Le PLUi synthétise les réflexions engagées dans le cadre du Plan air énergie climat (2014), d’une part, du Projet d’agglomération (2007 et 2012) de l’autre. Comme il est rappelé dans les « Eléments pour un débat sur les orientations générales du projet d’aménagement et de développement durable » (2016[27]Grenoble-Alpes Métropole. (2016). Éléments pour un débat sur les orientations générales du Projet d’aménagement et de développement durable. Plan local d’urbanisme intercommunal.), ce PLUi fait de la transition écologique l’objectif principal du plan et adopte une organisation polycentrique de l’agglomération.

Spatial strategy et sustainable development à Bristol

À Bristol, qui est le pôle urbain principal de l’Ouest de l’Angleterre, le Development Framework Core Strategy (2011), qui constitue la partie stratégique du plan d’urbanisme, prévoit une poursuite de la croissance (+26 % entre 2006 et 2026). Le Bristol City Council se propose d’accompagner ce développement pour éviter qu’il se traduise par une dégradation de l’environnement (rivières et canaux), des paysages (nombreux parcs et jardins) et du patrimoine (centre médiéval, quartiers géorgiens et victoriens, port et ses établissements industriels). La qualité des lieux est en effet à la fois considérée comme un élément de la qualité de vie des populations et comme un facteur d’attractivité. Les orientations du plan d’urbanisme sont mises en œuvre à la fois par le biais de stratégies sectorielles et par quelques grands projets urbains (figure 7). Les objectifs retenus par la ville sont le développement durable de son économie, la régénération des anciens quartiers industriels, la mise en réseau des infrastructures vertes, le renforcement de centralités de proximité et en matière de mobilité ; les actions envisagées visent à un meilleur fonctionnement du réseau existant de bus.

Dans le domaine de l’énergie, la stratégie mise en place s’appuie sur un mix de trois sources d’énergie : l’éolien, la production de chaleur et d’électricité à partir de la combustion des ordures, et la biomasse (Centre for Sustainable Energy, 2009[29]Bristol Centre for Sustainable Energy. (2009). Bristol Citywide Sustainable Energy Study.). Cette volonté de diversifier les énergies utilisées pour la production d’électricité et le chauffage est facilitée par l’existence d’un réseau local de chaleur (district heating), dont est prévue une extension. Le fonctionnement de ce réseau suppose à la fois la mobilisation des ressources existantes (exploitation des forêts, bois de récupération, développement des cultures de saules) et l’utilisation de ressources non locales mais non polluantes (gaz notamment). En matière d’économies d’énergie dans le cadre de la construction, la stratégie propose un scénario plus ambitieux que la réglementation nationale (Building Regulation Proposal), un scénario qui permettrait 28 % de réduction supplémentaire des émissions de carbone, et ce pour une augmentation des coûts de construction de 7 %.

Parmi les projets en cours dans l’agglomération de Bristol, celui qui intègre de la manière la plus complète les dimensions environnementales et énergétiques est sans conteste Avonmouth Severnside. Le projet de requalification porte sur 650 hectares et donne la priorité aux activités liées aux énergies renouvelables (éolien) et au traitement des ordures dans la perspective de la cogénération énergétique. Le projet, qui intègre les exigences liées à la transition énergique, porte sur une zone où la logistique est prépondérante. L’objectif affiché est de conforter cette vocation, dans la perspective du renforcement du rôle du port. Avonmouth Severnside joue un rôle de développement complémentaire à celui d’une autre Enterprise area, localisée à proximité de la gare centrale, Bristol Temper Quarter (70 hectares). Une complémentarité est donc recherchée entre accueil de nouvelles entreprises innovantes et confortation des activités existantes de l’industrie et de la logistique (figure 8).

La ville des courtes distances à Fribourg :
une stratégie intégrée

Fribourg-en-Brisgau est une des villes précurseuses au sein du Bade-Wurtemberg, dans la construction de la politique énergétique, Energiewende. « L’économie et la recherche énergétique et environnementale ont un rôle particulièrement important à Freiburg. Avec ses 12 000 emplois dans 2 000 entreprises, ce secteur produit environ 650 millions d’Euro de revenus et contribue à l’image positive de la région. Dans le seul secteur de l’économie solaire, le nombre d’emplois atteint le triple ou le quadruple de la moyenne fédérale allemande. » (Entretien collectivité territoriale – technicien ; Freiburg, 2015).

La planification territoriale et la transition énergétique sont en interrelation et s’appuient sur une stratégie d’ensemble d’équilibre énergétique, portée par une vision (Leitbild) partagée et qui travaille à l’articulation de plusieurs exigences : une organisation de l’armature urbaine qui vise à produire une ville compacte et sobre ; une politique de mobilité qui a pour objectif une ville des courtes distances ; le respect de la nature en ville et le principe d’une ville partagée et inclusive qui suppose la participation des habitants à la conception des projets puis à l’animation du quartier et à la gestion de la sociabilité dans les espaces publics.

Cette stratégie repose sur des implantations multiples de projets qui reprennent à leur compte les principes d’aménagement mis au point dans le quartier Vauban. Médiatisé, c’est la preuve dont dispose la ville pour présenter à ses habitants et à ses visiteurs, une articulation réussie entre planifications territoriale et énergétique. Les savoir-faire développés sur ce quartier ont été appliqués à la construction neuve et à la requalification de quartiers résidentiels et de zones d’activités, à partir d’un référentiel énergétique propre à Fribourg, avec des critères de consommation énergétique plus ambitieux que les exigences nationales. Ce standard (Freiburger Effizienzhausstandard) s’applique à tous les bâtiments publics ou privés, quelle que soit leur destination. Il est inscrit dans les documents d’urbanisme et dans les contrats de ventes. Pour les constructions neuves, l’orientation et l’emplacement des bâtiments sont définis pour une optimisation solaire, la construction au standard passif et le raccordement obligatoire à une centrale de cogénération. Pour les constructions existantes, lors des rénovations, l’isolation des bâtiments, une rénovation au standard passif et le raccordement à une centrale de cogénération sont recherchés (figure 9). Freiburg n’a pas un réseau de chauffage urbain unique mais une multitude de centrales de cogénération de tailles diverses et décentralisées auxquelles se raccordent les projets.

Les instruments de gestion urbaine, les règles de construction et d’urbanisme et les projets urbains exemplaires constituent des leviers essentiels de la fabrication de la ville compacte et énergétiquement efficiente. Ainsi, le cadastre de la ville joue le rôle d’un cadastre énergétique, il permet une modélisation énergétique avec l’identification de plusieurs variables de consommation énergétique, compte tenu des infrastructures et des centrales existantes et à venir. « Basées sur le cadastre, l’extension et l’optimisation des réseaux de chauffage existants sont développées dans le cadre d’une stratégie de l’accroissement de l’efficience énergétique et du couplage chauffage-électricité à Fribourg. On a pu dégager des scenarios, en lien avec le développement économique, davantage progressif ou davantage défensif, mais aussi en lien avec le développement du prix de l’énergie… Et à partir de là, on a développé des stratégies, par exemple : “je mise plus sur les énergies renouvelables, je mise plus sur la cogénération et les réseaux de chaleur ou je mise plus sur la rénovation énergétique et la maîtrise de la demande…” » (entretien collectivité territoriale – technicien ; Freiburg, 2015).

Le développement des énergies renouvelables est plus important dans cette ville qu’à Bristol et Grenoble, avec un jeu d’acteurs très inclusif, un renoncement partagé de l’énergie nucléaire et en conséquence une recherche collective d’efficience énergétique. « Ça veut dire qu’on a une grande diversité d’acteurs, de stakeholders, très spécialisés sur ce thème et qui apportent aussi beaucoup d’expertise. Et, dans le même temps, une population qui s’intéresse beaucoup au problème et qui porte dans sa mémoire collective l’idée que ça vaut la peine de s’accoler à la politique car on peut exercer une influence. » (entretien collectivité territoriale – élu ; Freiburg, 2015). À Fribourg, la transition énergétique a permis le développement de technologies avancées dans le bâtiment et l’établissement d’un business-model et des coopératives citoyennes, productrices d’énergie, plus actives qu’à Bristol (et absentes à Grenoble).

La stratégie urbaine est partagée. Le consensus politique, tout comme l’acceptation sociale, est construit sur la base d’une démarche plus ambitieuse qu’une simple concertation avec les habitants lors de l’élaboration des orientations stratégiques (figure 10). « Pour les décisions stratégiques, les communes de l’Allemagne du Sud ont une loi fondamentale (Gemeindeordnung) selon laquelle les décisions au conseil municipal doivent être conclues avec tous les partis représentés. Ça va au-delà de la grande coalition, c’est une implication de tous les partis. À Fribourg, depuis presque vingt ans, il y a quasiment toujours une unanimité ou grande majorité pour les programmes écologiques. Il y aussi des prises de décision conflictuelles, il y a aussi des conflits, mais l’appartenance partisane n’en est pas l’origine. » (entretien collectivité territoriale – technicien ; Freiburg, 2015).

Et demain, la volonté de « mettre le cap vers une commune climatiquement neutre en 2050 », (« Weichen stellen für die Klimaneutrale Kommune 2050 ») (Freiburg-Im-Breisgau, 2017[31]Freiburg-Im-Breisgau. (2017). Weichen stellen für die Klimaneutrale Kommune.), nécessitera une autonomie énergétique centrée sur les énergies renouvelables, toujours plus de performance énergétique lors de la rénovation des bâtiments anciens qui représentent 80 % du patrimoine bâti, et une recherche accrue dans un système d’approvisionnement performant. « Les objectifs sont clairs, le chemin, lui, n’est pas totalement dégagé. Le chemin, à mon avis, c’est toujours une manière de tester et de s’adapter. C’est ce que nous remarquons lors de nos projets : nous faisons un pas en avant et nous remarquons quelles sont les motivations des gens, ou quelles sont les possibilités techniques ou organisationnelles, nous butons contre des obstacles que nous n’avions pas pris en considération auparavant et nous devons nous adapter. Et je pense que ça va se passer comme ça dans le futur, il n’y a pas de route rectiligne, en quelque sorte, de A à B » (entretien Agence de l’énergie ; Freiburg, 2015).

Dans les relations entre planification stratégique et projets urbains, ce qui distingue nos trois cas d’études, ce sont le caractère plus ou moins intégré de la planification territoriale durable (Chartes d’écologie, Agendas 21), l’articulation plus ou moins volontariste des planifications territoriales (plans thématisés, plans localisés et Schémas de cohérence territoriale) et des planifications énergétiques (bilans et schémas énergétiques, Plans air climat énergie territoriaux) et le passage, plus ou moins réussi, des stratégies aux projets (ÉcoQuartiers, ÉcoCités). Par la suite, les innovations technologiques et sociales explorées tendent toutes à résoudre la difficile équation qu’impose le paradigme d’un développement urbain durable : à la fois renforcer l’efficacité économique, préserver les ressources naturelles et améliorer la situation sociale des populations, le tout dans un contexte de raréfaction de l’argent public.

Les acteurs de la transition énergétique

La volonté des autorités locales de construire des stratégies plus ou moins intégrées pour favoriser la transition énergétique s’explique principalement par les caractéristiques des acteurs impliqués dans la conception et la mise en œuvre des politiques locales. Dans certains cas, une grande confiance est accordée aux spécialistes de la production, de la distribution et de la gestion de l’énergie, et les innovations technologiques sont perçues comme un moyen privilégié pour renforcer l’efficacité des stratégies. Dans d’autres cas, les autorités locales recherchent l’implication, à côté de ces experts, d’autres acteurs économiques et d’investisseurs privés, comme des habitants. Cet élargissement de la participation peut s’opérer dans le cadre de stratégies intégrées fondées sur une meilleure articulation entre planification territoriale et politique énergétique ou, au contraire, de stratégies plus opportunistes basées sur des accords et de partenariats autour d’objectifs précis.

Grenoble : innovations technologiques
et mobilisation des experts

Grenoble a été reconnue au niveau national tout d’abord pour la qualité du premier écoquartier qu’elle a érigé en lieu et place de l’ancienne caserne de Bonne, à proximité de son centre-ville. Son engagement en faveur du développement urbain durable a été reconnu par le ministère de l’Écologie qui retient, en 2011, sa candidature en tant qu’Éco-Cité. Les acteurs de cette stratégie sont peu nombreux et s’organisent autour de trois pôles : les autorités politiques locales, à savoir la ville de Grenoble, dont le rôle s’efface progressivement derrière celui de Grenoble-Alpes Métropole, les fournisseurs d’énergie que sont Électricité de France, d’une part, Gaz Électricité de Grenoble, de l’autre, les laboratoires de recherche, les grandes entreprises (Schneider, Siemens…) et les start-up du cluster Tenerrdis, spécialisé dans les énergies renouvelables. Dans ce contexte de décision, les experts, dont les compétences relèvent de l’ingénierie, de l’architecture, de la construction et dans une moindre mesure de l’urbanisme, participent à la mise au point de solutions techniques dont le caractère innovant est présenté comme le moyen le plus efficace pour relever les défis d’une transition vers une ville post-carbone. Une concertation est recherchée avec les habitants, mais son rôle est principalement informatif vis-à-vis des futurs occupants, pour qu’ils s’approprient les technologies installées dans leur logement.

La stratégie de transition adoptée par la ville de Grenoble peut être qualifiée d’ » incrémentale » (Novarina, Seigneuret, 2015[32]Op. cit., p. 160). Elle ne découle pas en effet d’orientations générales de développement définies a priori, mais cherche à se saisir au mieux d’opportunités, comme le programme Concerto de l’Union Européenne lors de l’aménagement du quartier de Bonne ou le Plan d’investissements d’avenir lors de la mise au point de la candidature Éco-Cité. Elle passe par la recherche de solutions technologiques (bâtiments à énergie positive, compteurs électriques intelligents, smart grids), dont l’efficacité est évaluée grâce à la mise en œuvre la plus rapide possible de projets opérationnels innovants, qui sont pensés comme des démonstrateurs. Dans une telle perspective, la mise en place d’une trame verte et bleue, la végétalisation des espaces publics pour réduire les îlots de chaleur sont perçues comme relevant plus d’une politique environnementale classique de préservation des espaces naturels que de la stratégie de transition écologique.

Bristol : stratégie par objectifs et partenariats public/privé

Bristol est connue pour ses initiatives en matière environnementale, ce qui lui a valu en 2015 d’être reconnue par l’Union Européenne comme Green Capital. Cette reconnaissance intervient dans un contexte où le gouvernement britannique favorise les stratégies business led de développement. Une des caractéristiques majeures de la gouvernance des politiques est l’existence de partenariats impliquant une grande diversité d’acteurs relevant du secteur public comme du secteur privé, mais aussi du monde des organisations non gouvernementales et des fondations. Ces partenariats dans des domaines allant de la planification territoriale et du développement durable à la production d’énergies renouvelables interviennent en collaboration avec les autorités locales ou se substituent à elles pour la gestion de projets particuliers.

Parmi les plus actifs de ces partenariats, le Local Entreprise Partnership est en charge de l’élaboration et de la mise en œuvre d’une stratégie de développement économique à l’échelle du West England, et le Bristol Green Capital Partnership agit pour faire de Bristol une ville durable avec une qualité de vie élevée et joue un rôle de premier plan dans la candidature auprès de l’Union Européenne. Dans le premier cas, les acteurs impliqués sont, à côté des autorités locales, les entreprises, les compagnies financières et les universités ; dans le second, la compagnie d’intérêt communautaire (community interest compagny) implique aussi des fondations et des organisations de défense de l’environnement. Dans le domaine de l’énergie, le City Council doit compter avec le Bristol Energy Network, fondé en 2010, pour soutenir les initiatives communautaires en matière de production d’énergie et pour partager les savoir-faire. Fédérant des associations de quartiers (neighbourhood community energy groups), ce réseau a coordonné la mise en place, avec l’appui du maire, d’une stratégie communautaire de l’énergie (2013) à l’échelle de l’ensemble de la ville. L’action de ces partenariats est donc complémentaire de celle des acteurs puissants que sont non seulement les autorités politiques locales, qui en 2016 ont créé Bristol Energy sur le modèle des Stadtwerke allemandes, mais aussi les entreprises privées (notamment celles en charge de la production et de la distribution de l’énergie à l’échelle de l’ensemble de l’Ouest de l’Angleterre) et dans une moindre mesure les coopératives d’habitants ou les organisations communautaires spécialisées dans le domaine de l’énergie.

On est donc en présence d’un système local au sein duquel les acteurs disposent d’une capacité autonome d’action et tentent d’imposer leurs vues et leurs choix dans un contexte de compétition et de concurrence. La stratégie adoptée en matière de transition énergétique ne passe pas par l’élaboration a priori d’une vision, servant de cadre de références aux actions menées, mais se construit sur la base du partage de quelques objectifs clés (key issues) comme la mise en valeur du patrimoine architectural et urbain, la mise en réseau des infrastructures vertes, la cogénération ou la promotion de l’énergie éolienne. Cette stratégie par objectifs se caractérise aussi par son pragmatisme, elle identifie les ressources énergétiques disponibles sur le territoire, mobilise les ressources financières privées et publiques et passe par une valorisation de la qualité des lieux.

Fribourg : un rôle central de la ville
et une stratégie inclusive à l’égard des habitants

Fribourg et ses écoquartiers sont aujourd’hui perçus, à l’échelle européenne voire mondiale, comme une référence en matière de développement urbain durable. L’exemplarité de ses réalisations a permis le développement d’un tourisme architectural et urbain. Cette image est le produit d’une stratégie qui s’est construite dans la durée, qui a porté dans un premier temps sur la mise en valeur du patrimoine historique, puis sur la constitution d’un réseau de tramway, enfin sur la création d’écoquartiers.

L’acteur principal de ce processus est la ville de Fribourg qui s’appuie sur les compétences d’une série d’entreprises municipales, parmi lesquelles Badenova, en charge de la distribution de l’énergie et de la gestion des réseaux. La collectivité locale a par ailleurs construit au cours des années un dialogue permanent avec les habitants qui ne sont pas considérés comme de simples usagers mais sont appelés à prendre des initiatives en matière environnementale et à devenir des producteurs d’énergie renouvelable et décentralisée. Les autres acteurs (universités, groupements d’entreprises, cabinets de conseil et experts) interviennent le plus souvent à la demande de la ville et sur des missions ponctuelles et spécialisées. L’acteur public exerce un rôle central, mais son action est facilitée par la souplesse de gestion des entreprises municipales de services urbains (Stadtwerke).

La stratégie de transition adoptée par la ville apparaît intégrée. Elle part de la mise au point, en concertation avec les acteurs locaux, d’une vision stratégique (leitbild). L’amélioration de la performance énergétique est un élément parmi d’autres qui contribue à l’amélioration des conditions de vie. La stratégie de transition se veut par ailleurs inclusive parce qu’elle recherche une intégration des actions sectorielles et des projets particuliers et qu’elle se construit en collaboration avec les acteurs de la société civile. La construction d’une telle stratégie, si elle s’appuie sur une forte implication (y compris financière) de la collectivité publique, sait se saisir des opportunités offertes par une politique nationale fondée sur l’abandon du nucléaire et le développement des énergies renouvelables, et passe par un inventaire des ressources locales disponibles en la matière (vent, biomasse, soleil). Elle passe aussi par une mobilisation d’un ensemble diversifié d’acteurs locaux, ensemble au sein duquel les associations et coopératives d’habitants jouent un rôle d’importance. Elle recherche enfin un renforcement de l’attractivité (notamment touristique de la ville) en mettant en avant les qualités de son patrimoine et la douceur de vie qui y règne.

Conclusion.
La transition énergétique : vers une gouvernance inclusive ?

Nombreux sont les observateurs qui affirment que les stratégies de transition énergétique, comme auparavant celles de développement durable, vont automatiquement de pair avec la mise en place d’une gouvernance inclusive, c’est-à-dire d’une gouvernance qui recherche l’implication des usagers et des habitants. Ainsi, Antonio Da Cunha, un des géographes qui propose une des définitions les plus abouties de la durabilité, oppose urbanisme moderne et urbanisme durable. À l’urbanisme moderne, qui a contribué à produire une « pétroville industrielle », qui est composée d’unités d’habitations autonomes, qui a remplacé la rue par la voie de circulation, les monuments par des équipements et qui a réduit l’urbanité à la fonctionnalité, il convient de substituer un urbanisme durable qui privilégie le renouvellement urbain, qui met en valeur les espaces publics, qui articule urbanisme et transports, qui agence différentes échelles de centralité et qui économise les ressources naturelles et énergétiques. À l’outil privilégié de l’urbanisme moderne qu’est le plan, dont la mise en œuvre passe par l’application d’un ensemble de règles à caractère normatif, il convient de substituer le projet, qui fait largement appel à la participation et à la négociation, qui cherche à construire des partenariats dans le cadre de démarches contractuelles (Da Cunha, 2005[33]Da Cunha A. (2005). « Développement urbain durable, éco-urbanisme et projet urbain. Principes stratégiques et démarche », dans Da Cunha A, Knoepfel P, Leresche JP, Narath S (dir.), Enjeux du développement urbain durable, transformations urbaines, gestion des ressources et gouvernance, Lausanne, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes.).

L’observation des stratégies territoriales de transition énergétique, que nous avons menée sur trois villes, conduit à des conclusions plus nuancées. Il existe en effet des spécificités propres à chacun des cas étudiés.

Grenoble voit dans le recours à l’innovation technologique un facteur indispensable de réussite des stratégies et des projets de développement urbain durable dans un premier temps, de transition énergétique dans un second temps. Cette volonté d’innovation va de pair avec la mise en œuvre de projets (ÉcoQuartier puis ÉcoCité) qui se veulent exemplaires et ont une fonction de démonstration du bien-fondé des solutions techniques retenues. La nature complexe des projets engagés constitue la justification d’une gouvernance au sein de laquelle les experts jouent un rôle de premier plan.

Bristol est à la recherche d’un équilibre entre solutions high et low tech : la ville cherche à la fois à promouvoir un système de cogénération à partir du traitement des ordures et à valoriser l’usage du bois de récupération. Elle cherche à implanter des entreprises de la green economy dans une friche portuaire mais ne ressent pas la nécessité de donner un caractère exemplaire à son projet. Si la ville s’implique directement dans une partie de ces projets, elle est à la recherche de partenariats avec le secteur privé et met en réseau les initiatives communautaires.

Fribourg-en-Brisgau peut se prévaloir d’une longue tradition de planification qui s’est traduite par la réhabilitation du centre-ville et de ses espaces publics, par la promotion des transports collectifs et par la réalisation d’écoquartiers. Cette tradition a été synthétisée à l’occasion du plan d’occupation des sols (2002), puis surtout du plan de développement urbain (2006) qui a proposé une vision stratégique : la ville des courtes distances. De cette vision et des expérimentations menées en parallèle (écoquartier Vauban) découlent tous les projets et actions en faveur de la transition énergétique. Cette tradition d’intervention municipale va de pair avec une volonté constante d’encourager la participation et laisse place à des initiatives habitantes qui débouchent sur la création de coopératives de logements qui affichent des objectifs de performances énergétiques plus ambitieux que ceux retenus dans la planification communale.

Ces spécificités des villes étudiées peuvent être relues à la lumière de la théorie des régimes urbains, mise au point, il y a plus d’une vingtaine d’années, par des sociologues et politistes nord-américains et britanniques. La stratégie conduite à Grenoble s’apparente aux « régimes de développement », qui correspondent aux modalités de management des grands projets urbains à l’œuvre au début des années 1980 dans de nombreuses grandes villes européennes ou nord-américaines. Les actions engagées découlent de la recherche d’arrangements et de compromis entre un petit nombre d’acteurs appartenant aux élites économiques et politiques (Stone, 1993[34]Stone CN. (1993). « Urban regime and the capacity to govern: a political economy approach », Journal of Urban Affairs, vol. 15, n° 1, p. 1-28.). Elles sont fondées sur la recherche de solutions techniques immédiatement applicables et ne supposent pas l’élaboration préalable d’un cadre global de référence. La stratégie adoptée reste assez largement sectorielle, et l’innovation technologique est perçue comme le moyen privilégié pour garantir la transition énergétique.

Le passage d’un « régime de développement » à un « régime de participation populaire », évoqué toujours par Clarence N. Stone, suppose une multiplication des dispositifs facilitant la participation d’acteurs (associations d’habitants ou d’usagers, organisations communautaires) moins habitués aux arcanes des réseaux de pouvoirs. Cette évolution est présente à Bristol, à Fribourg-en-Brisgau et de manière encore embryonnaire à Grenoble. À Bristol, elle se traduit à la fois par le développement de nombreux partenariats avec le secteur privé (entreprises de services urbains, acteurs de l’immobilier) et par un soutien à de nombreuses initiatives communautaires à l’échelle des quartiers, qui ont pour objectifs la lutte contre la précarité énergétique et plus largement la transition écologique. Dans le prolongement d’une tradition pragmatique de planification, ces partenariats portent avant tout sur des actions sectorielles et des projets particuliers, les documents de planification jouant un rôle d’encadrement très flexible.

À Fribourg-en-Brisgau, les dispositifs de participations sont encore plus sophistiqués qu’à Bristol. Les habitants sont invités à s’impliquer tout au long de l’élaboration des Plans d’urbanisme et de développement urbain, lors de la préparation des plans guides (Urban development measures) destinés à organiser l’urbanisation de nouveaux quartiers (ville de Freiburg-im-Breisgau, 2016), comme lors de projets immobiliers particuliers. Les habitants sont convoqués pour prendre part à l’élaboration de diagnostics partagés, à la formalisation de visions et à la mise au point de concepts de développement urbain. La volonté d’élargir le panel des acteurs impliqués dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques se traduit à Fribourg – et c’est là une différence avec Bristol – par un travail d’explicitation et de justification des objectifs et des choix, car l’adhésion aux orientations stratégiques découle moins d’une convergence d’intérêts que d’un partage de valeurs. Le régime de participation populaire possède donc une forte dimension « symbolique » qui apparaît comme la garantie de la pérennité du consensus entre les acteurs (Stoker et Mossberger, 1994[35]Stoker G, Mossberger K. (1994). « Urban regime theory in a comparative perspective », Environment and Planning C: Government and Policy, vol. 12, n° 2, p. 195-212.).

Les stratégies de transition écologique, adoptées à Fribourg et dans une moindre mesure à Bristol, sont fondées sur un travail d’organisation sociale qui cherche en permanence à multiplier les interrelations et à favoriser l’intermédiation. Elles s’appuient donc sur la création de cette ressource territoriale particulière qu’est le capital social, une ressource qui présente elle aussi un caractère renouvelable (Bagnasco, 2010[36]Bagnasco A. (2010). « Recentrages. Les sociétés locales dans la nouvelle économie », dans Bagnasco A, Courlet C, Novarina G (dir.), Société urbaine et nouvelle économie, Paris, L’Harmattan.). Elles s’appuient aussi sur le « capital spatial » qui réunit « les avantages qu’apporte la maîtrise des agencements géographiques » (Lévy et Lussault, 2003[37]Levy J, Lussault M. (2003). Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin., p. 126.) et qui comprend l’organisation des réseaux de circulation, la morphologie des différents ensembles qui composent la ville, ou les réservoirs de naturalité et les corridors écologiques qui structurent la trame verte et bleue. Les stratégies territoriales de l’énergie prennent alors un caractère plus intégré et plus inclusif et recherchent une meilleure insertion des objectifs sectoriels — notamment de ceux ayant trait à l’énergie — dans une vision globale de planification territoriale.


[1] International Energy Agency. (2016). Energy Technology Perspective 2016. Towards Sustainable Energy Systems, p. 4-5.

[2] Lorrain D, Halpern C, Chevauché C. (2018). Villes sobres. Nouveaux modèles de gestion des ressources, Paris, Sciences Po Les Presses, p. 18-20.

[3] Rudiner A. (2016). La réappropriation locale de l’énergie en Europe. Une étude exploratoire des initiatives publiques en Allemagne, en France et au Royaume-Uni, Energycities, ADEME, p. 11-14.

[4] Op. cit., p. 20.

[5] Rifkin J. (2013). The third industrial revolution: how lateral power is transforming energy, the economy and the world, New York, Palgrave, Macmillan.

[6] Op. cit.

[7] Friedberg E. (1993). Le pouvoir et la règle. Dynamiques de l’action organisée, Paris, Le Seuil.

[8] Masboungi A. (2014). L’énergie au cœur du projet urbain, Paris, Le Moniteur, p. 6.

[9] Bailoni M. (2014). « Les évolutions du modèle énergétique britannique face aux enjeux géopolitiques internes », Vertigo, vol. 14, n° 3.

[10] Seigneuret N, Novarina G, Talandier M. (2016). « Les villes post-carbone : un écosystème favorable à l’émergence de nouvelles formes de gestion décentralisées de l’énergie », dans ENERDATA, PACTE, AE&CC et G2E Lab, Impact du développement de la décentralisation des énergies sur le système énergétique, Paris, Conseil français de l’énergie.

[11] Blanchard R. (1935). Grenoble. Étude de géographie urbaine, Grenoble, Didier et Richard.

[12] Grenoble-Alpes Métropole. (2011). Écocité grenobloise. Vivre la ville post-carbone dans les Alpes.

[13] Bristol City Council. (2011). Bristol Development Framework Core Strategy, p. 9

[14] Rapport entre la population et la surface de la zone centrale.

[15] Op. cit.

[16] Mayer A. (2013). Les écoquartiers de Fribourg. 20 ans d’urbanisme durable, Paris, Le Moniteur.

[17] Freiburg-Im-Breisgau, (2016). Town Planning In Freiburg: Dietenbach, The New Part of town.

[18] Les données statistiques ont été élaborées, dans le cadre de la recherche ENERDATA, par Magali Talandier à partir de la base de données Eurostat.

[19] Novarina G. (2011). « Verso la città dell’innovazione ? L’area metropolitana di Grenoble», Stato e Mercato, n° 93, p. 395-420.

[20] Novarina G, Seigneuret N. (2015). De la technopole à la métropole ? L’exemple de Grenoble, Paris, Le Moniteur.

[21] Op. cit.

[22] Op. cit., p. 9

[23] L’idée de ville de l’innovation renvoie à la présence d’activités de recherche et de nouvelles technologies relevant de ce que l’INSEE dénomme les « fonctions métropolitaines » et à une approche strictement économique de l’attractivité. L’idée de « vibrant economy » s’inscrit dans une volonté de dépasser cette approche et donne lieu, de la part de consultants anglo-saxons, à la mise au point d’indicateurs prenant en compte la qualité de la vie et le bien-être. Le cabinet d’audit et de conseil Grant Thomson définit la « vibrant economy » comme « one that goes beyond financial returns and takes into account the wellbeing of society and everybody’s ability to thrive ».

[24] Laigle L. (2007). « Les villes durables en Europe : enjeux et perspectives », dans Villes durables en Europe. Entre enjeux de territoires et objectifs de développement durable, CSTB, PUCA, dossier Premier Plan, n° 15, p. 3-7.

[25] Rey M. (2013). « Grenoble fait le pari des énergies vertes », L’Entreprise, n° 319, p. 64-67.

[26] Seigneuret N. (2015), Développement durable, analyse comparative (rapport de recherche pour le ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire, POPSU, Paris).

[27] Grenoble-Alpes Métropole. (2016). Éléments pour un débat sur les orientations générales du Projet d’aménagement et de développement durable. Plan local d’urbanisme intercommunal.

[28] Op. cit.

[29] Bristol Centre for Sustainable Energy. (2009). Bristol Citywide Sustainable Energy Study.

[30] West of England. (2015). Strategic economic plan 2015-2030.

[31] Freiburg-Im-Breisgau. (2017). Weichen stellen für die Klimaneutrale Kommune.

[32] Op. cit., p. 160

[33] Da Cunha A. (2005). « Développement urbain durable, éco-urbanisme et projet urbain. Principes stratégiques et démarche », dans Da Cunha A, Knoepfel P, Leresche JP, Narath S (dir.), Enjeux du développement urbain durable, transformations urbaines, gestion des ressources et gouvernance, Lausanne, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes.

[34] Stone CN. (1993). « Urban regime and the capacity to govern: a political economy approach », Journal of Urban Affairs, vol. 15, n° 1, p. 1-28.

[35] Stoker G, Mossberger K. (1994). « Urban regime theory in a comparative perspective », Environment and Planning C: Government and Policy, vol. 12, n° 2, p. 195-212.

[36] Bagnasco A. (2010). « Recentrages. Les sociétés locales dans la nouvelle économie », dans Bagnasco A, Courlet C, Novarina G (dir.), Société urbaine et nouvelle économie, Paris, L’Harmattan.

[37] Levy J, Lussault M. (2003). Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin., p. 126.