frontispice

Revoir l’aménagement du territoire au Québec

• Sommaire du no 9

Guy Mercier Université Laval, Québec Martin Simard Université du Québec à Chicoutimi

Revoir l’aménagement du territoire au Québec, Riurba no 9, janvier 2020.
URL : https://www.riurba.review/article/09-objets/quebec/
Article publié le 1er janv. 2020

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Guy Mercier, Martin Simard
Article publié le 1er janv. 2020
  • Abstract
  • Résumé

Reviewing land-use planning in Quebec

In 1979, urban and regional planning in Quebec entered a new era after the adoption of the Land use and Planning Act (loi sur l’aménagement et l’urbanisme). This has enabled the implementation of an integrated management system meant to be as rational and systematic as it was democratic. Forty years later, the Act needs to be revised in light of new socio-economic, institutional and territorial trends that the province met in the meantime. This paper aims to identify some avenues for action in order to modernize Quebec’s planning governance, after describing the political context when the Act was voted, explaining the resulting system of governance, and making a retrospective evaluation of the planning practices as well as the changes that occurred during the past decades.

En 1979, le parlement québécois adoptait la loi sur l’aménagement et l’urbanisme. Ainsi s’implantait au Québec un régime aménagiste se voulant aussi rationnel et systématique que démocratique. Quarante ans plus tard, il convient de réviser la loi compte tenu des changements socioéconomiques, institutionnels et territoriaux que la province a connus entretemps. Ce texte identifie des pistes d’action en vue de moderniser l’aménagement québécois après avoir mis en contexte l’avènement de la loi, décrit le système de gouvernance qui en résulte et fait un bilan de sa mise en œuvre et de son évolution au cours des dernières décennies.

Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
post->ID de l’article : 3284 • Résumé en_US : 3299 • Résumé fr_FR : 3296 •

Introduction

Il y a un peu plus de quarante ans, l’aménagement du territoire[1]Il est ici entendu que l’aménagement du territoire, qui comprend l’urbanisme, est ce vaste chapitre de l’acte de gouverner où se conçoit et se prévoit l’organisation de l’établissement humain devant servir au mieux l’intérêt public. L’aménagement du territoire appartient par conséquent au domaine de la planification, en ce sens qu’il porte un jugement sur un état présent (est-il utile, optimal ou harmonieux ?), opte pour la conservation ou la transformation de cet état, propose des moyens d’y arriver et, finalement, prend des mesures appropriées pour sa mise en œuvre. s’engageait dans une nouvelle ère au Québec. Ce changement s’incarna, en décembre 1979, dans la loi sur l’aménagement et l’urbanisme[2]Loi RLRQ c A-19.1. L’État québécois y réformait les gouvernements locaux en renforçant leur pouvoir de régulation des usages du territoire, tout en exigeant d’eux un effort de concertation régionale. Imbue des idéaux de l’État-providence, cette réforme favorisait à la fois la professionnalisation des pratiques aménagistes et la revalorisation de la démocratie locale. Bien qu’elle ait fait l’objet de différentes modifications au fil des décennies, la loi sur l’aménagement et l’urbanisme est toujours en vigueur et demeure, pour l’essentiel, intacte. L’idéalisme du départ a toutefois fait place à des pratiques répétitives que l’on perpétue dans bien des cas sans trop d’illusions. C’est pourquoi plusieurs regrettent que cette loi ne soit plus à la hauteur de ses ambitions initiales (Gagnon et Favreau, 2005[3]Gagnon C, Favreau L. (2005). « Stratégies québécoises d’aménagement du territoire et d’économie sociale », dans Klein JL, Tardif C (dir.), Entre réseaux et systèmes, Rimouski, Éditions GRIDEQ-CRDT, p. 77-92.).

Cette conviction était d’ailleurs si prégnante il y a une dizaine d’années qu’une rénovation de la Loi fut alors envisagée (Mamrot, 2011[4]MAMROT (Ministère des Affaires Municipales, des Régions et de l’Occupation du Territoire. (2011). Document d’information sur l’avant-projet de loi sur l’aménagement durable du territoire et l’urbanisme (Bâtissons ensemble les municipalités de demain), gouvernement du Québec. ; Trépanier, 2012[5]Trépanier MO. (2012). « Un nouveau cadre législatif en matière d’urbanisme », dans Beaudet G, Meloche JP, Scherrer F (dir.), Questions d’urbanisme, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, p. 29-36.). Cette démarche faisait suite à la tenue, en 2006, des États généraux de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme[6]États généraux de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme. (2006). Énoncé final : le Québec de 2026, Québec, 4 p., où l’on soulignait les défis économiques, démographiques et environnementaux qui interpelaient le Québec. Laissée en plan, la rénovation annoncée témoigne de l’impasse où est aujourd’hui enfermé l’aménagement du territoire au Québec[7]En 2011, un avant-projet de loi sur l’aménagement et l’urbanisme durable fut présenté par le gouvernement du parti libéral du Québec. Il donnait suite à la promesse du Premier ministre Jean Charest de réviser la loi sur l’aménagement et l’urbanisme dans le but, notamment, « de freiner l’étalement urbain et de densifier les villes » (discours prononcé le 23 novembre 2009). Or, pour ce faire, on crut nécessaire de réduire la pression sur les promoteurs immobiliers en instaurant des zones franches (sans zonage) et de diminuer les obligations des autorités municipales en matière de consultations publiques.. Du reste, la situation n’est pas sans rappeler la période précédant la loi sur l’aménagement et l’urbanisme, qui fut adoptée onze ans après les travaux sur l’urbanisme au Québec de la Commission La Haye (1968[8]La Haye JC. (1968). Rapport de la Commission provinciale d’urbanisme, Québec, Imprimeur de la Reine.) et trois ans après le rapport sur le même thème de la Commission Castonguay (1976[9]Castonguay C. (1976). L’urbanisation au Québec. Rapport du Groupe de travail sur l’urbanisation, Québec, Éditeur officiel du Québec.), à quoi s’étaient ajoutés les multiples projets de loi morts au feuilleton (Kenniff, 1981[10]Kenniff P. (1981). « Les récentes réformes législatives en droit municipal québécois : bilans et perspectives d’avenir », Revue de droit de l’Université de Sherbrooke, n° 12(1), p. 4-46. ; Glenn, 1986[11]Glenn JM. (1986). La décentralisation de l’aménagement du territoire : mythe ou réalité ? Les Cahiers de droit, n° 27(2), p. 355-370.). On peut en retenir que toute réforme en ce domaine entraine, au Québec comme ailleurs probablement, son lot de péripéties et d’atermoiements témoignant de tensions entre les citoyens, les promoteurs immobiliers et les gouvernements de tout ordre et de toute allégeance.

Il demeure que les enjeux aménagistes, parce qu’ils perdurent ou se renouvèlent, n’en sont pas moins cruciaux et nécessitent des débats, des arbitrages et des ajustements appropriés. D’où la nécessité de faire le bilan des quarante dernières années d’aménagement du territoire au Québec et d’en discuter afin d’imaginer comment régénérer avantageusement les pratiques en ce domaine. Le présent texte se veut une contribution à cette tâche. Il porte d’abord un regard critique sur l’expérience aménagiste au Québec depuis 1979 afin d’en dégager non seulement les principes et les pratiques, mais aussi les difficultés. Ce portrait inspire ensuite quelques idées pour réactualiser l’aménagement du territoire du Québec, notamment pour l’adapter aux nouveaux défis qui aujourd’hui surgissent avec insistance.

Le dernier acte de la Révolution tranquille

La loi sur l’aménagement et l’urbanisme participe de la Révolution tranquille qui remua la société québécoise dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale. Résolu à doter le Québec d’institutions publiques vouées à l’épanouissement culturel, au bien-être, à la prospérité et à l’affirmation politique des Québécois, l’État provincial avait entrepris en 1960 un vaste chantier de réformes dont l’empreinte est encore très profonde, tout particulièrement dans les domaines de la santé et de l’éducation (Bélanger et al., 2000[12]Bélanger Y, Comeau R, Métivier C. (dir.). (2000). La Révolution tranquille. 40 ans plus tard : un bilan, Montréal, Éditions VLB, 316 p.). Même si cette histoire est bien connue, il est utile d’en rappeler certains traits fondamentaux qui se rapportent à la gouverne territoriale[13]Les institutions et les politiques propres aux régions administratives, bien que leur rôle ne soit pas négligeable, ne sont pas commentées ici, de manière à mieux cibler notre propos.  .

D’abord, il importait, à l’époque, que l’économie du Québec se transformât radicalement, le but étant de mettre à jour les facteurs de production, de pénétrer davantage les marchés extérieurs et d’assurer de plus hauts revenus en multipliant les emplois dans des secteurs concurrentiels. On prit dans cet esprit le contrôle quasi complet, en l’étatisant, d’une ressource naturelle, l’eau, qu’on éleva au rang d’emblème de la modernisation en cours (Giguère, 2018[14]Giguère W. (2018). « Les influences transnationales sur la nationalisation de l’électricité au Québec (1934-1963) », Bulletin d’histoire politique, n° 27(1), p. 93-111.). Il en découla la nationalisation de compagnies existantes dans ce secteur pour consolider Hydro-Québec, qui, en plus de devenir un maître d’ouvrages affairé, en vint à occuper de vastes territoires pour y installer d’imposantes infrastructures (barrages, centrales, réservoirs et lignes de transmission), bouleversant au passage la vie et l’environnement de milliers d’autochtones (Desbiens, 2014[15]Desbiens C. (2014). Puissance nord. Territoire, identité et culture de l’hydroélectricité au Québec, Québec, Presses de l’Université Laval, 318 p.). Le grand projet hydroélectrique de la baie James et les négociations avec les peuples autochtones qui s’ensuivirent ont amené la création, à travers la Convention de la Baie James et du Nord québécois, d’un régime propre de gestion des terres (Mercier et Ritchot, 1997[16]Mercier G, Ritchot G. (1997). « La Baie James : une rencontre que la bureaucratie n’avait pas prévue », Cahiers de géographie du Québec, n° 41(113), p. 137-169. ; Lasserre, 2009[17]Lasserre F. (2009). « Les aménagements hydroélectriques du Québec : le renouveau des grands projets », Géocarrefour, n° 84(1-2), p. 11-18.). Notons que le vaste territoire où s’applique ce régime, soit plus de la moitié de la superficie du Québec, se trouve exclu de l’emprise de la loi sur l’aménagement et l’urbanisme.

Toujours sur le plan économique, il importait par ailleurs que Montréal, métropole du Québec, maintînt son rang au sommet de la hiérarchie urbaine (Higgins, 1986[18]Higgins B. (1986). The Rise and Fall of Montreal. A Case Study of Urban Growth, Regional Economic Expansion and National Development, Moncton, Institut canadien de recherche sur le développement régional, 256 p.), dans la mesure toutefois où le reste de la province pût tirer son épingle du jeu[19]Le débat issu de la publication en 1970 du rapport dit HMR illustre les difficultés de l’atteinte de cet équilibre (Higgins B, Martin F, Raynauld A. (1970). Les orientations du développement économique régional dans la province de Québec,Ottawa, ministère de l’Expansion économique régionale, 365 p.).. C’est pourquoi, dans la foulée de l’expérience controversée du Bureau d’aménagement de l’Est du Québec (Morin, 2017[20]Morin D. (2017). « Le Baeq, la légende et l’esprit du développement régional québécois », dans Bérubé H, Savard S (dir.), Pouvoir et territoire au Québec depuis 1850, Québec, Septentrion, p. 263-309.), l’Office de planification et de développement du Québec fut créé en 1969, à l’image de la DATAR en France, afin de révéler et d’activer le potentiel économique de chacune des régions du Québec (Proulx, 2008[21]Proulx MU. (2008). « 40 ans de planification territoriale au Québec », dans Gauthier M, Gariépy M, Trépanier M et MO (dir.), Renouveler l’aménagement et l’urbanisme. Planification territoriale, débat public et développement durable, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, p. 23-54.). Dans cette optique, l’agriculture présentait un enjeu majeur, notamment en raison de sa valeur identitaire. Or l’agriculture de subsistance sur des terres peu fertiles ou trop reculées ne pouvait perdurer. En revanche, là où le sol et le marché étaient favorables, elle ne pouvait croître sans garantie de fonds et de débouchés[22]Cette situation mena à la mise en place par le gouvernement canadien d’un inventaire des terres (Klein JL. (2010). « Changements de paradigme en géographie et aménagement du territoire », Cahiers de géographie du Québec, n° 54(151), p. 133-152), ainsi que d’un système de gestion de l’offre pour moderniser les pratiques agricoles et pour réserver un marché intérieur aux produits laitiers, aux œufs et à la volaille (Heminthavong K. (2018). Le mécanisme de la gestion de l’offre au Canada, Ottawa, Bibliothèque du Parlement, 15 p.).. En outre, l’assise territoriale de l’agriculture devait être assurée face à l’étalement urbain qui s’accélérait, notamment en périphérie de Québec et de Montréal. Pour tenter de s’en préserver, on adopta en 1978 la loi sur la protection du territoire agricole, renommée depuis 1996 loi sur la protection du territoire et des activités agricoles[23]Loi RLRQ c P-41.1. (figure 1). Tout en cherchant à protéger l’agriculture, voire à la soutenir, cette loi constituait une charge contre l’étalement urbain et ses agents, soit les promoteurs immobiliers à l’affût du profit maximum et leurs clients soucieux de réaliser leur désir pavillonnaire à bon compte. Ainsi, à défaut de promouvoir, même incidemment, un projet d’urbanisation, autant de la ville et de la campagne, cette défense de l’agriculture et de son assise foncière, dont le ministre nationaliste Jean Garon se faisait le héraut inspiré, visait à tout le moins le confinement géographique d’un mode d’habitat dont la domination ne faisait plus aucun doute (Mercier et Côté, 2012[24]Mercier G, Côté M. (2012). « Ville et campagne : deux concepts à l’épreuve de l’étalement urbain », Cahiers de géographie du Québec, n° 56(157), p. 123-150. ; Côté et al., 2014[25]Côté M, Mercier G, Roy F. (2014). « L’urbanisation de la campagne. Motifs et options du régime québécois de protection du territoire agricole », Cahiers de géographie du Québec, n° 58(165), p. 391-409.).

Figure 1. Le ministre de l’Agriculture, Jean Garon, et le Premier ministre du Québec, René Lévesque, en 1985 (source : Jacques Nadeau).

Dans le même esprit défensif, on se soucia également du patrimoine culturel et naturel. Ainsi, grâce à la loi sur les biens culturels de 1972, remplacée en 2011 par la loi sur le patrimoine culturel[26]Loi RLRQ c P-9.002., des immeubles ou des ensembles immobiliers peuvent-ils maintenant jouir d’une protection accrue par l’entremise de différents types de classement dispensés par les instances provinciales, régionales ou municipales (Roy et Mercier, 2013[27]Roy F, Mercier G. (2013). « La nouvelle loi sur le patrimoine culturel : sa vision actualisée du patrimoine et ses répercussions au plan foncier », Géomatique, n° 39(4), p. 16-24 [En ligne). On veilla pareillement à la qualité des écosystèmes, notamment en adoptant la loi sur la qualité de l’environnement[28]Loi RLRQ c Q-2. en 1978, en constituant un Bureau d’audiences publiques sur l’environnement et en augmentant le nombre d’aires protégées de tous types, en particulier les parcs dits nationaux administrés par le gouvernement du Québec[29]Des parcs nationaux fédéraux furent aussi implantés dans les années 1970 et 1980, non sans soulever quelques controverses, comme dans le cas du parc Forillon (Babin A. (2015). L’expropriation du territoire de Forillon. Les décisions politiques au détriment des citoyens, Québec, Presses de l’Université Laval, 174 p.). (Lavoie, 2018[30]Lavoie M. (2018). « Patrimoine naturel. Des aires protégées en progression », dans Brousseau Y, Mercier G (dir.), Le Québec d’une carte à l’autre, Québec, Presses de l’Université Laval, p. 38-39.).

Le territoire ne se réduit cependant pas à des terroirs à sauvegarder de l’urbanisation, à des ressources à mettre en valeur dans les circuits économiques, à des environnements naturels et à des artéfacts patrimoniaux à sauvegarder de la négligence ou de visées pécuniaires trop étroites. Certes, ces objectifs sont louables et méritent qu’on s’y attarde. Il n’en demeure pas moins que le territoire est un milieu où se nouent et s’organisent, en un système complexe, les conditions d’existence de toute une population aux occupations, aux intérêts et aux aspirations diversifiés (Di Méo et Buléon, 2005[31]Di Méo G, Buléon P. (2005). L’espace social. Lecture géographique des sociétés,Paris, Armand Colin, 304 p.). Inversement, le territoire ne saurait pleinement exister ou fournir sa pleine mesure sans ses habitants. Car le territoire prend vie et forme grâce à la réflexion, à la discussion, à la volonté et à l’action qu’il inspire à ceux qui l’occupent et le mettent en valeur (Gumuchian et al., 2003[32]Gumuchian H, Grasset E, Lajarge R, Roux E. (2003), Les acteurs, ces oubliés du territoire, Paris, Anthropos, 186 p.). C’est d’ailleurs là où réside l’intérêt fondamental de l’aménagement du territoire, puisque son but premier est de susciter et de canaliser ce dynamisme social afin de créer, en chaque région, un levier politique au service du mieux-être de la population (Klein, 2010[33]Klein JL. (2010). « Changements de paradigme en géographie et aménagement du territoire », Cahiers de géographie du Québec, n° 54(151), p. 133-152.). On peut même espérer que s’en dégage un projet d’occupation du territoire mobilisateur et adapté aux défis de l’époque.

L’institution aménagiste québécoise

À la fin des années 1970, l’aménagement du territoire apparaissait aux yeux de plusieurs au Québec comme un moyen de responsabilisation collective pouvant animer une conscience territoriale assortie d’un souci d’efficacité et d’équité à l’échelle d’une province qui, par ailleurs, cherchait à assumer encore plus activement le destin de ce que l’on appelait désormais la « nation québécoise »(Beaudet et al., 2000[34]Beaudet G, Lewis P, Gill D, Décarie J. (2000). Le pays réel sacrifié. La mise en tutelle de l’urbanisme au Québec, Québec, Nota Bene, 338 p.). Cette conviction justifia en 1979 l’adoption de la loi sur l’aménagement et l’urbanisme, soit des décennies après la mise en place de lois semblables dans les autres provinces canadiennes (Hodge et Gordon, 2013[35]Hodge G, Gordon D. (2013). Planning Canadian Communities, Toronto, Methuen, 461 p.). Son arrivée tardive était largement compensée, assumait-on, par les leçons qu’elle tirait des expériences menées ailleurs en Amérique du Nord (Simard et Mercier, 2009[36]Simard M, Mercier G. (2009). « Trente ans d’aménagement institutionnalisé au Québec. Une contribution au modèle québécois ? », Études canadiennes / Canadian Studies, n° 66, p. 139-151.). Ainsi, elle évitait, estimait-on, la trop grande centralisation des décisions en aménagement du territoire ou l’arbitraire des pouvoirs supérieurs face aux initiatives des autorités locales et régionales en la matière. L’intention de la loi sur l’aménagement et l’urbanisme était plutôt de confier à ces dernières, dans un cadre normatif strict et explicite, des responsabilités à l’égard du territoire afin qu’elles en usent pour leur plus grand bien, sans que l’effet d’ensemble, en revanche, ne soit discordant (Pilette et Tribillon, 1993[37]Pilette D, Tribillon JF. (1993). L’urbanisme, Montréal, Fisher Presses, 157 p.), d’où le moyen terme recherché entre centralisation et décentralisation (Rousseau, 2011[38]Rousseau G. (2011). « La loi sur l’aménagement et l’urbanisme 30 ans plus tard : toujours entre centralisation et décentralisation », Les Cahiers de droit, n° 52 (2), p. 197-244.). Cette réforme a été assise sur trois principaux piliers qui sont encore aujourd’hui au cœur des pratiques d’aménagement du territoire au Québec.

Une nouvelle entité étatique :
la municipalité régionale de comté

Le premier pilier de la loi sur l’aménagement et l’urbanisme est la constitution d’un nouveau niveau hiérarchique de gouvernement : la municipalité régionale de comté[39]Des corporations de comté encadraient déjà certaines municipalités rurales, mais leur pouvoir était restreint comparativement à celui d’une municipalité régionale de comté (MAMH. (2019). La municipalité régionale de comté. Compétences et responsabilités, gouvernement du Québec, ministère des Affaires municipales et de l’Habitation.)., dont le territoire recouvre celui de plusieurs municipalités[40]Le terme « municipalité », dont l’équivalent français serait « commune »,est ici entendu comme un générique qui comprend toutes les entités municipales québécoises, peu importe leur statut juridique spécifique, à l’exception des agglomérations, des municipalités de village cri, naskapi et nordique, de même que des réserves indiennes, des établissements amérindiens, des terres réservées aux Cris ou aux Naskapis, des terres de la catégorie I pour les Inuits et des territoires non organisés. Autrement dit, est considérée comme une municipalité dans le présent article toute entité étatique québécoise ayant le titre de cité, ville, municipalité de canton, municipalité de cantons unis, municipalité de paroisse, municipalité ou municipalité de village. Voir le Répertoire des municipalités du Québec., tout en incluant, dans certains cas, des terres publiques contiguës peu peuplées. Ces entités administratives sont réunies parce qu’elles forment, ensemble, une unité régionale avérée ou souhaitée, assimilable en cela au pays introduit dans le régime aménagiste français en 1995[41]Loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire.. S’il s’agit bel et bien d’une entité étatique assumant une part propre de l’autorité publique, la municipalité régionale de comté n’en a toutefois pas les pleins attributs, puisque la gouverne politique de ces nouvelles institutions publiques n’est pas confiée à des dirigeants au terme d’un suffrage universel spécifique. Ces dirigeants sont plutôt puisés au sein même des instances inférieures, soit les municipalités. Cette condition est associée au fait que les municipalités régionales de comté fédèrent des municipalités aux fins expresses de l’aménagement du territoire. Certes, leur coopération est commandée ou favorisée sur d’autres questions, mais il demeure que l’obligation première de la municipalité régionale de comté est de doter son territoire d’un schéma d’aménagement et de développement (Fortin et Parent, 1985[42]Fortin, G. Et Parent, L. (1985). Les MRC : un devenir perpétuel. Montréal, INRS-Urbanisation, coll. Études et documents, (42), 68p.). La création d’une instance gouvernementale vouée avant tout à l’aménagement du territoire montre en soi toute la valeur que cette question a acquise au Québec.

Une procédure qui engage
les différents paliers étatiques

Le deuxième pilier de la loi sur l’aménagement et l’urbanismeréside dans le processus de prise de décision en matière d’aménagement, qui repose, d’une part, sur des documents officiels hautement codifiés et, d’autre part, sur la séparation et l’articulation des responsabilités entre des entités étatiques hiérarchisées. Ce processus se décline en quatre phases. La première relève du gouvernement provincial auquel incombe le devoir de définir des orientations générales en ce domaine. La deuxième phase se situe à l’échelle régionale, soit au sein de la municipalité régionale de comté[43]Ou de l’entité étatique qui, en quelques cas, en tient lieu., et se manifeste dans un schéma d’aménagement et de développement[44]Ou l’équivalent dans quelques cas où l’entité étatique ayant cette fonction n’est pas une municipalité régionale de comté.. La troisième, à l’initiative de la municipalité, mène à l’adoption d’un plan d’urbanisme, qui est à peu de choses près de même nature que le schéma d’aménagement et de développement, mais en rapport au territoire municipal[45]Le schéma d’aménagement et de développement et le plan d’urbanisme correspondent respectivement au schéma de cohérence territoriale et au plan local d’urbanisme du régime aménagiste français (loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains), bien que dans l’Hexagone les questions de l’habitat et des déplacements soient traitées plus directement par ailleurs (Douay N. (2013). « La planification urbaine française : théories, normes juridiques et défis pour la pratique », L’Information géographique, vol. 77(3), p. 45-70).. Le plan d’urbanisme prélude la quatrième phase, elle aussi sous la responsabilité de la municipalité : les règlements d’urbanisme[46]Détaillés au chapitre IV de la loi sur l’aménagement et l’urbanisme (art. 113 à 145), les règlements d’urbanisme d’une municipalité comprennent, pour n’en nommer que quelques-uns, le règlement de zonage, le règlement de lotissement, le règlement de construction, les plans d’aménagement d’ensemble et les plans d’implantation et d’intégration architecturale. Dans les territoires dits « non organisés », qui ne sont pas rattachés à une municipalité, les règlements d’urbanisme sont adoptés par la municipalité régionale de comté qui les regroupe.. Ces règlements, contrairement aux orientations provinciales, au schéma d’aménagement et de développement et au plan d’urbanisme, sont, eux, directement opposables aux tiers, de sorte qu’ils constituent, en décrétant des droits et des obligations aux citoyens, un ultime aboutissement de la normativité aménagiste (Beaulieu et al., 1995[47]Beaulieu B, Ferland Y, Roy F. (1995). L’arpenteur-géomètre et les pouvoirs municipaux en aménagement du territoire et en urbanisme, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 450 p.).

Pour l’essentiel, les divers documents officiels produits en vertu de la loi sur l’aménagement et l’urbanisme servent soit à définir des objectifs (c’est le cas des orientations provinciales, du schéma d’aménagement et de développement, et du plan d’urbanisme), soit à édicter des normes strictes (ce qui revient aux règlements d’urbanisme). Les objectifs sont d’abord formulés comme des orientations, le plus souvent sous forme d’usages à maintenir, à changer ou à ajouter, qui sont ensuite reprises sous forme d’affectations, l’idée étant qu’il faille consacrer à chaque usage un lieu (ou plusieurs) où il peut s’accomplir au mieux en s’assurant que cette affectation ne soit pas compromise par le caractère du lieu lui-même ou par celui des lieux avoisinants (Charles, 1974[48]Charles R. (1974). Le zonage au Québec, un mort en sursis, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 171 p.). Ces objectifs sont ensuite traduits dans les règlements d’urbanisme qui découpent le territoire en différentes zones selon des interdictions, des permissions ou des priorités d’occupation (Guay, 2002[49]Guay PY. (2002). Introduction à l’urbanisme, Montréal, Modulo, 192 p.). Si un tel zonage concentre une bonne part de la planification et de la normativité propres à l’aménagement du territoire, il reste que les objectifs retenus ne peuvent advenir ou perdurer que par ses seules vertus.

C’est pourquoi, par-delà l’exercice de zonage, les autorités publiques (provinciales, régionales ou locales) doivent, dans leur pratique aménagiste, concevoir et promouvoir des projets d’implantation qui incarnent les objectifs en question. Or ces projets, qui relèvent plus directement du développement, interpellent pour la majorité divers intervenants publics et privés. Aussi la municipalité régionale de comté ne peut-elle, dans son schéma d’aménagement et de développement, que s’engager à agir en leur faveur en collaborant avec les autres parties intéressées. Pour leur part, les municipalités, en fonction de leur capacité financière et en raison de leur autorité directe sur les règlements d’urbanisme, sont en première ligne pour négocier avec les promoteurs et pour autoriser ou non les projets envisagés. À cette fin, la loi sur l’aménagement et l’urbanisme offre d’ailleurs la possibilité de moduler en certains lieux le zonage selon les termes d’une négociation en cours ou envisagée avec une ou plusieurs parties prenantes de la dynamique urbaine dans le secteur en cause. Cet urbanisme à caractère discrétionnaire, du moins dans ses premières étapes, se réalise notamment au travers d’un plan d’aménagement d’ensemble et d’un plan d’implantation et d’intégration architecturale[50]Ces plans ont été incorporés à la loi sur l’aménagement et l’urbanisme en 1987 pour le premier et en 1989 pour le second..

Au-delà de la création d’une nouvelle instance vouée en priorité à l’aménagement du territoire, la loi sur l’aménagement et l’urbanisme a engagé la responsabilité de l’État québécois au complet à cet égard. À cette fin, toutes les entités étatiques en cause doivent, selon leurs obligations et prérogatives respectives, appliquer en séquence la procédure prescrite par la loi (Beaulieu et al., 1995[51]Op. cit.). Cette séquence active les ressorts d’une hiérarchisation où chaque niveau décisionnel doit s’assurer que les orientations, les affectations et les projets qu’il met de l’avant, bien que représentant ses intérêts propres, sont compatibles avec les choix du niveau supérieur. La procédure doit ainsi garantir la cohérence des étapes décisionnelles, puisque chaque étape devient l’occasion d’une validation accréditant que la suivante lui est conforme. La somme des validations devrait attester à terme que toutes les instances en cause ont été consultées et qu’elles ont accompli leur tâche correctement même si des retards, tensions et désaccords ont pu surgir en cours de route. Autre facteur de cohésion : le gouvernement et ses mandataires sont liés par le contenu des schémas et des plans, une fois ceux-ci adoptés. Néanmoins, des discussions préalables mènent généralement à l’intégration des projets sectoriels des ministères ou d’Hydro-Québec, de manière plus ou moins modifiée, avant l’adoption du schéma d’aménagement et de développement. Parce qu’elle est toujours et pour tous la même, cette procédure séquencée a induit une uniformisation des pratiques aménagistes au Québec. En cela, elle répond à un souci d’efficacité et d’équité.

Une légitimité professionnelle et démocratique

La procédure mise en œuvre par la loi sur l’aménagement et l’urbanisme est par ailleurs imprégnée – et c’est là son troisième pilier – d’une quête de légitimité élargie. Cette quête repose d’abord sur la conviction que l’aménagement du territoire peut et doit être rationnel, c’est-à-dire que le meilleur jugement en la matière découle d’une analyse de toute question pertinente par des personnes compétentes et bien informées (Lewis, 1990[52]Lewis P. (1990). L’invention de la rationalité. Patrick Geddes et le modèle rationaliste, Montréal, Faculté de l’aménagement, Université de Montréal, 42 p.). D’où la nécessité d’adjoindre aux politiciens nombre de professionnels pour bien cerner les problèmes aménagistes et pour en évaluer les solutions possibles et leurs conséquences probables. Il en a découlé, à tous les paliers, l’implantation d’une bureaucratie aménagiste qu’alimente au demeurant une offre accrue de formation, tout particulièrement au niveau universitaire (Beaudet, 2007[53]Beaudet G. (2007). Profession urbaniste, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 69 p.). Ainsi s’est consolidée, notamment au niveau local, une culture de l’aménagement du territoire où les politiciens peuvent difficilement ignorer ce que le législateur leur dicte de manière détaillée et ce que les professionnels – urbanistes ou autres spécialistes – leur expliquent à l’aide d’analyses documentées ou de critères techniques (Boisvert, 2014[54]Boisvert A. (2014). Aménagement et urbanisme au Québec, Québec, Éditions GID, 726 p.).

Si l’idéal d’une systématisation rationaliste et d’un professionnalisme aménagiste est au cœur de la loi sur l’aménagement et l’urbanisme, il faut également y reconnaitre la volonté du législateur de démocratiser l’aménagement par le biais de consultations publiques obligatoires (Bacqué et Gauthier, 2011[55]Bacqué M, Gauthier M. (2011). « Participation, urbanisme et études urbaines : quatre décennies de débats et d’expériences depuis A Ladder of Citizen Participation de S. R. Arnstein », Participations, n° 1(1), p. 36-66.). Car, parmi les instances devant se prononcer à plusieurs étapes cruciales du processus d’analyse et de décision, il y a aussi la population en général qui, selon des modalités spécifiques, est à la fois informée du processus en cours et appelée à donner son avis sur les problèmes à régler et les solutions à formuler. Bref, la loi programme, selon une procédure stricte, une participation des citoyens, processus qui tente d’ouvrir l’aménagement au vécu des citoyens (Bherer, 2011[56]Bherer L. (2011). « Les trois modèles municipaux de participation publique au Québec », Télescope, n° 17(1), p. 157-171. ; Sénécal, 2016[57]Sénécal G. (2016). La société des acteurs. Les voix du monde vécu, Montréal, Liber, 191 p.). Cette participation, il est vrai, n’est pas toujours à la hauteur des attentes. La procédure qui la coordonne pouvant, paradoxalement, y faire plus ou moins obstacle. Dès lors, les citoyens ou ceux qui les représentent (ou prétendent le faire) peuvent préférer recourir aux canaux traditionnels, comme les médias, pour faire entendre leur voix. La lourdeur de la procédure peut également expliquer ou justifier l’apathie de plusieurs à l’égard de l’aménagement du territoire. On ne peut nier, toutefois, que cette procédure garantisse aux citoyens québécois un droit d’information et d’expression relativement à l’aménagement du territoire.

L’épreuve du temps

Au fil des décennies, la loi sur l’aménagement et l’urbanisme a favorisé nombre de changements au sein de la société québécoise. En retour, elle s’est accommodée tant bien que mal des différentes transformations qu’a connues cette même société. Ainsi, elle a marqué la manière d’occuper le territoire autant qu’elle en a subi les conséquences, ce qui s’est traduit par une complexification que l’on peut dépeindre sommairement en considérant les trois piliers déjà évoqués de la loi sur l’aménagement et l’urbanisme.

Complexification de la structuration politique
du territoire

La municipalité régionale de comté se conçoit comme une instance étatique intermédiaire visant à canaliser au mieux les dynamiques propres à chaque région dans une pratique aménagiste par ailleurs apte à garantir une forte cohérence entre les régions et à l’intérieur de chacune d’entre elles. Sa définition induit une structuration territoriale à caractère hiérarchique. À l’origine, soit en 1979, le découpage du territoire québécois correspondait bien à cette hiérarchisation. Quelques exceptions y apparaissent déjà sans pour autant infléchir la tendance générale. Ainsi, bien qu’elles eussent été maintenues, les communautés urbaines de Montréal, de Québec et de l’Outaouais, créées en 1970, correspondaient à peu de choses près à des municipalités régionales de comté. En fait, les seules véritables dérogations concernaient les villes de Mirabel et de Laval. En raison de leur vaste étendue, on leur avait attribué des compétences de municipalités régionales de comté, de sorte que deux niveaux hiérarchiques y étaient assimilés. Malgré ces cas particuliers, la structuration du territoire respectait une hiérarchisation qui se voulait aussi simple que forte afin d’inspirer et de garantir à la fois une pratique aménagiste géographiquement ordonnée. Cette structuration fut mise à l’épreuve une vingtaine d’années après sa mise en place.

En 2000, prenant acte qu’un incessant étalement urbain mettait à l’épreuve des municipalités et des municipalités régionales de comté en les absorbant en des agglomérations qui les débordaient largement, le législateur québécois ordonna une réforme recomposant en maints endroits, par des fusions et des regroupements, la structuration politique du territoire québécois. Cet épisode, dit des fusions municipales, suscita une opposition qui, à la faveur d’un changement de gouvernement, aboutit en 2006, surtout dans la région de Montréal, à des « défusions », dont le motif n’était pas, du moins au premier chef, l’aménagement du territoire. Ainsi, plusieurs collectivités ont retrouvé leur administration d’antan, en particulier celles regroupant des populations anglophones québécoises qui attachent une grande valeur identitaire aux institutions locales. Les deux communautés métropolitaines de Montréal et de Québec, constituées en 2002 dans l’esprit de la réforme de 2000, furent cependant conservées. Il n’en demeure pas moins que l’ordre géographique hérité de la loi sur l’aménagement et l’urbanisme fut passablement brouillé par ce jeu combiné de remembrements et de démembrements (Roy et Mercier, 2016[58]Roy F, Mercier G. (2016). « Aménagement du territoire et gouvernance métropolitaine : l’agglomération de Québec », dans Gariépy M, Roy-Baillargeon O (dir.), Gouvernance et planification collaborative. Cinq métropoles canadiennes, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, p. 99-132.). Et ce ne sont pas les agglomérations, créées en 2006, notamment pour compenser ce que lesdites « défusions » compromettaient au chapitre de la planification aménagiste, qui ont pu corriger le tir. Ces agglomérations, soutiennent d’aucuns, se sont avérées des entités étatiques anodines, quand elles ne sont pas devenues dysfonctionnelles (Deslauriers et al., 2016[59]Deslauriers J, Gagné R, Paré J. (2016). Les défusions municipales, 10 ans plus tard : état des faits, Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers / HEC Montréal [En ligne ; Prémont, 2019[60]Prémont MC. (2019). Ces réformes municipales qui n’ont pas abouti. Dans Proulx MU, Prémont MC (dir.), La politique territoriale au Québec. 50 ans d’audace, d’hésitations et d’impuissance, Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 95-122.).

Par ailleurs, la structure territoriale s’est encore plus complexifiée dans huit des municipalités fusionnées où furent créés des arrondissements[61]À cet égard, on peut se demander pourquoi des villes moyennes comme Gatineau ou Trois-Rivières, voire Laval, n’ont pas été dotées par la même occasion d’arrondissements, contrairement à Lévis, Saguenay et Sherbrooke.. Entités étatiques inframunicipales, ces arrondissements s’occupent généralement de certaines fonctions urbanistiques dévolues ailleurs aux municipalités, mais dans les faits leurs prérogatives diffèrent d’une municipalité à l’autre (Trépanier, 2008[62]Trépanier MO. (2008). « Planification territoriale, pratiques démocratiques et arrondissements dans la nouvelle Ville de Montréal », dans Gauthier M, Gariépy M, Trépanier MO (dir.), Renouveler l’aménagement et l’urbanisme. Planification territoriale, débat public et développement durable, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, p. 221-246.). Ainsi, les arrondissements de Montréal disposent de nombreux pouvoirs et sont dirigés par des maires, alors qu’à Lévis ou Saguenay, il s’agit d’une simple unité de gestion des travaux publics et d’un comptoir pour l’administration des permis de toutes sortes, quoique les conseils d’arrondissements y siègent régulièrement sous la houlette d’un président désigné par le maire. Ces changements, significatifs en ce qui a trait aux structures administratives, ont rendu plus complexes la pratique de l’aménagement du territoire, de même que l’ensemble de la gestion municipale.

Si la majorité du territoire du Québec méridional fonctionne toujours dans un système infraprovincial à deux paliers (municipalité et municipalité régionale de comté), on remarque une dizaine de cas présentant des hiérarchies à un, deux, trois, quatre ou cinq niveaux (figure 2). À cet égard, celui de la ville de Québec est certainement le plus sophistiqué, car chacun de ses habitants doit composer avec les consultations, les délibérations et les décisions de son conseil de quartier, de son conseil d’arrondissement, du conseil de ville, du conseil d’agglomération, de la communauté métropolitaine de Québec et de la commission de la capitale nationale du Québec. Sans compter qu’en parallèle des instances temporaires se greffent au millefeuille participatif, comme ces comités de bon voisinage constitués pour la planification et la mise en œuvre du projet de tramway dans la ville de Québec. Cette complexification de la structuration politique du territoire n’est pas un mal en soi[63]Complexification qui, il est vrai, n’est pas sans paradoxe, puisque les conférences régionales d’élus furent abolies en 2015, mettant fin à une expérience de plus de quarante ans de concertation et de planification à l’échelle des régions administratives (Proulx MU. (2015). « Constats sur la gouvernance des territoires », Organisations et territoires, n° 24(3), p. 7-16).. L’existence de multiples paliers favorise sans doute une analyse détaillée des questions d’aménagement et peut stimuler la participation des citoyens. Toutefois, les désaccords et les confusions, comme les délais et les arbitrages supplémentaires qui en découlent, risquent également de se multiplier.

Figure 2. Les figures de la structuration politique du territoire du Québec[64]Signalons qu’à Gatineau, la Commission de la capitale nationale du Canada intervient dans le champ de l’aménagement et de l’urbanisme sans obligation formelle de coordination avec cette municipalité ayant par ailleurs certaines compétences de municipalité régionale de comté. S’ajoute la situation particulière du gouvernement régional de l’Eeyou-Istchee-Baie-James, sorte de municipalité régionale de comté au sein de laquelle on retrouve des municipalités et des entités dites « localités » (MAMOT. (2018). L’organisation municipale au Québec en 2018, gouvernement du Québec, ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire). (source : MAMH, s.d.[65]MAMH. (s.d.). Répertoire des municipalités, gouvernement du Québec, ministère des Affaires municipales et de l’Habitation.).

Complexification de la pratique aménagiste

À l’origine, la loi sur l’aménagement et l’urbanisme destinait essentiellement les municipalités régionales de comté à l’aménagement du territoire[66]Notons que, en parallèle, la loi sur la fiscalité municipale (L.Q. 1979, c. 72.), adoptée elle aussi en 1979, leur confiait l’évaluation foncière (Beaulieu et al., 1995, op. cit.).. Ce mandat d’aménagement était alors circonscrit, selon la procédure décrite plus haut, dans une vision où des usages, classés en catégories standardisées, devraient être géographiquement répartis en des zones elles aussi standardisées. La perspective était de desservir adéquatement la population tout en assurant le bon fonctionnement de l’économie. Puisque l’une et l’autre ne pouvaient se concevoir sans croissance, les municipalités régionales de comté, même en milieu rural, étaient implicitement invitées à accorder la priorité à l’urbanisation et aux secteurs secondaires et tertiaires, privés ou publics, pourvu que « toute partie du territoire présentant […] un intérêt d’ordre historique, culturel […], esthétique ou écologique » (art. 5) fasse l’objet d’une certaine attention. Cette approche développementaliste, souvent remise en cause, s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui, quoique sa finalité et sa manière ne suscitent plus la même adhésion.

On peut en conclure qu’il est difficile d’en changer. En témoigne, à la marge, l’occasion manquée que constituent les quelques initiatives menées, dans la foulée du Sommet de la Terre de 1992, pour mettre en œuvre, à l’échelle d’une municipalité régionale de comté ou d’une municipalité, un programme dit Agenda 21 de manière coordonnée avec l’aménagement du territoire (Simard, 2013[67]Simard, M. (2013). L’urbanisme durable au Québec. Plaidoyer en faveur d’un cadre législatif incitatif. Organisations et territoires, 22(3), 61-69.). Plus substantiellement, cette difficulté se manifeste en creux par une tendance à l’accumulation des tâches confiées aux municipalités régionales de comté, comme si les opérations qu’elles doivent mener en vertu de la loi sur l’aménagement et l’urbanisme n’étaient pas, à elles seules, à la hauteur du devoir aménagiste qui leur incombe. Non pas, bien entendu, que ces autres obligations ne soient pas en soi pertinentes, par exemple celle, depuis 2001, d’adopter un schéma de couverture des risques (MSP, 2001[68]MSP. (2001). Contenu et conditions d’établissement du schéma de couverture de risques, gouvernement du Québec, ministère de la Sécurité publique. ; loi sur la sécurité incendie[69]Loi RLRQ c S-3.4.). Le problème réside plutôt dans la combinaison de ces divers éléments en un ensemble cohérent.

À ce titre, mentionnons la commande, en 2017, issue de la loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques[70]Loi L.Q., c 14 (2017).. Cette loi impose l’adoption, en chaque municipalité régionale de comté, d’un plan régional des milieux humides et hydriques, document lui-même accordé au plan directeur de l’eau que tout organisme de bassin versant doit par ailleurs adopter (MELCC, 2019[71]MELCC (2019). Les plans régionaux des milieux humides et hydriques. Démarche d’élaboration. Gouvernement du Québec, Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les Changements Climatiques.). Certes, la pertinence de cette mesure est patente, d’autant plus qu’elle conforte une politique de l’eau mise en œuvre depuis 2001 (Brun et Lasserre, 2010[72]Brun, A. Et Lasserre, F. (2010). Politique nationale de l’eau au Québec : constat et perspectives. [VertigO] La revue électronique en sciences de l’environnement, (7) [En ligne). En effet, il est aisé de concevoir qu’un tel plan devrait, par exemple, assurer une meilleure préservation des milieux humides localisés à proximité des périmètres d’urbanisation. Il n’en demeure pas moins que cette opération fait coexister, sans leur assigner une finalité supérieure commune, deux filières de l’aménagement du territoire, l’une visant la planification des usages dans un territoire politiquement défini, l’autre, la gestion de la ressource aquatique (Dufresne, 2016[73]Dufresne J. (2016). « Partage des compétences entre les paliers de gouvernance : analyse de la gestion intégrée de l’eau dans l’aménagement du territoire au Québec », mémoire de maitrise, université de Sherbrooke, 129 p.).

Il est vrai que ce problème de coexistence n’est pas nouveau. Avant même l’entrée en vigueur de la loi sur l’aménagement et l’urbanisme, avait été adoptée en 1978 la loi sur la protection du territoire agricole. Or l’optique de cette loi toujours en vigueur est de préserver, sous la vigilance d’une institution centralisée, la commission de protection du territoire agricole du Québec[74]Renommée depuis « commission de protection du territoire et des activités agricoles du Québec »., l’intégrité d’une vaste zone agricole qui recouvre de larges pans du territoire municipalisé du Québec (Roy, 2018[75]Roy F. (2018). « Territoire agricole. Une zone protégée sous pression », dans Brousseau Y, Mercier G (dir.), Le Québec d’une carte à l’autre, Québec, Presses de l’Université Laval, p. 42-43.). Ainsi, des contraintes foncières mettent le domaine agricole à l’écart de la prérogative aménagiste de la municipalité régionale de comté. Encore là, deux filières se juxtaposent et, en ce cas, poussent à concevoir le territoire sous deux espèces différentes, où l’une apparaît à l’autre comme un corps extérieur, voire comme un butoir ou, pis, comme une menace (figure 3). On a certes cherché au fil des ans à harmoniser, avec le concours des municipalités régionales de comté, ces deux filières (Ouimet, 2009[76]Ouimet B. (2009). Protection du territoire agricole et développement régional: une nouvelle dynamique mobilisatrice pour nos communautés, Gouvernement du Québec, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec. ; Ruiz et al., 2019[77]Ruiz J, Decelles AM, Dumont A et al. (2019). « Les plans de développement de la zone agricole. Vers une réconciliation entre aménagement du territoire et agriculture ? », dans Proulx MU, Prémont MC (dir.), La politique territoriale au Québec. 50 ans d’audace, d’hésitations et d’impuissance, Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 247-272.), que ce soit, notamment, par l’entremise de la planification de l’usage résidentiel sur les îlots dits déstructurés du territoire agricole (loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, art. 59) ou par l’implantation de plans de développement de la zone agricole (loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, art. 62). Malgré ces initiatives, la même dualité perdure, faisant que l’existence de deux régimes de gestion du territoire, l’un aménagiste et l’autre foncier, perpétue une division ville/campagne de plus en plus arbitraire par rapport aux nouvelles formes urbaines et aux nouvelles pratiques agricoles. Il reste que cette division, tout en conservant certains traits anciens, ne serait-ce que dans l’imaginaire, ne s’en est pas moins, dans les faits, grandement complexifiée (Côté et al., 2014[78] Op. cit.).

Figure 3. Point de contact des zones agricoles et urbaines à Saint-Augustin-de-Desmaures
(source : Martin Simard).

La municipalité régionale de comté, comme on le constate, doit dorénavant composer avec des mandats accolés à sa mission première. De surcroît, ce cumul ne forme pas un tout ordonné. Si les composantes réussissent à y fonctionner, il est difficile de percevoir le bénéfice mutuel qu’elles en tirent. Pour ce qui est du schéma d’aménagement et de développement que toute municipalité régionale de comté doit réviser périodiquement, sa portée se rétrécit lorsqu’il est intégré dans cet ensemble composite. En effet, le schéma d’aménagement et de développement n’apparaît plus, dans ce contexte, comme le principal vecteur de la formation et de l’affirmation d’une orientation aménagiste générique mûrement réfléchie et collectivement appropriée. En fait, il ne lui reste que la possibilité de coordonner les affections du territoire, de sorte que sa mission aménagiste, englobante et synthétique par définition, se trouve réduite à la fonction technique du zonage, un zonage de surcroît brossé à larges traits, un « macrozonage »pour reprendre l’expression de Beaudet et Meloche (2012[79]Beaudet, G. Et Meloche, J. (2012). L’aménagement du territoire au Québec, le parent pauvre des sciences régionales. Revue d’économie régionale et urbaine, octobre (4), 691-716.). Or peut-on réduire la finalité aménagiste à un seul des moyens qui la servent ?

Complexification de la démocratie locale

Par-delà son but et sa méthode, l’aménagement du territoire ne se conçoit pas au Québec sans la légitimité politique que lui confère son inscription dans la démocratie locale. La loi sur l’aménagement et l’urbanismesouscrit à ce principe, quitte à le limiter en le mettant en œuvre. Cette limitation, évoquée plus haut, témoigne, parmi d’autres exemples, du difficile exercice, au Québec, de la démocratie locale. La difficulté s’est pourtant accrue depuis l’adoption en 2017 de la loi visant principalement à reconnaître que les municipalités sont des gouvernements de proximité et à augmenter à ce titre leur autonomie et leurs pouvoirs[80]Loi L.Q., c 13 (2017).. Malgré les problèmes d’éthique, voire de fraude, ayant entaché le milieu municipal (Fortin et Lefebvre, 2018[81]Fortin J.L, Lefebvre S.M. (2018). Gilles Vaillancourt, Le monarque. Montréal, Éditions du Journal, 288p.), le gouvernement du Québec y consentit une plus grande marge de manœuvre aux municipalités, notamment en matière d’aménagement du territoire. Cette loi offre en effet aux autorités municipales dotées d’une politique de consultation idoine la possibilité de se soustraire, en certaines zones, aux référendums[82]Ce droit au référendum, intégré à la loi sur l’aménagement et l’urbanisme en 1996 (art. 127), provenait de la loi concernant la démocratie et la rémunération des élus dans les municipalités (L.Q. 1980, c. 16), adoptée en 1980 (Beaulieu et al., 1995, op. cit.). pouvant être exigés relativement aux modifications envisagées au règlement d’urbanisme sur le zonage. Ainsi, cette mesure favorise théoriquement la participation publique en aménagement du territoire en contrepartie du renoncement au droit de véto que représentait en fait le référendum. On peut y voir une paradoxale atteinte à la démocratie locale.

Les défis

La pratique aménagiste issue de la loi sur l’aménagement et l’urbanismen’est pas, on le constate, sans lourdeurs ni ratés. De même, on peut regretter qu’elle se soit si peu adaptée à de nouvelles exigences qui, en maints aspects, relèvent directement de l’aménagement du territoire. À ce propos, trois défis peuvent être retenus.

Un objet politique démocratiquement assumé

Le premier défi concerne l’envergure démocratique de l’institution aménagiste. La loi sur l’aménagement et l’urbanismemarie la rationalité administrative et la démocratie locale. Sur cette base, la pratique aménagiste au Québec se plie à une procédure systématique et méticuleuse, de même qu’elle puise sa légitimité dans une participation publique active et continue. La difficulté, en l’occurrence, est l’appropriation des questions aménagistes par la population dans un contexte où le jargon technique et les arcanes bureaucratiques complexifient autant la compréhension des règles de l’aménagement que leur mise en pratique. Dans les circonstances, on comprend que l’activisme aménagiste, que l’on souhaite partagé par le plus grand nombre, ait tendance à devenir l’affaire de quelques-uns qui, sachant naviguer dans les méandres de l’institution aménagiste, s’érigent en représentants de la société civile. Et la situation empire quand ces représentants sans mandat donnent la réplique à des élus et à des professionnels qui se contentent d’une plate application de la loi. Le risque est alors que peu, parmi ceux qui prennent part au processus, fassent vraiment œuvre d’aménagement du territoire, au sens noble et plénier du terme. La tentation étant grande de se livrer à une exécution technocratique et politicienne de la loi sur l’aménagement et l’urbanisme en suivant à la lettre la procédure pour sauver les apparences. Mais comment sortir de ce piège ? Faut-il simplifier la procédure, voire la réduire à sa plus simple expression, pour la rendre plus facile à saisir et à mettre en œuvre ?

Il faut admettre que la procédure en cause est inhérente aux principes d’équité, de rationalité et d’harmonisation qui fondent l’institution aménagiste. De fait, toute décision aménagiste en manque de réflexion et de consultation est nécessairement à plus haut risque. C’est pourquoi l’aménagement du territoire est fatalement procédurier, puisque la procédure qui l’enchâsse est la condition même des études et des consultations sérieuses qu’il commande. Néanmoins, comment faire pour que cette responsabilité soit l’affaire d’un plus grand nombre et que les décisions qui en découlent soient le fruit d’une démarche tout aussi rationnelle que démocratique ? Une fois acceptée l’inéluctable procédure, en l’améliorant au besoin, le problème ne réside-t-il pas plutôt en la trop faible valeur politique accordée à l’aménagement du territoire ? La réforme de 1979 a eu le grand mérite de l’ériger en objet politique explicite, c’est-à-dire en thème d’intérêt collectif devant être pris en charge par une institution propre. Cet objet politique a toutefois été engoncé dans un langage technique rébarbatif pour les non-initiés. En outre, il échappe trop souvent au débat public. En effet, les discussions qu’il suscite sont canalisées par des instances spécialisées peu fréquentées par le public ou les médias.

De plus, en ces instances, la procédure et les allégeances concurrencent souvent l’analyse rigoureuse des questions soulevées et le service désintéressé du bien commun. Lorsque ces questions sont traitées pour adoption finale, le langage technique et bureaucratique étant toujours dominant, il demeure malaisé d’en décider à l’avantage du plus grand bien collectif. Dans ces conditions, l’appropriation politique de l’aménagement du territoire reste limitée. Elle l’est d’autant plus que les membres du conseil de la municipalité régionale de comté, instance hautement concernée en la matière, ne sont pas directement élus pour y siéger. Ce faisant, ils n’ont pas à porter d’emblée sur la place publique les questions aménagistes qui y sont traitées, sinon quelques-unes d’entre elles à l’occasion et souvent au seul motif de se rallier ponctuellement l’opinion des électeurs. Bref, l’aménagement du territoire, pour des raisons de communication et plus encore de légitimité électorale, n’est pas suffisamment incorporé dans la démocratie locale. En tant qu’objet politique, l’aménagement du territoire gagnerait certainement en compréhension et en attention s’il était traité en priorité au sein d’instances étatiques régionales où des personnes, élues à cette fin particulière, exercent un pouvoir significatif sur leur milieu.

L’impératif environnemental

Le second défi, tout aussi crucial, est de mettre en place une véritable approche d’aménagement durable du territoire. Certes, la pratique et plus encore le discours se sont adaptés en ce sens. Notamment, le Québec s’est doté en 2006 d’une loi sur le développement durable[83]Loi RLRQ c D-8.1.1., dont une clause permet d’imposer aux collectivités locales des cibles à atteindre, par exemple une limite d’émission des gaz à effet de serre. En vertu de cette loi, on peut demander à ces mêmes collectivités de fournir un rapport annuel sur l’état des démarches visant le développement durable. Encore faudrait-il que le plein potentiel de cette loi soit utilisé. Et pour ce qui est de l’aménagement du territoire en tant que tel, il faut convenir que la loi sur l’aménagement et l’urbanisme freine son ralliement à l’impératif environnemental. Bien entendu, la lutte au changement climatique, la transition énergétique, la santé durable, la mitigation des risques et la préservation des actifs sont des enjeux d’actualité, voire des urgences, qui débordent le champ de l’aménagement du territoire. Elles ne lui en appartiennent pas moins. Dès lors, ne faudrait-il pas qu’une loi vouée à définir l’assise de l’aménagement du territoire se les approprie formellement pour en faire sa mission même ?

Cette appropriation ne doit cependant pas se contenter d’une déclaration de principes. Encore faut-il que les principes retenus s’y déclinent en objectifs précis, quantitativement calibrés et assortis d’un calendrier contraignant, le tout suivi d’actions concrètes soumises, à terme, à une reddition de comptes engageant la responsabilité des élus. Ce pas supplémentaire paraît d’autant plus nécessaire que, au-delà de son importance intrinsèque, l’impératif environnemental recèle un potentiel mobilisateur significatif. Malheureusement, au Québec, l’aménagement du territoire n’a pas encore pleinement réussi à y puiser le surcroît de pertinence sociale qui lui manque encore. Pourtant, cela constituerait un retour aux racines des pratiques planificatrices qui, au Québec comme en maints endroits dans le monde, sont issues dans une large mesure des mouvements de réformes sociales, sanitaires et environnementales (Wolfe, 1994[84]Wolfe JM. (1994). « Un survol historique de l’urbanisme canadien », Plan Canada, n° 6, p. 10-34.). Ainsi, l’aménagement du territoire, judicieusement redéfini autour des valeurs de la durabilité, stimulerait la démocratie autant qu’elle en tire avantage.

La quête d’un projet transcendant

L’aménagement du territoire au Québec paraît enfin manquer de la maturité ou encore de l’ambition qui attesterait de sa plénitude. Non pas qu’il lui faille s’enferrer dans l’utopie ou se complaire ostensiblement dans sa propre noblesse. En respect de la démocratie, l’aménagement du territoire doit porter allégeance à la liberté et à la raison, ce qui commande souplesse et prudence. Il ne peut pour autant renoncer à poursuivre une fin à la hauteur des attentes de son temps. Autrement dit, l’aménagement du territoire ne se concevrait pas sans un projet où s’énonce, consciencieusement et résolument, un idéal de l’occupation de ce territoire.

Rétrospectivement, on constate que l’aménagement du territoire au Québec a peu servi sa propre cause. Il fut, au moment de l’adoption de la loi sur l’aménagement et l’urbanisme, à la remorque de la protection du territoire agricole. On lui assigna alors une tâche de supplétif dans le grand combat contre l’étalement urbain. À terme, on constate que, s’il a pu y gagner quelques batailles, il a bel et bien perdu la guerre, puisque, même policé, l’habitat pavillonnaire, assorti de son long cortège d’infrastructures, d’équipements et de services, est demeuré prédominant (Mercier, 2006[85]Mercier G. (2006). « La norme pavillonnaire : mythologie contemporaine, idéal urbain, pacte social, ordre industriel, moralité capitaliste et idéalisme démocratique », Cahiers de géographie du Québec, n° 50(140), p. 207-239. ; CMM, 2020[86]CMM. (2020). Le phénomène de l’urbanisation périmétropolitaine en progression dans le pourtour du Grand Montréal, Communauté métropolitaine de Montréal, 7 p. [En ligne). Ce modèle a tellement conquis les consciences que les cris d’alarme qui se répètent à l’envi n’y changent rien[87]Parmi les derniers en date, signalons celui lancé par le président de l’Ordre des urbanistes du Québec, le président de l’Union des producteurs agricoles et d’autres leadeurs d’opinion. Son titre est sans équivoque : « Étalement urbain : reprenons le contrôle » (Le Devoir, 29 janvier 2020) [En ligne. Ainsi, le régime aménagiste québécois doit, faute de projet alternatif suscitant l’adhésion, se contenter d’accompagner l’étalement urbain, comme si on pouvait, à coup d’études, de consultations, de concertations et de précautions, y insuffler un supplément d’âme. Certes, il lui a fallu en même temps réurbaniser ce qui, sous le choc de la périurbanisation, reste de la ville ancienne. Pour y redonner des forces, on a jusqu’ici navigué entre deux options : construire à neuf en espérant y réanimer la centralité (Mercier, 2010[88]Mercier G. (2010). « La modernisation de Québec après la Seconde Guerre mondiale : une ville sous l’emprise de sa propre image », dans Morisset LK, Breton ME (dir.), La ville, phénomène de représentation. Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 121-144.) ou améliorer le bâti ancien pour garantir une qualité de vie à ceux qui, par choix ou par nécessité, s’y maintiennent (Rose, 2006[89]Rose D. (2006). « Les atouts des quartiers en voie de gentrification : du discours municipal à celui des acheteurs. Le cas de Montréal », Sociétés contemporaines, n° 3(63), p. 39-61.). L’opération a souvent donné lieu à des luttes où, sur fond d’idéologies urbaines contradictoires, s’opposent des groupes, voire des classes sociales. On peut y voir la formulation de projets d’occupation du territoire aptes à dynamiser son aménagement. Encore là, le mouvement, finalement, n’est que réactif et porte sur une portion congrue du territoire. Bref, c’est l’arbre qui cache la forêt. D’autant plus que l’opération, qu’elle penche du côté de la rénovation ou de celui de la patrimonialisation, n’empêche pas, sinon en grugeant quelques concessions mineures, le déploiement, en cette partie du territoire, de l’infrastructure vouée à l’omniprésence automobile. En parallèle, on a voulu cristalliser de nouvelles centralités urbaines à partir de pôles qui, à la faveur de la périurbanisation, avaient pris forme. L’exercice, qui remonte déjà aux années 1970, a d’abord été axé sur le transport automobile et le demeure amplement, même si le transport collectif, suivant l’exemple de Montréal, semble pouvoir, malgré de fortes résistances, changer la donne un tant soit peu. Ces nouveaux centres, surtout s’ils concentrent une forte population résidente et favorisent la mobilité collective ou active, peuvent alors être perçus comme des innovations aménagistes. Ils ne sont, tout au plus, que des prix de consolation.

Somme toute, la loi sur l’aménagement et l’urbanisme n’a pas encore fourni l’occasion de formuler et de défendre un projet d’occupation du territoire digne de ce nom. L’aménagement du territoire qui en est résulté est, disons, un art d’apprêter les restes, dans la mesure où son champ d’action est surdéterminé par un système agricole et par un système de périurbanisation. Le peu d’initiative qu’on lui consent ou qu’il s’approprie gît en marge des domaines géographiques que ces systèmes s’accaparent en imposant du même coup à l’ensemble leurs conditions sociologiques, culturelles, technologiques, économiques et environnementales. Et cette marginalité, même quand elle donne l’envie ou crée l’illusion de s’affranchir, reste captive des forces dominantes, puisqu’elle ne sert, à terme, qu’à garantir à un agriculturalisme et à une périurbanisation aussi opposés que complices de précieux accommodements, soit en favorisant ce qui leur procure d’emblée une externalité positive (par exemple le domaine foncier pour le premier et l’infrastructure automobile pour l’autre), soit en protégeant minimalement l’environnement et le patrimoine de leur externalité négative. Ainsi assujetti, un régime aménagiste ne peut espérer être le vecteur d’un projet d’occupation du territoire aussi transcendant que démocratiquement débattu et approuvé. Dans ce contexte, l’obstacle est moins la loi sur l’aménagement et l’urbanisme elle-même, mais la difficulté à remettre en cause des modèles qui sont aussi prégnants qu’ils se tapissent souvent dans l’impensé.

Conclusion

Quarante ans après sa mise en œuvre, la loi sur l’aménagement du territoire présente un bilan partagé. Reconnaissons-lui tout de même au moins deux grands mérites. D’une part, grâce à elle, les Québécois, et particulièrement les administrateurs et les élus qui œuvrent en leur nom, connaissent mieux leur territoire. En attestent les schémas d’aménagement et de développement qui, en s’astreignant à une méticuleuse description du territoire, constituent une précieuse encyclopédie de la géographie régionale du Québec. Généralement établi selon les règles de l’art et constamment renouvelé, ce savoir géographique forme une base essentielle à toute décision aménagiste digne de ce nom. Car tel est le crédo de l’aménagement du territoire souhaité : il n’est d’action légitime en la matière sans qu’elle ne soit adossée à un savoir adéquat et toujours amélioré[90]Incidemment, on peut se demander si la discipline géographique elle-même, telle qu’elle se présente aujourd’hui, dans l’enseignement universitaire notamment, offre l’appui nécessaire à cette géographie active au sein de l’aménagement du territoire. Il s’agit là, il est vrai, d’un autre débat.. Sinon, comment pourrions-nous comprendre correctement les contraintes et le potentiel du territoire que nous habitons ? D’autre part, la loi sur l’aménagement et l’urbanisme a fourni aux Québécois plus d’occasions pour débattre des enjeux territoriaux qui les concernent et plus de moyens pour exprimer leur avis sur les décisions prises ou à prendre en ce domaine. Bref, à la faveur de cette loi, le territoire québécois est désormais non seulement mieux compris, mais aussi mieux approprié collectivement, ce qui est une indéniable avancée autant éducative que politique.

Ceci étant dit, l’aménagement du territoire ne se suffit pas de connaissances et de débats. Il doit également poursuivre des idéaux et tenter de les réaliser. Condamné à l’action, il doit plus encore assumer son échec, partiel ou total, pour en faire le motif de sa propre amélioration. Inspirée de l’esprit de la Révolution tranquille, la loi sur l’aménagement et l’urbanisme a porté de nobles idéaux et les a incarnés en créant une institution aménagiste d’envergure. Sur le terrain, à la longue, elle s’est toutefois confrontée aux automatismes intellectuels, aux habitudes individuelles, aux intérêts étroits des uns et des autres, de même qu’aux atavismes bureaucratiques, ce qui montre encore une fois que l’idéalisme se heurte souvent à des valeurs qui, même si elles ne sont pas toujours recommandables et avouables, imprègnent encore maints comportements. La loi sur l’aménagement et l’urbanismea tout de même démontré que l’aménagement du territoire est, malgré tout, une institution indispensable. L’heure est donc à la réforme et non au renoncement.

Rappelons-nous que lors des États généraux tenus en 2006, les attentes à l’horizon de 2026 étaient ambitieuses relativement à l’institution aménagiste québécoise. À l’approche de cette échéance, force est de constater que les améliorations escomptées n’ont pas, ou trop peu, été réalisées. À présent, plusieurs plaident à nouveau pour une réforme en profondeur. Est-ce que ces idées ont davantage de chance, aujourd’hui, d’être mises en pratique ? La tâche n’est pas mince. Ne commande-t-elle pas, à la vérité, une autre révolution tranquille ? Si l’on s’en tient à l’aménagement du territoire au Québec, il faut à tout le moins une révision en profondeur de la loi sur l’aménagement et l’urbanisme, une révision qui intègre la pratique aménagiste dans une vision globale en l’associant pleinement aux justes ambitions démocratiques et environnementales de notre époque. La formule doit être engageante. Encore faut-il la mettre en œuvre. Mais d’où viendra l’initiative qui suscitera l’adhésion et entraînera le mouvement ?

Remerciements

Les auteurs remercient Martin Tremblay-Breault, Francis Roy et Luc Mercier pour leurs conseils.


[1] Il est ici entendu que l’aménagement du territoire, qui comprend l’urbanisme, est ce vaste chapitre de l’acte de gouverner où se conçoit et se prévoit l’organisation de l’établissement humain devant servir au mieux l’intérêt public. L’aménagement du territoire appartient par conséquent au domaine de la planification, en ce sens qu’il porte un jugement sur un état présent (est-il utile, optimal ou harmonieux ?), opte pour la conservation ou la transformation de cet état, propose des moyens d’y arriver et, finalement, prend des mesures appropriées pour sa mise en œuvre.

[2] Loi RLRQ c A-19.1

[3] Gagnon C, Favreau L. (2005). « Stratégies québécoises d’aménagement du territoire et d’économie sociale », dans Klein JL, Tardif C (dir.), Entre réseaux et systèmes, Rimouski, Éditions GRIDEQ-CRDT, p. 77-92.

[4] MAMROT (Ministère des Affaires Municipales, des Régions et de l’Occupation du Territoire. (2011). Document d’information sur l’avant-projet de loi sur l’aménagement durable du territoire et l’urbanisme (Bâtissons ensemble les municipalités de demain), gouvernement du Québec.

[5] Trépanier MO. (2012). « Un nouveau cadre législatif en matière d’urbanisme », dans Beaudet G, Meloche JP, Scherrer F (dir.), Questions d’urbanisme, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, p. 29-36.

[6] États généraux de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme. (2006). Énoncé final : le Québec de 2026, Québec, 4 p.

[7] En 2011, un avant-projet de loi sur l’aménagement et l’urbanisme durable fut présenté par le gouvernement du parti libéral du Québec. Il donnait suite à la promesse du Premier ministre Jean Charest de réviser la loi sur l’aménagement et l’urbanisme dans le but, notamment, « de freiner l’étalement urbain et de densifier les villes » (discours prononcé le 23 novembre 2009). Or, pour ce faire, on crut nécessaire de réduire la pression sur les promoteurs immobiliers en instaurant des zones franches (sans zonage) et de diminuer les obligations des autorités municipales en matière de consultations publiques.

[8] La Haye JC. (1968). Rapport de la Commission provinciale d’urbanisme, Québec, Imprimeur de la Reine.

[9] Castonguay C. (1976). L’urbanisation au Québec. Rapport du Groupe de travail sur l’urbanisation, Québec, Éditeur officiel du Québec.

[10] Kenniff P. (1981). « Les récentes réformes législatives en droit municipal québécois : bilans et perspectives d’avenir », Revue de droit de l’Université de Sherbrooke, n° 12(1), p. 4-46.

[11] Glenn JM. (1986). La décentralisation de l’aménagement du territoire : mythe ou réalité ? Les Cahiers de droit, n° 27(2), p. 355-370.

[12] Bélanger Y, Comeau R, Métivier C. (dir.). (2000). La Révolution tranquille. 40 ans plus tard : un bilan, Montréal, Éditions VLB, 316 p.

[13] Les institutions et les politiques propres aux régions administratives, bien que leur rôle ne soit pas négligeable, ne sont pas commentées ici, de manière à mieux cibler notre propos.  

[14] Giguère W. (2018). « Les influences transnationales sur la nationalisation de l’électricité au Québec (1934-1963) », Bulletin d’histoire politique, n° 27(1), p. 93-111.

[15] Desbiens C. (2014). Puissance nord. Territoire, identité et culture de l’hydroélectricité au Québec, Québec, Presses de l’Université Laval, 318 p.

[16] Mercier G, Ritchot G. (1997). « La Baie James : une rencontre que la bureaucratie n’avait pas prévue », Cahiers de géographie du Québec, n° 41(113), p. 137-169.

[17] Lasserre F. (2009). « Les aménagements hydroélectriques du Québec : le renouveau des grands projets », Géocarrefour, n° 84(1-2), p. 11-18.

[18] Higgins B. (1986). The Rise and Fall of Montreal. A Case Study of Urban Growth, Regional Economic Expansion and National Development, Moncton, Institut canadien de recherche sur le développement régional, 256 p.

[19] Le débat issu de la publication en 1970 du rapport dit HMR illustre les difficultés de l’atteinte de cet équilibre (Higgins B, Martin F, Raynauld A. (1970). Les orientations du développement économique régional dans la province de Québec,Ottawa, ministère de l’Expansion économique régionale, 365 p.).

[20] Morin D. (2017). « Le Baeq, la légende et l’esprit du développement régional québécois », dans Bérubé H, Savard S (dir.), Pouvoir et territoire au Québec depuis 1850, Québec, Septentrion, p. 263-309.

[21] Proulx MU. (2008). « 40 ans de planification territoriale au Québec », dans Gauthier M, Gariépy M, Trépanier M et MO (dir.), Renouveler l’aménagement et l’urbanisme. Planification territoriale, débat public et développement durable, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, p. 23-54.

[22] Cette situation mena à la mise en place par le gouvernement canadien d’un inventaire des terres (Klein JL. (2010). « Changements de paradigme en géographie et aménagement du territoire », Cahiers de géographie du Québec, n° 54(151), p. 133-152), ainsi que d’un système de gestion de l’offre pour moderniser les pratiques agricoles et pour réserver un marché intérieur aux produits laitiers, aux œufs et à la volaille (Heminthavong K. (2018). Le mécanisme de la gestion de l’offre au Canada, Ottawa, Bibliothèque du Parlement, 15 p.).

[23] Loi RLRQ c P-41.1.

[24] Mercier G, Côté M. (2012). « Ville et campagne : deux concepts à l’épreuve de l’étalement urbain », Cahiers de géographie du Québec, n° 56(157), p. 123-150.

[25] Côté M, Mercier G, Roy F. (2014). « L’urbanisation de la campagne. Motifs et options du régime québécois de protection du territoire agricole », Cahiers de géographie du Québec, n° 58(165), p. 391-409.

[26] Loi RLRQ c P-9.002.

[27] Roy F, Mercier G. (2013). « La nouvelle loi sur le patrimoine culturel : sa vision actualisée du patrimoine et ses répercussions au plan foncier », Géomatique, n° 39(4), p. 16-24 [En ligne].

[28] Loi RLRQ c Q-2.

[29] Des parcs nationaux fédéraux furent aussi implantés dans les années 1970 et 1980, non sans soulever quelques controverses, comme dans le cas du parc Forillon (Babin A. (2015). L’expropriation du territoire de Forillon. Les décisions politiques au détriment des citoyens, Québec, Presses de l’Université Laval, 174 p.).

[30] Lavoie M. (2018). « Patrimoine naturel. Des aires protégées en progression », dans Brousseau Y, Mercier G (dir.), Le Québec d’une carte à l’autre, Québec, Presses de l’Université Laval, p. 38-39.

[31] Di Méo G, Buléon P. (2005). L’espace social. Lecture géographique des sociétés,Paris, Armand Colin, 304 p.

[32] Gumuchian H, Grasset E, Lajarge R, Roux E. (2003), Les acteurs, ces oubliés du territoire, Paris, Anthropos, 186 p.

[33] Klein JL. (2010). « Changements de paradigme en géographie et aménagement du territoire », Cahiers de géographie du Québec, n° 54(151), p. 133-152.

[34] Beaudet G, Lewis P, Gill D, Décarie J. (2000). Le pays réel sacrifié. La mise en tutelle de l’urbanisme au Québec, Québec, Nota Bene, 338 p.

[35] Hodge G, Gordon D. (2013). Planning Canadian Communities, Toronto, Methuen, 461 p.

[36] Simard M, Mercier G. (2009). « Trente ans d’aménagement institutionnalisé au Québec. Une contribution au modèle québécois ? », Études canadiennes / Canadian Studies, n° 66, p. 139-151.

[37] Pilette D, Tribillon JF. (1993). L’urbanisme, Montréal, Fisher Presses, 157 p.

[38] Rousseau G. (2011). « La loi sur l’aménagement et l’urbanisme 30 ans plus tard : toujours entre centralisation et décentralisation », Les Cahiers de droit, n° 52 (2), p. 197-244.

[39] Des corporations de comté encadraient déjà certaines municipalités rurales, mais leur pouvoir était restreint comparativement à celui d’une municipalité régionale de comté (MAMH. (2019). La municipalité régionale de comté. Compétences et responsabilités, gouvernement du Québec, ministère des Affaires municipales et de l’Habitation.).

[40] Le terme « municipalité », dont l’équivalent français serait « commune »,est ici entendu comme un générique qui comprend toutes les entités municipales québécoises, peu importe leur statut juridique spécifique, à l’exception des agglomérations, des municipalités de village cri, naskapi et nordique, de même que des réserves indiennes, des établissements amérindiens, des terres réservées aux Cris ou aux Naskapis, des terres de la catégorie I pour les Inuits et des territoires non organisés. Autrement dit, est considérée comme une municipalité dans le présent article toute entité étatique québécoise ayant le titre de cité, ville, municipalité de canton, municipalité de cantons unis, municipalité de paroisse, municipalité ou municipalité de village. Voir le Répertoire des municipalités du Québec.

[41] Loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire.

[42] Fortin, G. Et Parent, L. (1985). Les MRC : un devenir perpétuel. Montréal, INRS-Urbanisation, coll. Études et documents, (42), 68p.

[43] Ou de l’entité étatique qui, en quelques cas, en tient lieu.

[44] Ou l’équivalent dans quelques cas où l’entité étatique ayant cette fonction n’est pas une municipalité régionale de comté.

[45] Le schéma d’aménagement et de développement et le plan d’urbanisme correspondent respectivement au schéma de cohérence territoriale et au plan local d’urbanisme du régime aménagiste français (loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains), bien que dans l’Hexagone les questions de l’habitat et des déplacements soient traitées plus directement par ailleurs (Douay N. (2013). « La planification urbaine française : théories, normes juridiques et défis pour la pratique », L’Information géographique, vol. 77(3), p. 45-70).

[46] Détaillés au chapitre IV de la loi sur l’aménagement et l’urbanisme (art. 113 à 145), les règlements d’urbanisme d’une municipalité comprennent, pour n’en nommer que quelques-uns, le règlement de zonage, le règlement de lotissement, le règlement de construction, les plans d’aménagement d’ensemble et les plans d’implantation et d’intégration architecturale. Dans les territoires dits « non organisés », qui ne sont pas rattachés à une municipalité, les règlements d’urbanisme sont adoptés par la municipalité régionale de comté qui les regroupe.

[47] Beaulieu B, Ferland Y, Roy F. (1995). L’arpenteur-géomètre et les pouvoirs municipaux en aménagement du territoire et en urbanisme, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 450 p.

[48] Charles R. (1974). Le zonage au Québec, un mort en sursis, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 171 p.

[49] Guay PY. (2002). Introduction à l’urbanisme, Montréal, Modulo, 192 p.

[50] Ces plans ont été incorporés à la loi sur l’aménagement et l’urbanisme en 1987 pour le premier et en 1989 pour le second.

[51] Op. cit.

[52] Lewis P. (1990). L’invention de la rationalité. Patrick Geddes et le modèle rationaliste, Montréal, Faculté de l’aménagement, Université de Montréal, 42 p.

[53] Beaudet G. (2007). Profession urbaniste, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 69 p.

[54] Boisvert A. (2014). Aménagement et urbanisme au Québec, Québec, Éditions GID, 726 p.

[55] Bacqué M, Gauthier M. (2011). « Participation, urbanisme et études urbaines : quatre décennies de débats et d’expériences depuis A Ladder of Citizen Participation de S. R. Arnstein », Participations, n° 1(1), p. 36-66.

[56] Bherer L. (2011). « Les trois modèles municipaux de participation publique au Québec », Télescope, n° 17(1), p. 157-171.

[57] Sénécal G. (2016). La société des acteurs. Les voix du monde vécu, Montréal, Liber, 191 p.

[58] Roy F, Mercier G. (2016). « Aménagement du territoire et gouvernance métropolitaine : l’agglomération de Québec », dans Gariépy M, Roy-Baillargeon O (dir.), Gouvernance et planification collaborative. Cinq métropoles canadiennes, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, p. 99-132.

[59] Deslauriers J, Gagné R, Paré J. (2016). Les défusions municipales, 10 ans plus tard : état des faits, Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers / HEC Montréal [En ligne].

[60] Prémont MC. (2019). Ces réformes municipales qui n’ont pas abouti. Dans Proulx MU, Prémont MC (dir.), La politique territoriale au Québec. 50 ans d’audace, d’hésitations et d’impuissance, Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 95-122.

[61] À cet égard, on peut se demander pourquoi des villes moyennes comme Gatineau ou Trois-Rivières, voire Laval, n’ont pas été dotées par la même occasion d’arrondissements, contrairement à Lévis, Saguenay et Sherbrooke.

[62] Trépanier MO. (2008). « Planification territoriale, pratiques démocratiques et arrondissements dans la nouvelle Ville de Montréal », dans Gauthier M, Gariépy M, Trépanier MO (dir.), Renouveler l’aménagement et l’urbanisme. Planification territoriale, débat public et développement durable, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, p. 221-246.

[63] Complexification qui, il est vrai, n’est pas sans paradoxe, puisque les conférences régionales d’élus furent abolies en 2015, mettant fin à une expérience de plus de quarante ans de concertation et de planification à l’échelle des régions administratives (Proulx MU. (2015). « Constats sur la gouvernance des territoires », Organisations et territoires, n° 24(3), p. 7-16).

[64] Signalons qu’à Gatineau, la Commission de la capitale nationale du Canada intervient dans le champ de l’aménagement et de l’urbanisme sans obligation formelle de coordination avec cette municipalité ayant par ailleurs certaines compétences de municipalité régionale de comté. S’ajoute la situation particulière du gouvernement régional de l’Eeyou-Istchee-Baie-James, sorte de municipalité régionale de comté au sein de laquelle on retrouve des municipalités et des entités dites « localités » (MAMOT. (2018). L’organisation municipale au Québec en 2018, gouvernement du Québec, ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire).

[65] MAMH. (s.d.). Répertoire des municipalités, gouvernement du Québec, ministère des Affaires municipales et de l’Habitation.

[66] Notons que, en parallèle, la loi sur la fiscalité municipale (L.Q. 1979, c. 72.), adoptée elle aussi en 1979, leur confiait l’évaluation foncière (Beaulieu et al., 1995, op. cit.).

[67] Simard, M. (2013). L’urbanisme durable au Québec. Plaidoyer en faveur d’un cadre législatif incitatif. Organisations et territoires, 22(3), 61-69.

[68] MSP. (2001). Contenu et conditions d’établissement du schéma de couverture de risques, gouvernement du Québec, ministère de la Sécurité publique.

[69] Loi RLRQ c S-3.4.

[70] Loi L.Q., c 14 (2017).

[71] MELCC (2019). Les plans régionaux des milieux humides et hydriques. Démarche d’élaboration. Gouvernement du Québec, Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les Changements Climatiques.

[72] Brun, A. Et Lasserre, F. (2010). Politique nationale de l’eau au Québec : constat et perspectives. [VertigO] La revue électronique en sciences de l’environnement, (7) [En ligne].

[73] Dufresne J. (2016). « Partage des compétences entre les paliers de gouvernance : analyse de la gestion intégrée de l’eau dans l’aménagement du territoire au Québec », mémoire de maitrise, université de Sherbrooke, 129 p.

[74] Renommée depuis « commission de protection du territoire et des activités agricoles du Québec ».

[75] Roy F. (2018). « Territoire agricole. Une zone protégée sous pression », dans Brousseau Y, Mercier G (dir.), Le Québec d’une carte à l’autre, Québec, Presses de l’Université Laval, p. 42-43.

[76] Ouimet B. (2009). Protection du territoire agricole et développement régional: une nouvelle dynamique mobilisatrice pour nos communautés, Gouvernement du Québec, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec.

[77] Ruiz J, Decelles AM, Dumont A et al. (2019). « Les plans de développement de la zone agricole. Vers une réconciliation entre aménagement du territoire et agriculture ? », dans Proulx MU, Prémont MC (dir.), La politique territoriale au Québec. 50 ans d’audace, d’hésitations et d’impuissance, Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 247-272.

[78] Op. cit.

[79] Beaudet, G. Et Meloche, J. (2012). L’aménagement du territoire au Québec, le parent pauvre des sciences régionales. Revue d’économie régionale et urbaine, octobre (4), 691-716.

[80] Loi L.Q., c 13 (2017).

[81] Fortin J.L, Lefebvre S.M. (2018). Gilles Vaillancourt, Le monarque. Montréal, Éditions du Journal, 288p.

[82] Ce droit au référendum, intégré à la loi sur l’aménagement et l’urbanisme en 1996 (art. 127), provenait de la loi concernant la démocratie et la rémunération des élus dans les municipalités (L.Q. 1980, c. 16), adoptée en 1980 (Beaulieu et al., 1995, op. cit.).

[83] Loi RLRQ c D-8.1.1.

[84] Wolfe JM. (1994). « Un survol historique de l’urbanisme canadien », Plan Canada, n° 6, p. 10-34.

[85] Mercier G. (2006). « La norme pavillonnaire : mythologie contemporaine, idéal urbain, pacte social, ordre industriel, moralité capitaliste et idéalisme démocratique », Cahiers de géographie du Québec, n° 50(140), p. 207-239.

[86] CMM. (2020). Le phénomène de l’urbanisation périmétropolitaine en progression dans le pourtour du Grand Montréal, Communauté métropolitaine de Montréal, 7 p. [En ligne].

[87] Parmi les derniers en date, signalons celui lancé par le président de l’Ordre des urbanistes du Québec, le président de l’Union des producteurs agricoles et d’autres leadeurs d’opinion. Son titre est sans équivoque : « Étalement urbain : reprenons le contrôle » (Le Devoir, 29 janvier 2020) [En ligne].

[88] Mercier G. (2010). « La modernisation de Québec après la Seconde Guerre mondiale : une ville sous l’emprise de sa propre image », dans Morisset LK, Breton ME (dir.), La ville, phénomène de représentation. Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 121-144.

[89] Rose D. (2006). « Les atouts des quartiers en voie de gentrification : du discours municipal à celui des acheteurs. Le cas de Montréal », Sociétés contemporaines, n° 3(63), p. 39-61.

[90] Incidemment, on peut se demander si la discipline géographique elle-même, telle qu’elle se présente aujourd’hui, dans l’enseignement universitaire notamment, offre l’appui nécessaire à cette géographie active au sein de l’aménagement du territoire. Il s’agit là, il est vrai, d’un autre débat.