frontispice

La planification des périphéries métropolitaines à la recherche d’éléments de cohésion
Une comparaison Toulouse/Montréal

• Sommaire du no 2

Juliette Rochmann Université du Québec à Montréal, Centre de Recherche sur les Innovations Sociales Corinne Siino Université de Toulouse 2 Jean Jaurès, UMR LISST-CIEU

La planification des périphéries métropolitaines à la recherche d’éléments de cohésion : une comparaison Toulouse/Montréal, Riurba no 2, juillet 2016.
URL : https://www.riurba.review/article/02-planification-strategique/peripheries/
Article publié le 1er juil. 2016

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Juliette Rochmann, Corinne Siino
Article publié le 1er juil. 2016
  • Abstract
  • Résumé

Planning periurban areas in search of cohesion. A comparison Toulouse/Montreal

This paper presents the way strategic planning balances sustainable development goals with land management projects in two different institutional, statutory and socio-political contexts, France and Quebec. Particularly marked by the problematic of sustainability, suburban areas in Toulouse and Montreal are analysed through different planning strategies that are displayed. In these areas planning depends on compromise among which the themes and the tools of development appear upstream and sometimes during projects that are innovative and drive certain forms of sustainability. These compromises may allow a consensus and legitimization of the projects that infer a certain return to grace of planning practice.

Cet article présente dans deux contextes institutionnels, règlementaires et socio- politiques différents (la France et le Québec) la manière dont la planification stratégique s’appuie sur et compose avec la durabilité pour des projets d’aménagement. Particulièrement marqués par les problématiques de durabilité, les espaces périurbains de Toulouse et de Montréal sont analysés pour les diverses stratégies planificatrices qui s’y déploient. Dans ces espaces, la planification se trouve confrontée aux échelles locales de la durabilité. Elle dépend alors de compromis dont les thèmes et les outils de développement apparaissent en amont ou au cours de projets parfois innovants et moteurs de certaines formes de durabilité. Ces compromis peuvent permettre un consensus et une légitimation des projets qui induisent un certain retour en grâce de la planification.

Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
post->ID de l’article : 4521 • Résumé en_US : 5017 • Résumé fr_FR : 5014 •
Photo 1. Le périurbain à Montréal (source : Wikipédia[1]Montréal–Trudeau International Airport, en.wikipedia.org [En ligne).

Dans un contexte d’affaiblissement des finances publiques locales, quels que soient les pays, la périphérie des aires métropolitaines est soumise à de nombreuses tensions. Celles-ci relèvent tantôt de l’expérimentation de nouveaux outils d’aménagement, tantôt de la réitération de conflits entre territoires périphériques et cœur métropolitain (portant sur des incompatibilités de fonctions ou sur l’occupation du sol). Elles sont de plus exacerbées par les règlementations en matière de protection environnementale et de durabilité. Dans ces conditions, l’aménagement et la planification se trouvent eux-mêmes en tension entre l’obligation de borner le développement économique et urbain dans des cadres règlementaires et stratégiques et la place conférée aux enjeux de durabilité par des configurations locales d’acteurs.

Dans cet article, nous revenons sur une recherche comparative (Toulouse-Montréal) réalisée pour le PUCA (2010-2012[2]Programme de recherche du PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture), « Localisation des activités économiques et développement durable des territoires ».) pour envisager comment les attentes et les contraintes réglementaires en matière de Développement Durable[3]L’expression Développement Durable sera remplacée dans le corps du texte par l’acronyme DD. (DD) font émerger des systèmes de gouvernance mais constituent également des limites à la planification. Pour ce faire, nous présenterons dans un premier temps le rôle de la planification face au développement de l’urbanisation sous contrainte de durabilité dans les territoires périurbains. La comparaison de réalités nationales distinctes permettra de comprendre les modalités d’utilisation du DD dans les stratégies de développement économique et d’aménagement des territoires périurbains. Nous nous attacherons ensuite aux nouvelles formes de compromis que l’intégration du DD favorise ou suscite dans la planification de ces territoires. Enfin, nous présenterons les limites de ces modalités de gouvernance en termes de cohésion et d’intégration à un niveau interterritorial.

Des territoires périurbains mis en tension par la planification

L’intégration du développement durable
dans l’aménagement des territoires

Malgré un intérêt unanimement reconnu, le DD devient relativement flou lorsqu’il est traduit dans les politiques publiques d’aménagement. Par définition (Jepson, Edwards, 2010[4]Jepson Jr EJ, Edwards MM. (2010). How possible is sustainable urban development? An analysis of planners’ perceptions about new urbanism, smart growth and the ecological city. Planning, Practice & Research, n° 25(4), p. 417-437.), il implique une responsabilité dans le temps long difficilement compatible avec des calendriers politiques ou l’évaluation des politiques de planification. De plus, le passage d’une politique d’action publique à ce qui a été qualifié de « gestion territorialisée des problèmes publics » (Duran, 1999[5]Duran P. (1999). Penser l’action publique, Paris, LGDJ.) implique de nouveaux modes de travail. Ces modes de travail s’appuient plus systématiquement sur la concertation et ont recours à des méthodologies de travail collectif (Rey-Valette et Roussel, 2006[6]Rey-Valette H, Roussel S. (2006). L’évaluation des dimensions territoriale et institutionnelle du développement durable, Développement durable et territoires, dossier 8 [En ligne) ainsi qu’à des référentiels de la durabilité. L’absence d’un consensus sur ces référentiels comme sur les outils et modalités d’évaluation des réalisations en matière de DD (Sénécal, Hamel, 2001[7]Sénécal C, Hamel PJ. (2001). Ville compacte et qualité de vie : discussions autour de l’approche canadienne des indicateurs de durabilité, The Canadian Geographer/Le géographe canadien, n° 45(2), p. 306-318. ; Lazerri, 2008[8]Lazzeri Y. (2008). Le développement durable : du concept à la mesure, Paris, L’Harmattan, 153 p.) complique sa mise en œuvre. Enfin, son intégration effective est parfois critiquée au titre d’opérations essentiellement opportunistes en termes de communication ou de labellisation de process. Ces difficultés à traduire l’injonction au DD dans la pratique se superposent à deux aspects majeurs :

Dans un contexte d’affaiblissement des cadres nationaux et de transfert de responsabilité aux différents échelons territoriaux (Jouve, Booth, 2004[9]Jouve B, Booth P. (dir.). (2004). Démocraties métropolitaines : transformations de l’État et politiques urbaines au Canada, en France et en Grande-Bretagne. PUQ. 356 p. ; Bertrand, Peyrache-Gadeau, 2009[10]Bertrand N, Peyrache-Gadeau V. (2009). Cohésion sociale et cohérence territoriale, quel cadre de réflexions pour l’aménagement et le développement ? Introduction., Géographie, économie, société, vol. 11, n° 2, p. 85-91.), les efforts d’intégration du DD se traduisent différemment selon les échelles de référence des institutions et/ou des acteurs (Godard, 1997[11]Godard O. (1997). Le développement durable. Projets et recompositions par les échelles territoriales, Pouvoirs locaux, n° 3(34), p. 34-38. ; Allemand, 2007[12]Allemand S. (2007). Les paradoxes du développement durable, Le Cavalier bleu, 192 p.). À ce titre, il constitue un défi majeur que doivent relever les espaces métropolitains (Godard, 1996[13]Godard O. (1996). Le développement durable et le devenir des villes : bonnes intentions et fausses bonnes idées, Futuribles, n° 209, p. 29-35.). Ces derniers sont en effet marqués par les résultats des choix antérieurs de développement et des interprétations différentes des trois piliers du DD pour de nouveaux projets d’aménagement (Mancébo, 2007a[14]Mancébo F. (2007a). Quels référentiels pour un aménagement « durable » ?, L’Information géographique, vol. 71, n° 3, p. 29-47. ; Maillefert, Rousseau, Zuindeau, 2010[15]Maillefert M, Rousseau S, Zuindeau B. (2010). Lectures hétérodoxes du développement durable, Développement durable et territoires, vol. 1, n° 3 [En ligne).

Le DD inclut la participation des usagers et des citoyens à côté des décideurs publics et privés dans les projets d’aménagement (Da Cunha, 2005[16]Da Cunha A. (2005). Enjeux du développement urbain durable : transformations urbaines, gestion des ressources et gouvernance, PPUR, Presses Polytechniques. 473 p.). Les logiques de bottom-up versus celles du top down, sont donc en partie recomposées. Toutefois, l’opposition traditionnelle entre les intérêts de riverains et les intérêts d’autres échelles demeure dans les aspects décisionnels.

Dans ce contexte, la planification, qui est un moyen d’intégrer (a minima) des normes imposées par le DD, devient aussi un outil pour arbitrer les tensions occasionnées par les contraintes qu’il impose (Brodhag, 2000[17]Brodhag C. (2000). Le développement durable et l’aménagement du territoire : les enjeux du débat actuel en France, dans Sedjari A. Aménagement du territoire et développement durable : quelles intermédiations ?, Paris, L’Harmattan/GRET, p. 31-56.).

Quels que soient les contextes nationaux, les espaces périurbains des métropoles sont présentés par leurs élus et perçus par leurs habitants comme censés atténuer les problèmes cristallisés dans la ville (Mancébo, 2007b[18]Mancébo F. (2007b). Une périurbanisation durable : des écueils aux opportunités, UMR Louest/Mosaïques, université de Nanterre, p. 1-15.). Ils sont donc mis en tension par les contraintes de l’aménagement durable ou par l’installation d’entreprises qui induisent fréquemment la mise en œuvre de stratégies spatialement peu coordonnées, voire antagonistes. Qu’attendre alors du DD dans la planification locale ?

Au Québec, la sensibilité face aux préoccupations sociales et environnementales a été progressivement affichée et revendiquée par les décideurs publics (Gouvernement du Québec, 2006[19]Gouvernement du Québec. (2006). Projet de loi n° 118, chapitre 3 : « Loi sur le développement durable ». ; 2011[20]Gouvernement du Québec. (2011). Projet de loi n° 47 : « Loi sur l’aménagement durable du territoire et l’urbanisme ».) comme par les citoyens, bien que leurs objectifs respectifs ne soient pas nécessairement convergents. La régulation de la vie citadine repose par ailleurs sur une tradition de participation et collaboration remontant au début des années 1980 (Fontan, Klein, Tremblay, 2004[21]Fontan JM, Klein JL, Tremblay DG. (2004). Innovation et société : pour élargir l’analyse des effets territoriaux de l’innovation, Géographie, économie, société, n° 6(2), p. 115-128.).

Ces deux caractéristiques nous ont incités à une mise en perspective avec la France afin de voir comment les cadres qui régissent le développement local intégraient la durabilité.

La comparaison France/Québec révèle tout d’abord des compréhensions différentes de la durabilité, du moins dans les discours politiques et institutionnels s’y référant. En France, la durabilité est surtout attachée aux aspects de la préservation environnementale, au maintien d’espaces verts et à l’économie d’énergie. Au Québec, la durabilité est entendue comme les conditions environnementales mais aussi économiques et sociales censées assurer le bien-être de la population. De plus, les nouveaux modes de travail ayant recours aux référentiels de la durabilité ont tendance à être moins mobilisés en France qu’en Europe du Nord ou au Canada (Sénécal, Hamel, Vachon, 2005[22]Sénécal G, Hamel PJ, Vachon N. (2005). Forme urbaine, qualité de vie, environnements naturels et construits : éléments de réflexion et test de mesure pour la région métropolitaine de Montréal, Cahiers de géographie du Québec, n° 49(136), p. 19-43.).

Ces constats ont amené l’hypothèse que les trois dimensions seraient plus intégrées au Québec qu’en France. Une comparaison de la traduction de la durabilité dans la planification locale des espaces périurbains permet alors de repérer en quoi cela induit des différences dans la construction d’un aménagement durable.

L’espace périurbain questionné
par la planification durable

Le périurbain idéalisé (Mancébo, 2007a[23]Mancébo F. (2007a), op. cit. ; 2014[24]Mancébo F. (2014). Périurbanisation et durabilité : inverser la perspective, Cybergeo: European Journal of Geography, Aménagement, Urbanisme, document 686 [En ligne) est victime de son attractivité qui induit des pressions sur son organisation et ses ressources (Torre et al., 2006[25]Torre A, Aznar O, Bonin M et al. (2006). Conflits et tensions autour des usages de l’espace dans les territoires ruraux et périurbains. Le cas de six zones géographiques françaises, Revue d’Économie Régionale & Urbaine, n° 3, p. 415-453.). La planification décentralisée de zones dédiées au développement économique ou résidentiel peut alors devenir source de tension entre élus, populations résidentes ou non et entreprises (Kirat, Torre, 2007[26]Kirat T, Torre A. (2007). Conflits d’usages et dynamiques spatiales. Les antagonismes dans l’occupation des espaces périurbains et ruraux (II), Géographie, économie, société, vol. 9, n° 2, p. 119-120.). La planification est souvent envisagée par les communes, voire les intercommunalités, comme un outil permettant de recomposer l’affectation de leur patrimoine (foncier, bâti et environnemental) pour mener à bien leurs projets (Martin, Bertrand, Rousier, 2006[27]Martin S, Bertrand N, Rousier N. (2006). Les documents d’urbanisme, un outil pour la régulation des conflits d’usage de l’espace agricole périurbain ?, Géographie, économie, société, n° 8(3), p. 329-350.). Dépassant les arrangements locaux, elle doit aujourd’hui s’inscrire dans une perspective globale (Theys, Emelianoff, 2001[28]Theys T, Emelianoff C. (2001). Les contradictions de la ville durable, Le Débat, n° 113(1), p. 122-135 [En ligne) permettant d’intégrer ces projets dans des cadres pertinents pour faire valoir leur durabilité.

Or cette responsabilité est de plus en plus à la charge des acteurs publics locaux et dépend de leurs projets pour les espaces périurbains. Ainsi, le DD complexifie les débats sur la planification de l’espace périurbain (Prost, 1991[29]Prost B. (1991). Territorial conflict and spatial change: the rural-peri-urban transformation. Revue de géographie de Lyon, n° 66(2), p. 96-102. ; Louargant et Roux, 2011[30]Louargant S, Roux E. (2011). Futurs périurbains : de la controverse à la prospective. Territoires 2040, p. 33-49.).

La durabilité dans les cadres de la planification
à différentes échelles

Depuis presque deux décennies, la succession de lois et la création d’outils, justifiée par la recherche de l’équité sociale et la garantie d’un développement soucieux de la préservation environnementale en France[31]Loi SRU du 13 décembre 2000 qui crée les SCOT, puis lois Grenelle 1 et 2 (3 août 2009 et du 12 juillet 2010) portant engagement national pour l’environnement. ou des remaniements législatifs au Québec (loi sur l’aménagement et l’urbanisme, devenue Loi 47 sur l’Aménagement Durable du Territoire et l’Urbanisme — LADTU en 2011) ont visé à la conception d’une planification qui, au nom de la durabilité, ne peut se concevoir autrement que dans un périmètre élargi (tableau 1). En France comme au Québec, les schémas aux échelles régionales ou locales ne parviennent que très partiellement à articuler les logiques des différents niveaux de décision par un aménagement attractif (Beaucire et al., 1999[32]Beaucire F, Rosales-Montano S, Duflos E, Turchetti I. (1999). Les outils de planification urbaine au service de la relation urbanisme/transport : approche dans la perspective du développement durable, Synthèse de recherche, Projet DRAST/PREDIT 98MT115, Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme, mai 1999, 20 p.). Au niveau local, l’intégration des échelles conduit à penser la planification durable sur le territoire des régions métropolitaines élargies. Or le cumul d’effets critiques pour l’environnement[33]Par exemple, le rejet de GES, le mitage par les infrastructures de transports, la disparition de surfaces agricoles devenues inexploitables ou de réserves d’espaces naturels… déborde les communes ou intercommunalités ayant choisi d’accueillir de nouvelles activités, et concernent également celles qui les entourent et servent de réserves de foncier résidentiel ou d’espaces de loisirs.

En France, le périurbain éprouve une difficulté d’intégration du développement durable dans la planification (comme dans les politiques sectorielles). Alors que l’État incite à l’élaboration de planifications à l’échelle élargie, de nombreuses communes périurbaines ne souhaitent pas participer à des exercices de planification initiés par les agglomérations. C’est par exemple le cas pour des politiques de logement ou de développement économique dont les intercommunalités peuvent se saisir sans pour autant recouper des limites d’un SCoT. En conséquence, dans les territoires périurbains, la cohérence entre les projets des intercommunalités demeure à construire. Les inflexions proposées dans le cadre des SCoT et le respect des lois Grenelle (évalué par les services déconcentrés) confrontent les EPCI (Établissements Publics de Coopération Intercommunale) et les communes à une complexité des cadres dans lesquels il s’agirait d’inscrire leur développement, alors qu’ils n’adhèrent pas à une vision planificatrice à plus grande échelle.

Au Québec, des efforts pour structurer la planification (Mercier, Simard, Côté, 2014[35]Mercier G, Simard M, Côté M. (2014). L’urbanisation diffuse : un difficile mais inévitable défi d’aménagement, Cahiers de géographie du Québec, n° 58(165), p. 323-327.) à l’échelle régionale et, pour la Communauté Métropolitaine de Montréal (CMM) à l’échelle métropolitaine, se traduisent par l’élaboration de documents intégrant les principes d’un nouvel urbanisme qui se réfère aux principes de la durabilité. Cependant, ces documents peinent à recueillir auprès des différentes collectivités un consensus suffisant pour assurer leur viabilité et leur mise en application (Major, 2014[36]Major AF. (2014), « Évaluation des quartiers durables : un référentiel pour les municipalités québécoises », mémoire de maîtrise en environnement, université de Sherbrooke, Québec, 87 p.). Alors même que l’intégration des principes du DD à l’échelle du Québec nécessiterait une meilleure coordination entre les différents échelons et un renforcement de la capacité d’action intermunicipale, c’est à l’échelon local (précisément à travers les PU) voire microlocal (PPU) qu’est mise en œuvre une nouvelle conception[37]Cette conception « nouvelle » est principalement véhiculée par des fonctionnaires territoriaux, recrutés pour la plupart au cours des 5 à 10 dernières années, qui ont été sensibilisés, voire formés, aux différents aspects du DD au cours de leur cursus (souvent universitaire) et s’appliquent à les mettre en œuvre lorsque le contexte local le permet. de l’aménagement pourtant prometteuse.

La relative faiblesse des cadres de la planification, accentuée par un manque de coordination entre les échelons administratifs, se traduit par la difficulté ou l’absence d’une vision d’ensemble à l’échelle supramunicipale et régionale.

Le DD renouvelle donc partiellement les débats et les modes de faire sur l’aménagement des espaces périurbains. À l’échelle locale, la notion alimente des argumentaires parfois opposés quant à l’implantation des zones d’activités. Les uns mettant en avant la mise en conformité et la labellisation environnementale, les autres discutant le lieu d’implantation et la nature des activités en regard de leur impact sur leur milieu de vie. De ce fait, la durabilité, mise en scène dans les discours généraux sur les projets, est parfois contestée sur le terrain, au nom d’un autre intérêt du territoire périurbain local.

Les espaces périurbains de Toulouse et Montréal
face à la planification

Méthodologie de travail
et choix des espaces périurbains

Toulouse en France et Montréal au Québec ne sont pas des villes « exemplaires » de leur territoire national. Ces deux métropoles sont capitales régionales et se ressemblent par leurs dynamiques : elles connaissent une croissance urbaine continue depuis trois décennies, caractérisée par un étalement urbain (Mercier, Simard, Côté, 2014[38]Mercier G, Simard M, Côté M. (2014), op. cit.) au-delà de l’aire urbaine (Bonnin-Oliveira, 2012[39]Bonnin-Oliveira S. (2012). « Intégration des espaces périurbains à la planification métropolitaine et recompositions territoriales : l’exemple toulousain » (thèse de doctorat), université Toulouse le Mirail-Toulouse II, 604 p.), le long de certains axes de communication. L’occupation déjà très dense de ces pôles urbains induit une demande de durabilité à l’échelle métropolitaine. Si Montréal est quatre fois plus peuplée que Toulouse, les superficies de leur aire urbaine sont équivalentes. De plus, la configuration du périurbain montréalais (répartition de l’emprise rurale et urbaine) n’est réellement comparable qu’avec des périphéries encore peu densifiées de métropoles provinciales, dont Toulouse est un bon exemple.

Les terrains étudiés correspondent à des degrés variables à des bassins de vie et au cadre dans lequel s’inscrit la conduite des politiques locales d’aménagement et de développement économique (CMM ou département de la Haute-Garonne).

La pression des demandes d’installation de résidents et d’activités économiques oriente leur développement vers une diversification de leurs fonctions et une autonomisation relative par rapport au pôle urbain. La volonté d’analyser le rôle de la planification dans ces territoires a conduit à sélectionner des cadres intercommunaux de planification (SCoT ou SAD périphériques) élaborés en distinction de ceux des pôles urbains.

Pour chacune de ces configurations, nous avons consulté les documents de planification disponibles (SCoT et PLU en France ; SAD, PU et PPU au Québec) au niveau des ensembles intermunicipaux, comme des municipalités qui accueillent la majorité des activités.

Afin d’avoir une idée de l’intérêt des décideurs pour l’intégration de la durabilité dans le développement communal et intercommunal, et des freins qu’ils pouvaient rencontrer dans sa mise en œuvre, nous avons également conduit des enquêtes dans les communes qui rassemblent le plus d’emplois et constituent des pôles d’équilibre ou de services dans les périphéries de Toulouse et de Montréal. Elles ont été réalisées en France auprès des maires ou/et adjoints au développement urbain et au développement économique lorsqu’il en existait ; au Québec, auprès des représentants de l’administration municipale en charge de l’aménagement (et/ou de l’environnement), accompagnés, lorsque cela a été possible, d’élus (les conseillers municipaux responsables de ces dossiers).

Les résultats synthétisés ici relèvent des documents de planification existants et des enquêtes dans les territoires sélectionnés.

Les différents types d’espaces périurbains
confrontés à la durabilité

Les tensions existant dans les décisions publiques entre le développement économique et la dimension environnementale du DD varient principalement en fonction du positionnement de ces espaces face à la métropole (hiérarchie du schéma d’armature urbaine), des stratégies publiques de valorisation des ressources territoriales (Gumuchian et Pecqueur, 2007[40]Gumuchian H, Pecqueur B. (2007), La ressource territoriale, Anthropos, 254 p.) et d’enjeux locaux. Ce sont ces éléments qui ont orienté le choix des espaces périurbains analysés. La nature des activités économiques présentes ou prévues a également été prise en compte, dans la mesure où elle est sujette à débat au sein des processus de gouvernance qui influencent la localisation des établissements. Ceci nous a amené à identifier quatre types de territoires périurbains (Rochman, Siino, 2012[41]Rochman J, Siino C. (2012). Les activités économiques entre contrainte et valorisation pour des espaces périurbains durables. Une comparaison Montréal-Toulouse, rapport de recherche, Plan, Urbanisme, Construction et Architecture, 249 p.) montréalais et toulousain (voir tableau 2).

Suivant les espaces où il s’inscrit, le DD crée des tensions plus ou moins fortes et plus ou moins faciles à évacuer en fonction des aspects de la durabilité mis en avant dans l’aménagement.

Les couloirs périurbains et/ou les espaces en reconversion

À Toulouse, dans les couloirs périurbains, et à Montréal, principalement dans les espaces en reconversion, la priorité est donnée à l’activité économique. Ces zones d’activités commerciales et/ou productives bien connectées avec la métropole et avec le reste de l’espace régional pour les entreprises possèdent des réserves foncières encore importantes. Castelnau-d’Estrétefonds, dans le périurbain toulousain (SCoT Nord), et Mirabel au Québec (MRC du Haut-Richelieu, Québec) sont deux exemples où les élus acceptent tout type d’activité non dangereuse qui respecte les normes environnementales pour le bâti et le cadre de travail immédiat (tri de déchets, utilisation de produits non polluants, rejets de GES minimisés, éventuelle utilisation d’énergie renouvelable). Castelnau-d’Estrétefonds a dû reconvertir vers le fret routier diversifié une plate-forme initialement destinée à l’accueil de trains chargés d’automobiles. Mirabel a souffert du choix politique (relayé par Aéroports de Montréal) de concentrer le fret passager sur Montréal et a dû se centrer sur le fret commercial et l’activité en lien avec l’aéronautique et ses diverses composantes.

Le regroupement de l’activité économique par déplacement ou nouvelles implantations dans les zones dédiées à cet effet (parcs industriels) est mis en avant par les élus comme un progrès en faveur de la qualité de vie et de l’environnement, par la délimitation de « zones tampon », ou par des « couloirs de contraintes sonores ». Bien que peu novatrice, la séparation fonctionnelle imposée par le respect des normes et des outils de planification[43]Normes de la famille ISO 1 400, SCoT et PLU en France, SAD-PMAD et règlements d’urbanisme municipaux au Québec. permet aux acteurs publics de limiter débats et tensions liés au DD dans leurs choix d’aménagement.

Dans ces couloirs, des tensions existent avec les élus de territoires moins urbanisés, qui souhaitent garder une image environnementale « préservée » pour leur fonction résidentielle. Cependant, ces élus reconnaissent tirer profit des infrastructures lourdes et des entreprises, car l’emploi occasionné constitue aussi un atout pour leur développement résidentiel. C’est le cas des communes connectées à l’axe ferroviaire et autoroutier entre Toulouse et Montauban (Vilaudric, Bouloc) et, au Québec, de la MRC de Blainville qui bénéficie de la proximité des emplois situés à Mirabel.

Les pôles d’emplois en voie de consolidation

Dans ces territoires, l’attractivité du cadre environnemental peu dense — appuyée sur la mise en valeur du patrimoine historique bâti à Toulouse, sur un patrimoine naturel préservé à Montréal — est à consolider par le développement de commerces et des services à la personne, comme dans le cas du SCoT Sud toulousain. Les tensions pour rendre compatible l’installation d’entreprises ou de ménages avec la préservation de l’environnement sont nombreuses et ont diverses origines (tableau 3). Les couloirs périurbains autour de Montréal (cas de la MRC du Haut-Richelieu) se trouvent dans des situations comparables en raison du développement économique et du rôle résidentiel.

Dans ces contextes, les élus ne disposent pas de solution unique. En France, ils s’appuient sur des normes de réalisation d’infrastructures d’accueil, de bâti (dans les ZAC), ou sur une limitation des offres foncières. Les entreprises indésirables sont poussées à se déplacer dans des zones d’activités nouvelles, si possible éloignées. Au Québec, au-delà des contraintes imposées par le manque d’espace disponible, toutes les MRC et municipalités enquêtées ont recours à de nouveaux aménagements. Mais la plupart du temps, les outils de planification aux échelles régionale et intermunicipale ne sont pas d’un grand secours. Les élus ont alors recours à des opérations ponctuelles d’aménagement et aux outils qui leur sont associés (PPU au Québec et révision du PLU en France). Au Québec, les élus ont, de plus, parfois recours à l’ouverture ponctuelle d’espaces de débats avec les différents groupes d’intérêt locaux (MRC de Blainville et de l’Assomption).

Dans ces contextes, la planification est donc souvent fondée, au moins partiellement, sur des effets d’aubaine, que certains élus sont capables de saisir.

Les polarités périphériques

Dans les polarités périphériques, les opérations sont plus fréquemment portées et enclenchées par des initiatives publiques, dans le cadre d’une stratégie territoriale de développement. Une phase de réflexion en amont, impliquant les divers acteurs concernés, met en avant la durabilité dans le projet d’aménagement et limite les tensions (et conflits) sur les aspects environnementaux. On peut se référer aux exemples de Castelnaudary ou Nailloux dans le SCoT du pays Lauragais (France), où il y a débat avec les résidents et les agriculteurs sur les options de localisation des activités (création de zones d’activités). Dans l’agglomération de Longueuil (Québec), les négociations sont menées en amont avec les représentants du milieu agricole (Commission de Protection des territoires agricoles et le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation), de l’environnement (ministère du Développement Durable, de l’Environnement et de la Lutte contre le changement climatique) et des transports (Agence Métropolitaine du Transport, Société des Transports du Québec, ministère des Transports du Québec) à plusieurs échelons.

Dans ces polarités périphériques, les tensions apparaissent entre les territoires qui bénéficient de ces activités sans subir leurs nuisances et ceux qui sont directement sous leurs impacts, sans en tirer d’avantages réels. La proximité de Montréal confère ainsi à Longueuil une force d’attractivité et un dynamisme économique qui s’accompagnent cependant d’un encombrement de ses axes de circulation, d’une forte consommation d’espaces pour le stationnement. C’est aussi le cas de Calmont, dans le SCoT Lauragais, qui espère bénéficier des emplois créés par le « village des marques » de Nailloux, (1 200 emplois) mais est surtout affecté par la circulation automobile vers la zone commerciale.

Cependant, la durabilité à l’échelle intercommunale met en avant la valorisation des ressources locales dans le cadre des nouvelles activités (développement du tourisme et rayonnement des entreprises artisanales valorisant les ressources locales), en même temps que la contrainte de durabilité oblige à en minimiser l’impact environnemental à Calmont et dans les villages autour.

Longueuil a mis en place une stratégie d’aménagement (basée sur le concept de Transport Oriented Developpement (TOD) et matérialisée par plusieurs PPU) pour à la fois tirer profit et alléger les contraintes imposées par la multiplication des navettes quotidiennes vers Montréal.

Dans une perspective intercommunale, la durabilité est donc présentée comme un élément qui oriente la planification au service d’une cohérence territoriale et fonctionnelle, ce qui la rend difficilement attaquable.

Dans les espaces en crise ou les couloirs périphériques, le recours à la planification permet d’évacuer des tensions ou de les résoudre en amont en se basant sur une conception faible de la durabilité.

En revanche, dans les territoires présentant une certaine diversité d’activités et dont la croissance économique n’est pas inéluctablement dépendante de la métropole, les outils de l’aménagement du territoire n’apportent pas de solution à ces tensions. Induites par les problématiques propres aux territoires périurbains, elles impliquent une constante négociation entre la demande sociétale, les stratégies des acteurs du développement et plusieurs groupes d’intérêts particuliers (de résidents, d’entreprises, d’agriculteurs…). Dans les espaces en voie de consolidation, les élus ont recours à l’ouverture ponctuelle d’espaces de débats avec les différents groupes d’intérêts locaux (réunions municipales, comités de résidents…), ce qui leur permet parfois d’arriver à un consensus. Également, dans ces espaces, comme dans les polarités périphériques, l’anticipation des oppositions potentielles réduit les risques de conflits avec la population locale. La participation des ménages soucieux de leur cadre de vie joue donc un rôle dans la définition et la réalisation des projets dont les principes ont été actés et inscrits dans des PLU ou des PU, et amène à élaborer des modalités de gouvernance basées sur le compromis.

En conséquence, ce sont les systèmes d’acteurs et leurs choix opérationnels pour la réalisation des projets d’aménagement qui conditionnent l’effectivité de la durabilité dans la planification.

Des modalités de gouvernance basées sur des compromis,
quels que soient les espaces périurbains

Les nouveaux projets d’aménagement questionnés par la durabilité viennent bouleverser les équilibres (parfois précaires) existant entre les territoires. L’observation des cas montréalais et toulousains montre que la typologie des territoires périurbains précédemment établie n’intervient que de façon secondaire dans la recomposition de ces équilibres.

Les conflits le plus souvent infra-territoriaux (communaux, intercommunaux…) attestent des difficultés de cohérence et de complémentarité des périmètres de compétences administratives auxquels la planification est confrontée, sinon dans les lieux d’installation des projets, du moins dans la mise en œuvre de ceux-ci. Dans ces controverses, la mobilisation d’autres acteurs en plus de ceux de la puissance publique, implique des négociations et des compromis qui participent à de nouveaux processus dans la planification.

Un regain d’intérêt pour la planification
comme outil de compromis

La dimension normative de la planification devrait à la fois garantir les conditions de mise en œuvre de la durabilité et servir d’outil à tous les niveaux décisionnels du développement des territoires périurbains. Or les tensions dans la planification durable des territoires périurbains révèlent des dysfonctionnements liés à ses modalités d’application. La planification stratégique n’est donc opportune et pratiquée que dans certains cas.

Telle qu’envisagée dans les SCoT ou les PLU à Toulouse, ou le PMAD et les PU à Montréal, l’opérationnalité de la planification stratégique n’est pas effective par la seule injonction au développement durable, voire par une référence aux outils de sa mise en œuvre (diagnostic environnemental, PADD, plan de conservation et de mise en valeur…). Les paragraphes ci-après présentent l’utilisation des outils d’aménagement par les élus pour réaliser des projets et les intégrer si possible dans le cadre d’une planification basée sinon sur un consensus, tout au moins sur des compromis.

Dans la planification à l’échelle locale des espaces périurbains montréalais et toulousains, la gestion des compromis oblige à accepter les contraintes de l’intercommunalité dans un cadre élargi. Elle permet en retour d’imposer des limites à certains projets et de piloter la gouvernance locale au nom du bien commun (représenté par la préservation environnementale ou le bien-être social).

Les logiques de la planification durable

Les logiques de seuil et les normes

Ces logiques favorisent le développement d’activités économiques (implantations en ZAC, réaffectation d’usage de bâtis…) à une échelle restreinte de l’intercommunalité sous la forme de projets dont l’acceptabilité environnementale et sociale repose sur le respect de règles et de normes environnementales (normes ISO 14001-2011 ou norme Iso 2131-2010[44]La norme ISO 14001 vise à la maîtrise des responsabilités environnementales des entreprises et autres organisations en s’attachant à leurs modes de production, et leurs impacts. La norme ISO 21931 vise le développement durable dans la construction.), comme dans les zones d’activités de St-Jean-sur-Richelieu et de Repentigny (Qc). Elles s’attachent aussi aux activités qui prétendent améliorer la qualité de vie et l’environnement (fabrication de produits bio-sourcés ou garantis naturels (Nailloux, Fr), à l’utilisation de matières premières recyclées ou encore à la rationalisation maximale des charges des véhicules de transport (nécessitant des équipements spécifiques) pour réduire le nombre de convois (Calmont, Fr).

La politique de planification à l’échelle communale et intercommunale, appuyée sur les éléments règlementaires régis par des lois nationales et/ou par des règlements municipaux, contribue à l’acceptabilité des projets. Cette conformité à la durabilité les rend difficilement attaquables et en constitue des caractéristiques valorisantes, auxquelles les élus ou les ménages et associations hostiles au projet sont sensibles. Pour les initiateurs de projet, elle est un élément clé de la négociation.

Les compensations financières ou territoriales

Dans les périphéries toulousaine et montréalaise, les projets qui mobilisent d’importantes réserves foncières soulèvent souvent une forte opposition au nom de la préservation de l’activité agricole ou de la qualité d’un environnement naturel. Face à ces oppositions (tableau 3), la construction de compromis permettant l’acceptabilité de tels projets ou infrastructures repose souvent sur une compensation pouvant se décliner de deux façons.

Dans le périurbain montréalais, il s’agit de compensations financières (taxe payée par l’entrepreneur sur le développement d’espaces vacants à Longueuil) ou foncières, conformément à la directive 2006 du MDDEP pour la préservation des milieux humides[45]Pour la destruction d’une superficie donnée en milieu humide, le promoteur doit acheter à plein tarif une superficie équivalente (en terrain éventuellement sec) et le vouer à la conservation en le donnant à un organisme de protection environnementale. (exemple de St-Jean-sur-Richelieu).

Dans le périurbain toulousain, la compensation environnementale passe par la valorisation de l’ensemble du territoire. Le changement d’affectation des sols dans les PLU, dans le cadre fixé par le SCoT, est dans ce cas un instrument privilégié. En contrepartie des terrains requis pour le projet, des espaces équivalents sont mis en réserve pour l’agriculture ou comme zone naturelle à préserver. Face à la critique du coût élevé de l’aménagement d’une zone dont les retombées en termes d’emplois et de recettes ne serviraient pas l’intercommunalité, d’autres communes du périmètre intercommunal portent également des projets « durables ». Les cas de panneaux solaires sur plusieurs hectares qui produiraient de l’énergie à faible coût pour l’intercommunalité, le développement de services dans le bourg-centre en complément et compensation de l’utilisation de foncier pour l’installation d’activités économiques, ou encore des opérations à vocation touristique et culturelle pour revaloriser un patrimoine dans des bourgs et soutenir des activités commerciales (Nailloux, et l’EPCI Colaur-sud (SCoT Lauragais) en sont autant d’exemples).

La maîtrise foncière à l’échelle communale et intercommunale est dans ce cas indispensable au compromis. La planification, qui se détache des limites communales pour aller vers la cohérence fonctionnelle à une échelle élargie et intègre idéalement les trois aspects de la durabilité, permet parfois de contrer un argumentaire négatif sur la localisation et les retombées d’un projet.

Cette logique de compensation facilite donc une cohésion intercommunale mais fragilise la mise en œuvre du DD prévue dans la stratégie de planification à l’échelle du SCoT (Fr) ou de la MRC (Qc).

L’amélioration du cadre de vie attendue par les ménages au Québec et en France

Les caractéristiques durables des projets des entreprises reposent parfois sur une réalité à laquelle nombre d’élus adhérent, par conviction, ou pour répondre à une demande croissante de la société civile. Cette demande recouvre des enjeux dont les priorités diffèrent dans les périphéries toulousaines et montréalaises. Dans les SCoT toulousains aujourd’hui, la notion de cadre de vie fait souvent référence à la possibilité de développer ou de conserver de l’emploi. La thématique économique est donc fortement mobilisée dans la planification, souvent associée à celle des services à la population. Cela se traduit par le renforcement des pôles d’activités des SCoT et un regain d’intérêt des techniciens et des élus pour penser une hiérarchisation fonctionnelle parfois en complémentarité avec le pôle métropolitain. Dans ces situations, le compromis est fondé sur des projets où la planification respecte les espaces naturels mais vise à soutenir l’emploi et l’activité économique à destination des ménages résidants.

Au Québec, l’argumentaire de la qualité de vie renvoie à des projets proposant l’intégration d’avantages paysagers, de protection de l’environnement et/ou une diversification des avantages sociaux incluant la durabilité de ressources environnementales. Les projets associés à cette logique sont le plus souvent relayés par des outils d’urbanisme, tels les PPU, à l’échelle locale/microlocale. À titre d’exemple, dans la municipalité de Blainville, le projet résidentiel de Chambéry associe développement résidentiel, préservation et valorisation environnementale et offre de services commerciaux. S’il ne contribue pas nécessairement à l’élaboration d’une cohérence intermunicipale de l’aménagement du territoire, ce type de projet est rassembleur et structurant à l’échelle locale, car il offre aux résidents et entrepreneurs locaux une réponse, du moins partielle, à leurs attentes.

L’injonction ou la contrainte

Dans certaines situations où les compromis ne sont pas réalisables, la durabilité et le respect des normes au service de la planification imposent les projets des élus, soit pour leur localisation, soit pour s’assurer le service d’entreprises qui, par des prix très avantageux, conquièrent des marchés importants dans le périurbain (traitement de déchets, recyclage de matériaux). La planification durable peut aussi être mobilisée par les élus pour bloquer des projets d’activités qu’ils considèrent indésirables et auxquels ils opposent des risques environnementaux et sanitaires inacceptables pour leurs administrés.

La durabilité, entendue comme l’inflexion vers un souci environnemental, n’est donc pas seulement perçue comme une contrainte par les élus. En l’absence de consensus, la dimension durable de la planification devient un moyen de se prémunir contre des recours. Permettant d’intégrer des principes et des contraintes associés au développement durable, la planification connaît ainsi un certain « retour en grâce ». Elle peut en effet devenir un levier pour transformer les processus d’élaboration de projets acceptables et largement acceptés, sous réserve de l’existence d’une scène politique (au sens large), où se rencontrent l’ensemble des acteurs de ces territoires.

Conclusion

En France comme au Québec, en permettant une intégration « calculée » du développement durable en conformité avec les stratégies locales de développement, la planification est davantage qu’une simple boîte à outils d’aménagement, mobilisée pour faciliter les compromis entre décideurs, promoteurs et citoyens dans la construction d’une vision partagée des modalités de développement. Elle constitue un instrument de gouvernance. Cependant, elle ne peut favoriser l’intégration de la durabilité qu’à l’échelle locale ou supralocale. En effet, en France comme au Québec, les efforts menés pour se doter de cadres réglementaires et législatifs soutenant une intégration du DD (tableau 2) soulignent l’absence d’une politique d’ensemble en matière d’aménagement durable des territoires.

Dans les cadres législatifs et stratégiques, le DD constitue un axe transversal, mais son intégration et sa mise en œuvre dans l’aménagement des territoires et du développement économique relèvent de différents périmètres institutionnels (Régions, Provinces, Régions métropolitaines, Intercommunalités, MRC et Municipalités).

L’absence de contrainte forte associée à ces cadres se traduit notamment par la dilution de la responsabilisation au niveau local en matière de projet d’aménagement. C’est donc à l’échelle la plus réduite qu’il est le plus facile et le plus commun d’intégrer le DD dans la planification.

La multiplication des projets locaux d’aménagement et de développement économique inspirés du DD contribue cependant à la diffusion de bonnes pratiques, en particulier en matière de transversalité et de transparence sur les conditions de leur émergence.


[1] Montréal–Trudeau International Airport, en.wikipedia.org [En ligne].

[2] Programme de recherche du PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture), « Localisation des activités économiques et développement durable des territoires ».

[3] L’expression Développement Durable sera remplacée dans le corps du texte par l’acronyme DD.

[4] Jepson Jr EJ, Edwards MM. (2010). How possible is sustainable urban development? An analysis of planners’ perceptions about new urbanism, smart growth and the ecological city. Planning, Practice & Research, n° 25(4), p. 417-437.

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[18] Mancébo F. (2007b). Une périurbanisation durable : des écueils aux opportunités, UMR Louest/Mosaïques, université de Nanterre, p. 1-15.

[19] Gouvernement du Québec. (2006). Projet de loi n° 118, chapitre 3 : « Loi sur le développement durable ».

[20] Gouvernement du Québec. (2011). Projet de loi n° 47 : « Loi sur l’aménagement durable du territoire et l’urbanisme ».

[21] Fontan JM, Klein JL, Tremblay DG. (2004). Innovation et société : pour élargir l’analyse des effets territoriaux de l’innovation, Géographie, économie, société, n° 6(2), p. 115-128.

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[23] Mancébo F. (2007a), op. cit.

[24] Mancébo F. (2014). Périurbanisation et durabilité : inverser la perspective, Cybergeo: European Journal of Geography, Aménagement, Urbanisme, document 686 [En ligne, consulté le 5 avril 2015].

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[26] Kirat T, Torre A. (2007). Conflits d’usages et dynamiques spatiales. Les antagonismes dans l’occupation des espaces périurbains et ruraux (II), Géographie, économie, société, vol. 9, n° 2, p. 119-120.

[27] Martin S, Bertrand N, Rousier N. (2006). Les documents d’urbanisme, un outil pour la régulation des conflits d’usage de l’espace agricole périurbain ?, Géographie, économie, société, n° 8(3), p. 329-350.

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[29] Prost B. (1991). Territorial conflict and spatial change: the rural-peri-urban transformation. Revue de géographie de Lyon, n° 66(2), p. 96-102.

[30] Louargant S, Roux E. (2011). Futurs périurbains : de la controverse à la prospective. Territoires 2040, p. 33-49.

[31] Loi SRU du 13 décembre 2000 qui crée les SCOT, puis lois Grenelle 1 et 2 (3 août 2009 et du 12 juillet 2010) portant engagement national pour l’environnement.

[32] Beaucire F, Rosales-Montano S, Duflos E, Turchetti I. (1999). Les outils de planification urbaine au service de la relation urbanisme/transport : approche dans la perspective du développement durable, Synthèse de recherche, Projet DRAST/PREDIT 98MT115, Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme, mai 1999, 20 p.

[33] Par exemple, le rejet de GES, le mitage par les infrastructures de transports, la disparition de surfaces agricoles devenues inexploitables ou de réserves d’espaces naturels…

[34] Ce tableau ne prend pas en compte les outils issus de réformes législatives postérieures à 2012 (SRADDET pour la loi Notre, PLUi pour la loi ALUR).

[35] Mercier G, Simard M, Côté M. (2014). L’urbanisation diffuse : un difficile mais inévitable défi d’aménagement, Cahiers de géographie du Québec, n° 58(165), p. 323-327.

[36] Major AF. (2014), « Évaluation des quartiers durables : un référentiel pour les municipalités québécoises », mémoire de maîtrise en environnement, université de Sherbrooke, Québec, 87 p.

[37] Cette conception « nouvelle » est principalement véhiculée par des fonctionnaires territoriaux, recrutés pour la plupart au cours des 5 à 10 dernières années, qui ont été sensibilisés, voire formés, aux différents aspects du DD au cours de leur cursus (souvent universitaire) et s’appliquent à les mettre en œuvre lorsque le contexte local le permet.

[38] Mercier G, Simard M, Côté M. (2014), op. cit.

[39] Bonnin-Oliveira S. (2012). « Intégration des espaces périurbains à la planification métropolitaine et recompositions territoriales : l’exemple toulousain » (thèse de doctorat), université Toulouse le Mirail-Toulouse II, 604 p.

[40] Gumuchian H, Pecqueur B. (2007), La ressource territoriale, Anthropos, 254 p.

[41] Rochman J, Siino C. (2012). Les activités économiques entre contrainte et valorisation pour des espaces périurbains durables. Une comparaison Montréal-Toulouse, rapport de recherche, Plan, Urbanisme, Construction et Architecture, 249 p.

[42] Région Métropolitaine de Montréal [En ligne].

[43] Normes de la famille ISO 1 400, SCoT et PLU en France, SAD-PMAD et règlements d’urbanisme municipaux au Québec.

[44] La norme ISO 14001 vise à la maîtrise des responsabilités environnementales des entreprises et autres organisations en s’attachant à leurs modes de production, et leurs impacts. La norme ISO 21931 vise le développement durable dans la construction.

[45] Pour la destruction d’une superficie donnée en milieu humide, le promoteur doit acheter à plein tarif une superficie équivalente (en terrain éventuellement sec) et le vouer à la conservation en le donnant à un organisme de protection environnementale.