frontispice

Planifier les projets d’aménagement dans un contexte incertain
Les cas de la ligne à grande vitesse Bretagne Pays de Loire et de la zone d’aménagement concerté Eurorennes

• Sommaire du no 2

Geneviève Zembri-Mary Université de Cergy-Pontoise, UMR MRTE

Planifier les projets d’aménagement dans un contexte incertain : les cas de la ligne à grande vitesse Bretagne Pays de Loire et de la zone d’aménagement concerté Eurorennes, Riurba no 2, juillet 2016.
URL : https://www.riurba.review/article/02-planification-strategique/eurorennes/
Article publié le 1er juil. 2016

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Geneviève Zembri-Mary
Article publié le 1er juil. 2016
  • Abstract
  • Résumé

Planning the development projects in an uncertain context. The case of High Speed Line Bretagne Pays de Loire and the joint development zone (ZAC) Eurorennes

Planning faces up to an uncertain context which can causes social, political, financial, institutional risk, etc., for projects planning and projects design. The article shows the risks these projects faced up on the basis of the analysis of the decision making process of two case studies (HSL Bretagne Pays de Loire and ZAC Eurorennes). These risks can be linked to a particular conjuncture or built by actors during the decision making process. The article analyses the formal or informal practices to reduce or avoid the risks or their consequences. The article shows then that the actors can create uncertainties and use it to become major actors in the decision making process. These practices can allow them to control better a planning process faced up to numerous risks.

La planification des projets d’aménagement s’inscrit dans un contexte incertain qui peut occasionner des risques sociaux, politiques, financiers, réglementaires, etc. À partir de l’analyse du processus de décision de la LGV Bretagne Pays de Loire et de la ZAC Eurorennes, l’article montre à quels risques ces deux projets ont été confrontés. Ces risques peuvent être liés à une conjoncture particulière ou construits par des acteurs lors du processus de décision. L’article analyse dans un premier temps les pratiques formelles et informelles des acteurs pour réduire ou éviter les risques et leurs conséquences. L’article montre ensuite comment les acteurs peuvent aussi créer de l’incertitude et l’utiliser pour renforcer leur poids dans le processus de décision. Ces pratiques peuvent leur permettre de maîtriser pour un temps un processus de planification confronté à de nombreux risques.

Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
post->ID de l’article : 4525 • Résumé en_US : 4998 • Résumé fr_FR : 4995 •

Introduction

Photo 1. Rennes, place de la Gare, projet du métro ligne 2, destiné à desservir la ZAC Eurorennes (cliché : G. Zembri).
Photo 2. Îlot destiné à la réalisation de la ZAC Eurorennes (cliché : G. Zembri).

La planification territoriale, à l’échelle nationale ou locale, a anticipé les incertitudes au cours des décennies passées en menant une politique d’offre (d’infrastructures, d’équipements, etc.) et de zonage du sol (notamment des sols agro-naturels) fondée sur des prévisions (de trafic, de fréquentation). Cette pratique a été critiquée. Ces prévisions sont souvent jugées peu fiables. Cela met en question la légitimité d’une décision publique qui fait la part belle à l’élu et à l’expert.

Dans un contexte de planification plus stratégique, le planificateur, l’aménageur et le maître d’ouvrage font depuis plusieurs années face à d’autres incertitudes et risques que leurs prédécesseurs. Ils ne sont plus sûrs de réaliser un projet car ils ne sont plus sûrs d’obtenir les autorisations administratives, comme celles liées à la loi sur l’eau ou la Déclaration d’Utilité Publique (DUP). Par exemple, aucune DUP n’avait été annulée en Conseil d’État avant celle de la A400 en 1995. Ils ne sont plus certains d’avoir les moyens financiers de réaliser le plan et ils ne sont pas davantage assurés d’une demande suffisante pour justifier le projet.

Cette contribution interroge les pratiques formelles et informelles mises en œuvre par les acteurs (public, associations, maîtrise d’ouvrage publique ou privée, État, collectivités locales) pour analyser, éviter ou réduire les risques et leurs conséquences. Elle interroge les pratiques mises en œuvre par les acteurs pour maîtriser les sources d’incertitude. Elle analyse aussi comment les acteurs peuvent se jouer de l’incertitude et des risques pour ensuite, dans certains cas, créer des relations de pouvoir qui peuvent influencer le résultat de la planification.

Cet article est divisé en trois parties. Une première partie positionne les hypothèses et les questions de recherche par rapport à l’état de l’art. Ce dernier définit les notions d’incertitude, de risque et montre leur lien avec le processus de planification des projets. Une deuxième partie relate les processus de décision et de planification des projets de la ligne à grande vitesse (LGV) Bretagne Pays de Loire (BPL) et d’aménagement des alentours de la future gare TGV à Rennes (projet Eurorennes). Elle analyse l’évolution de la position des acteurs et du projet face aux principaux incertitudes et risques rencontrés. La troisième partie analyse les pratiques des acteurs pour réduire les risques ou limiter les conséquences des risques, ou encore pour créer de l’incertitude dans le processus de décision.

État de l’art, hypothèses et questions de recherche

Incertitude et risques : définitions

La définition des notions d’incertitude et de risque retenue ici est la suivante : « Risk is the possibility that events, their resulting impacts and their dynamic interactions will turn out differently than anticipated. Risk is typically viewed as something that can be described in statistical terms, while uncertainty is viewed as something that applies to situations in which potential outcomes and causal forces are not fully understood (…) » (Miller, Lessard, 2008[1]Miller R, Lessard D. (2008). Evolving strategy: risk management and the shaping of mega projects, in Priemus H et al. (dir.), Decision making on mega projects, cost benefit analysis, planning and innovation, Cheltenham, Edward Elgar, p. 148.).

Définition des risques et de l’incertitude en management de projet

Le risque se définit comme un événement dangereux dont on connaît les causes et les conséquences, dont on peut déterminer la fréquence, la gravité et l’occurrence pour une cible potentielle (Le Ray, 2010[2]Le Ray J. (2010). Gérer les risques, pourquoi ? Comment ?, Paris, Afnor éditions, 392 p.). La connaissance prend ici toute son importance. Cependant, elle ne signifie pas qu’il y a certitude.

En zone d’incertitude, l’absence de connaissance d’événements identiques ne permet pas de savoir quelles causes peuvent s’associer pour produire un événement, ni quelles conséquences peuvent s’enchaîner pour produire des impacts ou des opportunités pour l’objet. Les causes et les conséquences peuvent être du domaine du connaissable, si d’autres événements du même genre se sont déjà produits, ou du domaine du non connaissable dans le cas contraire.

On rejoint ici, sur le plan du processus de décision, la différence faite par Lucien Sfez (1994[3]Sfez L. (1994). La décision, Paris, PUF, 128 p.) entre une décision linéaire, prise dans un contexte de certitude et de connaissance du contexte estimée comme suffisante, et la décision de « l’homme aléatoire », faite de multiples finalités et de multiples rationalités, et donc marquée par l’incertitude.

Définition du risque en géographie

Le risque se définit précisément en géographie comme un objet social, qui est le résultat d’une perception négative d’un aléa par la société (Veyret, Reghezza, 2005[4]Veyret Y, Reghazza M. (2005). Aléas et risques dans l’analyse géographique, Annales des Mines, octobre, p. 61-69.). Il appartient au domaine du probable. L’aléa est un processus physique. Pour Yvette Veyret et Magali Reghezza, « ce n’est que perçu et vécu comme dangereux que l’aléa devient risque[5]Ibid., p. 61. ». Nous notons la part de subjectivité dans ce qui peut être défini comme un risque. Cette définition nous sera utile pour analyser le rôle des représentations des enjeux de territoire par les acteurs dans l’identification des risques. La fréquence, la gravité et l’occurrence sont aussi mesurées.

Gestion de l’incertitude et gestion du risque

Il convient de distinguer la gestion de l’incertitude, qui peut nécessiter d’appliquer le principe de précaution, de la gestion des risques qui peut s’accompagner d’une action préventive.

Le principe de précaution est souvent controversé, par exemple quand la science ne permet pas de connaître à l’avance les risques éventuels d’une nouvelle technologie ou d’un événement donné. Il s’accompagne du principe de responsabilité des acteurs qui doivent anticiper.

La prévention repose sur l’évaluation d’un risque potentiel, caractérisé par une fréquence, un degré de gravité et un impact. Elle consiste à mettre en place des mesures pour prévenir ce risque, c’est-à-dire pour l’empêcher de survenir ou, à défaut, pour éviter ses conséquences ou en réduire les effets ou la fréquence.

Le contexte incertain de la planification des projets d’aménagement

Le processus de décision relatif à la planification des projets n’est plus réservé à l’expert et au politique mais s’ouvre à l’ensemble des citoyens depuis la mise en place du débat public en 1992 (circulaire Bianco) et en 1995 (loi Barnier). C’est un processus délibératif, multi-partenarial et multi-objectifs (Sfez, 1994[6]Sfez L. (1994), op. cit.), qui est susceptible de remettre en question les choix proposés par la puissance publique ou le maître d’ouvrage.

Prévoir avec fiabilité des trafics, des niveaux de fréquentation, un niveau d’attractivité à une échéance lointaine est difficile eu égard à la volatilité des entreprises (dans un contexte économique incertain) et à l’évolution des modes de vie qui impacte les choix de mobilité des habitants. On s’interroge aujourd’hui sur la fréquentation de la future LGV Sud Europe Atlantique ou de certains centres commerciaux, par exemple.

Le contexte de crise économique et financière rend plus aléatoire le recours au financement public des projets. Les maîtres d’ouvrage publics et privés sont sensibles à l’incertitude pour tenir les objectifs de coût, délai et qualité. Des projets peuvent être aussi en concurrence, ce qui rend leur fréquentation future (et leur rentabilité) plus aléatoires.

Enfin, l’impact potentiel qu’un projet peut avoir sur l’environnement est un point important de la planification, comme en témoignent les maîtres d’ouvrage. Les associations mettent en avant les incertitudes climatiques et environnementales comme critère primordial de choix des projets. Les maîtres d’ouvrage considèrent l’environnement comme une donnée très importante des projets. Ils doivent prévoir des mesures compensatoires[7]La loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement et la loi n°2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement ont renforcé l’application des mesures compensatoires. Les maîtres d’ouvrage doivent mettre en place des mesures et des actions qui génèrent des bénéfices écologiques au moins égaux à la perte écologique liée au projet non évitée ou non réduite (par exemple la perturbation d’une zone de reproduction d’une espèce protégée). bien évaluées pour obtenir un avis favorable de l’autorité environnementale dès la première demande, sous peine de devoir refaire l’évaluation. Cela peut occasionner un retard et un surcoût pour la maîtrise d’ouvrage.

Les types de risques propres aux projets d’aménagement pour les différents acteurs

Ce contexte incertain peut engendrer des risques pour les acteurs, quels qu’ils soient. Le passage de l’incertitude au risque s’opère lorsqu’un risque potentiel, construit « à partir d’un faisceau d’indices et d’hypothèses qui ne sont pas encore scientifiquement validées mais permettent de déclencher une alerte », devient un risque avéré (Callon et al., 2011[8]Callon M, Lascoumes P, Barthe Y. (2011). Agir dans un monde incertain, Paris, Seuil, p. 271.). Le risque est avéré et identifié au moyen d’informations hétérogènes transmises par l’expert et le profane qui permettent de connaître ses conséquences. On passe alors de la précaution à la prévention.

Ces risques sont multiples et ont notamment été étudiés par la littérature anglo-saxonne dans le cas des projets d’aménagement (Flyvbjerg et al., 2008[9]Flyvbjerg B, Bruzelius N, Rothengatter W. (2008). Megaprojects and risks, an anatomy of ambition, Cambridge, Cambridge University Press, 207 p. ; Miller, Lessard, 2008[10]Miller R, Lessard D. (2008), op. cit.). Ils peuvent être politiques (en cas de désaccord, parfois imprévu, entre les collectivités, notamment si elles financent le projet), sociaux (en cas de contestation, voire d’opposition au projet par des associations ou le public), institutionnels (en cas de changement de réglementation qui impacte le projet), financiers (en cas de retard qui occasionne un surcoût, par exemple) ou techniques.

Le risque trafic ou le risque lié à la fréquentation d’un équipement, qui ne se révèle qu’à l’issue du processus de planification et de réalisation, peut occasionner un risque commercial pour l’exploitant.

La planification territoriale des grands projets et la gestion de projet sont parallèles et se nourrissent l’une l’autre

Ce contexte incertain et ces risques peuvent se manifester tout au long du processus de planification. C’est un processus de longue durée. Pour les grands projets de transport, on distingue deux étapes : l’inscription du projet au schéma national, puis la territorialisation du projet avec les études préliminaires, le débat public, l’Avant-Projet Sommaire (APS), l’Avant-Projet Détaillé (APD) et la DUP. Le projet peut faire l’objet d’une optimisation technique ou d’un changement de tracé par le maître d’ouvrage public ou privé, pour répondre à des demandes exprimées lors du débat public, lors de la concertation continue ou après l’enquête publique.

Cette étape s’inscrit dans une démarche de gestion de projet pour le maître d’ouvrage. Parallèlement, le projet est intégré aux Schémas de Cohérence Territoriale (SCoT) et aux Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) concernés par sa localisation, une fois son tracé et ses principales caractéristiques connus. Si le projet soumis à DUP n’est pas compatible avec les SCoT et les PLU, ces derniers doivent être mis en compatibilité par l’État et le préfet selon une procédure particulière. Ils peuvent être révisés à cette occasion, et leurs objectifs démographiques, économiques ou de développement urbain peuvent être reconsidérés. La concertation qui précède la négociation du Contrat de Plan État-Région (CPER) et la modification des SCoT et des PLU s’inscrivent, pour un même projet, dans deux démarches parallèles qui se nourrissent l’une l’autre : le management de projet et la planification territoriale.

Ce contexte incertain peut influencer le processus de décision et de planification et avoir un impact sur le projet (nature, forme, tracé, localisation, etc.) et ses conditions de réalisation (délai, coût, etc.) (Zembri-Mary, 2014[11]Zembri-Mary G. (2014). “Risques, incertitudes et flexibilité du processus de décision et de planification des grands projets d’infrastructures de transport”, université de Lille 1, vol. 3 du mémoire d’HDR en Urbanisme et Aménagement, 296 p.). Le processus de décision des grands projets peut connaître, suite à des événements imprévus (retrait d’un financeur public, crise économique, nouvel objectif ajouté au projet, nouvelle réglementation), des phases d’arrêt, de blocage, voire de « respiration ». Ces étapes ne remettent pas forcément le projet en question. Elles le retardent, en augmentent éventuellement le coût. Elles peuvent permettre au projet de mûrir et aux acteurs d’élaborer de nouvelles coalitions et de nouveaux leaderships, ou de dégager de nouvelles opportunités. Les processus de décision ayant conduit à une remise en cause radicale des projets restent rares.

Hypothèses, questions de recherche et méthodologie

Hypothèses de recherche

Nous faisons l’hypothèse que les acteurs (État, maîtres d’ouvrage publics et privés, élus, associations, riverains, etc.) développent des pratiques, d’une part, pour éviter ou réduire les risques (ou leurs conséquences) et, d’autre part, pour maîtriser l’incertitude ou encore la créer, de sorte à agir sur le processus de décision et le processus de planification et sur le projet.

Le processus de décision et le processus de planification sont considérés comme imbriqués et interdépendants

En effet, le processus de planification régionale et locale fonctionne selon un modèle décisionnel délibératif et participatif (débat public, concertation continue, enquête publique). Le projet retenu dans les CPER, SCoT et PLU est le résultat de ce processus de décision, qui n’est pas exempt de conflits et de controverses. Le modèle décisionnel délibératif et participatif rend aussi les processus de décision et de planification flexibles.

Un processus de décision et un processus de planification flexibles

Nous définissons la flexibilité du processus de décision et du processus de planification des grands projets par quatre caractéristiques : l’adaptation, l’apprentissage, la transmission de l’information, la négociation. L’adaptation du processus peut s’observer de la façon suivante : la décision dépend souvent des stratégies et objectifs des différents acteurs du projet entre lesquels il faut trouver une entente. Ces objectifs (construire telle surface de bureaux ou de logements, améliorer une desserte, éviter le passage du projet à tel endroit, etc.) peuvent parfois diverger dans le temps, et faire varier les caractéristiques du projet. Les acteurs peuvent développer un processus d’apprentissage sur la longue durée.

L’expérience des projets antérieurs permet aux maîtres d’ouvrage d’adapter leurs pratiques de concertation, de connaissance du territoire, d’évaluation environnementale et socio-économique, etc. mais aussi aux associations de se professionnaliser. Les acteurs (maîtres d’ouvrage, riverains, élus, associations) peuvent aussi rechercher l’information la plus complète possible qui leur permet de mieux argumenter leur position. Cette dernière peut même varier au fil du temps.

La flexibilité du processus de décision dépend enfin des coalitions d’acteurs qui peuvent se constituer et évoluer jusqu’à la mise en service. Leur formation varie selon le leadership de certains acteurs, souvent politiques ou associatifs, et selon la capacité de ces derniers à faire adhérer d’autres acteurs à leur point de vue. Les coalitions peuvent être à géométrie variable et intégrer ou exclure des acteurs selon la période du processus de décision et selon le degré de prise en compte des objectifs de ces derniers.

Questions de recherche

Les questions de recherche traitées ici sont les suivantes :

Quelles pratiques les acteurs (maîtres d’ouvrage publics et privés, État, associations, élus, riverains) mettent-ils en œuvre pour analyser, éviter ou réduire les risques et leurs conséquences ?

Quelles pratiques les acteurs mettent-ils en œuvre pour maîtriser l’incertitude ou encore la créer, ce qui peut leur permettre de devenir des acteurs actifs et influents du processus de décision ?

La méthodologie repose sur :

La détermination des principales incertitudes et principaux risques auxquels les acteurs et les projets de LGV Bretagne Pays de Loire (BPL) et la zone d’aménagement concerté (ZAC) Eurorennes ont été confrontés au cours du processus de planification. Ils ont conduit à reconstituer le processus de décision du projet pour comprendre comment les acteurs ont réagi aux incertitudes et risques, et quels impacts ces derniers ont pu avoir.

L’analyse des pratiques des acteurs (État, public, maîtres d’ouvrage publics et privés, associations, élus, etc.) pour limiter les incertitudes, éviter ou réduire le risque, éviter ou réduire ses conséquences.

L’analyse de la façon dont les acteurs peuvent, dans certains cas, repérer des enjeux de territoire et les intégrer au processus de décision. Cette analyse a été faite à partir d’entretiens et de la documentation disponible, notamment le dossier d’enquête publique.

Ont été systématiquement analysés les documents institutionnels liés aux projets (schémas nationaux des infrastructures de transport, rapport Mobilité 21 (Duron, 2013[12]Duron P. (2013). Mobilité 21. Pour un schéma national de mobilité durable, ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, 91 p.), les SCoT, PDU, et PLU de Rennes, le contrat de projet État-région, les protocoles et conventions de financement, les conventions d’aménagement, les référentiels professionnels de la maîtrise d’ouvrage pour la gestion des risques, les études préliminaires, l’APS, les rapports d’enquête publique. L’analyse d’articles de presse relatifs à ces projets et des entretiens avec la maîtrise d’ouvrage publique (Réseau Ferré de France, RFF) et privée (groupe Eiffage) et les aménageurs (société publique locale Territoires publics) complètent le travail documentaire.

Le choix des projets de la LGV BPL et de la ZAC Eurorennes s’explique par la nécessité scientifique d’analyser la possible convergence des pratiques de planification dans un contexte incertain pour des grands projets nationaux d’aménagement, d’une part, et des projets urbains, d’autre part. Ces projets sont présentés ici comme des exemples. Les conclusions qu’ils permettent de tirer ont été vérifiées sur d’autres opérations d’aménagement (Zembri-Mary, 2014[13]Zembri-Mary G. (2014), op. cit.). Les incertitudes et les risques caractérisent tous les types de projet, qu’ils soient particulièrement conflictuels ou non, particulièrement difficiles à réaliser ou non.

Incertitudes, risques et flexibilité du processus de décision
de la ligne à grande vitesse BPL et du projet Eurorennes

Cette partie détaille chronologiquement le processus de décision et de planification de la Ligne à Grande Vitesse (LGV) BPL et du projet de ZAC Eurorennes prévu autour de la future gare TGV. Notamment, elle montre les principaux incertitudes et risques auxquels les processus de décision ont été confrontés, les choix et les actions des acteurs, et d’éventuelles boucles de rétroaction sur le projet.

La LGV Bretagne Pays de Loire

La LGV BPL, actuellement en construction, est longue de 182 km. Une réflexion sur son tracé a été menée dès les années 1980, et le projet figurait dans le schéma national des liaisons ferroviaires à grande vitesse de 1991, établi par l’État.

La ligne reliera Connerré (à l’est du Mans) et Rennes. Elle est dédiée au trafic voyageurs, excepté le contournement nord du Mans, et permettra aux TGV d’atteindre une vitesse de pointe de 320 km/h. Le coût prévisionnel est estimé à 3,4 milliards d’euros. La ligne est réalisée en contrat de partenariat portant sur le financement, la conception et la construction par le groupe Eiffage, qui a créé la société Eiffage Rail Express (ERE) avec un groupement concepteur-constructeur (CLERE).

Des positions affirmées des élus locaux sur la desserte du Mans et de Laval dans un contexte financier incertain de concurrence entre projets de LGV

Le premier débat préalable de 1995 s’est accompagné de difficultés de concertation, source d’incertitude politique. La Sarthe, déjà reliée à Paris depuis 1989 par le TGV, ne voyait pas l’intérêt de payer une partie de ligne dont l’objectif était d’améliorer le temps de parcours vers Rennes. Le Conseil général de la Mayenne y était plus favorable puisque directement concerné par ce gain de temps.

Au milieu des années 1990, le projet BPL s’est trouvé en concurrence avec d’autres projets de LGV au coût élevé et à la rentabilité faible[14]Lettre de mission du 28 novembre 1995 du ministère de l’Équipement à M. Philippe Rouvillois pour l’établissement d’une réflexion sur les modalités de mise en œuvre du schéma directeur des lignes à grande vitesse., alors que le déficit de la SNCF atteignait 8 milliards d’euros et que sa capacité d’autofinancement était nulle. L’État a d’ailleurs étudié sa réalisation sous la forme d’une ligne hybride classique et à grande vitesse, moins coûteuse.

La détermination du tracé, fruit d’un processus d’études et de concertation lancé en 1994, a été assez difficile entre les parties prenantes. Les élus du Mans, de Laval, de Bretagne et des Pays de la Loire ont refusé le projet de gare nouvelle en périphérie, proposé dans le projet initial de l’État[15]Conseil économique et social des Pays de la Loire, Conseil économique et social de Bretagne, sessions des 7 et 14 février 2005.. Cela a engendré un retard de deux à trois ans pour commencer les études d’APS.

L’État leur a donné satisfaction par la décision ministérielle du 2 avril 2001, et la SNCF s’est engagée vis-à-vis des élus de la Sarthe et de la Mayenne à ce que les services ferroviaires des deux villes soient au moins égaux à ceux de l’hiver 2001-2002[16]Inspection générale des finances, CGPC, 2003..

Confortés par le lancement des études d’APS par l’État en 2001, qui « sécurisait » l’avancement du projet, les élus locaux sont régulièrement intervenus auprès des ministres de l’Équipement successifs pour que les phases suivantes du processus soient engagées – études et enquête publique.

Un risque de désengagement politique et financier de l’État en 2003 qui a incité les élus bretons à anticiper

Cependant, en 2003, le projet est entré dans une phase d’incertitude financière et politique. Un rapport de l’Inspection générale des finances (2003[17]Inspection générale des finances, Conseil général des Ponts et Chaussées. (2003). Rapport d’audit sur les grands projets d’infrastructures de transport, février.) a classé le projet BPL dernier de la liste des LGV à réaliser. Il précisait que le projet aurait sans doute besoin d’apports financiers publics importants en raison de sa faible rentabilité économique. Le rapport a insisté sur l’impact négatif des demandes de desserte de Laval et du Mans sur la rentabilité du projet.

Ce classement a engendré un risque de désengagement politique et financier de l’État du projet BPL. Le président de la Région Bretagne a craint que le projet ne soit reporté sine die et que d’autres projets de LGV ne soient privilégiés. Il est aussi intervenu directement auprès du président Jacques Chirac en 2003, et a obtenu que le projet soit inscrit parmi les LGV prioritaires. Le comité interministériel d’aménagement du territoire de 2003 a donc acté un début des travaux en 2009[18]« Le TGV en Bretagne, une si longue attente ». L’Express, 23 septembre 2008 [En ligne.

Une concertation d’abord considérée comme insuffisante puis de plus en plus territorialisée qui a pu amener à modifier marginalement le projet

Parallèlement, la Commission Nationale de Débat Public (CNDP) a décidé en 2003 qu’il n’y avait pas lieu d’organiser de débat public (de type loi Barnier), pour trois raisons : la concertation menée entre 1994 et 2000 était jugée suffisante ; l’avancement des études d’APS permettait de connaître les caractéristiques principales du projet ; et les problèmes restant à traiter se situaient à un niveau local[19]Décision n° 2003-16 du 7 mai 2003 relative au projet de ligne ferroviaire à grande vitesse Bretagne, dossier d’enquête publique, pièce L-07.. La CNDP a aussi recommandé par ce même texte de poursuivre une concertation menée par un comité de suivi indépendant.

Au cours de cette consultation, l’adaptation du projet (par une optimisation technique) au sein de la bande des 1 000 m a été envisagée pour tenir compte de demandes locales, ce qui pouvait permettre de satisfaire des riverains gênés ou récalcitrants au projet. Ces modifications devaient cependant être compatibles avec les contraintes de la grande vitesse (rayon de courbure, pente, linéarité).

Cependant, cette concertation a été perçue comme insuffisante, réduite à une transmission d’informations « subie », en raison de l’absence de débat public. Ce constat a poussé RFF à mettre en place un système de concertation plus territorialisé avec trois correspondants territoriaux identifiés par le public, davantage d’informations et une procédure d’échanges écrits et oraux avec le correspondant de sorte que les demandes et avis particuliers puissent être entendus et traités. Cela a levé des incertitudes et en a soulevé d’autres. Les propriétaires de biens situés dans la bande des 1 000 mètres ne pouvaient pas envisager le développement d’activités économiques ou la mutation de leur bien tant que la décision du tracé n’était pas arrêtée.

Les ajustements du projet, réalisés à l’intérieur d’un fuseau approuvé par décision ministérielle, montrent l’aspect irréversible du processus de décision. La carte suivante montre la localisation des principales variantes étudiées suite à la consultation. Elles sont plutôt situées à proximité de Laval et de la virgule de Sablé.

Une prise d’initiative des élus bretons pour assurer la réalisation du projet dans des délais raisonnables

RFF a commencé à acquérir les terrains et habitations dès 2005, avant la DUP relative à l’aménagement foncier, après une demande des élus régionaux qui souhaitaient que le projet avance assez vite, dans un contexte de concurrence entre projets de LGV et d’incertitude financière quant à la participation de l’État. RFF était réticent au départ à faire ces acquisitions sans DUP.

Les collectivités bretonnes, qui figuraient parmi les plus gros contributeurs pressentis du projet (à hauteur de 25,7 %) ont conditionné leur participation financière dans un premier protocole de répartition des financements à un début des travaux en 2010, pour éviter que le projet ne soit retardé. L’État a accepté cette demande rapidement en signant un protocole d’intention le 29 juillet 2008. Contrairement à d’autres projets de LGV ou d’autoroutes, les collectivités bretonnes ont obtenu que l’ensemble des risques soit pris en charge par RFF (risques liés aux investissements de maîtrise d’ouvrage, risques liés au contrat de partenariat lui incombant et risques liés aux recettes de péage ferroviaire) et par le partenaire privé. Les régions ont conservé le bénéfice de la clause de retour à bonne fortune, qui leur permet de bénéficier financièrement d’une évolution des recettes de trafic dans le cas où elles seraient supérieures aux prévisions de RFF.

La DUP a été signée en octobre 2007, le contrat de partenariat attribué à CLERE en 2009, ce qui montre un processus de décision assez rapide.

Le projet de ZAC Eurorennes

Un projet rapidement mené

Parallèlement au projet de LGV, Rennes métropole s’est engagée dans la valorisation des quartiers proches de la gare centrale remodelée, qui bénéficiera aussi de la mise en service de la seconde ligne de métro à partir de 2018.

Eurorennes est un projet de 300 000 m2 de Surface Hors Œuvre Nette (SHON) de bureaux, de logements, de services et de commerces, situé au sein d’une ZAC de 58 hectares au sud du futur pôle d’échanges multimodal et de la future gare TGV. Ce projet permettra de valoriser certains quartiers anciens et peu animés situés au sud des voies ferrées, et d’y étendre le centre-ville situé au nord.

La gare et son quartier ont fait partie des sites stratégiques du SCoT de 2007. Si les objectifs d’amélioration des déplacements et de l’accessibilité cités dans le schéma sont nombreux pour la gare, la description des objectifs d’aménagement reste succincte pour le quartier de la gare et porte sur une meilleure articulation entre quartiers nord et sud et sur un développement de la multifonctionnalité. L’idée du projet urbain Eurorennes émerge en 2007, sans que son périmètre et sa nature n’aient été planifiés dans le SCoT. Le projet a été élaboré entre 2009 et 2012.

Après plusieurs années d’études préalables, la conduite du projet a été assez rapide. Il a été classé d’intérêt communautaire en 2009. Le contrat de Pôle « Eurorennes-Gares », destiné à la réalisation du pôle d’échanges, a été ensuite signé, et le dossier de réalisation de la ZAC a été approuvé le 28 novembre 2012.

L’autorité environnementale a émis un avis favorable au projet en août 2012 après la remise de l’étude d’impact, ce qui a permis de lancer les travaux. Le projet a fait l’objet d’une concession d’aménagement la même année à la société publique locale d’aménagement, Territoires publics.

Un contexte de faible incertitude sociale et politique

Les élus, toutes tendances politiques confondues, ont plutôt été favorables à ce projet et aux objectifs généraux de densification, de limitation des activités en périphérie, de mixité fonctionnelle et sociale et de développement des transports collectifs tels qu’affichés dans le SCoT. Par contre, des désaccords ont pu surgir sur les objectifs du projet ou ses caractéristiques, sans que cela amène, au contraire de la LGV, à revoir le projet[20]Entretien chez l’aménageur Territoires publics, juin 2015..

Par exemple, le groupe Europe Écologie Les Verts du conseil de Rennes Métropole était favorable au projet, mais a voulu qu’il soit revu pour réaliser plus de logements que prévu et pour limiter très fortement la hauteur des tours[21]« EuroRennes, projet à revoir », rennes.eelv.fr [En ligne. Ces demandes n’ont pas été prises en compte. La hauteur de la tour principale a été abaissée de 120 m à 88 m en 2010 pour être conforme à la réglementation aéronautique du PLU.

On a pu noter la présence de squatteurs en 2014 dans des logements de la ZAC. Ces occupants ont été expulsés mais ont décidé d’occuper à nouveau des logements voués à la démolition pour résister à la réalisation du projet et contester leur expulsion, au profit, selon eux, d’un projet de valorisation du quartier[22]« Squatteurs et locataires unis contre EuroRennes », Ouest-France, 17 mars 2014 [En ligne. Ces mouvements, assez marginaux, n’ont pas eu d’impact sur le projet ou ses conditions de réalisation[23]Entretien Territoires publics, juillet 2015..

Un projet conçu en amont des révisions du SCoT en 2015 et du PLU en 2014

Le SCoT de 2015 est plus précis que le précédent sur le projet Eurorennes, dont il reprend les grands objectifs (extension du centre-ville vers le sud, mixité des fonctions et développement des fonctions tertiaires, mutation de la gare en pôle d’échanges multimodal, etc.). Le projet s’inscrit d’ailleurs selon ce document dans les objectifs généraux de la planification territoriale qui sont d’utiliser rationnellement les espaces déjà urbanisés, de développer l’urbanisation autour des réseaux de transport collectif, de favoriser ces derniers avec une approche globale de l’usage des différents modes de transport.

La commercialisation des logements et bureaux est actuellement lancée par étapes par l’aménageur. Un quart de la surface prévue est commercialisée, afin d’éviter un risque de mise en concurrence des opérations par les acheteurs dans un contexte de crise et de frilosité des acquéreurs.

Pour conclure…

Le processus de décision du projet BPL s’est déroulé par étapes, clôturées par des validations successives qui ont permis de rendre le projet progressivement irréversible. Chaque étape de décision a donné lieu à des débats parfois longs, qui ont pu être ponctués d’exigences locales, et à des négociations entre les acteurs politiques et techniques qui, en général, ont abouti à un compromis adapté aux demandes locales mais critiqué d’un point de vue économique. On peut noter le rôle majeur des collectivités territoriales bretonnes pour faire avancer le processus de décision d’un projet qu’elles estiment nécessaire.

Le projet Eurorennes n’a pas connu de risque majeur qui le remette en cause ou qui nécessite de marquer un arrêt dans le processus de planification. Il connaît en revanche un contexte incertain lié à la crise économique qui peut retarder le délai de réalisation des différentes opérations prévues.

Maîtriser l’incertitude et les risques ou se jouer de l’incertitude

Comment les acteurs évitent-ils ou réduisent-ils les risques
ou leurs conséquences ?

Les acteurs mettent en œuvre des pratiques pour réduire ou éviter le risque et essayer d’atteindre leurs objectifs à court terme (accord avec d’autres acteurs, signature d’un protocole de financement). Elles concourent à des stratégies qui cherchent à atteindre des résultats globaux à plus long terme (nature du projet, localisation, protection de l’environnement).

La procédure intégrée études-concertation

Les procédures d’études (études préliminaires, APS, APD) et de concertation déterminent les phases du processus de décision. Comme cela a été montré avec les études de cas, ces phases sont importantes pour « sécuriser » le processus de décision. Chaque phase s’achève par une décision ministérielle (pour BPL) ou une étape de la procédure de ZAC (pour Eurorennes) qui officialise la fin de l’étape et le passage à la suivante.

Cela explique que les élus locaux favorables à un projet aient tendance à vouloir accélérer le passage d’une étape à l’autre. Un processus de décision rapide peut aussi permettre de limiter le coût du projet.

Par ailleurs, ce phasage est utile à l’autorité publique pour légitimer progressivement l’intérêt général du projet. La concertation continue entre le maître d’ouvrage (public ou privé) et le public débute dès les études préliminaires, se poursuit avec le débat public (quand c’est le cas), lors des études d’APS et d’APD, puis lors de l’enquête publique. Elle doit permettre d’associer le milieu local au projet et de prendre en compte certaines demandes. Dans le cas des LGV, ces demandes particulières (comme éloigner le tracé d’une propriété) peuvent être satisfaites par une optimisation du projet. Cela peut faciliter l’acceptation du projet et permettre d’évacuer des craintes ou des revendications. Mais cela n’exclut pas que des mécontentements subsistent et resurgissent plus tard.

Les projets urbains peuvent être adaptés au contexte socio-économique avant leur inscription au PLU

Dans le cas d’Eurorennes, le PLU n’a pas anticipé ni prévu tous les éléments du projet. On peut d’ailleurs noter que les modifications du PLU sont plus fréquentes depuis quelques années et sont faites en fonction du rythme de construction et de commercialisation des projets et des ZAC. La nature du projet (logements, bureaux, etc.) peut varier dans le temps en fonction du marché et de l’évolution des besoins des habitants.

L’anticipation, l’identification et le traitement des risques

RFF a mené, dans le cas de La LGV BPL et d’autres LGV, une analyse de contexte, destinée à connaître le contexte socio-économique local et à repérer les acteurs en présence (associations, élus, chambre de commerce et d’industrie…) et leur position par rapport au projet. Ce diagnostic permet de détecter d’éventuels blocages décisionnels ultérieurs qui pourraient donner naissance à un risque de controverse autour du projet ou de ses impacts territoriaux, ou un risque de retard.

L’évaluation environnementale a permis, avec une étude d’impact très détaillée et établie en collaboration avec les associations locales, de limiter l’incertitude du passage du projet devant le Comité National de Protection de la Nature (CNPN), tant pour la LGV que pour Eurorennes. Les lois Grenelle 1 et 2 ont abouti à une évolution de la doctrine administrative sur l’étude d’impact. Depuis le décret de 2011[24]Décret n° 2011-2019 du 29 décembre 2011, portant réforme des études d’impact des projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements., l’étude d’impact est menée par l’autorité publique ou un établissement public et s’intègre à un ensemble plus global d’études qui permet d’analyser le projet dans son ensemble. Les pouvoirs publics doivent indiquer obligatoirement les mesures compensatoires à mettre en œuvre dans les autorisations de projet et indiquer le suivi de leur application à réaliser par le maître d’ouvrage. Ce suivi est ensuite contrôlé. Le maître d’ouvrage est désormais soumis à une obligation de résultat et pas seulement de moyens.

L’analyse de risques conduite jusqu’à la mise en service d’un projet par la maîtrise d’ouvrage publique puis par la maîtrise d’ouvrage privée (dans le cas de BPL, réalisé en partenariat public-privé) et dans le cas des concessions d’aménagement (dans le cas d’Eurorennes) permet d’identifier si une incertitude peut être qualifiée de risque (au moyen d’une matrice de risque et d’une évaluation de la gravité et de l’impact de l’événement) et d’envisager une solution de traitement ou une provision pour risque. Ces pratiques ont été utilisées dès les années 1980 de façon non formalisée. Elles ont fait l’objet de référentiels à partir de la fin des années 1990 pour les LGV, et de la fin des années 2000 pour les concessions d’aménagement. Cette analyse de risque est obligatoire pour SNCF Réseau, qui a succédé en 2015 à RFF. Elle est systématique pour les projets d’infrastructures concédés ou réalisés en contrat de partenariat par des sociétés de Bâtiment et Travaux Publics (BTP) privées, et depuis 2009 pour les concessions d’aménagement confiées par des collectivités locales à des sociétés privées, des Sociétés d’Économie Mixte (SEM) ou des Sociétés Publiques d’Aménagement (SPA).

Le contrat

Les concessions d’aménagement, les contrats de partenariat ou les conventions avec le promoteur permettent un partage précis des risques entre le partenaire public et le partenaire privé, dont chacun est financièrement responsable. Cela garantit que les signataires mettent les moyens en œuvre pour que le projet soit réalisé comme prévu après la DUP et comme cela est indiqué dans le contrat.

Le respect du délai de mise en service est très important pour le maître d’ouvrage délégataire, qui est dépendant des banques (et d’actionnaires dans certains cas). En cas de retard, il doit des pénalités au délégant, il ne touche pas les recettes de péage ou ne peut pas commercialiser son opération de bureaux ou de logements, et peut ne pas percevoir une partie des capitaux des banques prêteuses prévus dans le montage financier à cette date. Pour ce faire, le délégataire met tout en œuvre pour que l’ensemble des objectifs liés au projet soient respectés, y compris les objectifs d’intérêt général, comme les objectifs environnementaux (réalisation des aménagements liés à la loi sur l’eau, mise en œuvre des compensations, insertion environnementale), d’aménagement local ou économique. Le contrat permet donc à l’État et aux collectivités locales de faciliter la réalisation de ces objectifs.

Tactique de la différenciation des temporalités

Les acteurs tirent un avantage à piloter les temporalités du processus de décision. Cela peut permettre aux acteurs de jouer sur sa flexibilité et de maintenir le cap sur leurs objectifs s’ils sont fragilisés (tracé, montant d’une participation financière, insertion environnementale), voire d’infléchir la position des autres acteurs si elle n’est pas compatible avec ces objectifs. Cette tactique se traduit par la volonté de certains élus de maîtriser le tempo de la procédure d’études et de concertation en anticipant et en finançant les études, les acquisitions foncières et les travaux pour éviter que la concurrence d’autres projets n’arrête le projet qu’ils soutiennent (cas de la LGV BPL).

Dans le cas du projet Eurorennes, l’aménageur Territoires publics peut décider d’accélérer la procédure d’aménagement, d’expropriation (si nécessaire) et de construction des différents projets de bureaux, si les premiers programmes se vendent bien.

Tactique de l’apprentissage

Dans le cas de la LGV BPL, la société CLERE, filiale d’Eiffage et titulaire du contrat de partenariat, instruite par le triple passage du projet de la A65 Langon-Pau (concédé à A’liénor, filiale d’Eiffage) devant le Comité National de Protection de la Nature (CNPN) (qui donne un avis sur les mesures compensatoires prévues) a élaboré un dossier environnemental très détaillé qui lui a permis d’obtenir un avis favorable dès la première présentation du projet. La société A’liénor avait dû revoir à trois reprises les compensations envisagées pour son projet avant d’obtenir un avis favorable et les autorisations administratives de lancer les travaux. Consécutivement, le projet a pris six mois de retard, et son coût a augmenté de 90 millions d’euros.

La société CLERE a choisi de prendre en compte les remarques des associations de protection de la nature sur la présence d’espèces, dans ses études sur la LGV BPL[25]Entretien GIE CLERE du 17 janvier 2014..

Comment les acteurs se jouent de l’incertitude et des risques ?

Les cas de la LGV BPL et du projet Eurorennes montrent que l’incertitude et les risques peuvent aussi être utilisés par des acteurs pour maîtriser le processus de décision à un moment donné ou sur une plus longue durée.

Rendre son comportement imprévisible
pour contrôler une source d’incertitude

Selon Michel Crozier et Erhard Friedberg, « une situation organisationnelle donnée ne contraint jamais totalement un acteur. Celui-ci garde toujours une marge de liberté et de négociation. Grâce à cette marge de liberté (qui signifie source d’incertitude pour ses partenaires et pour l’organisation dans son ensemble), chaque acteur dispose ainsi de pouvoir sur les autres acteurs, pouvoir qui sera d’autant plus grand que la source d’incertitude qu’il contrôle sera pertinente pour ceux-ci, c’est-à-dire les affectera de façon plus substantielle dans leurs capacités propres de jouer et de poursuivre leurs stratégies » (Crozier, Friedberg, 1977[26]Crozier M, Friedberg E. (1977). L’acteur et le système, Paris, Seuil, p. 91.).

Cette théorie est transposable au processus de décision des grands projets, notamment dans un contexte participatif qui ne donne plus une légitimité exclusive à l’expert et permet aux associations et au public au sens large de mettre en exergue des zones d’incertitude (pour la maîtrise d’ouvrage ou la puissance publique), et de contrôler les sources de ces incertitudes qui sont liées aux impacts environnementaux, aux nuisances pour les riverains, aux acquisitions foncières, etc. Certains propriétaires fonciers, rétifs au projet de LGV BPL qui les obligeait à quitter leur domicile, ont refusé de vendre leur terrain pendant longtemps, ce qui a obligé le groupe concepteur constructeur CLERE à commencer des négociations particulières, et à exproprier à un prix plus élevé des terrains pour tenir les délais convenus avec les banques.

Ériger un enjeu de territoire en problématique dans le processus de décision, puis parfois en incertitude voire en risque

Comme Magali Reghezza et Yvette Veyret l’ont montré (2005[27]Veyret Y, Reghazza M. (2005), op. cit.), la construction d’un risque dépend aussi du degré de menace que les individus accordent à un événement. L’analyse des jeux des acteurs du processus de décision de la LGV BPL (et d’autres projets de LGV ou autoroutes) montre que des acteurs peuvent repérer une problématique de territoire, la poser comme un enjeu dans le processus de décision et éventuellement l’ériger en incertitude voire en risque (sous condition de quantification) s’ils estiment cet événement ou cette situation menaçant pour leurs intérêts ou leurs objectifs. Ces intérêts et objectifs peuvent être individuels (de type NIMBY) ou globaux (protection de l’environnement, orientation des politiques publiques, etc.). Cela peut créer une relation de pouvoir entre les acteurs, qui peut être utilisée par certains pour faire évoluer la décision dans un sens qui convient mieux à leurs intérêts.

L’enjeu érigé en incertitude ou en risque peut ensuite être intégré aux études et au processus de décision. Par exemple, les élus locaux du Mans et de Laval ont d’abord demandé une desserte en centre-ville (à la place des gares de périphérie proposées par RFF) et une bonne fréquence des TGV avant même de parler financement avec RFF. Les élus ont argumenté sur deux points dans le processus de décision avec l’État et RFF : un risque (quantifiable) de diminution de l’accessibilité de leurs territoires et un risque potentiel (plus difficilement quantifiable) de perte d’attractivité pour ces derniers. Ces demandes ont nécessité de revoir les études préliminaires. Elles ont été ensuite acceptées par RFF et l’État. En effet, les collectivités locales savent qu’à ce stade du processus de décision, l’État (et la maîtrise d’ouvrage) ont besoin d’elles pour faire le lien avec le milieu local, faciliter la concertation et communiquer sur le projet, notamment en cas d’acceptabilité difficile.

Les acteurs peuvent ériger une problématique de territoire en enjeu dans le processus de décision et créer un risque potentiel d’opposition, de retard ou de surcoût pour le maître d’ouvrage. Une mise en service retardée décale la perception des recettes de péage et peut engendrer un contentieux dont ni l’État ni la maîtrise d’ouvrage, privée ou publique, ne veulent.

Tactique de la coalition

Les acteurs qui sentent leurs intérêts et leurs objectifs menacés (sentiment d’un risque de non-aboutissement) ou fragiles par rapport aux intérêts des autres acteurs (sentiment d’incertitude) peuvent rechercher des partenaires qui auront des objectifs identiques pour atténuer ou éliminer le risque ou l’incertitude. La coalition de projet ainsi constituée d’élus et/ou d’associations et/ou du milieu économique développe une position commune sur le projet d’aménagement, assise sur un argumentaire commun et met en œuvre des moyens pour tenir cette position et tenter d’obtenir gain de cause[28]Nous renvoyons à Jérôme Valluy (1996), Stéphane Chataignier et Arthur Jobert (2001) qui ont développé une étude de cas de coalition de projet pour le premier et de convergence des intérêts des acteurs pour les seconds : Valluy J. (1996). Coalition de projet et délibération politique : le cas du projet d’implantation de décharges de déchets industriels dangereux dans la région Rhône-Alpes (1979-1994), Politiques et management public, vol. 14(4), p. 101-131 ; et Chataignier S, Jobert A. (2003). Des éoliennes dans le terroir. Enquête sur « l’inacceptabilité » de projets de centrales éoliennes en Languedoc-Roussillon, Flux, n° 54(4), p. 36-48..

La coalition est un réflexe des acteurs politiques qui soutiennent fortement un projet et estiment que le nombre fait la force. Elle leur permet d’anticiper le déroulement du processus de décision pour qu’il ne prenne pas de retard. La coalition des élus bretons pour refuser d’assumer le risque trafic dans le contrat de partenariat du projet de LGV BPL, qu’ils soutenaient fortement, le montre bien. Cette position a été suivie d’effet.

Les habitants de la ZAC Eurorennes évoqués précédemment se sont collectivement opposés au projet, de crainte de ne pas être relogés. Cette coalition ne semble cependant pas avoir eu les effets escomptés.

Pour conclure…

Cette partie a montré que les acteurs peuvent déployer des stratégies pour faire valoir tel intérêt ou tel enjeu (parfois érigé en risque légitime) dans le processus de décision. Ils utilisent aussi des procédures (comme l’évaluation environnementale, la concertation continue), les contrats et le management des risques pour anticiper l’incertitude ou réduire ou éviter les risques et leurs conséquences, et sécuriser les différentes étapes du processus de décision et du processus de planification, quitte à devoir modifier un PLU ou enrichir un SCoT ensuite avec un projet abouti.

Conclusion

L’incertitude de la planification des grands projets peut être liée au contexte (problème de financement, nouvelle réglementation environnementale, etc.) ou être créée par des acteurs qui estiment un événement, une situation ou un impact potentiel du projet comme menaçant. Dans ce dernier cas de figure, l’incertitude peut être érigée en risque. La planification nationale des grands projets de transport est faite au moyen d’un plan, et la planification territoriale est en revanche plus itérative. Elle dépend du résultat des étapes du processus de décision dans ce contexte incertain et évolutif. Les acteurs, quels qu’ils soient, peuvent ainsi dégager de nouvelles problématiques, de nouvelles opportunités et parfois de nouvelles solutions techniques, concrétisées dans certains cas par l’optimisation du projet par le maître d’ouvrage.

Les acteurs peuvent maîtriser des sources d’incertitude, ce qui peut leur permettre de devenir dominants dans le processus de décision.

Le processus de décision des grands projets est fondé sur l’élaboration, le maintien et la défense d’intérêts et d’objectifs propres à des acteurs autonomes, dotés chacun d’un rôle particulier. Le rapport de forces fait partie intégrante du processus de décision. Il peut se traduire par un compromis, voire un consensus, après une période de relations de pouvoir entre acteurs.

Ces relations peuvent concerner des acteurs auxquels leur position institutionnelle ou leurs compétences donnent un pouvoir qui leur permet d’élaborer une stratégie de planification, de financer un projet et de décider (élus locaux ou nationaux, maîtrise d’ouvrage publique). Ces relations peuvent aussi concerner des acteurs qui se créent leur propre pouvoir, par exemple en donnant à un enjeu l’importance d’une controverse et en plaçant cette controverse au centre du débat ou de la concertation.

Ces confrontations créent des relations entre des acteurs dominants et des acteurs dominés, sachant que les premiers peuvent se retrouver en position d’être dominés à un autre moment du processus. Ces relations de pouvoir peuvent aussi évoluer au fil du temps en fonction des enjeux, des controverses.

Leur existence nous semble interroger la définition théorique de la planification collaborative. Celle-ci repose en effet sur un modèle délibératif et participatif de la démocratie, qui suppose que les décisions devraient être prises entre des acteurs libres et égaux entre eux (Gualini, 2015[29]Gualini E (dir.). (2015). Planning and Conflict, Critical Perspectives on Contentious Urban Developments, Routledge, p. 6.). Cette question se pose au-delà de la critique selon laquelle il existe des relations de pouvoir entre acteurs qui favoriseraient la réalisation des « projets néolibéraux » urbains ou de territoires poussés par des acteurs politiques ou économiques disposant d’un pouvoir dans la décision par nature (Fainstein, 2010[30]Fainstein S. (2010). The just city, Ithaca, NY, Cornell University Press, 214 p. ; Purcell, 2009[31]Purcell M. (2009). Resisting Neoliberalization: Communicative Planning or Radical Democratic Movement, Planning Theory, vol. 8(2), p. 140-165.).

Remerciements

L’auteure remercie les personnes du groupe Eiffage, de la société CLERE, de SNCF Réseau, de l’Agence d’urbanisme et de développement intercommunal de l’agglomération rennaise et de Territoires publics pour les entretiens qu’elles ont accepté de lui accorder.


[1] Miller R, Lessard D. (2008). Evolving strategy: risk management and the shaping of mega projects, in Priemus H et al. (dir.), Decision making on mega projects, cost benefit analysis, planning and innovation, Cheltenham, Edward Elgar, p. 148.

[2] Le Ray J. (2010). Gérer les risques, pourquoi ? Comment ?, Paris, Afnor éditions, 392 p.

[3] Sfez L. (1994). La décision, Paris, PUF, 128 p.

[4] Veyret Y, Reghazza M. (2005). Aléas et risques dans l’analyse géographique, Annales des Mines, octobre, p. 61-69.

[5] Ibid., p. 61.

[6] Sfez L. (1994), op. cit.

[7] La loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement et la loi n°2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement ont renforcé l’application des mesures compensatoires. Les maîtres d’ouvrage doivent mettre en place des mesures et des actions qui génèrent des bénéfices écologiques au moins égaux à la perte écologique liée au projet non évitée ou non réduite (par exemple la perturbation d’une zone de reproduction d’une espèce protégée).

[8] Callon M, Lascoumes P, Barthe Y. (2011). Agir dans un monde incertain, Paris, Seuil, p. 271.

[9] Flyvbjerg B, Bruzelius N, Rothengatter W. (2008). Megaprojects and risks, an anatomy of ambition, Cambridge, Cambridge University Press, 207 p.

[10] Miller R, Lessard D. (2008), op. cit.

[11] Zembri-Mary G. (2014). “Risques, incertitudes et flexibilité du processus de décision et de planification des grands projets d’infrastructures de transport”, université de Lille 1, vol. 3 du mémoire d’HDR en Urbanisme et Aménagement, 296 p.

[12] Duron P. (2013). Mobilité 21. Pour un schéma national de mobilité durable, ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, 91 p.

[13] Zembri-Mary G. (2014), op. cit.

[14] Lettre de mission du 28 novembre 1995 du ministère de l’Équipement à M. Philippe Rouvillois pour l’établissement d’une réflexion sur les modalités de mise en œuvre du schéma directeur des lignes à grande vitesse.

[15] Conseil économique et social des Pays de la Loire, Conseil économique et social de Bretagne, sessions des 7 et 14 février 2005.

[16] Inspection générale des finances, CGPC, 2003.

[17] Inspection générale des finances, Conseil général des Ponts et Chaussées. (2003). Rapport d’audit sur les grands projets d’infrastructures de transport, février.

[18] « Le TGV en Bretagne, une si longue attente ». L’Express, 23 septembre 2008 [En ligne].

[19] Décision n° 2003-16 du 7 mai 2003 relative au projet de ligne ferroviaire à grande vitesse Bretagne, dossier d’enquête publique, pièce L-07.

[20] Entretien chez l’aménageur Territoires publics, juin 2015.

[21] « EuroRennes, projet à revoir », rennes.eelv.fr [En ligne].

[22] « Squatteurs et locataires unis contre EuroRennes », Ouest-France, 17 mars 2014 [En ligne].

[23] Entretien Territoires publics, juillet 2015.

[24] Décret n° 2011-2019 du 29 décembre 2011, portant réforme des études d’impact des projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements.

[25] Entretien GIE CLERE du 17 janvier 2014.

[26] Crozier M, Friedberg E. (1977). L’acteur et le système, Paris, Seuil, p. 91.

[27] Veyret Y, Reghazza M. (2005), op. cit.

[28] Nous renvoyons à Jérôme Valluy (1996), Stéphane Chataignier et Arthur Jobert (2001) qui ont développé une étude de cas de coalition de projet pour le premier et de convergence des intérêts des acteurs pour les seconds : Valluy J. (1996). Coalition de projet et délibération politique : le cas du projet d’implantation de décharges de déchets industriels dangereux dans la région Rhône-Alpes (1979-1994), Politiques et management public, vol. 14(4), p. 101-131 ; et Chataignier S, Jobert A. (2003). Des éoliennes dans le terroir. Enquête sur « l’inacceptabilité » de projets de centrales éoliennes en Languedoc-Roussillon, Flux, n° 54(4), p. 36-48.

[29] Gualini E (dir.). (2015). Planning and Conflict, Critical Perspectives on Contentious Urban Developments, Routledge, p. 6.

[30] Fainstein S. (2010). The just city, Ithaca, NY, Cornell University Press, 214 p.

[31] Purcell M. (2009). Resisting Neoliberalization: Communicative Planning or Radical Democratic Movement, Planning Theory, vol. 8(2), p. 140-165.