frontispice

Quand la densité s’invite
dans la France du quotidien
Une analyse des effets cumulés des évolutions réglementaires françaises et du marché foncier dans les communes périurbaines

• Sommaire du no 4

Jérôme Dubois Université Aix-Marseille

Quand la densité s’invite dans la France du quotidien : une analyse des effets cumulés des évolutions réglementaires françaises et du marché foncier dans les communes périurbaines, Riurba no 4, juillet 2017.
URL : https://www.riurba.review/article/04-varia/densite/
Article publié le 1er juil. 2017

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Jérôme Dubois
Article publié le 1er juil. 2017
  • Abstract
  • Résumé

When density is inviting in everyday life. An analysis of the cumulative effects of French regulatory changes and the housing market trends in peri-urban territories

Due to an evolution of job’s cultures, new regulations and the increase of property values, are peri-urban areas in France going from one extreme to the other in terms of density? Studying the writing of its plan local d’urbanisme by a small Provençal municipality, situated near the metropolis Aix-Marseille-Provence, in a changing territory, this text analyzes the observable upheavals affecting density in residential areas.

Entre les évolutions des cultures métiers, des injonctions législatives et le renchérissement du coût du foncier, la France périurbaine est-elle en train de passer d’un extrême à l’autre en termes de densité ? À partir de l’étude du travail d’écriture de son plan local d’urbanisme par une petite commune provençale aux marges de la métropole Aix-Marseille-Provence, dans un territoire en mutation, ce texte revient sur les bouleversements observables en matière de densité dans les tissus pavillonnaires.

Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
post->ID de l’article : 4425 • Résumé en_US : 4642 • Résumé fr_FR : 4639 •

Introduction

L’interrogation sur les définitions ou les représentations du terme de densité, qui, comme le faisaient remarquer déjà en 1995 P. Clément et S. Guth « par manque de rigueur ou d’honnêteté, fait trop souvent l’objet d’utilisations opportunes et contradictoires » (Clément et Guth, 1995[1]Clément P, Guth S. (1995). « De la densité qui tue à la densité qui paye. La densité urbaine comme règle et médiateur entre politique et projets », Les Annales de la recherche urbaine, n° 67, Densités et espacements, p. 72-83.), n’est pas directement au centre de cet article. Le parti pris est inverse. À partir d’une approche par le bas, au plus près des territoires et de l’analyse des pratiques, nous cherchons à montrer l’ampleur des bouleversements induits par les nouvelles injonctions à la densification d’un urbanisme dit durable, dans un contexte où le marché lui-même suit la même tendance, au risque de passer d’un extrême à l’autre dans les tissus pavillonnaires lâches.

Pour ce faire, ce texte se place délibérément du point de vue des acteurs en charge de l’élaboration des documents d’urbanisme, élus locaux et bureaux d’études. En conformité avec la ligne éditoriale de la revue tissant des ponts entre monde académique et pratique opérationnelle, il cherche à entrer précisément dans la petite fabrique des documents d’urbanisme avant d’essayer d’en tirer des conclusions plus générales.

La démonstration a comme point de départ l’analyse des nouvelles contraintes réglementaires et des stratégies mises en œuvre pour y répondre face aux prises de position des services de l’État sur les territoires. Si, classiquement, ces acteurs de terrain ont su développer des astuces destinées à limiter l’impact des réformes, l’analyse montre pourtant que les changements à l’œuvre dans le marché foncier sont en train d’entraîner des bouleversements plus profonds qu’il n’y paraît. Pour ce faire, dans un premier temps, nous rappelons le contenu de ces injonctions qui charpentent aujourd’hui les discours des bureaux d’études, comme des services de l’État responsables de l’évaluation des documents d’urbanisme. Dans un second temps, nous étudions les conséquences et les débats suscités par ces réformes. Enfin, nous analysons la façon dont les mécanismes de marché, dans un contexte foncier tendu, viennent considérablement amplifier le phénomène. Nos conclusions portent sur la difficulté pour les collectivités locales en charge du droit des sols de maîtriser les évolutions de leur tissu urbain — et par-là même leur croissance démographique —, ainsi que sur les risques de conflits sociaux dans un contexte de forte mutation du bâti.

La France, compte tenu de l’étendue de son territoire, de sa faible densité moyenne et d’une volonté politique de généraliser l’accès à la propriété, a longtemps favorisé le développement des extensions pavillonnaires. Après avoir été mauvais élève durant des décennies, et encore maintenant si l’on en croit les chiffres les plus récents, le pays semble soudainement avoir pris conscience de l’ampleur du virage à opérer[2]« Il y a urgence à agir car le bilan est alarmant : en France, l’artificialisation atteignait 9 % du territoire en 2009. Les sols artificialisés sont passés, entre 2006 et 2009, de 4,59 à 4,85 millions d’hectares, soit une progression moyenne de 86 000 hectares par an. À ce rythme, les espaces agricoles et naturels perdent 236 hectares par jour : ce chiffre correspond à la perte, tous les sept ans, de la superficie d’un département français moyen », dans Denizeau (2011), « Le nouveau PLU issu de la loi Grenelle II : densifier sans s’étaler ! », Métropolitique, 4 avril 2011 [En ligne. Ces dernières années ont vu le développement de mesures visant à renforcer la densité du bâti au nom de la préservation du sol, que ce soit dans les quartiers en renouvellement urbain ou dans les opérations en extension.

Bien des choses ont été écrites sur les étapes successives du retour en grâce du terme de densité, entre la fin du XIXᵉ siècle et aujourd’hui. Considérée comme la cause de l’insalubrité et du malaise social dans les villes, la densité va progressivement devenir un outil de politique publique et de régulation dans les villes occidentales (Touati Ibib, 2010[3]Touati Ibib A. (2010). « Histoire des discours politiques sur la densité », Études foncières, n° 145, p. 24-26.). Plus récemment, les enjeux liés au développement durable en urbanisme ont contribué à renforcer la place centrale des débats sur la densité dans les villes d’aujourd’hui. Alors que la ville compacte devient la figure imposée d’un urbanisme désormais responsable de préserver tant les espaces naturels et agricoles que les ressources énergétiques, la question de la densité est devenue incontournable.

Elle peut être abordée selon plusieurs points de vue, réglementaires, architecturaux, techniques ou sociaux notamment. D’un point de vue réglementaire, force est de souligner la multiplication depuis les lois Grenelle des contraintes en matière d’économie d’espace imposées lors de la fabrication des documents d’urbanisme en France. D’un point de vue architectural, les deux dernières décennies ont contribué à faire émerger un important travail sur le lien entre densité et forme urbaine dans la conception des espaces bâtis. D’un point de vue technique, tant des travaux académiques que de nombreux guides méthodologiques et statistiques sont venus alimenter le débat, à la fois sur l’intérêt de la densité et sur la façon de la promouvoir dans les politiques d’aménagement[4]Dans l’urbain comme dans le rural (CERTU. (2010). Pour un habitat dense individualisé, 20 formes urbaines diverses et contextuelles, Paris, 237 p.).. D’un point de vue social, enfin, les chercheurs se sont également emparés de la double question de la représentation et de l’acceptabilité sociale d’une densité devenue modèle imposé (Fouchier, 1994[5]Fouchier V. (1994). « Penser la densité », Études foncières, n° 64.).

L’objectif de cet article est de montrer les effets de ces nouvelles contraintes sur l’urbanisme du quotidien dans la France périurbaine. Certes, « la densité ne se limite pas à un rapport arithmétique », (Atelier Parisien d’Urbanisme, 2003[6]Atelier Parisien d’Urbanisme. (2003). Densités vécues et formes urbaines. Étude de quatre quartiers parisiens, p. 5.), mais l’arithmétique a ses lois souvent implacables que nous voudrions ici commenter. Injonctions réglementaires, représentations professionnelles ou process techniques mis en œuvre tant par les services de l’État que les bureaux d’études dans la construction des documents d’urbanisme : tous ces éléments se combinent savamment pour amener à la construction de SCoT et de PLU, que l’on dit durables. Mais le sont-ils vraiment ? Autrement dit, a-t-on pris la peine d’interroger les effets réels de ces nouvelles pratiques sur les territoires ?

À partir de l’étude d’un SCoT et du PLU d’une petite commune de Provence-Alpes-Côte d’Azur, l’article montre que l’ampleur des changements induits a peut-être été sous-estimée. L’analyse porte sur le territoire de la communauté d’agglomération Durance-Luberon-Provence-Agglomération (DLVA), comptant 64 000 habitants et regroupant 25 communes autour de Manosque. Situé au sud du département des Alpes-de-Haute-Provence, le long de l’axe de communication majeur que constitue la vallée de la Durance et aux portes de la métropole Aix-Marseille, ce territoire est attractif de longue date. Pour la période 2010-2020, le département des Alpes-de-Haute-Provence devrait connaître, selon l’INSEE, une croissance de près de 10 %, essentiellement concentrée sur sa partie sud, soit le double de la croissance régionale attendue sur l’ensemble de PACA  sur la même période. Ce territoire dynamique est intéressant à étudier en ce qu’il sert de rotule entre deux millions de métropolitains et des territoires encore très ruraux au pied des Alpes du Sud.

La situation ici décrite résume les enjeux de l’ensemble du territoire régional et plus largement de France, en matière de périurbanisation. En PACA, les communes périurbaines, d’une population comprise entre 1 000 et 9 999 habitants, contribuent aux deux tiers de la croissance de la population régionale, alors qu’elles ne représentent qu’un quart des habitants[7]Insee, recensements de 2008 et 2013.. Les enjeux ici soulevés sur la petite commune de Volx (3 200 habitants) se retrouvent dans des dizaines de communes situées dans l’aire d’attraction d’Aix-Marseille. Compte tenu de leur attractivité, ces petites communes périurbaines offrent un terrain d’étude pertinent pour comprendre les évolutions de la construction de logements résidentiels. La démonstration porte sur la production de logements libres. Une production longtemps presque exclusivement axée sur de la villa individuelle, mais qui, compte tenu des difficultés d’accès au foncier, pour des raisons à la fois réglementaires et économiques, tend désormais à livrer de petits collectifs, comme le montrent les exemples étudiés à la fin de l’article.

Terminant avec l’État la négociation d’un second SCoT « grenellisé » et la rédaction par les communes d’un grand nombre de PLU pour être en conformité avec la loi Alur, le territoire de la DLVA permet d’observer les effets conjugués des injonctions à la densité et de l’évolution des comportements des acteurs économiques. Nous serions alors passés d’un extrême à l’autre, d’un étalement urbain non maîtrisé à une densification rapide non contrôlée du tissu pavillonnaire, source de lourdes menaces sociales et techniques futures.

La densité, nouveau mot d’ordre pour un urbanisme durable ?

Le regard des urbanistes sur la densité a évolué au fil du temps. Fortement combattue au XIXᵉ siècle par les hérauts du mouvement hygiéniste, elle a été un temps oubliée au profit de l’urgence du développement et de la reconstruction, avant de réapparaître dans le débat à la fin des années 1960 à travers la dénonciation des grands ensembles. Face à ce qui était considéré comme un excès de densité, la Loi d’orientation foncière de 1967 dote les urbanistes d’un outil pour la réglementer : le coefficient d’occupation des sols.

Durant 30 ans, la société française va pleinement profiter de cette méfiance vis-à-vis de la densité. Cette période correspond à un fort développement du périurbain. Il faudra presque trois décennies, et le temps de laisser les élus locaux expérimenter leur tout nouveau pouvoir en matière de droit des sols à partir des lois de décentralisation de 1982, pour que s’opère la prise de conscience de l’ampleur du phénomène. P. Clément et S. Guth rappellent que l’atlas publié en 1992 à l’occasion des rencontres annuelles des agences d’urbanisme « montre que dans 22 agglomérations françaises, entre 1950 et 1975, la population a doublé tandis que la surface occupée n’a augmenté que de 20 à 30 %, alors qu’entre 1975 et 1990, c’est la surface occupée qui a doublé pour une croissance de population de 25 % » (Clément et Guth, 1995[8]Op. cit.).

Face à ce constat, le discours va changer après 1990 avec l’insertion des enjeux du développement durable en urbanisme. Contrôle de l’étalement urbain, revitalisation des centres-villes, protection des terres agricoles et des espaces naturels, ou encore limitation de la dépendance aux énergies carbonées vont entraîner une forme de retour en grâce de la densité, alors même que partout en France le mouvement de périurbanisation ne fait que s’accentuer (Castel, 2007[9]Castel JC. (2007). « De l’étalement urbain à l’émiettement urbain. Deux tiers des maisons construites en diffus », Les Annales de la recherche urbaine, n° 102, p. 88-96.).

La fin de la décennie 2000 voit apparaître une abondante littérature sur l’urbanisme durable, à l’image des multiples guides visant à construire des quartiers durables. Si cette littérature insiste bien souvent sur la prise en compte des ressources naturelles dans l’urbanisme d’aujourd’hui, elle plaide aussi pour des formes urbaines compactes justifiant, socialement comme financièrement, les investissements collectifs nécessaires à la ville durable. Plus radical encore, le retour du débat sur les tours dans les villes européennes, et plus particulièrement en France — qui semblait les avoir oubliées — à Paris comme à Marseille, est symptomatique de cette volonté de préserver les espaces et de concentrer les hommes comme les activités. La densité serait énergétiquement vertueuse, comme nous le montre une grande partie de la littérature académique dans la veine des travaux de Newman et Kenworthy démontrant le coût énergétique de l’étalement urbain (Sarlat et Nowacki, 2010[10]Sarlat S, Nowacki C. (2010). « De l’importance de la morphologie dans l’efficience énergétique », Liaison énergie-francophonie, n° 86, p. 140-146.). La question de la densité est alors corrélée à celle de la consommation énergétique du bâti comme des déplacements (Camagni et al., 2002[11]Camagni R, Gibelli MC, Rigamonti P. (2002). « Forme urbaine et mobilité : les coûts collectifs des différents types d’extension urbaine dans l’agglomération milanaise », Revue d’économie régionale et urbaine, p. 105-139.).

Pour autant, dans les débats actuels, la densité ne concerne pas uniquement les cœurs de ville denses. Face à l’enjeu que constitue la préservation d’un espace devenu rare, c’est l’ensemble du territoire français, et notamment le périurbain, qui est appelé à contribuer. Rappelons l’écho pris par le programme de recherche Bimby (Build in My Back Yard), qui est à cet égard tout à fait éclairant. Le concept n’est pas en soi révolutionnaire, le renouvellement urbain des quartiers pavillonnaires étant sans doute aussi vieux que ces quartiers eux-mêmes mais, pour la première fois, il fait l’objet d’une quantification nationale avant de devenir une politique publique.

L’objectif était d’analyser les conditions sociales et économiques de la mutabilité des quartiers pavillonnaires pour éviter l’étalement urbain. Pour ses promoteurs « si chaque année un propriétaire sur cent décidait de réaliser une opération Bimby, ce seraient quelque 190 000 logements qui émergeraient sans aucun étalement urbain[12]En considérant, avec l’INSEE, qu’il y a en France 19 millions de propriétés individuelles bâties., soit l’équivalent de la production actuelle de maisons individuelles, ou encore l’équivalent de la production annuelle de logements collectifs — production qui s’effectue, dans les deux cas, essentiellement en extension urbaine » (Le Foll et Miet, 2013[13]Le Foll B, Miet D. (2013). « Construire dans mon jardin et résoudre la crise du logement. Cinq idées-clés pour comprendre la filière Bimby », Métropolitiques, 18 mars 2013 [En ligne). La grande nouveauté de la démarche consistait à mieux prendre en compte les ressorts habitants et les histoires de vie dans la production de logements individuels. Il s’agissait également de mettre en évidence le poids des ménages dans la livraison de logements afin de relativiser celui des professionnels. Toutefois, en termes quantitatifs, avec quelques années de recul, il est difficile d’affirmer que les potentialités annoncées ont été réalisées. Les mutations qui s’amorcent, étudiées ici, montrent au contraire le retour des promoteurs.

La densité imposée par injonction législative et réglementaire

Depuis la fin de la décennie 2000, les gouvernements français successifs ont progressivement renforcé la nécessité de réduire la consommation d’espaces dans les politiques d’aménagement. Si ces nouvelles injonctions ne remettent pas directement en cause les principes des lois de décentralisation qui laissent les élus locaux responsables des politiques d’urbanisme, réglementaires ou opérationnelles, elles viennent singulièrement réduire leur marge d’action.

Dans son article 7, la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dite loi Grenelle 1[14]Loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation, relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement., avait réaffirmé la nécessité d’assurer une « gestion économe des ressources et de l’espace ». Les politiques d’urbanisme devaient contribuer à « lutter contre la régression des surfaces agricoles et naturelles […] et contre l’étalement urbain ».

Un an après, la loi Engagement national pour l’environnement du 12 juillet 2010, dite loi Grenelle 2, précise que les documents d’urbanisme locaux, PLU et SCoT, doivent fournir une analyse de la consommation passée d’espaces naturels, agricoles et forestiers, et déterminer des objectifs de consommation économe de l’espace pour le futur. La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010, quant à elle, crée notamment les CDCEA[15]CDCEA (Commission Départementale de Consommation des Espaces Agricoles) devenue CDPENAF (Commission Départementale de la Préservation des Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers) en 2015. Les membres de la commission, nommés par le préfet, représentent l’ensemble des utilisateurs des milieux agricoles et forestiers répartis par collèges. Elle donne un avis sur tous les documents d’urbanisme., qui sont amenées à donner un avis sur les documents d’urbanisme, et l’ONCEA[16]Observatoire National de la Consommation des Espaces Agricoles (ONCEA), installé en 2014, et qui doit rendre un rapport au gouvernement sur la consommation des terres agricoles et naturelles en France, estimée entre 40 000 et 90 000 ha chaque année., qui a pour objectif d’élaborer des outils pour suivre la consommation d’espace.

Ainsi, depuis 2010, au titre de l’article L. 122-1-5 du Code de l’urbanisme, le SCoT :

doit fixer des « objectifs chiffrés de consommation économe de l’espace et de lutte contre l’étalement urbain, qui peuvent être ventilés par secteur géographique » (L. 122-1-5 II) ;

peut « imposer préalablement à toute ouverture à l’urbanisation d’un secteur nouveau l’utilisation de terrains situés en zone urbanisée et desservis par les équipements mentionnés à l’article L. 111-4 […] ou la réalisation d’une étude de densification des zones déjà urbanisées » (L. 122-1-5 IV) ;

peut « déterminer des secteurs où le PLU ne peut imposer une densité maximale de construction inférieure à un certain seuil (L. 122-1-5 VIII) en prenant en compte la desserte en transports collectifs et la protection environnementale » ;

peut « imposer une densité minimale de construction (L. 122-1-5 IX) sous réserve de justifications particulières, notamment en prenant en compte les transports en commun ».

De même, le PLU, en ce qui le concerne :

doit présenter au sein de son rapport de présentation « une analyse de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers » et justifier son projet d’aménagement et de développement durables « au regard des objectifs de consommation de l’espace fixés, le cas échéant, par le SCoT […] » (L.123-1-2) ;

doit fixer « des objectifs de modération de la consommation de l’espace et de lutte contre l’étalement urbain » par le biais de son Projet d’Aménagement et de Développement Durable (PADD) (L.123-1-3) ;

peut « dans des secteurs situés à proximité des transports collectifs existants ou programmés, imposer dans des secteurs qu’il délimite une densité minimale de constructions » par le biais de son règlement (L. 123-1-5 III 3°).

Les derniers grands changements ont été introduits par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi Alur. Cette loi affiche deux grands objectifs : accroître le nombre de logements construits chaque année et réduire significativement la consommation d’espace et l’artificialisation des sols.

Pour ce faire, elle introduit l’étude de la densification des espaces bâtis dans les rapports de présentation des documents d’urbanisme. Ceux-ci doivent désormais définir des secteurs de densification et en préciser les règles avant d’envisager l’ouverture à l’urbanisation de nouveaux espaces[17]Ministère du Logement et de l’Égalité des territoires, Loi Alur : lutte contre l’étalement urbain, mai 2014, p. 3.. La loi vient également préciser les obligations du PLU en matière d’analyse et d’objectifs relatifs à la consommation d’espace dans les « dix années précédant l’approbation du plan ou depuis la dernière révision du document d’urbanisme » (article L. 123-1-2). Il s’agit ainsi d’inciter les élus locaux à mener un débat avec la population sur la densité acceptable sur le territoire.

Mais les dispositions les plus commentées de la nouvelle loi ont été l’abandon de la surface minimale des terrains pour construire dans les PLU et la disparition du Coefficient d’Occupation des Sols (COS). En ce qui concerne la disparition de la surface minimale pour construire, l’objectif est bien de permettre que toutes les parcelles soient désormais constructibles, même les plus petites d’entre elles dans les centres urbains.

La suppression du COS, créé en 1967 par la loi d’orientation foncière en vue de lutter contre les excès de la densité, est une mesure lourde de conséquences. Le COS permettait aux élus de fixer une surface de plancher maximale susceptible d’être construite sur un terrain. Durant des décennies, il a permis de déterminer réglementairement la forme urbaine des quartiers. En fixant des COS à 0,2 ou 0,3 dans les documents d’urbanisme, cela permettait de construire 200 ou 300 m² par parcelle de 1 000 m², ce qui revenait à imposer aux constructeurs une forme urbaine pavillonnaire, à moins d’acheter d’immenses parcelles. Au COS s’ajoutait tout un ensemble de règles en matière d’alignement et de hauteur notamment, mais finalement bien moins contraignantes en termes de droit à bâtir.

Même si les autres règles ne changent pas, la suppression du COS a des effets très forts sur la constructibilité. Sur un terrain de 1 000 m² en forme de carré, constitué de côtés d’un peu plus de 31,5 m en zone pavillonnaire, avec une hauteur standard limitée à 8 m et des reculs sur limites de 4 m appliqués partout, comme cela se pratique régulièrement, les droits à bâtir passent a minima à 552 m² par niveau, sur trois niveaux, soit plus de 1 600 m² constructibles, ce qui représente une multiplication par 5 dans ce cas assez banal. Passer de 300 à 1 600 m constructibles, c’est potentiellement passer d’une villa cossue à un petit collectif de 16 logements. Un changement de forme et de fond.

Bien sûr, les communes peuvent contrebalancer la suppression du COS par un encadrement plus étroit des constructions en combinant des règles de gabarit, c’est-à-dire en déterminant une forme urbaine en volume plutôt que des surfaces de plancher maximales. Ces règles de gabarit concernent :

l’implantation des constructions (conditions d’alignement par rapport aux voies, distances minimales par rapport aux limites séparatives et par rapport aux constructions situées sur une même propriété) ;

la hauteur maximale des constructions ;

l’emprise au sol des constructions ;

l’aspect des constructions et leurs abords.

Il revient à l’article 9 du règlement du PLU de préciser les règles relatives à l’emprise au sol des constructions par l’établissement d’un Coefficient d’Emprise au Sol (CES), sur la base de l’article R. 123.9 du code de l’urbanisme. Le Législateur a laissé une grande liberté aux collectivités dans l’utilisation de ce dispositif. La réglementation de l’emprise au sol n’est obligatoire que dans « les secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées », mais reste possible ailleurs lorsqu’il est nécessaire de préciser un parti d’aménagement en matière de forme urbaine, que ce soit pour imposer une densification en hauteur ou, au contraire, assurer une certaine aération du bâti (Pellissier, 2012[18]Pellissier G. (2012). « Écriture de l’article 9 du PLU », Gridauh, fiche 1, p. 2.). Le CES détermine la quantité de sol occupée par la construction, afin d’imposer qu’une partie du terrain reste non bâtie pour des motifs paysagers ou d’assainissement. Il ne doit donc pas être confondu avec le COS. La surface habitable d’un bâtiment est donc aujourd’hui définie par le CES et le nombre de niveaux que permet la hauteur de ce bâtiment.

Les figures de la réappropriation politique
des enjeux de la densité dans les PLU

Face à ces modifications des outils de l’urbanisme réglementaire, deux stratégies sont observables sur les territoires. La violence de ces réactions interroge quant à la perception de l’ampleur des bouleversements entraînés par ces différentes réformes[19]La presse généraliste en particulier s’est fait l’écho de ces débats. Voir par exemple : « Comment les maires sabotent la loi Alur favorisant la production de logements ? » par  Jouët Sébastien, Les Échos, le 22/02/2015 ou « Comment les maires ont torpillé la loi qui devait relancer les constructions » dans Challenges [En ligne.

La première consiste à dénoncer la capacité des élus locaux à entraver cette réforme en remplaçant le COS disparu par d’autres contraintes réglementaires permettant d’entraver toute forme de densification substantielle (Denizeau, 2011[20]Denizeau C. (2011). « Le nouveau PLU issu de la loi Grenelle II : densifier sans s’étaler ! », Métropolitique, 4 avril 2011 [En ligne). C’est là le discours des professionnels de la construction, qui énumèrent les obstacles à la densité introduits par les élus locaux dans leurs documents[21]On lira, par exemple, Le Journal de l’Agence, dans un article du 21 janvier 2016 intitulé « Loi Alur et densification du tissu urbain des communes françaises, la réforme patine ».. « Il faut bien comprendre que pour limiter les espaces à construire, il existe d’autres règles que le COS et la surface minimale, que les communes se sont bien vite empressées de durcir pour limiter la densification de leurs territoires. Ainsi, le principal frein que l’on peut constater à ce jour est la réticence manifeste qu’ont certains maires à appliquer le principe de la loi Alur. Plusieurs réactions plus ou moins légales ont été constatées », cherchant à durcir les règles de constructibilité dans le cadre d’une procédure de modification des documents d’urbanisme, et notamment :

la multiplication des contraintes d’implantation des constructions par rapport aux voies et emprises publiques ou par rapport aux limites séparatives les unes par rapport aux autres sur une même propriété. Il s’agit dans ce cas de multiplier les règles et les distances de retrait pour diminuer de fait la constructibilité d’un terrain ;

la limitation de la hauteur des constructions au nom de dégagement de vue ou d’insertion dans le bâti environnant ;

l’imposition d’espaces libres et les plantations. « Certaines communes ont délibérément augmenté le pourcentage d’espace devant rester libre pour une unité foncière, passant souvent de 60 à 85 %. Toutes ces règles sont autant de moyens à disposition des élus municipaux pour contrôler l’urbanisation de leur territoire. Si le législateur avait voulu s’assurer de la densification, il aurait dû s’intéresser à toutes les règles de contrôle citées plus haut. C’est pour cette raison que l’on peut qualifier cette réforme d’assez timide[22]Ibid. ».

En l’espèce, l’outil le plus pertinent pour limiter la densité reste la possibilité de prévoir une règle maximale d’emprise au sol. Comme l’explicite le décret n° 2015-1783 du 28/12/2015 assurant la mise en œuvre de la loi Alur, afin « d’assurer l’intégration urbaine, paysagère et environnementale des constructions (…) déterminer la constructibilité des terrains (…) de préserver ou faire évoluer la morphologie du tissu urbain et les continuités visuelles », le règlement d’un PLU peut « notamment prévoir des règles maximales d’emprise au sol ».

Bien des élus n’ont pas hésité à recourir à cette nouvelle possibilité. À proximité du territoire ici étudié, la commune d’Aix-en-Provence, dans son nouveau PLU, a su parfaitement jouer de ces outils dans des « zones urbaines de rattrapages », qui portent assez mal leur nom. Dans ces zones, l’emprise des constructions ne peut dépasser 15 % de la surface des terrains, et les espaces libres hors circulation doivent représenter 80 % du terrain d’assiette pour des raisons écologiques.

La seconde réaction, au contraire, vise à dénoncer les dérives possibles d’une densité non encadrée. Là aussi, les critiques viennent tout autant du monde professionnel ou associatif que de certains élus qui craignent de ne plus pouvoir maîtriser l’évolution de leur territoire.

Preuve que les interprétations peuvent diverger et ne dépendent pas seulement de la position de l’interlocuteur, les maires ne sont pas les seuls à dénoncer les effets potentiellement ravageurs de la loi. C’est également le cas de certains professionnels, architectes ou promoteurs, qui s’inquiètent à leur tour des excès possibles, ou des associations de protection de la nature et du cadre de vie. Lors de l’université d’été de l’architecture édition 2015, qui s’est tenue à Lyon, Arnaud Devillers prenait l’exemple de Marseille et dénonçait l’appétit des promoteurs « quand la valorisation des capacités de leur terrain a été multipliée en un an par trois, sans rien faire. Il résulte de cette boursouflure de la rente foncière, d’étranges pyramides à degrés, qui occupent le plus souvent une forte emprise au sol[23]Arnaud Devillers, architecte-urbaniste associé de 2/3/4/, architecte-urbaniste conseil de la ville de Marseille lors des universités d’été de l’architecture à Lyon en 2015 (site Internet de l’événement). ».

En région PACA toujours, l’UDVN 83, affiliée au réseau France nature environnement, par la voix de son président, s’est également émue des risques de densification non contrôlée compte tenu des évolutions réglementaires. Dans une note du 27 février 2016, ce dernier met en garde contre la passivité de certains maires qui n’auraient pas pris la mesure des changements issus de la loi Alur. Compte tenu de la suppression du COS dans les communes disposant déjà d’un PLU, l’association plaide pour que les communes procèdent sans attendre à une révision simplifiée de celui-ci afin de contrecarrer au mieux l’explosion des droits à bâtir en résultant puisque la réforme a pour effet de modifier de façon substantielle l’économie générale du document d’urbanisme. « Or de nombreux élus, avec la bénédiction des services de l’État désireux de profiter de l’occasion pour relancer la construction par n’importe quel moyen, y compris l’anarchie en matière d’urbanisme, ont délibérément omis de procéder à toute modification, ou ont délibérément mis en œuvre des modifications de règlement insuffisantes, voire totalement inopérantes. Il en résulte que, si l’augmentation de constructibilité ainsi créée reste faible dans les zones déjà densément urbanisées, elle est énorme dans les zones dites “d’urbanisation diffuse”, issues d’anciennes zones NB des OSs, ou de lotissements anciens construits avec un COS de 0,10 ou moins, avec des terrains de 2 500 ou 5 000 m². Et les conséquences sont souvent un désastre paysager, voire environnemental[24]Préparant par-là un argumentaire destiné à attaquer les documents d’urbanisme de ces communes peu précautionneuses, dans Note d’observation quant à l’illégalité de certains PLU en vigueur par changement des circonstances de droit, du fait de l’entrée en vigueur de la Loi « ALUR ». Recours indirects contre ces PLU. Recours contre les permis de construire délivrés en application de ces PLU, 27 février 2016.… ».

Suppression du COS, quels effets concrets ?

Face aux différents arguments avancés, nous avons cherché à analyser la portée réelle des changements sur une commune test. Il en résulte que si les effets de la réforme peuvent ne pas poser trop de problèmes dans les zones déjà denses et sur les terrains de faible dimension, en revanche dans les faubourgs des villes et dans l’ensemble du périurbain, constitués de grandes parcelles, les effets sont potentiellement beaucoup plus forts. Dans ces quartiers, la densification traditionnelle sous forme de subdivision du parcellaire est aujourd’hui considérablement accentuée par des projets de démolition/reconstruction jusqu’alors inédits. Or bien peu de PLU ont pris la mesure des conséquences possibles. On peut imaginer qu’à terme les jeux du marché viennent réguler cette nouvelle bulle constructive, mais dans l’intervalle, il y a fort à parier que les villes et villages seront pour longtemps marqués par la densité des premières expérimentations.

La petite commune de Volx nous a servi de territoire test ces deux dernières années. L’écriture du PLU a été l’occasion de tester plusieurs scénarios cherchant à limiter l’impact de la suppression du COS. À cette occasion, un tableau comparatif de la réglementation avec et sans COS a été établi. Les tableaux qui suivent donnent un aperçu rapide des conséquences de la suppression du COS dans trois secteurs types : centre villageois (zone UA), première couronne (zone UB) et lotissements lâches (zone UC). Toute autre règle d’urbanisme égale par ailleurs, plus on s’éloigne du centre-ville bâti et plus les parcelles grandissent, plus les droits à bâtir augmentent. L’unité de mesure est la Surface de Plancher (SP).

Forte de ce tableau, la commune a décidé d’utiliser l’ensemble des possibilités permises par le code de l’urbanisme pour atténuer les effets de la suppression du COS. Le choix politique a été fait de permettre une augmentation des droits à bâtir qui ne dépasse pas le doublement de ce que prévoyait l’ancien document d’urbanisme avec COS. Concrètement, cela se traduit notamment par :

Dans les zones UA : la hauteur sera limitée à 11 m. Les autres éléments ne sont pas modifiés, notamment l’emprise au sol. L’impact de la suppression du COS est ici moindre, car dans ce secteur, les terrains ont des surfaces réduites, et la rédaction de l’article UA 10 relatif à la hauteur limite celle-ci en exigeant de conserver le gabarit des constructions mitoyennes (plus ou moins un mètre).

Dans les zones UB : il est décidé de réduire l’emprise au sol à 50 % et d’instituer une surface éco-aménageable de 20 %.

Dans les zones UC : les droits à construire doublant aussi dans ce secteur, l’emprise au sol est réduite à 40 %, les hauteurs sont limitées et la commune va instituer une surface éco-aménageable d’au moins 20 % de la surface du terrain.

Une multiplication imprévisible du nombre de logements
au risque de déstabiliser les marchés locaux

Les droits à construire sur une parcelle restent pourtant assez virtuels tant que les propriétaires n’envisagent pas de les utiliser. Là se situe la seconde grande évolution des dernières années. Dans un double contexte de renchérissement et de raréfaction du foncier, les possibilités de droits à bâtir sont aujourd’hui bien plus utilisées qu’auparavant. Ce phénomène, nouveau dans la région étudiée ici, vient considérablement accélérer les mutations prévues par le droit.

Sur le périmètre du SCoT de la DLVA, comme d’ailleurs partout en PACA y compris dans les grandes villes, le marché s’est chargé de lui-même de maximaliser l’utilisation du foncier. De ce fait, les nouvelles règles du PLU viennent accélérer un phénomène qui était déjà observable depuis le début de la décennie 2010. À l’échelle du SCoT, tous les indicateurs convergent pour montrer cette augmentation progressive de la densité avant même ces durcissements réglementaires. Entre 1994 et 2013, la densité sur ce territoire est passée de 7,4 lgts/ha à 11,4 lgts/ha. En matière de lotissement pavillonnaire, la parcelle moyenne a été divisée par deux en 10 ans, passant de 875 m² en 2004 à 422 m² en 2013. Si la courbe n’est pas linéaire, la tendance de fond est clairement perceptible[25]Ecovia, Scot de la région de Manosque, diagnostic, Livret 1, p. 128.. Pour mémoire, entre 1974 et 1983, sur ce même territoire, en plein boum du périurbain provençal, les parcelles moyennes étaient de 1 390 m² avant de se stabiliser aux alentours de 1 000 m² durant les deux décennies suivantes. Même lorsqu’elles se veulent vertueuses à travers la réforme de leurs documents d’urbanisme, les collectivités locales de ce territoire restent en deçà des évolutions du marché.

Ce fort rétrécissement de la taille des parcelles s’inscrit depuis deux ans dans un contexte d’accélération très fort des mises en chantier. Les derniers chiffres de l’EPFR PACA pour l’année 2016 montrent que le phénomène devrait encore accélérer. Compte tenu des niveaux historiquement bas des taux de crédit qui dopent le secteur de la construction, en 2016, le nombre de logements produits en PACA a bondi de 22,9 % pour atteindre 35 500 logements, situés essentiellement sur ces territoires périurbains. De même, la mise sur le marché par les promoteurs a crû de 24,2 % au cours de l’année 2016[26]EPFR Paca, Notes de conjoncture, Marseille, CA du 27 février 2017..

De l’impossibilité de prévoir l’évolution du bâti

Prises en tenaille entre les évolutions du marché foncier et celles du droit, les collectivités rencontrent des difficultés pour anticiper leur aménagement. Dans l’incapacité de prévoir le nombre de logements qui seront construits en densification, la plupart des communes ont continué à programmer des extensions d’urbanisation dans leur droit des sols afin de se doter de la capacité à accueillir de nouvelles populations. C’est ce que montre l’étude du SCoT de Manosque auquel est liée notre commune test.

Après un premier SCoT porté par trois communautés de communes à la fin de la décennie 2000 et approuvé le 19 décembre 2012, la jeune communauté d’agglomération DLVA a décidé en 2015 de réviser ce document pour le mettre en conformité à la fois avec les lois Grenelle et le nouveau périmètre de la communauté. Les présentes analyses sont issues du suivi de l’élaboration de ce second SCoT, qui devrait être validé à la fin de l’année 2017.

Si, dans le cadre d’un SCoT, la spatialisation des projets se fait a minima par des intentions volontairement mal délimitées, chaque commune se voit attribuer trois chiffres pour la durée de vie du document, soit 18 ans :

un nombre d’hectares maximum à urbaniser, le total des hectares consommés sur le territoire des 26 communes ne devant pas dépasser 500. La commune étudiée ici dispose d’un droit de tirage d’un peu plus de 15 ha sur ces 500 ;

un nombre de logements minimum à réaliser par hectare, au nom d’une densité imposée, qui dépend du rang de la commune dans l’armature urbaine définie. Pour la commune étudiée ici, classée en rang 3 comme « commune de proximité », ce nombre est de 22 logements à l’hectare[27]Quatre rangs ont été définis dans le document : la ville centre, les pôles relais, les pôles de proximité et les pôles villageois. ;

un nombre maximum de logements à construire tous les ans en conformité avec le plan local de l’habitat de l’agglomération qui prévoit la construction de 500 logements neufs ou en réhabilitation par an sur l’ensemble du territoire. Pour la commune étudiée ici, ce nombre théorique de logements est de 22 par an.

La stratégie de la commune au regard de l’ouverture, totale ou partielle, de ces 15 ha prévus dans le SCoT est intimement liée à sa capacité à anticiper le comportement des propriétaires et des promoteurs dans les secteurs déjà urbanisés. Vingt-deux logements neufs par an est un objectif vite atteint, qui correspond théoriquement à l’ouverture d’un hectare par an au regard des objectifs que le SCoT assigne à la commune. Un tel raisonnement se tient lorsque la majeure partie des constructions neuves se situe sur des terrains nouvellement ouverts à l’urbanisation et lorsque les opérations en densification ne sont que marginales.

Or, compte tenu des règles issues de la loi Alur et de l’évolution du marché, la réalité pourrait être tout à fait différente si les constructeurs décidaient d’utiliser au maximum leurs droits à bâtir. C’est ce que montrent les deux exemples suivants sur notre commune-test. Ils illustrent également la profondeur des bouleversements de l’économie de la construction dans le périurbain. Les travaux d’A. Bouteille sur le coût du m² bâti en fonction du type de construction démontrent que le prix au m² habitable est deux fois plus élevé pour un immeuble de plusieurs niveaux avec parking souterrain par rapport à une villa de plain-pied traditionnelle (Bouteille, 2017[28]Bouteille A. (2017). « Coûts de construction et densité. Des interdépendances souvent méconnues, des conséquences pourtant lourdes », Tous urbains, n° 18, p. 52-57.). Dans un contexte de relative abondance du foncier, la construction d’une villa individuelle est donc un choix économique parfaitement rationnel. Or la rareté du foncier sur le territoire étudié et les possibilités laissées en matière de densité rendent désormais viable la réalisation de collectifs en R +2 à R +4 avec parkings en sous-sol, du jamais vu dans ce type de communes.

Le premier exemple concerne l’implantation d’un petit immeuble résidentiel de 1 100 m² de plancher sur le terrain d’une villa situé dans un tissu pavillonnaire. Ce terrain de 2 800 m² a été acquis par un promoteur local après une succession. Il abrite depuis 1950 en son centre une villa de 160 m². L’acquéreur a prévu de la raser pour y implanter cet immeuble en R +1 de seize logements, soit quatre T2, six T3 et six T4. Le projet prévoit en outre la création de 32 places de parking. Cette opération de démolition / reconstruction, totalement inédite dans ce tissu bâti pavillonnaire provençal, est en soi source d’un fort mécontentement des voisins qui ont attaqué le permis. Encore ce projet n’utilise-t-il que les possibilités de l’ancien document d’urbanisme de la commune en vigueur fin 2016 et est donc appuyé sur l’existence d’un COS. À compter du passage au PLU au printemps 2017, ces 1 100 m² pourraient devenir 2 234 m² en remplacement de cette maison de 160 m².

Le second, assez identique même si les porteurs sont très différents, concerne deux petites parcelles de respectivement 1 039 m² et 365 m² accueillant une maison de 128 m² ayant fait l’objet d’une extension en 2013. Bien que récemment aménagée, cette maison est elle aussi promise à la démolition dans le projet du promoteur au profit de six villas accolées alignées sur la rue de 620 m² (figure 2). Cette mutation serait conforme au règlement du POS désormais abrogé mais, ayant entendu parler du travail d’écriture du PLU, le promoteur a finalement décidé d’attendre les nouvelles règles et la suppression du COS. Celles-ci lui permettront de substituer à la maison de 128 m² un collectif de plus de 1 200 m² sur ces deux parcelles comportant seize logements.

Il est encore trop tôt pour dire si les phénomènes observés dans cet article resteront des cas isolés ou marquent les prémices d’un mouvement de fond. À Volx, dans les communes du SCoT de Manosque ou dans celles de la métropole provençale, ils sont toutefois suffisamment nombreux pour venir interroger les évolutions possibles des tissus bâtis.

Les limites de l’acceptabilité sociale dans un contexte tendu

On a longtemps cru que trop de verrous économiques et sociaux rendaient de fait impossible la densification dans le tissu pavillonnaire. Coincé entre comportements des ménages jaloux de leur quant-à-soi et inadaptation des outils de l’urbanisme opérationnel piloté directement ou indirectement par les collectivités, trop lourds à mettre en œuvre compte tenu des gains attendus (achat du foncier, remembrement, création d’une Zac…), le périurbain semblait de fait intouchable.

La solution a pu un temps consister à convaincre les habitants d’initier eux-mêmes cette transition douce. Face à cet éparpillement, les études Bimby avaient cherché à démontrer l’intérêt de « mettre l’habitant en position de maître d’ouvrage de son habitat et de l’aménagement de sa parcelle… en sortant du paradigme de la promotion immobilière, dans lequel l’habitant “délègue” de fait la maîtrise d’ouvrage de la construction de son habitat à un acteur tiers, qu’il soit public ou privé » (Le Fol et Miet, 2013[29]Op. cit.).

Pour ce faire, ses promoteurs concluaient au triple intérêt d’une démarche à la fois :

plus « politique », puisque les habitants restaient maîtres de leur cadre de vie ;

plus économique, puisque ces constructions en densification ne nécessitaient pas de création de réseaux ;

plus démocratique, puisque l’habitant « conserve les clés de son développement urbain ».

Les phénomènes observés ici remettent en cause ces trois conclusions. Ils montrent au contraire que l’alignement des jeux du marché et des évolutions règlementaires avec la libéralisation des droits à bâtir vient fortement marginaliser l’habitant au profit d’une mutation urbaine aussi soudaine qu’incontrôlable.

Se pose alors un problème à la fois politique quant à l’acceptabilité sociale de ces nouvelles formes urbaines perturbatrices des tissus environnants, et techniques du point de vue des capacités des réseaux et infrastructures à absorber ces augmentations potentiellement très fortes du nombre d’habitants. On se souvient que la majoration de 30 % des droits à bâtir par le gouvernement Fillon dans le but d’encourager la construction de logements sociaux ou respectant un certain nombre de critères environnementaux avait fait hurler, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Les conséquences des mutations actuelles sont pourtant bien plus importantes.

Pour la commune étudiée ici, ces évolutions réglementaires et économiques sont lourdes de conséquences en matière de production de logements. Si le nombre de permis déposés n’a pas significativement évolué, en revanche leur nature est totalement différente. La multiplication de petits collectifs allant jusqu’à 20 lots en lieu et place de villas individuelles vient bouleverser les équilibres locaux de quartiers pavillonnaires construits au fil des décennies, dans un tissu urbain qui n’y a pas été préparé, à la fois au sens social et physique.

La multiplication des contentieux d’urbanisme portés par les riverains témoigne de la fin d’un consensus social dans la façon d’habiter ces communes. Un peu partout sur les territoires périurbains de Provence, les rapports se tendent entre anciens habitants et nouveaux promoteurs, dans des territoires historiquement régis par des règles de la sociabilité de proximité. La commune de Volx n’échappe pas à ce phénomène, les permis de petits collectifs ici étudiés ayant fait l’objet d’un recours ou d’un projet de recours devant le juge administratif. Difficile en Provence de suivre les conclusions de Laferrère et al. (2017[30]Laferrère A, Pouliquen E, Rougerie C (dir.). (2017). Les Conditions de logement en France, Paris, Insee, 220 p.), qui indiquaient que « le repli de la construction de maisons individuelles au profit des appartements en immeubles collectifs indique peut-être un changement des comportements ».

Du point de vue des communes ou des EPCI, de tels changements viennent remettre en cause leurs capacités à essayer de réguler la croissance démographique de leur territoire à travers le droit des sols et à dimensionner leurs équipements collectifs en fonction d’une population attendue. Lorsque les seuls jeux du marché décident si une parcelle accueillera une belle villa ou un collectif de 20 T3, gérer une commune devient un exercice plus difficile. De la même façon, pour un bureau d’études, tenter d’estimer le potentiel de densification d’un territoire devient un exercice totalement hasardeux.

Il est alors temps de sortir le débat sur la densité des seules arènes académiques, juridiques ou professionnelles pour en analyser les effets au quotidien. Si bien des auteurs se plaisent à dire que la densité n’a pas d’effet direct sur la forme urbaine (Merlin, 2015[31]Merlin P, Choay F (dir.). (2015). Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, 7e édition Puf/Quadrige.), elle en a de très concrets sur la gestion des services collectifs par l’ensemble des collectivités territoriales et sur les perceptions habitantes.


[1] Clément P, Guth S. (1995). « De la densité qui tue à la densité qui paye. La densité urbaine comme règle et médiateur entre politique et projets », Les Annales de la recherche urbaine, n° 67, Densités et espacements, p. 72-83.

[2] « Il y a urgence à agir car le bilan est alarmant : en France, l’artificialisation atteignait 9 % du territoire en 2009. Les sols artificialisés sont passés, entre 2006 et 2009, de 4,59 à 4,85 millions d’hectares, soit une progression moyenne de 86 000 hectares par an. À ce rythme, les espaces agricoles et naturels perdent 236 hectares par jour : ce chiffre correspond à la perte, tous les sept ans, de la superficie d’un département français moyen », dans Denizeau (2011), « Le nouveau PLU issu de la loi Grenelle II : densifier sans s’étaler ! », Métropolitique, 4 avril 2011 [En ligne].

[3] Touati Ibib A. (2010). « Histoire des discours politiques sur la densité », Études foncières, n° 145, p. 24-26.

[4] Dans l’urbain comme dans le rural (CERTU. (2010). Pour un habitat dense individualisé, 20 formes urbaines diverses et contextuelles, Paris, 237 p.).

[5] Fouchier V. (1994). « Penser la densité », Études foncières, n° 64.

[6] Atelier Parisien d’Urbanisme. (2003). Densités vécues et formes urbaines. Étude de quatre quartiers parisiens, p. 5.

[7] Insee, recensements de 2008 et 2013.

[8] Op. cit.

[9] Castel JC. (2007). « De l’étalement urbain à l’émiettement urbain. Deux tiers des maisons construites en diffus », Les Annales de la recherche urbaine, n° 102, p. 88-96.

[10] Sarlat S, Nowacki C. (2010). « De l’importance de la morphologie dans l’efficience énergétique », Liaison énergie-francophonie, n° 86, p. 140-146.

[11] Camagni R, Gibelli MC, Rigamonti P. (2002). « Forme urbaine et mobilité : les coûts collectifs des différents types d’extension urbaine dans l’agglomération milanaise », Revue d’économie régionale et urbaine, p. 105-139.

[12] En considérant, avec l’INSEE, qu’il y a en France 19 millions de propriétés individuelles bâties.

[13] Le Foll B, Miet D. (2013). « Construire dans mon jardin et résoudre la crise du logement. Cinq idées-clés pour comprendre la filière Bimby », Métropolitiques, 18 mars 2013 [En ligne].

[14] Loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation, relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement.

[15] CDCEA (Commission Départementale de Consommation des Espaces Agricoles) devenue CDPENAF (Commission Départementale de la Préservation des Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers) en 2015. Les membres de la commission, nommés par le préfet, représentent l’ensemble des utilisateurs des milieux agricoles et forestiers répartis par collèges. Elle donne un avis sur tous les documents d’urbanisme.

[16] Observatoire National de la Consommation des Espaces Agricoles (ONCEA), installé en 2014, et qui doit rendre un rapport au gouvernement sur la consommation des terres agricoles et naturelles en France, estimée entre 40 000 et 90 000 ha chaque année.

[17] Ministère du Logement et de l’Égalité des territoires, Loi Alur : lutte contre l’étalement urbain, mai 2014, p. 3.

[18] Pellissier G. (2012). « Écriture de l’article 9 du PLU », Gridauh, fiche 1, p. 2.

[19] La presse généraliste en particulier s’est fait l’écho de ces débats. Voir par exemple : « Comment les maires sabotent la loi Alur favorisant la production de logements ? » par  Jouët Sébastien, Les Échos, le 22/02/2015 ou « Comment les maires ont torpillé la loi qui devait relancer les constructions » dans Challenges [En ligne](www.challenges.fr/…/comment-les-maires-ont-torpille-la-loi-qui-devait-relancer-les-constructions), le 8 janvier 2015.

[20] Denizeau C. (2011). « Le nouveau PLU issu de la loi Grenelle II : densifier sans s’étaler ! », Métropolitique, 4 avril 2011 [En ligne].

[21] On lira, par exemple, Le Journal de l’Agence, dans un article du 21 janvier 2016 intitulé « Loi Alur et densification du tissu urbain des communes françaises, la réforme patine ».

[22] Ibid.

[23] Arnaud Devillers, architecte-urbaniste associé de 2/3/4/, architecte-urbaniste conseil de la ville de Marseille lors des universités d’été de l’architecture à Lyon en 2015 (site Internet de l’événement).

[24] Préparant par-là un argumentaire destiné à attaquer les documents d’urbanisme de ces communes peu précautionneuses, dans Note d’observation quant à l’illégalité de certains PLU en vigueur par changement des circonstances de droit, du fait de l’entrée en vigueur de la Loi « ALUR ». Recours indirects contre ces PLU. Recours contre les permis de construire délivrés en application de ces PLU, 27 février 2016.

[25] Ecovia, Scot de la région de Manosque, diagnostic, Livret 1, p. 128.

[26] EPFR Paca, Notes de conjoncture, Marseille, CA du 27 février 2017.

[27] Quatre rangs ont été définis dans le document : la ville centre, les pôles relais, les pôles de proximité et les pôles villageois.

[28] Bouteille A. (2017). « Coûts de construction et densité. Des interdépendances souvent méconnues, des conséquences pourtant lourdes », Tous urbains, n° 18, p. 52-57.

[29] Op. cit.

[30] Laferrère A, Pouliquen E, Rougerie C (dir.). (2017). Les Conditions de logement en France, Paris, Insee, 220 p.

[31] Merlin P, Choay F (dir.). (2015). Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, 7e édition Puf/Quadrige.