frontispice

La place du vivant non-humain en ville
De plus en plus plébiscitée par les citadins

• Sommaire du no 9

Philippe Clergeau Muséum national d’Histoire naturelle Philippe Jarjat Agence d’architecture Art&Build, Paris Richard Raymond CNRS, Paris Steven Ware Agence d’architecture Art&Build, Paris

La place du vivant non-humain en ville : de plus en plus plébiscitée par les citadins, Riurba no 9, janvier 2020.
URL : https://www.riurba.review/article/09-objets/vivant/
Article publié le 1er janv. 2020

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Philippe Clergeau, Philippe Jarjat, Richard Raymond, Steven Ware
Article publié le 1er janv. 2020
  • Abstract
  • Résumé

The place of non-human life in the city: increasingly popular with city dwellers

In order to determine whether the integration of plants and the increased proximity of nature are genuinely welcomed by the population at large, a survey was initiated by an architecture firm, an ecologist and an anthropologist. The survey was then duly conducted among 1452 respondents. Several conclusions are suggested based on the results. Firstly, the perceived opposition between the city and nature has been erased. The popularity of biodiversity is general upheld, particularly within the city. The places in which biodiversity is accepted are more diverse and are increasingly close to human inhabitants, even if conventional representations associated with certain species explain the variations in their acceptability. Although biodiversity is still perceived as a matter for specialists, those involved in urban design—from architects to planners and developers—also have a role to play in both the consideration of ecological principles underlying urban planning and in the development of public awareness of new forms of coexistence with nature. The results of this survey corroborate the will to see non-human life established in the buildings and cities of tomorrow.

Afin de déterminer si la végétalisation des bâtiments et la présence de plus de nature de proximité sont réellement souhaitées par les citadins, une agence d’architecture, un écologue et un anthropologue ont initié une enquête sur la perception de la biodiversité au sein de la population française (1 452 interrogés). Plusieurs enseignements peuvent en être tirés. Tout d’abord, l’opposition entre ville et nature, souvent postulée, n’est pas reconnue ici par les personnes. L’intérêt de la biodiversité en général, et en ville en particulier, n’est pas démentie. Les espaces dans lesquels la biodiversité trouverait sa place sont plus divers et de plus en plus proches des habitants, même si les représentations traditionnelles encore attachées à tel ou tel animal expliquent des variations d’acceptabilité. Bien que la biodiversité soit toujours perçue comme une affaire de spécialistes, les concepteurs de l’urbain et les aménageurs ont aussi un rôle à jouer tant dans la prise en compte de l’écologie dans l’établissement humain que dans la sensibilisation du public à des nouvelles formes de cohabitation avec la nature. Les résultats de cette enquête corroborent la place attendue du vivant non humain dans la ville et les bâtiments de demain.

Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
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Introduction

« Changement climatique, déclin de la biodiversité, pollution de l’eau et de l’air, artificialisation de l’espace, usure des sols : tous les clignotants sont au rouge » (Perret, 2018[1]Perret B. (2018). « De la croissance marchande au développement durable », Esprit, n° 441, p. 88-98.). Si de tels constats inquiétaient principalement, il y a quelques décennies, des cercles déjà sensibles à ces problèmes, constitués de scientifiques (Dorst, 1965[2]Dorst J. (1965). Avant que nature meure, Paris, Delachaux & Niestlé.) ou d’écologistes engagés, force est de constater qu’ils touchent désormais tout le monde, comme l’actualité quotidienne le rappelle tristement (Court, 2019[3]Court M. (2019). « Alerte sur la disparition des espèces », Le Figaro, 27-28 avril, p. 11.). Les membres de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES, 2019[4]IPBES. (2019). Communiqué de presse, 6 mai [En ligne), réunis à Paris, ont rendu public le 6 mai 2019 le résultat des recherches et analyses menées depuis 2005 sur l’état de la biodiversité. Entre autres, les auteurs de ce rapport indiquent que 75 % du milieu terrestre est fortement dégradé par les activités humaines, et qu’un grand nombre d’espèces sont menacées de disparition. Cette mise en garde s’ajoute à d’autres plus anciennes.

En 1972, parut le rapport The Limits to Growth, rédigé pour le compte du Club de Rome. Il s’interrogeait d’abord sur le caractère pérenne de notre modèle de croissance (Meadows et al., 1972[5]Meadow D.H., Meadows D.L., Randers J., Behrens W.W. (1972). The limits to growth, a report to the club of Rome, New York, Universe Books.). S’il notait les atteintes nombreuses portées à notre environnement, il n’identifiait pas directement les menaces portant sur la diversité biologique. Celle-ci devait recevoir une première forme de protection grâce à la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, signée le 3 mars 1973, à Washington. Si une telle convention pouvait marquer les esprits et doter les gouvernements d’instruments juridiques pour protéger les espèces en voie de disparition, elle ne pouvait en aucun cas freiner les principaux moteurs du recul de la biodiversité que sont nos modes de production alimentaire, l’impact de l’urbanisation et nos habitudes en matière de mobilité. C’est à une autre convention, élaborée dans le cadre du Sommet de la Terre en 1992, que nous devons d’avoir popularisé cette notion de biodiversité en en donnant une définition précise : « Variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes ». À la définition très générale de nature qui peut faire référence aussi bien au relief, aux nuages, aux parcs urbains tirés au cordeau qu’aux plantes ou animaux ou aux milieux qui les accueillent, on se centrera sur la biodiversité définie comme l’ensemble des espèces animales et végétales impliquant des relations entre ces espèces et leur biotope. Il s’agit donc de fonctionnement tout autant que de nombre d’espèces (Clergeau, 2007[6]Clergeau P. (2007). Une écologie du paysage urbain. Rennes, Apogée.).

L’étalement urbain s’accélère et a un impact sur ce fonctionnement des écosystèmes. Selon l’Organisation des Nations unies, depuis 2008, la moitié de la population de notre planète vit dans des villes (Tillon, 2018[7]Tillon L. (2018). Et si on écoutait la nature, Paris, Payot & Rivages.). En France métropolitaine, les zones urbaines dépassent maintenant les 20 % de la superficie du territoire (INSEE, 2011[8]INSEE Première (2011). [En ligne]. Disponible sur : https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/1280970/ip1364.pdf). L’urbanisation ne peut plus être exclue des réflexions sur la préservation de la biodiversité. Cette nécessité d’articuler conservation de la biodiversité et construction de la ville se traduit dans de nombreuses orientations. Ainsi, face aux conséquences maintenant bien documentées de l’artificialisation des sols (IPBES, 2018[9]IPBES (2018). Report of the Plenary of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services on the work of its sixth session, IPBES/6/15, 39 p. ; Virely, 2017[10]Virely B. (2017). Artificialisation, de la mesure à l’action, Commissariat Général au Développement Durable CGDD-SEEIDD, 46 p.), l’État français fixe, dans le dernier Plan Biodiversité du 4 juillet 2018, l’objectif de « zéro artificialisation nette » pour répondre aux demandes de constructions de nouveaux logements. De même, de nombreux travaux invitent à reconsidérer la place de la biodiversité en ville et à prêter une plus grande attention à l’accueil et aux conditions de vie des différentes espèces. Les structures écologiques en milieux urbains doivent être préservées ou recréées (Clergeau et Blanc, 2013[11]Clergeau P., Blanc N. (dir.). (2013). Trames vertes urbaines. De la recherche scientifique au projet urbain, Paris, Le Moniteur. 340 p. ; Omar et al., 2019[12]Omar M., Schneider‐Maunoury L, Barré K et al. (2019). « Colonization and extinction dynamics among the plant species at tree bases in Paris (France) », Ecology and Evolution, n° 9, p. 8414–8428.). Nos rapports aux espèces spontanées et commensales peuvent être revisités (Machon et Motar, 2018[13]Machon N., Motar E. (2018). À la découverte des plantes sauvages utiles, Paris, Dunod, 208 p. ; Berthier et al., 2017[14]Berthier A., Clergeau P., Raymond R. (2017). « De la belle exotique à la belle invasive : perceptions et appréciations de la perruche à collier (Psittacula krameri) dans la métropole parisienne », Annales de Géographie, n° 716, p. 408-434.). Nos manières de consommer et de construire doivent évoluer.

Bien qu’une grande partie de ces évolutions se fassent en dehors de toute planification et que, pour les territoires qui en font l’objet, les urbanistes, architectes ou paysagistes ne restent que des acteurs parmi tant d’autres, il n’en demeure pas moins que leurs choix ont un impact sur la gestion des écosystèmes présents et des espèces qu’ils accueillent. Ils ont en effet la capacité de concevoir et de bâtir un cadre dans lequel les interactions entre les habitants et diverses formes du vivant seront plus ou moins favorables, plus ou moins apaisées, plus ou moins acceptées. Les architectes sont des acteurs centraux de la fabrique de la ville, insérés dans un système complexe réglé par des considérations réglementaires, techniques, économiques, pratiques ou simplement humaines. Cette profession est invitée à comprendre ce que la protection de la biodiversité, voire sa restauration, implique sur le plan matériel et ce sur quoi elle a latitude pour agir. Cette compréhension suppose de dialoguer de manière répétée avec ceux, tels que les écologues, qui connaissent le monde du vivant. Pourtant, un tel échange ne peut suffire. Le contexte d’appréciation et d’acceptabilité d’une plus grande part de la biodiversité par les citadins est primordial pour initier un réel changement dans la manière de concevoir la ville (Mehdi et Di Pietro, 2009[15]Mehdi L., Di Pietro F. (2019). « L’espace vert public, lieu d’interactions entre société et biodiversité », Projet de Paysage, halshs-00482045, 17 p. ; Raymond et Simon, 2012[16]Raymond R., Simon L. (2012). « Biodiversité : les services écosystémiques et la nature en ville », Revue forestière française, n° 3, p. 339-350. ; Maillefert et Petit, 2017[17]Maillefert M., Petit O. (2017). « Vers une démarche intégrée d’évaluation et de représentation des services écosystémiques : perspective interdisciplinaire et enjeux en milieu urbain », Environnement Urbain / Urban Environment, n° 11. [En ligne). En interrogeant les futurs occupants des nouveaux bâtiments et constructions concernant leurs représentations de ce qu’est la « nature » en ville, l’objectif est de saisir les contours de cette appréciation et de cette acceptabilité.

De nombreux travaux se sont attachés à décrire et analyser les attentes des citadins concernant la nature en ville. Les conclusions convergent vers l’existence d’une demande soutenue de plus de nature en ville (par exemple Boutefeu, 2005[18]Boutefeu E. (2005). La demande sociale de nature en ville. Enquête auprès des habitants de l’agglomération lyonnaise, Paris, PUCA-CERTU, 85 p. ; Bourdeau-Lepage et Vidal, 2014[19]Bourdeau-Lepage L, Vidal R. (2014). « Comprendre la demande sociale de nature en ville », dans Chomarat C, Nature urbaine en projets, Paris, Archibooks, p. 37-52. ; Bailly et al., 2019[20]Bailly E., Marchand D., Maugard A. (2019) Biodiversité urbaine, pour une ville vivante. Ed. PC, Paris, 136 p.). L’opposition occidentale nature/culture (Descola, 2005[21]Descola P. (2005). Par-delà nature et culture, Gallimard, Paris, 610 p.) où la ville peut être associée à la culture, apparaît alors s’amoindrir. Cette nature est cependant prise comme un tout, système complexe qui s’incarne bien souvent dans la verdure et les parcs et jardins publics (Simon et Raymond, 2015[22]Simon L., Raymond R. (2015). Les espaces urbains, un système complexe de territoires d’expérience pour la conservation de la biodiversité. In Pour une Géographie de la conservation. Biodiversités, natures et sociétés, Mathevet R. et Godet L. (eds.), Paris : L’Harmattan, p 157-181.). D’autres travaux soulignent le caractère ambivalent de l’appréciation de telle ou telle espèce composant la biodiversité urbaine (par exemple Clergeau et al., 1996[23]Clergeau P., Esterlingot D., Chaperon J., Lerat C. (1996). Difficultés de cohabitation entre l’homme et l’animal : le cas des concentrations d’oiseaux en site urbain. Natures, Sciences, Sociétés 4 : 102-115.). Plusieurs synthèses ont tenté de mettre en perspective les différentes composantes de la biodiversité urbaine, leurs usages, leurs représentations et leur intégration dans la conception urbaine, par exemple en France depuis Bernadette Lizet et ses collaborateurs (1997[24]Lizet B., Wolf A.E. et Celecia J. (éd.) (1997). Sauvages dans la ville. Paris, Jatba, Revue d’ethnobiologie, 607 p. – 1997.) jusqu’à Philippe Clergeau et ses co-auteurs (2020[25]Clergeau P. coord. (2020) Urbanisme et biodiversité : vers un paysage vivant structurant le projet urbain. Rennes, Apogée ed., 328 p.). Les travaux présentés ici s’inscrivent dans cette lignée. Ils tentent d’éclairer les représentations et les appréciations de la biodiversité urbaine par les citadins en considérant trois aspects fondamentaux et habituellement peu considérés : la diversité des valeurs qui sous-tendent ces représentations, la diversité des entités qui composent la biodiversité, même urbaine, et enfin, la diversité des proximités spatiales qui lient l’habitant à l’entité végétale ou animale considérée.

Pour cette tâche, la formation d’équipes pluridisciplinaires est donc fondamentale. D’où notre idée conjointe à une agence d’architecture, un écologue et un anthropologue de construire ensemble un questionnaire sur la biodiversité en ville et de demander à l’institut de sondage OpinionWay de réaliser la passation de cette enquête à large échelle. L’objectif de ce travail a été de cartographier les attentes des personnes interrogées sur la place que devrait occuper la nature en ville (acceptation de la biodiversité par les populations urbaines et hiérarchie perçue des services rendus par celle-ci) et de déterminer jusqu’à quelle proximité du citadin les espèces animales et végétales peuvent être acceptées.

Nous présenterons ici quelques résultats en nous centrant sur les grandes tendances de réponses qui doivent nous éclairer sur les nouvelles perspectives pour faire la ville.

Méthodes de l’enquête

Le recueil de données est supporté par un questionnaire qui a été élaboré par les auteurs puis simplifié à la demande d’OpinionWay. Celui-ci est construit en trois modules. Le premier vise à cerner l’opinion générale de l’enquêté par rapport à la nature. Le deuxième module permet d’estimer la proximité à laquelle différents types d’espèces sont acceptés vis-à-vis du domicile. Ces deux premiers modules conduisent au dernier qui aborde quelques leviers ou freins à cette cohabitation entre vivants humains et non humains. Ces trois modules rassemblent sept rubriques au sein desquelles sont rassemblées les différentes questions (voir annexe). La numérotation des chapitres ci-dessous correspond à celle de l’enquête.

Module 1

  1. Quels recouvrements entre l’idée de ville et celle de nature ?
  2. Quels sont les liens établis entre l’idée de ville et celle de biodiversité ?
  3. Quels sont les espaces d’accueil de la biodiversité en ville pour vous ?

Module 2

  1. Quelle est la distance minimale acceptée entre animaux, végétaux et logement ?
  2. Où pensez-vous que les citadins veuillent accueillir plus de végétation ?

Module 3

  1. L’opinion sur le renforcement de la biodiversité en ville.
  2. La survenue de problèmes avec la biodiversité en ville.

Ce questionnaire a été proposé à un échantillon de la population française âgé de 18 ans et plus qui a été constitué selon la méthode des quotas, sur la base du sexe, de l’âge, de la catégorie socioprofessionnelle, du type d’agglomération de résidence et de la région habitée. 1 452 personnes ont répondu. Les personnes résidant dans des communes de 20 000 habitants et plus ont été surreprésentées, afin de disposer d’un échantillon de 942 habitants de ces communes. Cette surreprésentation des habitants des villes de 20 000 habitants et plus a été motivée par une volonté de disposer de suffisamment de données collectées dans un environnement très artificialisé, même si le taux d’artificialisation peut varier considérablement d’une grande ville à l’autre, comme on peut aisément s’en rendre compte en comparant Angers (150 000 habitants en 2017 et 3 500 hab./km2) et Saint-Denis (110 000 habitants en 2017 et 9 000 hab./km2). En revanche, le mode de passation du questionnaire conduit à une grande distribution spatiale des réponses. Il ne permet pas de constituer des grappes de réponses localisées au sein desquelles des indicateurs statistiques auraient pu être calculés.

Dans ce questionnaire, les termes de « nature », puis de « biodiversité » ont été mobilisés sans définition ni préalable ni postérieure – ce qui se fait souvent – à une demande de définition de la part de l’enquêté. En effet, le terme de « nature » est un mot du vocabulaire ordinaire. De même celui de « biodiversité », apparu dans les années 1980, a été diffusé hors des sphères expertes dès la fin du XXe siècle (Aubertin, 2005[26]Aubertin C. (2005). Représenter la nature ? ONG et Biodiversité, Montpellier, IRD, 210 p.). Ces mots mobilisent alors des imaginaires, des préconceptions, des sentiments (Raymond, 2003[27]Raymond R. (2004). « De quelle nature parle-t-on ? », STRATES, matériaux pour la recherche en sciences sociales,n° 11, p. 43-56.), et ce sont ces imaginaires, ces préconceptions, ces sentiments que nous essayons de saisir, supposant que ce sont ces représentations, floues et incertaines, qui guident les comportements plus que les calculs rationnels. De même, nous ne cherchions pas à cerner l’idée de nature, de biodiversité pas plus que celles de ville ou d’urbanité, mais bien à saisir ces élans qui pourraient nous informer sur les relations que les habitants peuvent entretenir avec le vivant.

L’échantillon a été interrogé (norme ISO 20252) grâce un questionnaire auto-administré en ligne sur système dit « CAWI » (Computer Assisted Web Interview). Les interviews ont toutes été réalisées entre le 30 mai et le 7 juin 2018. Nous ne reprendrons pas ici toutes les données obtenues ; nous présenterons seulement quelques grandes lignes de résultats et les pourcentages associés. Nous renvoyons le lecteur à l’annexe pour une synthèse des données ou aux résultats bruts en ligne[28]L’ensemble des résultats est consultable sur le site Internet d’OpinionWay [En ligne.

1. Quels recouvrements
entre l’idée de ville et celle de nature ?

Les relations entre l’urbain et la nature sont marquées par des liens paradoxaux (Lévy et Hajek, 2016[29]Lévy JP, Hajek I. (2016). « La nature urbaine, une utopie paradoxale », Futuribles, p. 61-72.). Mais l’existence d’une opposition entre ville et nature, souvent postulée, n’est pas reconnue ici par les personnes interrogées : seules 19 % d’entre elles distinguent clairement ces deux entités. Cette proportion peut s’étendre au tiers des personnes interrogées si on y agrège les personnes considérant que la nature et la ville sont deux entités qui se côtoient mais ne se mélangent pas. En complément, pour 66 % des personnes interrogées, il y a des liens entre ville et nature. Elles sont même 32 % à estimer qu’il existe des espaces de nature en ville.

Une opposition entre nature et ville apparaît donc infondée. Pour autant, les résultats recueillis traduisent une conception de la nature qui se distingue de ce que ce mot désigne en écologie fonctionnelle : en effet, seuls 13 % des personnes interrogées, et bien que ce score ne soit pas négligeable, estiment que la ville est un écosystème particulier contenu dans la nature. La nature apparaît donc à la fois comme une entité propre, distincte de la ville, sans y être opposée. La nature semble pouvoir être désignée par des espaces aux propriétés particulières, probablement riches en végétation et dont le caractère artificiel n’est peu ou pas perçu.

2. Quels sont les liens établis entre l’idée de ville
et celle de biodiversité ?

Les répondants sont amenés à indiquer leur accord ou désaccord avec certaines affirmations préalablement choisies. Ce deuxième module permet d’affiner les préférences et de mieux cerner les représentations de la population vis-à-vis de la part « vivante » ou « biodiverse » de la nature…

88 % des personnes interrogées souhaitent de nouveaux aménagements pour avoir plus de biodiversité en ville. Cette proportion est en accord avec les travaux sur l’importance des services positifs rendus à l’homme par la biodiversité dans un contexte urbain. Si cette grille d’interprétation est retenue, la visibilité des effets négatifs associés à la diversité biologique (Jacobs, Dendoncker et Keune, 2014[30]Jacobs S, Dendoncker N, Keune H. (2014). Ecosystem Services, Global Issues, Local Practices, Amsterdam, Elsevier, 456 p.) est faible et limitée à 10 % de l’échantillon interrogé. Cet intérêt pour la biodiversité est conforté par le fait que, sur les 10 % des personnes déclarant avoir déjà eu un problème avec la biodiversité, 28 % décrivent paradoxalement ce problème comme étant lié au manque ou à la destruction de la biodiversité en ville (voir point 7) !

Cette proportion est aussi à mettre en perspective avec les enquêtes menées depuis les années 2010 concernant la demande de nature en ville (Bourdeau-Lepage, 2017[31]Bourdeau-Lepage L. (éd.)(2017). Nature en ville – Désirs et controverses. Éditions La Librairie des territoires, Lyon, 160p.). La part de personnes qui souhaitent plus de biodiversité en ville est cependant légèrement en deçà des proportions habituellement rapportées concernant la demande de nature en ville.

Trois raisons peuvent expliquer ce décalage. Si les personnes interrogées font une différence entre nature et biodiversité, elles considèrent que les espaces verts et la nature en ville contiennent de la biodiversité, mais que les espaces verts possèdent une valeur plus grande que la seule biodiversité urbaine. Si les personnes ne font pas de différence claire entre ces deux notions, ce décalage peut être dû à la formulation de la question qui évoque la création de nouveaux aménagements. L’accueil de plus de biodiversité en ville serait freiné par la peur du changement lié à la nécessité de modifier un tissu existant (Bourdeau-Lepage, 2017[32]Ibid.). Plus probablement, cet écart s’explique par le coût induit par l’accueil de la biodiversité tel qu’il est identifié par 61 % des répondants.

Sur la base des six motivations proposées, (« renforcer… » – voir annexe), les choix exprimés par les personnes interviewées soulignent le caractère composite des raisons de renforcer la diversité biologique en milieu urbain. Il semble que l’approche utilitariste de la conservation de la biodiversité, c’est-à-dire l’approche qui tend à valoriser l’utilité des composantes du vivant plus que sa valeur intrinsèque, soit une des motivations les plus fortes (82 %). Ce résultat semble valider une approche de la conservation de la biodiversité fondée sur une évaluation quantitative – et qualitative – des services rendus par les écosystèmes. Cependant, cet utilitarisme n’est pas exclusif, puisque l’éthique recueille le même taux d’adhésion (82 %). Le lien social (75 %) et la question esthétique (66 %), souvent mobilisés par les chercheurs ou les politiques, sont jugés moins importants. En effet, le lien social est souvent convoqué comme argument pour la promotion des espaces verts ou de la participation habitante à la gestion des espaces urbains végétalisés. De même, l’esthétique ou la dimension paysagère de ces espaces verts est soulignée par nombre d’élus, de professionnels du paysage ou de l’horticulture. Enfin, la question alimentaire ne motive que 57 % des personnes interrogées, témoignant sans doute d’une distinction assez nette entre agriculture urbaine et biodiversité, ou entre agriculture urbaine et alimentation. Plus que la valeur absolue de ces taux d’adhésion aux motivations proposées, ce qui marque est l’ordre des préférences qui bouleverse un peu ce que nous attendions.

Pour la moitié des personnes interrogées (50 %), la biodiversité est l’affaire des spécialistes. Cela signifie probablement que, si le mot est connu, la clarté des comportements à tenir face à la biodiversité n’est pas acquise. Si le mot est peu ou mal compris (Cormier, Joliet et Carcaud, 2012[33]Cormier L, Joliet F, Carcaud N. (2012). « La biodiversité est-elle un enjeu pour les habitants ? », Développement durable et territoires, vol. 3 [En ligne), comme c’est probablement le cas, les personnes interrogées pourraient demander à être mieux informées sur ce sujet. Pour autant, les trois quarts des personnes interrogées (76 %) estiment pouvoir participer à la protection de la biodiversité urbaine. Ce chiffre tombe à 58 % lorsque l’on considère la participation effective à la protection de la biodiversité urbaine. Cette différence de 18 % peut sans doute s’expliquer par la difficulté à transformer une intention en action.

3. Quels sont les espaces d’accueil
de la biodiversité en ville pour vous ?

Le troisième moment de ce questionnaire consiste, sur la base d’une infographie, à demander aux interviewés d’indiquer directement où installer, ou laisser s’installer, la nature. Il est à noter que le choix est restreint. La liste proposée ne pouvait pas faire l’objet de modifications de la part des participants à l’enquête. Un des items, le mobilier urbain, s’apparente à un test car c’est un lieu auquel personne ne penserait a priori. Aussi est-il possible de cerner la place de l’inattendu dans la dispersion et l’accueil de la biodiversité en ville.

Figure 1. La question était : « Cliquez sur le dessin suivant sur tous les espaces dans lesquels vous souhaitez qu’il y ait de la biodiversité ? (plusieurs réponses possibles) » (dessin : Art&Build).

Pour 54 % des personnes interrogées, la biodiversité ne se trouve que dans les espaces verts. La faiblesse relative de ce taux de réponse peut être mise en perspective avec la dispersion des espaces dans lesquels les personnes interrogées souhaitent qu’il y ait de la biodiversité. Ainsi, si les jardins publics recueillent les deux tiers des souhaits (66 %), 8 des 9 autres lieux recueillent plus de 50 % des suffrages : ruchers et toitures d’immeuble (59 %) ; jardins partagés (57 %) ; pieds d’arbre (53 %) ; balcons (52 %) ; jardins privés (52 %) ; haies ou clôtures (51 %) ; fermes urbaines (50 %). Seuls les mobiliers urbains convainquent moins de la moitié des personnes interrogées (40 %).

La différence entre jardin privé et jardin public peut être interprétée à l’aune du caractère commun, collectif ou public, souvent attribué à la biodiversité. Celle‐ci ne peut être appropriée : elle n’est donc pas ou peu associée à une éventuelle prise de responsabilité individuelle pour sa gestion. Cette interprétation est renforcée par le fait que les premiers lieux cités sont tous des lieux collectifs ou publics.

Seul le mobilier urbain, également lieu public, est déclassé : sans doute est-il trop directement associé au caractère artificiel et fonctionnel de la ville. Pourtant, et malgré une distinction apparente entre espaces privés et publics, les personnes interrogées sont à 88 % favorables à plus de biodiversité en ville.

4. Quelle est la distance minimale acceptée
entre animaux, végétaux et logement ?

Pour questionner la proximité physique acceptée avec la biodiversité, nous avons sélectionné des types d’espèces « schématiques » différentes à la fois par leur taille, leur « utilité », ou leur familiarité : huit animaux (le moineau, le pigeon, le renard, la guêpe, l’abeille, la fourmi, le papillon) et trois types de végétaux (l’herbe, la fleur, l’arbre). Avec cette question et en fonction des types choisis, il est plus aisé de réaliser une carte mentale de ce qui est considéré comme agréable ou désagréable. Ainsi est-il possible de déterminer plus finement le rejet de telle ou telle composante naturelle.

Figure 2a et b. La question était : « Selon vous, à partir de quelle distance minimale chacun des animaux ou végétaux suivants devraient-ils se situer par rapport aux logements ? » La cible en haut était présentée pour les huit animaux et les trois types de végétation ; en bas, le résultat obtenu (dessin Art&Build).

L’intérêt pour la biodiversité urbaine n’est, pour les personnes interrogées, pas pour autant dirigée vers toutes les composantes de cette biodiversité. Les représentations et appréciations des différentes espèces dépendent des espaces où elles sont susceptibles d’être perçues (Mauz, 2002[34]Mauz I. (2002). « Les conceptions de la juste place des animaux dans les Alpes françaises », Espaces et sociétés, n° 110-111, p. 129-146.). Elles dépendent également du point de vue de l’observateur, comme l’illustre cet échange entre Robert Barbault et Claude Combes : « Pour toi, c’est un pigeon ; pour moi, c’est d’abord une communauté de parasites ! » (Barbault, 1994[35]Barbault R. (1994). Des Baleines, des bactéries et des hommes, Paris, Odile Jacob, 327 p.).

À chaque espèce, un espace ou type d’espace est symboliquement attribué. La biodiversité urbaine souhaitée diffère de la biodiversité acceptée et renvoyée plus loin, à la campagne. Sur les onze composantes proposées, animaux et végétaux ne sont pas distribués de la même manière.

Pour les animaux, les renards sont confinés à la campagne pour 73 % des personnes interrogées, quand seulement 11 % d’entre elles les accepteraient dans leur espace domestique. Les oiseaux sont mieux acceptés en ville : le moineau peut être un animal des villes pour 89 % des personnes interrogées. Cet oiseau est toléré au sein même de l’espace domestique, dans le jardin ou la cour, voire chez soi pour 54 % des répondants. Si les répondants savaient que la population de moineaux à Paris s’est réduite entre 2003 et 2016 de 73 % (Jaeger, 2018[36]Jaeger A. (2018). La nature en ville : comment accélérer la dynamique ? Les Avis du Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE), n° 21, Paris, Les éditions des Journaux officiels.), peut-être cette espèce serait-elle encore plus valorisée. Plus remarquable, 68 % des personnes interrogées acceptent la présence du pigeon en ville, mais seuls 24 % l’inviteraient dans leur espace domestique. Ceci s’explique peut-être par le fait qu’il est un vecteur potentiel de certaines maladies et symbole de souillures (Clergeau et Machon, 2014[37]Clergeau P, Machon N. (2014). Où se cache la biodiversité en ville ? Versailles, Quae, 168 p.).

Concernant les insectes, les guêpes sont des animaux qui trouvent leur place uniquement à la campagne pour 41 % des personnes interrogées, tandis que pour 23 % d’entre elles ces insectes sont acceptés dans les jardins. Les fourmis peuvent être urbaines pour 72 % des répondants. Elles sont acceptables dans un espace domestique (le jardin, la cour ou chez soi) pour 50 % des personnes interrogées. Et les abeilles ont leur place en ville pour 81 % des personnes interrogées et sont accueillies dans les jardins particuliers pour 39 % d’entre elles, voire dans le lieu d’habitation pour 11 %. La moitié des personnes interrogées les accepte donc dans un espace domestique. Les papillons sont, eux, des animaux plébiscités en ville (91 %) et appréciés jusque dans les espaces domestiques (71 %), y compris dans les habitations pour 20 % des personnes interrogées. Il conviendrait tout de même d’affiner la notion de « chez soi » dans une enquête ultérieure, car il est probable que ces personnes ont surtout pensé à leur balcon ou leur véranda plutôt qu’à leur cuisine.

Pour les végétaux, leur présence en ville recueille un assentiment presque total, encore plus fort chez les interrogés vivant en ville (98 %). Seuls 6 % des répondants la maintiennent à la campagne. La présence à proximité (le jardin, la cour ou chez soi) du végétal est très largement majoritaire chez près des deux tiers des personnes interrogées. L’herbe serait même accueillie par 24 % des personnes interviewées chez elles. Cette répartition est encore accentuée pour les fleurs. 80 % les souhaitent jusque dans leur espace domestique. Parmi elles, 45 % les accueillent volontiers dans leur habitation et seuls 3 % les maintiennent à distance à la campagne.

La différence entre animaux et végétaux est sans doute liée à la mobilité des animaux, probablement considérés comme des entités moins contrôlables que les végétaux. Au sein des animaux comme des végétaux, leur accueil en ville et à proximité des espaces de vie des répondants dépend encore de leurs représentations et des caractères réels ou supposés (esthétique, dangerosité, utilité, nuisance…) qui leur sont attribués.

Ainsi, toutes les espèces qui constituent de fait des composantes de la biodiversité ne sont-elles pas accueillies à proximité des espaces de vie sur un pied d’égalité. Les végétaux, au premier rang desquels les fleurs, sont plébiscités en ville et à une faible distance des habitants. L’animal le plus petit, peut-être en association avec une image de fragilité, est préféré au plus gros (le moineau versus le pigeon). L’animal de loin le plus gros parmi ceux qui font l’objet d’une question, le renard, toujours visé par des préjugés tenaces, est rejeté de la ville. Ce rejet des villes françaises n’est pas partagé partout. Londres accueille ainsi une population de renards importante. Mais les appréciations de ces mammifères ne sont pas univoques chez nos voisins britanniques (Scott et al.,2014[38]Scott DM, Berg MJ, Tolhurst BA et al. (2014). « Changes in the Distribution of Red Foxes (Vulpes vulpes) in Urban Areas in Great Britain: Findings and Limitations of a Media-Driven Nationwide Survey », PLoS ONE, n° 9(6), p. e99059 [En ligne). Il semble que les plaidoyers en faveur de cet animal ne portent pas leurs fruits (Torgemen, 2017[39]Torgemen E. (2017). « Biodiversité : plaidoyer pour le renard », Le Parisien [En ligne). Celui qui est perçu comme le plus utile (l’abeille versus la guêpe) ou le plus beau (le papillon versus la fourmi) trouve également meilleure grâce aux yeux des personnes interrogées.

5. Où pensez-vous que les citadins
veuillent accueillir plus de végétation ?

La cinquième rubrique concerne les espaces urbains qui devraient recevoir une végétalisation plus importante. La liste des choix était restreinte à quatre lieux dont le caractère public ou privé diffère (la rue, la façade avec ou sans fenêtre, l’habitation).

La très forte majorité des personnes interrogées est favorable à un accueil plus généreux de la végétation en ville, et ce quels que soient les lieux proposés, des plus – l’appartement – au moins intimes – les rues. Puisque les parcs et les jardins, régulièrement plébiscités, n’ont pas été intégrés aux items proposés, ce sont d’autres espaces à proximité des lieux d’habitation qui sont, pour quatre habitants sur cinq, susceptibles d’accueillir plus de végétation : les façades.

Confirmant l’importance du caractère public des espaces dédiés à l’accueil de la biodiversité, chez les urbains, c’est la rue qui recueille le plus de suffrages (92 %). Un décrochage s’observe ensuite sans que les scores des autres espaces suggérés soient particulièrement faibles : sur les façades avec fenêtres (85 %), dans les habitations/appartements (84 %) et sur les façades sans fenêtre (79 %). Rien n’est dit sur le degré de complexité retenu et accepté pour ce type de végétalisation des façades (voir à ce sujet Clergeau et al., 2018[40]Clergeau P (dir.). (2018). La biodiversité en ville dense : nouveaux regards, nouveaux dispositifs, programme de recherche Ecoville, synthèse opérationnelle, Angers, Plante&Cité, 53 p.).

6. L’opinion sur le renforcement
de la biodiversité en ville

Cette rubrique concerne le renforcement de la biodiversité en ville. Deux des trois questions choisies visent à déterminer quel est le degré d’autonomie laissé au développement de la biodiversité.

Malgré l’intérêt certain (88 % des personnes interrogées) que suscite la biodiversité en ville, l’importance de contenir les espèces accueillies est soulignée par 47 % d’entre elles. Moins de la moitié (41 %) accepterait qu’elle puisse se développer librement.

Il semble donc qu’un sentiment persiste quand la biodiversité en ville est évoquée : celui de la crainte de perdre le contrôle sur le développement des espèces qui nous entourent.

7. La survenue de problèmes
avec la biodiversité en ville

Quant à la dernière rubrique, elle possède deux temps. Dans un premier temps, il s’agit d’une question fermée et simple adressée à la personne interrogée : « Avez-vous déjà rencontré un problème avec la biodiversité en ville ? » Dans un second temps, une question ouverte, portant sur le type de problème rencontré, est posée. Il est ainsi possible d’établir une liste de ce qui est vu comme une nuisance liée à la biodiversité.

Lorsque des problèmes liés à la biodiversité sont évoqués (par 10 % des personnes interrogées), ils concernent pour 36 % d’entre eux des espèces particulières. Ce sont ces espèces qui sont incriminées et peut-être pas la biodiversité dans son ensemble. En particulier, les oiseaux (14 % des réponses données) semblent être la catégorie animale la plus gênante.

Ce résultat invite à considérer que les problèmes sont plus souvent liés à l’abondance de certaines espèces particulières que par une diversité biologique stricto sensu. Il nous amène à penser l’acceptation de la biodiversité en ville sous l’angle des équilibres fonctionnels entre espèces dont la prolifération pourrait être régulée naturellement (Coulombel, 2010[41]Coulombel A. (dir.). (2010). « Dossier – Auxiliaires », Alter Agri, n° 103, p. 12-21.).

Conclusions

Quels sont les enseignements à tirer de cette enquête ? Le premier concerne l’effacement, pour ne pas dire la disparition, d’une opposition marquée entre la nature et la ville, laquelle grandit depuis le XVIIIe siècle avec l’essor de la première révolution industrielle (Bourdeau-Lepage, 2013[42]Bourdeau-Lepage L. (2013). « Nature(s) en ville », Métropolitiques [En ligne). Cette opposition entre ville et nature est, en effet, souvent évoquée, en particulier dans les travaux la dénonçant (par exemple, Chalas, 2010[43]Chalas Y. (2010). « La ville de demain sera une ville-nature », L’Observatoire, n° 37, p. 3-10.). Elle provient probablement d’un double glissement. Le premier est l’assimilation de la campagne à la nature, cette assimilation est alors projetée dans l’opposition Ville versus Campagne (Paquot, 2004[44]Paquot T. (2004). « Ville et nature, un rendez-vous manqué ? », Diogène, n° 207, p. 83-94.) qui devient opposition ville versus nature. Le second est l’assimilation de la ville à la culture et sa projection dans l’opposition occidentale nature/culture (Descola, 2005[45]Descola P. (2005). Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 610 p.).

Ce résultat indique que la population, de fait de plus en plus urbaine, trop urbaine, ne se définit pas contre la nature. Au contraire, la demande de nature en ville, corroborée par d’autres enquêtes[46]Voir, par exemple, le rapport du CESE (Jaeger, 2018, op. cit.) ou les enquêtes de l’UNEP [En ligne, se confirme.

Dans ce nouveau contexte, les résultats de l’enquête pourraient être utilisés de manière concrète par les acteurs/concepteurs de la ville, et ce à tous les niveaux et toutes les échelles. Tout d’abord, sur un plan politique et législatif, l’appréciation de la nature, comme vecteur d’amélioration de la santé, est un appel direct à renforcer l’arsenal réglementaire qui vise à la préservation de la biodiversité. Dans le cadre du plan Biodiversité de 2018, un objectif de « zéro artificialisation nette » a déjà été fixé. De tels objectifs pourraient, par exemple, être étendus à des opérations de rénovation ou de réaménagement, en cherchant à « désartificialiser » certaines zones, en particulier les espaces dédiés au stationnement des automobiles[47]Carmody D. (2018). « A Growing City: Detroit’s Rich Tradition of Urban Gardens Plays an Important Role in the City’s Resurgence », Urbanland [En ligne. Pour les architectes et les urbanistes, les résultats de l’enquête sont à la fois une invitation et une obligation à développer l’intégration du vivant dans le tissu même des villes, sachant que la pérennité de la présence des espèces qui nous accompagnent dépend d’une sensibilité très variée du public entre « biophilie » et « biophobie ». Nous devons mieux comprendre la nature de cette relation entre l’homme et les différentes espèces au-delà de la liste forcément restreinte de l’enquête. L’étude peut aider les groupes de travail à dresser le profil du tissu urbain nouveau et existant, de telle sorte que la biodiversité soit d’abord rendue visible, puis maintenue et, enfin, enrichie dans un cycle de renforcement positif. Chacun à son échelle, et par-delà les prescriptions déjà imposées par la réglementation, urbanistes et architectes ne devraient pas craindre de proposer des éléments susceptibles d’accueillir le vivant non humain. Certaines villes comme Amsterdam diffusent déjà un guide à l’usage des professionnels de l’aménagement[48]Blokker A, Timmermans G. (2018). Twenty ideas for Integrating biodiversity in urban planning and development, Gemeente Amsterdam – Ruimte en Duurzaamheid (Municipalité d’Amsterdam) [En ligne.

En outre, l’étude suggère que l’appréciation de la nature parmi les populations urbaines et rurales est étonnamment similaire (résultats non exposés ici). Cette similitude est d’autant plus importante aujourd’hui, car la perception de la superposition entre la nature « sauvage » et la nature « apprivoisée » n’est pas stable : la première étant perçue comme un risque pour la santé en raison de son rôle de vecteur microbien (voir, par exemple, le récent débat dans Le Monde[49]Voir l’article de JC Fromentin, maire de Neuilly : « Coronavirus : “Les nouvelles configurations urbaines portent en germe des déflagrations écologiques à haut potentiel de viralité” » dans Le Monde [En ligneEn ligne), alors que la seconde est a priori plus rassurante et, partant, valorisée. Toutes les parties prenantes à la création des environnements urbains de demain devraient être mieux sensibilisées à l’idée qu’il faut maintenir un niveau le plus élevé possible de biodiversité pour que sa masse permette une forme d’inertie biologique. Cela nous conduit non seulement à un renforcement des trames vertes et bleues aux échelles urbaine, régionale, nationale et mondiale, mais aussi à son intégration à l’échelle du bâtiment lui-même, et ce jusque dans ses plus petits composants. Les résultats de l’étude représentent bien une forme d’approbation publique qui fait suite aux initiatives scientifiques visant à promouvoir la protection de la biodiversité.

Annexe

Questionnaire et taux global de réponse sur l’ensemble des participants
(ordre des questions posées)
Sondage OpinionWay pour Art&Build, voir note29.


[1] Perret B. (2018). « De la croissance marchande au développement durable », Esprit, n° 441, p. 88-98.

[2] Dorst J. (1965). Avant que nature meure, Paris, Delachaux & Niestlé.

[3] Court M. (2019). « Alerte sur la disparition des espèces », Le Figaro, 27-28 avril, p. 11.

[4] IPBES. (2019). Communiqué de presse, 6 mai [En ligne].

[5] Meadow D.H., Meadows D.L., Randers J., Behrens W.W. (1972). The limits to growth, a report to the club of Rome, New York, Universe Books.

[6] Clergeau P. (2007). Une écologie du paysage urbain. Rennes, Apogée.

[7] Tillon L. (2018). Et si on écoutait la nature, Paris, Payot & Rivages.

[8] INSEE Première (2011). [En ligne]. Disponible sur : https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/1280970/ip1364.pdf

[9] IPBES (2018). Report of the Plenary of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services on the work of its sixth session, IPBES/6/15, 39 p.

[10] Virely B. (2017). Artificialisation, de la mesure à l’action, Commissariat Général au Développement Durable CGDD-SEEIDD, 46 p.

[11] Clergeau P., Blanc N. (dir.). (2013). Trames vertes urbaines. De la recherche scientifique au projet urbain, Paris, Le Moniteur. 340 p.

[12] Omar M., Schneider‐Maunoury L, Barré K et al. (2019). « Colonization and extinction dynamics among the plant species at tree bases in Paris (France) », Ecology and Evolution, n° 9, p. 8414–8428.

[13] Machon N., Motar E. (2018). À la découverte des plantes sauvages utiles, Paris, Dunod, 208 p.

[14] Berthier A., Clergeau P., Raymond R. (2017). « De la belle exotique à la belle invasive : perceptions et appréciations de la perruche à collier (Psittacula krameri) dans la métropole parisienne », Annales de Géographie, n° 716, p. 408-434.

[15] Mehdi L., Di Pietro F. (2019). « L’espace vert public, lieu d’interactions entre société et biodiversité », Projet de Paysage, halshs-00482045, 17 p.

[16] Raymond R., Simon L. (2012). « Biodiversité : les services écosystémiques et la nature en ville », Revue forestière française, n° 3, p. 339-350.

[17] Maillefert M., Petit O. (2017). « Vers une démarche intégrée d’évaluation et de représentation des services écosystémiques : perspective interdisciplinaire et enjeux en milieu urbain », Environnement Urbain / Urban Environment, n° 11. [En ligne].

[18] Boutefeu E. (2005). La demande sociale de nature en ville. Enquête auprès des habitants de l’agglomération lyonnaise, Paris, PUCA-CERTU, 85 p.

[19] Bourdeau-Lepage L, Vidal R. (2014). « Comprendre la demande sociale de nature en ville », dans Chomarat C, Nature urbaine en projets, Paris, Archibooks, p. 37-52.

[20] Bailly E., Marchand D., Maugard A. (2019) Biodiversité urbaine, pour une ville vivante. Ed. PC, Paris, 136 p.

[21] Descola P. (2005). Par-delà nature et culture, Gallimard, Paris, 610 p.

[22] Simon L., Raymond R. (2015). Les espaces urbains, un système complexe de territoires d’expérience pour la conservation de la biodiversité. In Pour une Géographie de la conservation. Biodiversités, natures et sociétés, Mathevet R. et Godet L. (eds.), Paris : L’Harmattan, p 157-181.

[23] Clergeau P., Esterlingot D., Chaperon J., Lerat C. (1996). Difficultés de cohabitation entre l’homme et l’animal : le cas des concentrations d’oiseaux en site urbain. Natures, Sciences, Sociétés 4 : 102-115.

[24] Lizet B., Wolf A.E. et Celecia J. (éd.) (1997). Sauvages dans la ville. Paris, Jatba, Revue d’ethnobiologie, 607 p. – 1997.

[25] Clergeau P. coord. (2020) Urbanisme et biodiversité : vers un paysage vivant structurant le projet urbain. Rennes, Apogée ed., 328 p.

[26] Aubertin C. (2005). Représenter la nature ? ONG et Biodiversité, Montpellier, IRD, 210 p.

[27] Raymond R. (2004). « De quelle nature parle-t-on ? », STRATES, matériaux pour la recherche en sciences sociales,n° 11, p. 43-56.

[28] L’ensemble des résultats est consultable sur le site Internet d’OpinionWay [En ligne].

[29] Lévy JP, Hajek I. (2016). « La nature urbaine, une utopie paradoxale », Futuribles, p. 61-72.

[30] Jacobs S, Dendoncker N, Keune H. (2014). Ecosystem Services, Global Issues, Local Practices, Amsterdam, Elsevier, 456 p.

[31] Bourdeau-Lepage L. (éd.)(2017). Nature en ville – Désirs et controverses. Éditions La Librairie des territoires, Lyon, 160p.

[32] Ibid.

[33] Cormier L, Joliet F, Carcaud N. (2012). « La biodiversité est-elle un enjeu pour les habitants ? », Développement durable et territoires, vol. 3 [En ligne].

[34] Mauz I. (2002). « Les conceptions de la juste place des animaux dans les Alpes françaises », Espaces et sociétés, n° 110-111, p. 129-146.

[35] Barbault R. (1994). Des Baleines, des bactéries et des hommes, Paris, Odile Jacob, 327 p.

[36] Jaeger A. (2018). La nature en ville : comment accélérer la dynamique ? Les Avis du Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE), n° 21, Paris, Les éditions des Journaux officiels.

[37] Clergeau P, Machon N. (2014). Où se cache la biodiversité en ville ? Versailles, Quae, 168 p.

[38] Scott DM, Berg MJ, Tolhurst BA et al. (2014). « Changes in the Distribution of Red Foxes (Vulpes vulpes) in Urban Areas in Great Britain: Findings and Limitations of a Media-Driven Nationwide Survey », PLoS ONE, n° 9(6), p. e99059 [En ligne].

[39] Torgemen E. (2017). « Biodiversité : plaidoyer pour le renard », Le Parisien [En ligne].

[40] Clergeau P (dir.). (2018). La biodiversité en ville dense : nouveaux regards, nouveaux dispositifs, programme de recherche Ecoville, synthèse opérationnelle, Angers, Plante&Cité, 53 p.

[41] Coulombel A. (dir.). (2010). « Dossier – Auxiliaires », Alter Agri, n° 103, p. 12-21.

[42] Bourdeau-Lepage L. (2013). « Nature(s) en ville », Métropolitiques [En ligne].

[43] Chalas Y. (2010). « La ville de demain sera une ville-nature », L’Observatoire, n° 37, p. 3-10.

[44] Paquot T. (2004). « Ville et nature, un rendez-vous manqué ? », Diogène, n° 207, p. 83-94.

[45] Descola P. (2005). Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 610 p.

[46] Voir, par exemple, le rapport du CESE (Jaeger, 2018, op. cit.) ou les enquêtes de l’UNEP [En ligne].

[47] Carmody D. (2018). « A Growing City: Detroit’s Rich Tradition of Urban Gardens Plays an Important Role in the City’s Resurgence », Urbanland [En ligne].

[48] Blokker A, Timmermans G. (2018). Twenty ideas for Integrating biodiversity in urban planning and development, Gemeente Amsterdam – Ruimte en Duurzaamheid (Municipalité d’Amsterdam) [En ligne].

[49] Voir l’article de JC Fromentin, maire de Neuilly : « Coronavirus : “Les nouvelles configurations urbaines portent en germe des déflagrations écologiques à haut potentiel de viralité” » dans Le Monde [En ligne] et la réponse de scientifiques [En ligne].