frontispice

Évaluer les inégalités sociales
d’accès aux ressources
Intérêt d’une approche fondée sur l’accessibilité

• Sommaire du no 4

Sylvie Fol Université Paris 1 Panthéon Caroline Gallez Université Paris-Est

Évaluer les inégalités sociales d’accès aux ressources : intérêt d’une approche fondée sur l’accessibilité, Riurba no 4, juillet 2017.
URL : https://www.riurba.review/article/04-varia/inegalites/
Article publié le 1er juil. 2017

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Sylvie Fol, Caroline Gallez
Article publié le 1er juil. 2017
  • Abstract
  • Résumé

Assessing social inequalities in access to resources. Toward an approach based on accessibility

While the link between access to urban resources and social exclusion has been recognized since the 1990s, policy responses have been mainly focused on an improvement in the performance of transportation systems. Thus the question of social inequalities in access to urban resources is most of the time reduced to a problem of mobility. However as mobility has become a norm and a requirement in urban societies, mobility inequalities are particularly difficult to interpret in terms of social inequalities. This paper aims to demonstrate the advantage of the notion of accessibility to understand both the issues posed by the unequal access to resources and the policy options to address this problem.

Alors que le lien entre manque d’accès aux ressources et processus d’exclusion sociale a été mis en évidence depuis les années 1990, la réponse des politiques publiques s’est essentiellement traduite par une amélioration des performances des systèmes de transports. Ainsi, la question des inégalités sociales d’accès est le plus souvent réduite à un problème de mobilité. Or, la mobilité étant devenue une norme voire une injonction dans les sociétés urbaines contemporaines, les inégalités de mobilité sont particulièrement difficiles à interpréter en termes d’inégalités sociales. Cet article cherche à mettre en évidence l’intérêt de la notion d’accessibilité, tant pour redéfinir les problèmes posés par les inégalités d’accès aux ressources que les solutions politiques permettant d’y répondre.

Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
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Introduction

Depuis les années 1990, de nombreux travaux ont mis en évidence le rôle du manque d’accès aux ressources dans les processus d’exclusion sociale. Diverses recherches menées en Grande-Bretagne (Church et al., 2000[1]Church A, Frost M, Sullivan K. (2000). « Transport and social exclusion in London », Transport Policy, n° 7, p. 195-205. ; Gaffron et al., 2001[2]Gaffron P, Hine JP, Mitchell F. (2001). The role of transport on social exclusion in urban Scotland. Literature Review, Transport Research Unit, Napier University, 38 p. ; Hine et Mitchell, 2001[3]Hine JP, Mitchell F. (2001). « Better for everyone? Travel experiences and transport exclusion », Urban Studies, Vol. 38 (2), p. 319-322., 2003[4]Hine J, Mitchell F. (2003). Transport disadvantage and social exclusion: exclusionary mechanisms in transport in urban Scotland, Ashgate, Aldershot, UK. ; Lucas, 2003[5]Lucas K (dir). (2003). Transport and social exclusion: A survey of the Group of Seven Nations, Summary report for the FIA Foundation, Londres, FIA., 2004[6]Lucas K (dir.). (2004). Running on empty: Transport, social exclusion and environmental justice, Bristol, Policy Press. ; SEU, 2003[7]SEU. (2003). Making the Connections: Final Report on Transport and Social Exclusion, Office of the Deputy Prime Minister, London, 148 p. ; Wixey et al., 2005[8]Wixey S, Jones P, Lucas K, Aldridge M. (2005). Measuring accessibility as experienced by different socially disadvantaged groups. User needs literature review, EPSRC FIT Programme, Working paper n° 1, 87 p.), aux États-Unis (Clifton, 2004[9]Clifton K. (2004). “Mobility Strategies and Food Shopping for Low-Income Families. A Case Study”, Journal of Planning Education and Research, n° 23, p. 402-413.), en Australie (Currie et al., 2007[10]Currie G, Richardson T, Smyth P et al. (2007). Investigating links between transport disadvantage, social exclusion and well-being in Melbourne – preliminary results, Transport Policy, n° 16(1), p. 97-105. ; Delbosc et Currie, 2011[11]Delbosc A, Currie G. (2011). « The spatial context of transport disadvantage, social exclusion and well-being », Journal of Transport Geography, n° 19, p. 1130-1137.) et en France (Begag, 1993[12]Begag A. (1993). « Entre rouiller et s’arracher, réapprendre à flâner », Annales de la Recherche Urbaine, n° 59-60. ; Guedez, 1995[13]Guedez A. (1995). « L’exclusion en question et les transports », Les Annales de la Recherche Urbaine, n° 68-69. ; Harzo, 1998[14]Harzo C. (1998). Mobilité des populations en difficultés : connaissance des besoins et réponses nouvelles, Document de synthèse, Paris, DIV et ministère de l’Emploi et de la Solidarité. ; Le Breton, 2005[15]Le Breton E. (2005). Bouger pour s’en sortir, Paris, Armand Colin.), ont montré que certains individus et certains groupes, en particulier ceux qui vivent dans les quartiers les plus pauvres, ont un accès bien moindre aux équipements, aux services, aux commerces, à l’emploi. Ce manque d’accès aux ressources urbaines renforce les inégalités sociales mais il a également des répercussions sur les processus d’exclusion de ces individus et de ces groupes. En particulier, ces travaux montrent que les difficultés d’accès à l’emploi ou aux services de première nécessité accentuent les problèmes d’intégration sociale des individus concernés.

La prise de conscience de ce lien entre manque d’accès aux ressources et exclusion sociale s’est traduite par la mise en place, dans différents pays, de politiques publiques axées sur l’amélioration de la desserte en transports des quartiers pauvres (Harzo, 1998[16]Op. cit. ; Fol, 2009[17]Fol S. (2009). La mobilité des pauvres, Paris, Belin. ; Féré, 2013[18]Féré C. (2013). « Vers un droit au transport ciblé et un droit à la mobilité conditionnel. L’évolution de la prise en compte des inégalités de mobilité dans les politiques urbaines », Flux, 1/2013 (n° 91), p. 9-20.). Des efforts importants ont été faits pour désenclaver ces quartiers par des lignes de transports en commun plus nombreuses et aux fréquences accrues. Dans cette perspective, les effets négatifs du manque d’accès aux ressources sont attribués mécaniquement au manque de mobilité, qui conduit à des difficultés d’insertion et à des processus d’exclusion liés à l’isolement spatial et social. Les enjeux d’accessibilité sont ainsi limités aux conditions de déplacement des individus et à l’amélioration des performances des réseaux de transport.

Nous avons fait l’hypothèse, lors de précédents travaux, que le caractère réducteur de ces analyses et des politiques qui en découlent s’expliquait par un usage peu différencié des notions d’accessibilité et de mobilité dans le secteur des transports (Fol et Gallez, 2014[19]Fol S, Gallez C. (2014). « Social inequalities in urban access: better ways of assessing transport improvments », dans Sclar ED, Lönnroth M, Wolmar C (dir.), Urban Access for the 21st Century. Finance and Governance Models for Transport Infrastructure, Routledge, 276 p.). L’amélioration des conditions de mobilité est généralement assimilée à une amélioration de l’accessibilité — c’est-à-dire du potentiel d’opportunités accessibles, par exemple, à partir d’un point de l’espace et en un temps donné. Or cette assertion n’est pas systématiquement vérifiée empiriquement, ni pour tous les individus, ni sur la longue période.

Dans cet article, nous souhaitons interroger les conséquences sociales de ces stratégies politiques centrées sur l’amélioration des conditions de déplacement des personnes. Notre hypothèse, dans le prolongement de nos réflexions précédentes (Bacqué et Fol, 2007[20]Bacqué MH, Fol S. (2007). « L’inégalité face à la mobilité : du constat à l’injonction », Revue suisse de sociologie, 33(1), p. 89-104. ; Fol, 2009[21]Op. cit. ; Gallez, 2015[22]Gallez C. (2015). « La mobilité quotidienne en politique. Des manières de voir et d’agir », thèse d’habilitation à diriger des recherches, université Paris-Est, 238 p.), est que l’ambiguïté fondamentale de la mobilité, à la fois ressource indispensable et contrainte incontournable pour les populations les plus défavorisées économiquement, est à l’origine d’une difficulté à prendre en compte les enjeux d’équité dans l’accès aux ressources. Face à cette difficulté, nous proposons un usage renouvelé de la notion d’accessibilité dans le domaine des politiques urbaines.

Notre propos se structure en quatre temps. Nous revenons tout d’abord sur les principales évolutions qui ont marqué la prise en compte des enjeux sociaux du transport, en montrant que la diffusion de la problématique de l’exclusion sociale, dans les années 1990, marque un tournant dans la manière de formuler les problèmes et de mettre en œuvre des moyens pour les résoudre. Puis nous cherchons à comprendre les ambiguïtés relatives à la mesure des inégalités sociales face à la mobilité, en avançant l’idée d’une marginalisation des populations les plus défavorisées économiquement face au renforcement de la norme sociale de mobilité. Les deux dernières sections de l’article discutent de l’intérêt de la notion d’accessibilité, comme outil de mesure et comme catégorie d’action. L’accessibilité, entendue dans le sens large d’un potentiel d’opportunités accessibles, offre la possibilité de prendre en compte différentes dimensions du manque d’accès aux ressources, en dehors de la seule difficulté d’accéder à des lieux distants. Ses apports pour un renouvellement des politiques urbaines peuvent alors être envisagés dans deux directions complémentaires, celle d’une prise en compte de la notion d’équité dans le domaine des transports et celle d’une intégration des politiques de transport et d’urbanisme.

Les transports face à la question sociale

La dimension sociale constitue le parent pauvre des recherches et des politiques de transport (Jones et Lucas, 2012[23]Jones P, Lucas K. (2012). « The social consequences of transport decision-making: clarifying concepts, synthesising knowledge and assessing implications », Journal of Transport Geography, n° 21, p. 4-16.). Pendant longtemps, la prise en compte des inégalités sociales dans le secteur des transports s’est limitée à la question de l’accès aux modes de déplacement, à travers la mise en service d’une offre de transports collectifs accessible au plus grand nombre. Dans les années 1990, la généralisation de la thématique de l’exclusion sociale place toutefois les enjeux plus larges de mobilité au cœur de la réflexion sur le retour à l’emploi et sur l’insertion sociale.

Les impensés du calcul économique

Pour Jones et Lucas (2012[24]Op. cit.), la faible prise en compte de la dimension sociale dans la recherche et les politiques de transports tient avant tout à l’absence d’une définition claire de ce que recouvrent les impacts sociaux du transport. Karel Martens (2016[25]Martens K. (2016). Transport justice. Designing fair transportation systems, New York and London, Routledge.) affirme pour sa part que cette faiblesse est due à la priorité accordée au cours des cinquante dernières années à l’amélioration des systèmes de transport, au détriment d’une réflexion sur les bénéficiaires — ou les non-bénéficiaires — de ces politiques publiques.

Les méthodes habituellement utilisées pour effectuer une évaluation ex-ante des projets d’infrastructures de transport semblent bien illustrer ce constat. Fondées sur les principes du calcul économique, elles s’inscrivent dans une approche utilitariste de la justice sociale, qui vise la maximisation du bien-être collectif. Dans cette perspective, la maximisation du surplus collectif suffit à garantir une allocation optimale des ressources, en dehors de toute considération relative à sa distribution entre différentes catégories de bénéficiaires.

Deux hypothèses traduisent ce parti pris. La première, qui conditionne la possibilité de calculer une utilité collective par sommation des coûts et des avantages individuels, est celle de la répartition optimale des revenus. Elle correspond à l’indifférence vis-à-vis de la question redistributive (chaque unité marginale du surplus ayant la même valeur pour tous les individus). La deuxième hypothèse, celle des rendements croissants, sous-tend l’idée selon laquelle plus une infrastructure de transport est utilisée, plus elle est rentable. Puisque l’objectif est de maximiser l’efficacité du système, les investissements auront tendance à privilégier le développement des infrastructures pour les liaisons où la demande est déjà la plus forte, s’opposant ainsi à l’enjeu d’équité spatiale, principe fondateur des politiques d’aménagement du territoire (Bonnafous et Masson, 2003[26]Bonnafous A, Masson S. (2003). Évaluation des politiques de transport et équité spatiale. Revue d’économie régionale et urbaine, n° 4, p. 547-572.).

En dépit des limites imposées par cette approche théorique, la question des inégalités sociales face aux transports s’est imposée dans les agendas politiques nationaux et locaux.

L’offre de transports collectifs
comme « minima social »

En Europe, comme aux États-Unis, c’est pendant les périodes de crise sociale que les réflexions sur les liens entre pauvreté ou chômage et accès aux transports ont émergé (Sanchez, 2008[27]Sanchez T. (2008). « Poverty, policy, and public transportation », Transportation Research Part A, n° 42, p. 833-841.). Aux États-Unis, les mouvements sociaux qui s’organisent à partir de la fin des années 1950 sont porteurs de revendications qui relient la question raciale, la question sociale et les enjeux de logement ou d’accès aux transports. Les mouvements Stop the Road dénoncent la destruction massive de logements dans les quartiers pauvres, majoritairement habités par des Afro-américains et des Hispaniques, liée à la construction des autoroutes urbaines (Mohl, 2004[28]Mohl RA. (2004). « Stop the Road: Freeway revolts in American cities », Journal of Urban History, n° 30(5), p. 674-706.). Cette convergence apparaît également dans la dénonciation des discriminations dans l’utilisation des transports publics, dues aux mesures de ségrégation[29]C’est dans les transports publics (avec notamment Rosa Park à Montgomery) que le mouvement des Droits Civiques est né, à travers des boycotts et des luttes qui restent encore aujourd’hui emblématiques., et des problèmes d’accès à l’emploi, à l’école et aux ressources urbaines de ces mêmes populations pauvres et non blanches. La prise de conscience de ces problèmes par l’administration fédérale, à la suite des émeutes urbaines qui éclatent dans plusieurs villes américaines dans les années 1960, aboutit à la création, en 1964, d’une administration fédérale (Urban Mass Transportation Administration) chargée d’œuvrer en faveur du développement des transports collectifs urbains.

Dans un contexte sensiblement différent, l’enjeu social d’une amélioration des transports collectifs urbains s’affirme également dans plusieurs pays européens dans les années 1960-1970. Le problème des inégalités sociales d’accès à la mobilité se constitue dans un contexte où les autorités publiques ont pris conscience des limites de la démocratisation de l’automobile et de la croissance de la motorisation individuelle. La première limite est celle de la congestion des axes routiers vers le centre, dont l’aggravation prévue par les modèles de trafic est soulignée comme un frein à la croissance économique. Dans les plus grandes agglomérations, le développement d’une offre performante de transports collectifs apparaît comme une alternative indispensable pour garantir l’accès au centre-ville. La deuxième limite concerne l’absence d’accès à la voiture d’un nombre non négligeable de personnes (personnes âgées, en situation de handicap ou disposant de ressources économiques insuffisantes). Le développement des transports collectifs participe alors de la mise à disposition d’une offre « sociale » de transport pour les personnes non motorisées. Des mesures de tarification sociale, très variables d’une agglomération à l’autre, viennent compléter la panoplie des outils mis en œuvre dans le secteur des transports pour assurer l’accès à la mobilité.

Ces enjeux ont contribué à la politique de relance des transports collectifs urbains en France au début des années 1970. Dix ans plus tard, en 1982, le droit au transport est inscrit dans la Loi d’Orientation sur les Transports Intérieurs (LOTI). La loi précise que la garantie de ce droit, qui porte sur la possibilité pour les usagers « de se déplacer dans des conditions raisonnables d’accès, de qualité et de prix ainsi que de coût pour la collectivité », repose notamment sur « l’utilisation d’un moyen de transport ouvert au public ». La LOTI prévoit également des mesures particulières en faveur des personnes à mobilité réduite ou des catégories sociales défavorisées, sans en faire une obligation. L’augmentation du chômage et de la précarité dans les années 1980 et 1990 conduit un nombre croissant de gestionnaires de réseaux de transports publics à mettre en œuvre des politiques tarifaires adaptées (Mignot et al., 2006[30]Mignot D, Rosales-Montano S. (2006). Vers un droit à la mobilité pour tous. Inégalités, territoires et vie quotidienne, Paris, La Documentation française, PUCA.). Il faut néanmoins attendre la loi SRU du 13 décembre 2000 pour que la tarification sociale devienne obligatoire, au titre de la « mise en œuvre du droit au transport », alors que ce type de mesures tarifaires était une obligation pour les autres services urbains en réseau depuis les années 1980 (Féré, 2013[31]Op. cit.).

Exclusion sociale et renouveau
des enjeux sociaux de la mobilité

Dans les années 1990, la formulation de la question sociale évolue, entraînant un changement dans la discussion des enjeux d’inégalités sociales face à la mobilité. La problématique de la lutte contre l’exclusion sociale se généralise dans le vocabulaire politique. Née en France à la fin des années 1970, la notion d’exclusion a d’abord été utilisée par quelques représentants du monde associatif, qui souhaitent interpeller les pouvoirs publics sur l’apparition de nouvelles formes d’inégalités (Lenoir, 1974[32]Lenoir R. (1974). Les exclus, Paris, Le Seuil. ; Didier, 1996[33]Didier E. (1996). « De “l’exclusion” à l’exclusion », Politix, n° 9, 34, p. 5-27.). Elle s’est ensuite diffusée dans le débat public, notamment à la faveur des nombreux travaux de recherche engagés dans les années 1990 sur l’évolution de la question sociale, qui s’emparent de la notion et contribuent à sa légitimation scientifique (Castel, 1995[34]Castel R. (1995). Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 490 p. ; Fassin, 1996[35]Fassin D. (1996). « Exclusion, underclass, marginalidad. Figures contemporaines de la pauvreté urbaine en France, aux États-Unis et en Amérique latine », Revue Française de Sociologie, XXXVII. ; Paugam, 1996[36]Paugam S (dir.). (1996). L’exclusion. L’état des savoirs. Paris, La Découverte.) et à un renouvellement des approches de la pauvreté (Gaffron et al., 2001[37]Op. cit.). Là où la pauvreté renvoie à un manque de ressources ou d’accès à un bien-être matériel, l’exclusion sociale se réfère à un processus au cours duquel les individus sont totalement ou partiellement privés de leur capacité à participer à la société dans laquelle ils vivent. Dans cette approche, la possibilité des individus d’accéder à un certain nombre de ressources (notamment à l’éducation, au travail, à la santé, aux loisirs, etc.) constitue l’une des conditions indispensables à leur participation à la société (Church et Frost, 1999[38]Church A, Frost M. (1999). Transport and social exclusion, Report for London Transport Planning.). L’un des aspects centraux de cette approche tient à l’importance nouvelle accordée à la dimension spatiale des inégalités sociales. En particulier, l’accès aux ressources est conditionné par le lieu de résidence et la possibilité de se déplacer, donc d’accéder à un moyen de transport.

En France, le lien entre le manque d’accès aux ressources urbaines et l’exclusion sociale est mis en avant dès 1991, dans le rapport du Conseil national des transports. Soulignant les inégalités de desserte de certains quartiers, en termes quantitatifs mais aussi du point de vue de la qualité, de la sécurité et des prix des services offerts, le rapport montre que la mauvaise qualité des liaisons entre ces quartiers et la ville a pour effet d’accentuer les coupures urbaines, d’isoler socialement et économiquement leurs habitants et de leur rendre difficile « l’accès à la ville ». Par la suite, différents rapports, séminaires et colloques posent l’hypothèse d’un lien entre accès aux modes de transports et exclusion sociale (Guedez, 1995[39]Op. cit.). Dès lors, le « droit à la mobilité» (selon les termes du rapport Sueur) devient un enjeu central, et la réalisation de l’objectif de cohésion urbaine et sociale passe par des politiques de déplacement. Si le « droit à la ville » est affirmé comme un objectif à partir des années 2000, sa concrétisation se traduit essentiellement par une amélioration de l’offre de transports en commun dans les quartiers concernés par la politique de la ville.

En Grande-Bretagne comme aux États-Unis, la réponse aux problèmes d’exclusion sociale passe également, à partir des années 1990, par la mise en place de politiques de transports. Outre-Manche, le rôle de l’offre en transports publics sur l’intégration des habitants des quartiers pauvres est mis en avant, face au constat des conséquences de plusieurs années de dérégulation[40]En Grande-Bretagne, la prise en compte de la notion d’accessibilité permet cependant de dépasser la seule réponse en termes de transports, comme nous le verrons plus loin. (Hine et Mitchell, 2003[41]Op. cit. ; SEU, 2003[42]Op. cit.). Aux États-Unis, dans le cadre de l’Intermodal Surface Transportation Efficiency Act de 1991 et surtout du Transportation Equity Act for the 21st Century de 1998, l’amélioration de la mobilité des populations pauvres passe par une meilleure coordination des modes de transports, tandis que les interventions des acteurs doivent assurer une amélioration des liaisons entre les personnes et les ressources urbaines (emplois, biens et services, différents quartiers de la ville).

À partir de la fin des années 1990, en Amérique du Nord comme en Europe, la remise en question des politiques de Welfare et le glissement vers des politiques de Workfare ont des effets conjoints sur les politiques d’intégration sociale et sur les politiques de transport : tandis que les politiques sociales sont de plus en plus conditionnelles et centrées sur le retour à l’emploi, les politiques de déplacement se tournent vers les individus et les aides personnelles à la mobilité, telles que l’accompagnement au permis de conduire, les aides à la motorisation, etc. (Fol et al., 2007[43]Fol S, Coutard O, Dupuy G. (2007). « Transport policy and the car divide in the UK, the US and France: beyond the environmental debate », International Journal of Urban and Regional Research, vol. 31-4, p. 802-818. ; Féré, 2013[44]Op. cit.). La mobilité devient une ressource personnelle à valoriser. L’amélioration de l’accès à la ville est renvoyée à l’amélioration de l’accès aux transports, qu’ils soient individuels ou collectifs.

Au-delà des limites propres à son approche sectorielle d’un problème complexe, cette perspective d’analyse néglige l’ambiguïté qui caractérise la mesure et l’interprétation des inégalités face à la mobilité.

L’ambiguïté des inégalités sociales face à la mobilité

Depuis deux décennies, les travaux sur les inégalités de mobilité se sont beaucoup développés, que ce soit en France (Le Breton, 2005[45]Op. cit. ; Orfeuil, 2004[46]Orfeuil JP (dir.). (2004). Transports, pauvretés, exclusions. Pouvoir bouger pour s’en sortir, Éditions de l’Aube.), aux États-Unis (Pucher et Rennes, 2003[47]Pucher J, Renne J. (2003). « Socio-Economics of Urban Travel: Evidence from the 2001 NHTS », Transportation Quaterly, vol. 57, n° 3, p. 49-77.), en Grande-Bretagne (Lucas et al., 2001[48]Lucas K, Grosvenor T, Simpson R. (2001). Transport, the Environment and Social Exclusion, York, Joseph Rowntree Foundation. ; SEU, 2003[49]Op. cit.) ou en Australie (Delbosc et Currie, 2011[50]Op. cit.). Partant du constat d’une explosion des déplacements, ils ont montré que la mobilité s’est peu à peu imposée comme norme et représente aujourd’hui une forme de capital (Lévy, 2000[51]Lévy J. (2000). « Les nouveaux espaces de la mobilité », dans Bonnet M, Desjeux D (dir.), Les Territoires de la mobilité, Paris, PUF, p. 155-170.). La valorisation de la mobilité conduit à de nouvelles formes d’inégalités entre les individus et les groupes qui disposent d’une importante motilité (Kaufmann et al., 2004[52]Kaufmann V, Bergman M, Joye D. (2004). « Motility: Mobility as Capital », International Journal of Urban and Regional Research, vol. 28(4), p. 745-756.) et ceux qui ont une moindre capacité de déplacement. Si ces travaux sont essentiels pour appréhender les différentes dimensions des inégalités dans l’accès aux modes de déplacement et les pratiques de mobilité, ces disparités restent difficiles à interpréter en termes d’inégalités sociales.

Des inégalités de mobilité difficiles à interpréter

Les travaux de recherche qui ont tenté de mesurer les inégalités de mobilité ont mis en évidence des disparités en termes de nombre de déplacements, de distances parcourues et de temps de déplacement quotidien : les ménages pauvres se déplacent moins et moins loin, que ce soit en France (Orfeuil, 2004[53]Op. cit.) ou dans d’autres pays (Pucher et Renne, 2003[54]Op. cit. ; Renne et Bennett, 2014[55]Renne JL, Bennett P. (2014). « Socioeconomics of Urban Travel: Evidence from the 2009 National Household Travel Survey with Implications for Sustainability », World Transport Policy & Practice, n° 20.). Ces disparités s’expliquent en partie par des inégalités d’accès à l’automobile : elles sont liées à des différences de taux de motorisation et d’accès au permis de conduire (Le Jeannic et Razafindranovona, 2009[56]Le Jeannic T, Razafindranovona T. (2009). « Près d’une heure quotidienne de transport : les disparités se réduisent mais demeurent », France, portrait social. Vue d’ensemble – Consommation et conditions de vie, INSEE, p. 117-123. ; Orfeuil, 2010[57]Orfeuil JP. (2010). « La mobilité, nouvelle question sociale ? » SociologieS, mis en ligne le 27 décembre 2010.). Elles renvoient aussi à des disparités de desserte en transports collectifs : certains quartiers (défavorisés) ou certains types de territoires (territoires périurbains, territoires ruraux) sont, encore aujourd’hui, moins bien desservis par les transports en commun. Ces difficultés de mobilité ont un impact négatif sur les possibilités d’insertion sociale et surtout professionnelle des individus. Certains actifs aux revenus peu élevés ont une faible accessibilité à l’emploi, faute de pouvoir se déplacer dans certaines zones de l’agglomération accessibles uniquement en voiture. Éric Le Breton (2005[58]Op. cit.) évoque les « insulaires » pour désigner des personnes qui ne peuvent se déplacer qu’au sein d’un périmètre très restreint autour de leur domicile ou doivent refuser un emploi faute de détenir un permis de conduire.

En dépit des nombreux travaux empiriques développés depuis les années 1990, les relations entre exclusion sociale, mobilité et transports restent aujourd’hui encore mal identifiées. Plusieurs auteurs ont souligné le manque d’indicateurs pertinents pour analyser le lien entre exclusion sociale et transport. Selon Church et al. (2000[59]Church A, Frost M, Sullivan K. (2000). « Transport and social exclusion in London », Transport Policy, n° 7, p. 195-205.), les indicateurs d’accès au transport (par exemple, le taux de motorisation) sont plus souvent utilisés comme des variables de substitution pour mesurer la pauvreté que comme des facteurs susceptibles d’expliquer les processus d’exclusion. Certains auteurs ont montré que l’accès effectif à l’emploi ne pouvait se résumer à la facilité d’accéder au lieu d’emploi et que d’autres facteurs liés au genre, à l’origine sociale ou ethnique, jouaient un rôle déterminant dans les discriminations (Preston et Rajé, 2007[60]Preston J, Rajé F. (2007). « Accessibility, mobility and transport-related social exclusion », Journal of Transport Geography, n° 15, p. 151-160.). Sylvie Fol (2009[61]Op. cit.) rappelle notamment que dans le débat américain autour de la thèse du spatial mismatch, plusieurs auteurs ont insisté sur le poids décisif de ces facteurs individuels, et notamment raciaux, dans l’accès effectif aux emplois : selon Ellwood (1986[62]Ellwood DT. (1986). « The Spatial Mismatch Hypothesis: Are There Teenage Jobs Missing in the Ghetto ? » dans Freeman RB, Holzer HJ (dir.), The Black Youth Unemployment Crisis, Chicago, University of Chicago Press.), les caractéristiques raciales jouent un rôle plus discriminant que l’espace dans les processus d’exclusion.

Par ailleurs, même si la mobilité est un processus différenciateur socialement, le principe d’une hiérarchisation sociale correspondant stricto sensu à une hiérarchisation des mobilités souffre de nombreuses exceptions (Le Breton, 2006[63]Le Breton E. (2006). Mobilité et inégalités sociales, texte de la 603e conférence de l’Université de tous les savoirs, Paris, 7 janvier 2006 [En ligne). Des métiers de services peu valorisés socialement, comme celui d’employé de services à domicile, exigent souvent des déplacements quotidiens longs, complexes, en horaires décalés. Certains actifs précaires sont ainsi « paradoxalement » très mobiles, mais très fortement contraints dans leurs déplacements quotidiens, dont ils ne choisissent ni le mode de transport, ni les horaires, ni le coût physique et financier (Jouffe, 2010[64]Jouffe Y. (2010). « La paradoxale mobilité des travailleurs précaires : vers de nouvelles inégalités ? », dans Massot MH (dir.), Mobilités et modes de vie métropolitains. Les intelligences du quotidien, Paris, L’Œil d’Or, p. 139-153.). Ainsi, une mobilité élevée n’est pas le signe d’une situation sociale aisée et comme l’ont montré des analyses récentes, les distances parcourues en automobile par les différentes classes sociales tendent à s’homogénéiser, devenant parfois plus importantes pour les moins favorisés (Wenglenski, 2013[65]Wenglenski S, Korsu E. (2013). « Des déplacements quotidiens au service de la ségrégation ? », Cahiers Scientifiques des Transports, n° 63, p. 119-140.). À l’inverse, de nombreux individus appartenant aux catégories sociales aisées font le choix d’un mode de vie quotidien peu mobile, le plus souvent favorisé par l’accès à un logement de centre-ville. Et si les écarts de mobilité entre hommes et femmes tendent à se réduire (Le Jeannic et Razafindranovona, 2009[66]Op. cit.), on ne peut certainement pas interpréter mécaniquement cette évolution en termes de réduction des inégalités.

Ces constats semblent témoigner de différences de choix ou de contrainte vis-à-vis d’une mobilité qui s’est imposée comme une norme sociale.

La mobilité comme norme sociale

Comme le rappellent Bacqué et Fol (2007[67]Op. cit.), l’aptitude à être mobile, à se déplacer, à s’adapter, à être flexible, constitue un prérequis pour tous les individus, en particulier pour les actifs. Dans un contexte de crise des États providence qui touche l’ensemble des pays européens, les politiques sociales misent désormais sur l’aide à la mobilité comme condition du retour à l’emploi (Féré, 2013[68]Op. cit.). En évitant de s’interroger sur les ressources de l’immobilité, en particulier l’ancrage et les réseaux sociaux de proximité développés par les personnes pauvres (Fol, 2009[69]Op. cit.) aussi bien que sur les coûts sociaux de la mobilité, le risque, selon Bacqué et Fol (2007[70]Op. cit.), serait de passer d’un droit à la mobilité à une injonction à être mobile. Pour Jamar et Lannoy (2011[71]Jamar D, Lannoy P. (2011). « Idéaux et troubles d’un droit à la mobilité (ou comment faire de la mobilité un territoire politique) », dans Gay C, Kaufmann V, Landriève S, Vincent-Gueslin S. (dir.), Mobile/Immobile. Quels choix, quels droits pour 2030, La Tour-d’Aigues, L’Aube, p. 63-73.), la mise en œuvre du droit à la mobilité envisagé comme facteur d’intégration sociale invite à questionner une régulation qui définit a priori certaines mobilités comme trop faibles (celle des chômeurs, des personnes âgées, des pauvres) et d’autres, au contraire, comme excessives (celle des migrants, des demandeurs d’asile, des gens du voyage).

Au-delà de ce débat autour de l’idéologie de la mobilité (Ripoll, 2015[72]Ripoll F. (2015). « Résister à “la mobilité”, (dé)placements, inégalités et dominations », dans Orfeuil JP, Ripoll F (dir.), Accès et mobilité. Les nouvelles inégalités, Gollion, Infolio, p. 103-134.), force est de constater que la « norme sociale » de mobilité, c’est-à-dire le « niveau de pratiques de mobilité que la société considère comme ”normale“ et susceptible d’être demandée aux individus », a fortement augmenté (Orfeuil, 2015[73]Orfeuil JP. (2015). Des difficultés de mobilité variées qui appellent des réponses personnalisées, dans Orfeuil JP, Ripoll F (dir.), Accès et mobilité. Les nouvelles inégalités, Gollion, Infolio, p. 9-101.). En intégrant dans leur stratégie les capacités de mobilité croissante de la population, les acteurs publics et privés ont en effet favorisé une dispersion croissante des activités dans l’espace, aboutissant de fait à la marginalisation des moins mobiles. Dans des sociétés urbaines caractérisées par la dépendance automobile (Dupuy, 1995[74]Dupuy G. (1995). Les territoires de l’automobile, Paris, Anthropos.), les politiques focalisées sur l’accroissement de la mobilité ont de fait encouragé l’étalement urbain et l’éclatement spatial des ressources (Handy, 2002[75]Handy S. (2002). « Accessibility- vs. Mobility-enhancing strategies for addressing automobile dependence in the US », Paper presented at the European Conference of Ministers of Transport (ECMT), Paris, May. ; Rémy, 2000[76]Rémy J. (2000). « Métropolisation  et diffusion  de l’urbain : les ambiguïtés de la mobilité », dans Bonnet M, Desjeux D (dir.), Les Territoires de la mobilité, Paris, PUF, p. 171-188.). Par exemple, la compétition sur le marché du travail s’est accrue, non seulement du fait du chômage, mais aussi en raison de l’extension des aires de recrutement rendue possible par la mobilité facilitée.

Marginalisation des plus pauvres
et dépendance à la mobilité

Ainsi, les processus de spatialisation des ressources (logements ou activités) liés à l’amélioration des conditions de déplacement sont loin d’être neutres socialement. Les ménages dont les ressources financières sont modestes ou faibles possèdent des marges de manœuvre très limitées pour choisir leur localisation résidentielle. Pour ceux qui peuvent acheter un logement, en partie grâce à des aides, cette localisation est très souvent périphérique ou concerne des zones peu accessibles, notamment en transports publics (Sencébé et Lepicier, 2007[77]Sencébe Y, Lépicier D. (2007). « Migrations résidentielles de l’urbain vers le rural en France : différenciation sociale des profils et ségrégation spatiale », EspacesTemps.net [En ligne ; Rougé, 2007[78]Rougé L. (2007). « Inégale mobilité et urbanité par défaut des périurbains modestes toulousains », EspacesTemps.net [En ligne ; Motte-Baumvol, 2007[79]Motte-Baumvol B. (2007). « La dépendance automobile pour l’accès des ménages aux services : le cas de la grande couronne francilienne », Revue d’économie régionale et urbaine, vol. 5, p. 897-920. ; Lambert, 2015[80]Lambert A., (2015), Tous propriétaires. L’envers du décor pavillonnaire, Paris, Seuil, 279 p.). La mobilité résidentielle des ménages les plus contraints économiquement est également moins fréquente que celle des autres groupes sociaux, en particulier lorsqu’elle s’opère en faveur de zones plus valorisées socialement, où le « tribut à payer » se mesure alors en termes de déplacements quotidiens plus coûteux en temps ou en argent (Wenglenski et Korsu, 2013[81]Op. cit.). Pour ces ménages, la mobilité quotidienne apparaît donc comme l’une des conditions d’un changement de domicile et un dispositif de l’agencement du quotidien (Rougé, 2007[82]Op. cit.).

Cette forte disparité des conséquences sociales du processus de spatialisation des ressources éclaire dès lors l’ambiguïté fondamentale de la mobilité quotidienne, tour à tour présentée dans les débats actuels comme ressource, nécessité ou contrainte. Si la capacité à se mouvoir peut être considérée comme une ressource qui permet aux individus de participer à la vie sociale, elle constitue également dans certains cas, du fait de l’impossibilité des plus pauvres à choisir leur logement ou leur(s) lieu(x) de travail, une contrainte forte, en termes de pénibilité, de conséquences sur la vie sociale et familiale et de coût financier. À bien des égards, la mobilité quotidienne joue pour ces personnes le rôle de variable d’ajustement aux contraintes subies sur les marchés du logement et de l’emploi.

Dans le prolongement de la notion de dépendance automobile définie par Gabriel Dupuy (1999[83]Dupuy G., (1999), La dépendance automobile, Paris, Anthropos.), nous proposons de qualifier de « dépendance à la mobilité » le préjudice subi par les populations les plus pauvres ou les plus précaires soit du fait de leur manque d’accès aux modes de déplacement, soit en raison des contraintes qui pèsent sur leur mobilité quotidienne, en termes de longueur de déplacement, d’horaires, de pénibilité des trajets (Gallez, 2015[84]Op. cit.). La dépendance à la mobilité de ces populations résulte d’une absence de choix liée à leur position sociale (faute de revenus suffisants, de possibilité de se loger, d’horaires de travail décalés, etc.) mais elle découle aussi des modes de régulation publique exercés dans d’autres secteurs (le logement, l’emploi, l’aménagement, les politiques sociales, etc.) qui font de la mobilité un substitut ou un facteur d’ajustement.

Un tel constat invite à appréhender de manière plus globale la problématique de l’accès à la ville et aux ressources, sans la réduire à la difficulté d’atteindre des lieux distants, en adoptant une acception large de la notion d’accessibilité. L’enjeu de ce changement de paradigme est à la fois conceptuel et politique.

L’accessibilité, concept et mesures

L’accès aux ressources n’est pas une problématique nouvelle au sein des sciences sociales. Dans un ouvrage paru en 1968, le philosophe et sociologue marxiste Henri Lefebvre défendait un « droit à la ville », qui renvoyait principalement au droit du logement et au travail. Cette question se trouve également au cœur d’un ouvrage collectif paru en 2002, plaidant pour un rapprochement des problématiques liées aux mobilités résidentielles et aux mobilités quotidiennes (Lévy et Dureau, 2002[85]Lévy JP, Dureau F (dir.). (2002). L’accès à la ville. Les mobilités spatiales en question, Paris, L’Harmattan.). L’accès aux ressources, en lien avec les problématiques de transport et d’aménagement, a fait par ailleurs l’objet de très nombreux travaux aux États-Unis et en Grande-Bretagne.

Poser la question de l’accès à la ville revient à analyser les conditions dans lesquelles les individus accèdent effectivement aux ressources d’un territoire urbain. Or, d’une ville à l’autre ou d’un quartier à l’autre, les potentiels d’accès aux ressources peuvent varier fortement. Par ailleurs, au sein d’un même quartier, tous les habitants n’ont pas le même accès aux ressources qu’ils convoitent. L’une des manières de comparer ces différences d’accès potentiels, entre différents lieux ou d’un groupe social à l’autre, est de faire appel à la notion d’accessibilité.

L’accessibilité, une notion multidimensionnelle

C’est dans le domaine de la planification urbaine que la notion d’accessibilité a été le plus tôt mobilisée, avant d’être utilisée par les spécialistes du transport. En 1959, Walter G. Hansen définit l’accessibilité comme le « potentiel d’interactions possibles » (potential of opportunities for interaction) (Hansen, 1959[86]Hansen WG. (1959). « How accessibility shapes land use », Journal of American Institute of Planners, 25(1), p. 73.). Il s’éloigne de la définition habituelle de l’accessibilité entendue comme la facilité de l’interaction (the ease of interaction) pour insister sur la mesure de l’intensité de la possibilité de l’interaction (the intensity of the possibility of interaction). Ainsi, l’accessibilité d’une zone ne dépend pas uniquement de la facilité à atteindre cette zone (notamment en termes de temps et de coût de transport) mais également de l’attraction exercée par cette zone, qui renvoie au nombre d’aménités qu’elle concentre.

Les mesures de l’accessibilité ont été progressivement affinées, notamment pour intégrer d’autres facteurs susceptibles d’influencer le potentiel des aménités disponibles (Handy et Niemeier, 1997[87]Handy SL, Niemeier DA. (1997). « Measuring accessibility: an exploration of issues and alternatives », Environment and Planning A, n° 29, p. 1175-1194.). Le temps constitue ainsi un paramètre central de l’accessibilité, comme le suggèrent les travaux inspirés de la time-space geography de Hägerstrand (1970[88]Hägerstrand T. (1970). « What about people in regional science? », Papers of the Regional Science Association, n° 24, p. 7-21.), non seulement en raison des horaires d’ouverture et de fermeture des lieux d’activité, mais aussi des contraintes d’emploi du temps individuelles. Par ailleurs, diverses caractéristiques individuelles sont susceptibles de modifier non seulement la possibilité effective pour les individus d’accéder à certaines ressources, mais aussi la composition même de leurs univers de choix (Bhat et al., 2000[89]Bhat C, Handy S, Kockelman K et al. (2000). Development of an urban accessibility index: Literature review, Report for the Texas Department of transportation, University of Texas, Austin, TX: Center for Transportation Research [En ligne). Le revenu, l’âge, le genre, la couleur de peau, l’origine sociale, les situations de handicap comptent parmi les facteurs les plus couramment considérés comme ayant une influence sur l’accessibilité individuelle. Les discriminations raciales ou de genre limitent notamment la possibilité d’accéder à un lieu public, à un emploi ou à un logement.

Les différentes dimensions de l’accessibilité ne sont pas indépendantes les unes des autres : l’âge ou le genre influencent les contraintes temporelles des individus, leurs besoins, ou leur accès aux différents modes de transport. Selon Farrington (2007[90]Farrington J. (2007). « The new narrative of accessibility: its potential contribution to discourses in (transport) geography », Journal of Transport Geography, n° 15, p. 319-330., p. 320), « l’accessibilité est au moins autant une question de personnes qu’une question de lieux ». Chaque individu fait l’expérience d’une accessibilité plus ou moins importante aux lieux et aux ressources urbaines qui y sont implantées.

Comme toutes les notions complexes, l’accessibilité soulève des débats contradictoires, liés à la difficulté d’isoler avec précision le poids de tel ou tel facteur dans la mesure des potentiels de ressources accessibles pour différents individus. Néanmoins, sa pertinence pour appréhender les inégalités d’accès aux ressources a suscité son utilisation, depuis une dizaine d’années, dans un nombre croissant de travaux de géographie ou de sociologie urbaine et, dans une moindre mesure, dans le domaine des transports et de la mobilité.

Un renouvellement récent
des approches fondées sur l’accessibilité

Dans la période récente, les approches en termes d’accessibilité se sont développées pour enrichir la compréhension des inégalités sociales et y apporter des réponses politiques. Des travaux évaluant les inégalités d’accès aux services et aux équipements ont été menés en Grande-Bretagne (Wixey et al., 2005[91]Op. cit.), aux États-Unis (Handy et Clifton, 2001[92]Handy S, Clifton K. (2001). « Evaluating Neighborhood Accessibility: Possibilities and Practicalities », Journal of Transportation and Statistics, vol. 4, n° 23, p. 69-78.), en Australie (Currie et al., 2007[93]Op. cit.) au Canada (Apparicio et Seguin, 2006[94]Apparicio P, Séguin AM. (2006). « Measuring the accessibility of services and facilities of residents of public housing in Montréal », Urban Studies, n° 43(1), p. 187-211. ; Paez et al., 2010[95]Paez A, Gertes Mercado R, Farber S et al. (2010). « Relative accessibility deprivation indicators for urban settings: definitions and application to food desert in Montreal », Urban Studies, n° 47(7), p. 1415-1438.) et plus rarement en France (Caubel, 2006[96]Caubel D. (2006). « Politiques de transports et accès à la ville pour tous ? Une méthode d’évaluation appliquée à l’agglomération lyonnaise », thèse de doctorat, université de Lyon II. ; Motte-Baumvol, 2006[97]Motte-Baumvol B. (2006). « La dépendance automobile pour l’accès aux services aux ménages en grande couronne francilienne », thèse de Doctorat, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.). La plupart des travaux sur les inégalités d’accès se sont penchés exclusivement sur l’accès à l’emploi, notamment à partir du travail fondateur de John Kain sur le spatial mismatch aux États-Unis, qui se réfère au décalage spatial entre la localisation résidentielle des minorités ethniques et la localisation des emplois qu’ils sont susceptibles d’occuper (Fol, 2009[98]Op. cit.). Les conclusions de ces études sont souvent contradictoires et mettent en évidence le poids d’autres variables que la distance (origine ethnique, discrimination, manque de qualifications, contraintes temporelles) pour expliquer les difficultés d’accès à l’emploi de certains groupes. Selon Grengs (2010[99]Grengs J. (2010). « Job accessibility and the modal mismatch in Detroit », Journal of Transport Geography, n° 18, p. 42-54.), cette variation des résultats tient à l’imprécision de la notion de spatial mismatch, focalisée sur un problème de distance plutôt que d’accessibilité.

En France, les travaux qui utilisent des indicateurs d’accessibilité restent très rares. Parmi les plus intéressants, on peut citer ceux de Sandrine Wenglenski (2004[100]Wenglenski S. (2004). « Une mesure des disparités sociales d’accessibilité au marché de l’emploi en Ile-de-France », Revue d’économie régionale et urbaine, n° 4, p. 539-550.) sur les inégalités d’accès à l’emploi en région Ile-de-France, qui montrent que le marché de l’emploi accessible en une heure de transport est nettement plus élevé pour les cadres (67 %) que pour les employés (51 %), du fait que les premiers ont un meilleur accès à la voiture — qui reste le mode le plus performant pour accéder à l’emploi — mais aussi du fait que les emplois des seconds sont plus dispersés spatialement que ceux des cadres. Le très faible niveau d’accessibilité depuis les zones périphériques explique en grande partie cet écart, les employés étant à la fois plus souvent résidents de ces secteurs et moins souvent motorisés que les cadres. Cette approche en termes d’accessibilité reflète les inégalités de contraintes et de choix entre les groupes sociaux. En effet, en cas de perte d’emploi, les individus, en fonction de leur appartenance sociale, ne se trouveront pas à égalité en termes d’accès général aux emplois.

Dans sa thèse, David Caubel (2006[101]Op. cit.) a analysé les inégalités d’accès à un panier de biens dans l’agglomération lyonnaise et montré que les habitants des quartiers les plus défavorisés étaient ceux qui possédaient l’accessibilité aux ressources la plus faible. Benjamin Motte (2006[102]Motte B. (2006). « La dépendance automobile pour l’accès aux services aux ménages en grande couronne francilienne », thèse de doctorat, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.), pour sa part, a travaillé sur les inégalités d’accès aux équipements et commerces dans le périurbain francilien. Tous deux montrent que l’accessibilité des ménages les plus défavorisés est plus faible et tend même à se dégrader au fil du temps.

Malgré sa complexité et les difficultés posées par son usage, l’accessibilité semble une notion très prometteuse pour faire évoluer les manières de voir et d’agir sur la problématique de l’accès à la ville.

Les apports de la notion d’accessibilité pour l’action publique

Parce qu’elle est centrée sur la mesure d’un potentiel et non pas sur les pratiques effectives, l’accessibilité apparaît pertinente pour mesurer les impacts sociaux du transport et prendre en compte les enjeux d’équité spatiale ou sociale. Par ailleurs, en termes d’action publique, l’application opérationnelle de cette notion conduit à envisager un large spectre de stratégies, qui ne passent pas toutes par une augmentation des déplacements mais par une meilleure articulation des politiques urbaines (Handy, 2002[103]Op. cit. ; Curtis et Scheurer, 2010[104]Curtis C, Scheurer J. (2010). « Planning for sustainable accessibility: developing tools to aid discussion and decision making », Progress in Planning, n° 74, p. 53-106.).

Une notion pertinente pour appréhender
la dimension sociale des transports
et de la mobilité

Dans sa définition la plus large, l’accessibilité renvoie à la mesure d’un potentiel d’opportunités disponibles pour la réalisation des activités individuelles et la participation à la vie sociale. En tant que telle, elle constitue l’impact social le plus direct des systèmes de transport (Jones et Lucas, 2012[105]Op. cit.).

Dès le début des années 1970, Jean-Gérard Koenig (1974[106]Koenig JG. (1974). « Théorie économique de l’accessibilité urbaine », Revue économique, n° 25(2), p. 275-297.) plaide pour fonder l’évaluation socio-économique des infrastructures de transport sur l’estimation des gains d’accessibilité plutôt que sur des gains de temps, habituellement utilisés pour estimer les avantages de toute infrastructure nouvelle. Il s’appuie sur de nombreux exemples montrant que la satisfaction des acteurs individuels peut augmenter même si leur temps de déplacement s’accroît. C’est le cas d’un actif qui décide d’occuper un emploi plus distant de son domicile, en profitant d’un accès facilité par une nouvelle infrastructure de transport ; même si son temps de déplacement s’est allongé, la satisfaction d’occuper un emploi plus intéressant ou mieux rémunéré constitue un bénéfice. Pour Koenig, ce constat suffit à démontrer empiriquement que le service rendu aux usagers ne consiste pas dans un gain de temps, mais bien dans l’utilité qu’ils retirent de la pratique de nouvelles activités ou du choix de nouvelles localisations résidentielles, en bref d’une augmentation de leur potentiel d’accès aux opportunités urbaines.

Par ailleurs, la mesure de l’accessibilité se révèle pertinente également dans l’évaluation du caractère plus ou moins redistributif des projets ou des politiques de transport. En effet, la comparaison des disparités d’opportunités accessibles selon les individus ou les groupes sociaux ou selon les lieux de résidence est a priori plus facile à interpréter en termes de justice sociale ou spatiale. Pour Farrington (2007[107]Op. cit.), c’est sous sa forme normative que le concept d’accessibilité est le plus utile, car il est directement traductible en termes d’objectifs politiques. Selon lui, l’accessibilité constitue une « précondition » de l’inclusion sociale, qui est elle-même une précondition de la justice sociale. Dans cette optique, la notion d’accessibilité apparaît moins ambiguë que la mobilité pour interroger les modalités de mise en œuvre de l’équité sociale (Young, 1994[108]Young HP. (1994). Equity: In theory and practice, Princeton, NJ, Princeton University Press.) et de la justice spatiale (Soja, 2010[109]Soja E. (2010). Seeking Spatial Justice, Minneapolis, University of Minnesota Press.). Différentes approches de la justice sociale peuvent y être associées.

Faire en sorte que l’accès à un ensemble de ressources essentielles soit assuré renvoie en particulier à la théorie de la justice sociale de Rawls. S’opposant à la théorie utilitariste de maximisation du bien-être total, Rawls prône une distribution juste des « biens premiers » (libertés de base, dotations socio-économiques et bases sociales du respect de soi-même), c’est-à-dire une répartition de ces biens qui favorise ceux qui en sont les plus démunis. Partant d’une critique des travaux de Rawls, Amartya Sen (2012[110]Sen A. (2012). L’idée de justice. Paris, Flammarion (1ère édition en anglais en 2009 : The idea of justice, London, Penguin Books  Ltd).) propose quant à lui de s’intéresser aux inégalités de pouvoir plutôt qu’aux inégalités de ressources des individus, en proposant une approche fondée sur les « capabilités » (capabilities). Il suggère d’évaluer la qualité de la vie à partir de ce que les individus sont vraiment en mesure de réaliser, à des « états » (beings) et des « actions » (doings) qu’il désigne sous le terme de « fonctionnements » (functionings). Sen insiste plus particulièrement sur la prise en compte des « fonctionnements potentiels », par opposition aux fonctionnements accomplis, qui ne s’intéresseraient qu’aux résultats et non à l’ensemble des opportunités d’atteindre ce résultat. En s’inspirant de l’approche des « capabilités » de Sen, l’équité dans l’accès à la ville pourrait se fonder sur une répartition des potentiels d’accès aux ressources permettant à chaque individu de mener la vie qu’il souhaite.

Bien que soumises à différentes critiques et relativement complexes, ces approches de la justice sociale et spatiale constituent à la fois des ouvertures intéressantes pour une utilisation opérationnelle de la notion d’accessibilité dans le domaine des transports (Martens, 2016[111]Op. cit.). Dans la perspective ouverte par Koenig (1974[112]Op. cit., 1980[113]Koenig JG. (1980). « Indicators of urban accessibility: theory and applications », Transportation, n° 9, p. 145-172.), plusieurs auteurs ont réfléchi à la manière d’intégrer l’accessibilité dans les méthodes d’évaluation ex-ante des projets d’infrastructures de transport. Martens (2006[114]Martens K. (2006). « Basing transport planning on principles of social justice », Berkeley Planning Journal, n° 19(1), p. 1-17.) propose de remplacer les gains de temps par les gains d’accessibilité en utilisant les indicateurs définis par Koenig (1974[115]Op. cit.), où la mesure de l’accessibilité dépend du bénéfice retiré par chaque individu de l’accès à une opportunité donnée. L’intérêt de cette approche, pour Martens, est qu’elle permet de relâcher l’hypothèse des rendements croissants propre au calcul économique : en effet, plus l’accessibilité initiale de l’usager à l’opportunité considérée est élevée, moins la variation marginale d’utilité est forte, et à l’inverse, plus l’accessibilité initiale est faible, plus le bénéfice attendu est élevé. Cette qualité, comme le souligne Martens (2006[116]Op. cit.), permet d’orienter la décision publique vers des projets qui visent une meilleure équité dans l’accessibilité. Bonnafous et Masson (2003[117]Op. cit.) plaident quant à eux pour une intégration dans la fonction de surplus des usagers du calcul économique un indicateur d’accessibilité affecté d’un exposant, qui pourrait être analysée comme « l’expression d’un compromis entre le critère d’efficacité et celui d’équité ». En fonction de la valeur donnée au paramètre exposant, la maximisation de cette fonction aboutit à des projets qui favorisent plus ou moins la rentabilité ou l’équité.

Au-delà de son usage dans le domaine des transports, l’accessibilité apparaît intéressante pour favoriser l’articulation des politiques sectorielles, notamment une meilleure intégration des transports et de l’urbanisme (Bertolini et al., 2005[118]Bertolini L, Le Clercq F, Kapoen L. (2005). « Sustainable accessibility: a conceptual framework to integrate transport and land-use plan-making. Two test-applications in the Netherlands and a reflection on the way forward », Transport Policy, n° 12, p. 207-220.).

Une notion qui favorise l’intégration
des politiques de transports et d’urbanisme

Alors que les politiques de mobilité ont toujours été focalisées sur l’amélioration des performances du réseau de transport et le mouvement des personnes et des biens, les politiques d’accessibilité font le lien entre la planification urbaine et les transports (Litman, 2003[119]Litman T. (2003). « Measuring Transportation: Traffic, mobility and accessibility », ITE Journal, n° 73(10), p. 28-32. [En ligne] : www.vtpi.org/measure.pdf).

L’exemple britannique donne une illustration intéressante de l’intérêt d’une approche en termes d’accessibilité. Le premier rapport de la Social Exclusion Unit (SEU), administration de mission créée en 1997 après le retour du gouvernement travailliste, montrait que de nombreux quartiers défavorisés manquaient des services publics et privés essentiels, et que cette situation, combinée avec la sous-motorisation et la mauvaise desserte en transports publics, signifiait que de nombreux habitants de ces quartiers souffraient d’un « déficit d’accessibilité » (Lucas, 2002[120]Lucas K. (2002). Transport and social exclusion: a G7 comparison. An overview of the UK position, Londres, Foundation for the Automobile and Society.). L’objectif « d’accessibilité », définie comme la capacité des individus à accéder aux principaux services à un coût raisonnable, dans un temps raisonnable et de manière relativement facile, devient alors l’un des fondements des politiques de lutte contre l’exclusion sociale (SEU, 2003[121]Op. cit.). Les analyses mettent en évidence les difficultés d’accès à différents types de ressources — emploi, éducation, santé, commerces alimentaires, activités sociales, culturelles et sportives — et insistent sur la nécessité d’améliorer à la fois le niveau et la qualité de l’accès aux différentes ressources urbaines (Lyons, 2003[122]Lyons G. (2003). « The introduction of social exclusion into the field of travel behaviour », Transport Policy, vol. 10, p. 339-342.). L’indice de multiple deprivation, mis au point par la Social Exclusion Unit, intègre la dimension de l’accessibilité, même si la mesure de celle-ci est limitée à l’accès aux commerces alimentaires, aux soins de première nécessité, aux écoles primaires et à un bureau de poste (Grieco, 2003[123]Grieco MS. (2003). Transport and social exclusion: new policy grounds, new policy options, Keynote paper10th IATBR Moving through nets: the physical and social dimensions of travel, Lucerne, 10-15 August.).

Pour répondre à ces enjeux, les pouvoirs publics définissent un nouveau mode d’intervention, l’accessibility planning (SEU, 2003[124]Op. cit.), que les collectivités locales sont fortement incitées à mettre en œuvre. Ce concept, qui intègre les outils de la planification urbaine et ceux des politiques de transport, part du principe que « l’accessibilité n’est pas synonyme de mobilité (motorisée) » (Lyons, 2003[125]Op. cit.) et que la mobilité n’est pas le seul moyen pour augmenter l’accès aux ressources urbaines. Si l’amélioration des moyens de transport des ménages défavorisés n’est pas négligée, elle doit s’accompagner de mesures de planification urbaine visant à mieux contrôler l’implantation des services et des zones d’emploi pour les rapprocher des habitants vivant dans des quartiers pauvres. Ainsi, selon les dispositions du PPG 13 (Policy Planning Guidance note 13 on Transport), publié en 2001, tous les nouveaux projets immobiliers, en particulier ceux destinés à accueillir un grand nombre d’habitants, doivent être accessibles en transport public, deux-roues et à pied. La proximité des services est considérée comme un moyen pour augmenter l’accessibilité, tandis que la qualité des liaisons entre ces secteurs et les zones d’emploi ou de service est devenue une préoccupation plus centrale des pouvoirs publics.

D’autres travaux démontrent l’intérêt d’une utilisation des indicateurs d’accessibilité dans l’évaluation conjointe des politiques de transport et d’autres politiques urbaines, notamment les politiques de logement social. En appliquant des indicateurs d’accessibilité aux transports publics et aux services de proximité à plusieurs quartiers bénéficiaires des programmes d’aides fédérale et gouvernementale dans la ville de Baltimore, aux États-Unis, Welch (2013[126]Welch TF. (2013). « Equity in transport: The distribution of transit access and connectivity among affordable housing units », Transport Policy, n° 30, p. 282-293) dresse ainsi un bilan mitigé de la capacité de ces politiques publiques à réduire les inégalités sociales d’accès aux ressources. Il pointe en particulier la nécessité de passer d’une logique de désenclavement, qui consiste à s’assurer d’une desserte minimale des quartiers par une ligne de transports collectifs, à une logique de construction prioritaire des logements sociaux à proximité des principaux nœuds de connexion du réseau. Une telle logique revient à mettre systématiquement en œuvre une réflexion sur les gagnants et les perdants des nouvelles infrastructures de transports.

Conclusion

Dans le domaine du transport, les enjeux sociaux ont longtemps été limités à la mise à disposition d’une offre de transport collectif pour les populations non motorisées. Avec la généralisation de la problématique de l’exclusion sociale, la question des inégalités face à la mobilité est devenue plus prégnante. Du fait de son rôle clé dans l’accès aux ressources, la mobilité est considérée comme une ressource, une condition indispensable pour que les individus puissent « prendre part à la société ». À l’inverse, l’incapacité à se mouvoir, ou l’immobilité, est présentée comme un handicap, un problème auquel les politiques publiques doivent s’efforcer de remédier. Dans cette perspective, la garantie d’un accès à la mobilité pour tous, ou « droit au transport », constituerait l’une des conditions permettant la participation de tous les individus à la vie sociale, autrement dit d’une société inclusive. Pourtant, si cette orientation a un sens pour les personnes effectivement en manque d’accès aux modes de transport, elle mérite d’être interrogée dans une vision plus globale du contexte politique et urbanistique dans lequel elle s’inscrit.

En particulier, la dépendance à la mobilité des plus pauvres et des plus précaires ne se mesure pas uniquement par un manque de mobilité, mais aussi, pour certains, par une mobilité élevée et fortement contrainte. Dans un contexte de pression accrue sur les marchés du logement et de l’emploi, la mobilité a joué le rôle d’un facteur d’ajustement pour les populations pauvres comme pour les décideurs politiques et économiques. Or la durabilité de ces stratégies qui entretiennent une dépendance à la mobilité est doublement mise en cause, aussi bien au regard de l’effort qu’elles font porter sur les plus fragiles que face à l’urgence des enjeux énergétiques et environnementaux.

Ces constats nous invitent à repenser la problématique de l’accès à la ville de manière plus globale, sans la réduire à un problème d’accès aux transports ou de manque de mobilité. Nous avons discuté dans cet article des atouts de la notion d’accessibilité qui, par son caractère multidimensionnel, permet de prendre en compte de manière plus pertinente les enjeux sociaux du transport et les enjeux d’équité sociale et spatiale, mais aussi d’ouvrir l’éventail des solutions politiques au-delà du seul domaine des transports.

Beaucoup de progrès restent toutefois à accomplir dans ce domaine, qui ne dépendent pas de la seule pertinence des indicateurs de mesure ou d’évaluation. Élargir la question de l’accès à la ville suppose en particulier de se distancier vis-à-vis d’une vision idéologique de la mobilité qui en fait une solution systématique à des problèmes généralement peu ou mal formulés.


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[40] En Grande-Bretagne, la prise en compte de la notion d’accessibilité permet cependant de dépasser la seule réponse en termes de transports, comme nous le verrons plus loin.

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