Créer des espaces pour les nouveaux arrivants : une tâche centrale pour l’urbanisme et la planification

Oliver Frey, Sibylla Zech et Petra Hirschlerurbanistes et sociologues de la Technische Universität de Vienne, répondent en français à la question d’actualité posée par le blog Migrants, réfugiés, camps d’urgence : les urbanistes n’ont-il rien à dire ?” et poursuivent la discussion amorcée par Ifigenia Kokkali et Franck Ekardt

Les villes de petite et de moyenne importance ainsi que les régions urbaines polycentriques ont un grand potentiel pour permettre une intégration à moyen ou à long terme des personnes réfugiées ou immigrées. La concentration décentralisée ouvre des chances pour le développement urbain et peut compenser des pertes de fonction et contribuer à la sécurité économique de tous les habitants.

Les gens qui se sont enfuis et les demandeurs d’asile ont droit à la protection et ont besoin d’espace : à l’arrivée, pendant la procédure d’asile et à long terme, s’ils restent et partagent avec nous leur vie, leurs connaissances, leurs capacités, leurs compétences et leur quotidien. Quand on ne fera plus la distinction entre « eux » et « nous », quand nous vivrons dans une société post-migratoire (ce qui est un pilier du développement spatial de l’Autriche) et que nous construirons notre avenir en commun.

Sous l’aspect professionnel et rationnel, nous disposons en Europe de plus d’espace physique qu’il ne faut pour accueillir un chiffre beaucoup plus élevé de gens cherchant de la protection et de migrants. En Autriche, 796 000 appartements ne sont pas déclarés « résidence principale » (ce qui ne revient évidemment pas un à un à des espaces vides). Des enquêtes récentes dans des communes autrichiennes révèlent encore plus de logements vacants que supposés : 800 logements libres dans de petites villes et communes, comme par exemple à Lustenau, ne sont d’aucune rareté. S’y ajoutent un peu partout un nombre considérable de bâtiments inoccupés, de bureaux, de halles de fabrication ainsi que des commerces arrêtés. Ceci ne vaut pas seulement pour les régions périphériques en rétrécissement mais tout à fait aussi pour les régions dynamiques. Les vides et la sous-utilisation des maisons individuelles dans des quartiers un peu vétustes constituent par exemple un facteur fort négligé jusqu’à présent ; ce qui entraîne des frais d’infrastructure élevés pour les municipalités. Il paraît paradoxal de déplorer d’une part le vieillissement de la population et son déménagement et de chercher en même temps à mettre la main sur l’installation des jeunes. Le problème est que la solution elle-même semble conçue comme un problème.

Pour l’activation et la création de l’espace pour réfugiés et immigrés, il faut la coopération effective d’urbanistes, de planificateurs régionaux, du personnel engagé dans les procédures de l’accueil, d’architectes, de sociologues, de responsables des transports publics, d’ingénieurs en bâtiment et des spécialistes pour la construction des aires de jeux publiques. Que pouvons-nous faire au niveau de notre travail professionnel pour les villes, les communes et les régions et en coopération avec elles ? Comment pouvons-nous soutenir un aspect positif dans le débat sur la fuite, l’immigration et l’intégration ?

C’est pour répondre à ces questions que l’initiative bénévole « Raum4Refugees » est née : il s’agit d’une plate-forme de consultation gratuite et en même temps d’un processus d’apprentissage ouvert à tous ceux qui voudraient partager leur expertise en l’espace et leur compétence dans la procédure. Raum4Refugees met sur le tableau des questions, des tâches et des solutions possibles pour les villes et pour le pays – même sans avoir été sollicité – pour le comité de planification, pour les réunions régionales, pour les conférences spécialisées et les facultés. Savoir-faire, expériences, idées et questions sont partagés sur la plate-forme de web « raum4refugees.at » et à l’occasion de rencontres informelles. Sur la plate-forme, vous trouverez un entrepôt de connaissances s’accumulant constamment avec des informations sur des événements, des études spécifiques et des exposés d’étudiants concernant le sujet. La Faculté d’architecture et de planification du terroir à la TU de Vienne a, par exemple, depuis l’automne 2015, centré bon nombre de conférences sur le sujet de fuite, de migration et d’intégration. Enseignants et étudiants apprennent en commun, posent des questions, échangent des idées, conçoivent des méthodes d’agir et ébauchent des modèles pour vivre et travailler ensemble et pour se rencontrer – et cela souvent en coopération avec des réfugiés et des immigrés. Beaucoup d’entre eux présentent leurs expériences d’avant leur exode, et des compétences se manifestent que nous avons niées jusqu’à présent. Une première documentation de ces travaux est à relire dans le  magazine « Futur.lab05 » de mars 2016.

Déjà, à l’été 2015, le Forum Alpbach avait initié et documenté un échange d’expériences entre communes au sujet de l’asile et de l’intégration, échange qui continue et qui s’intensifie ces derniers mois. On y trouve une liste basée sur des expériences pratiques, des recherches académiques et sur un apprentissage mutuel et quotidien, qui porte sur les enjeux suivants :

  • L’intégration active de la thématique de l’asile et de l’intégration dans les processus de développements communaux et régionaux
  • La détection des capacités en immeubles libres, des réserves en terrain à bâtir, des terrains vagues éventuellement constructibles pour la création de logements temporaires ou permanents. En même temps la vérification ou la création d’un cadre professionnel et juridique.
  • L’aménagement de l’espace public comme lieu d’intégration, de communication, de rencontre, de séjour (libre de consommation) et de mouvement
  • La micro-mobilité sur place et dans la région – sans voiture – offres régionales en tarifs réduits pour les transports en commun
  • L’évaluation du site pour les infrastructures sociales et techniques (jardins d’enfants, écoles, hôpitaux, arrêts, etc) ; possibilités d’emplois et de formation en rapport avec l’intégration.
  • La présentation des effets économiques pour la commune et pour la région
  • Les propositions de logements abordables ; préservation simultanée des normes socio-culturelles et du standard de la construction
  • Les nouvelles catégories de classification pour logements de demandeurs socialement faibles
  • L’évaluation des quartiers en vue du mixage de l’habitat et des possibilités de l’intégration spatiale.

L’intégration spatiale à moyen ou à long terme constitue le défi de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire.  Parmi les réponses possibles, il faut proposer des hébergements dispersés dans les régions pour répondre au besoin de logements dès la procédure d’enregistrement de la demande d’asile, des logements de long terme pour les personnes ayant droit à l’asile ainsi qu’envisager des possibilités d’occupations dans un maximum de communes. Les petites et moyennes villes et les régions urbaines polycentriques ont la capacité de réaliser ces concentrations multiples et décentralisées.

L’immigration ouvre des chances pour le développement urbain, peut compenser des pertes de fonctions et, en fin de compte, rehausser la qualité de vie pour tous et pour toutes. L’engrenage des efforts en politique d’intégration, de logement et en urbanisme favorise l’intégration locale, c’est-à-dire le passage d’un pays d’immigration (ce que l’Autriche était depuis toujours) vers une société d’immigration. La planification urbaine et régionale, les administrations municipales et locales et la politique communale ont un rôle central à jouer sur ce plan. Ils sont appelés à assumer cette tâche, à être à l’initiative de cette transition nécessaire.

Oliver Frey, Sibylla Zech, Petra Hirschler