Sir Peter Hall, une figure de l’urbanisme (2)

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Peter Hall : devenir de l’urbanisme et des urbanistes

Le point de vue dOlivier Sykes

 

Le dernier article publié par Peter Hall est paru dans Town Planning Review, la plus ancienne des revues d’urbanisme anglophones. Il était intitulé : “And one fine – reflections on a double centenary” (Et un beau matin – : réflexions sur un double centenaire).

Dans cet article, Peter Hall propose une réflexion sur le centenaire de la Royal Town Planning Institute (l’institut professionnel des urbanistes et aménageurs du Royaume-Uni) et de la ‘Bartlett School of Planning’ de l’University College London (UCL) (deuxième école d’urbanisme créée au Royaume-Uni après celle de Liverpool en 1909). Plus globalement l’article fournit un récit sur l’histoire de l’aménagement et de l’urbanisme au Royaume-Uni depuis les premières décennies du vingtième siècle et dresse un bilan des enjeux et défis auxquels le système et les professionnels du planning sont appelés à faire face aujourd’hui. Pour rendre hommage à son habitude de communication avec le grand public, une version de l’article a aussi été publiée à titre posthume dans le journal national The Guardian[1]. L’article évoque les débuts très modestes du « town planning » aussi bien par la capacité professionnelle des collectivités locales dans le domaine que sur le plan de l’éducation et de la formation professionnelle. Même durant la reconstruction après la seconde  guerre mondiale,  la priorité a été donnée à l’élaboration des schémas locaux de logement afin de répondre à un besoin national pour 400 000 logements supplémentaires plutôt qu’à la « town and country planning » au sens large du terme.

C’est à la fin des années 1960 qu’émergent les pratiques de la « town planning » et de la « regional policy ». Les relations entre les sciences sociales et l’architecture se sont affermies. La recherche universitaire devient plus importante dans le domaine de la planification. Une seconde vague de nouvelles villes dont Milton Keynes, Northampton et Peterborough est lancée. Les régions ont étés dotées de Conseil de planification économique régionale et des stratégies régionales ont été élaborées[2].  En 1967, l’année record pour le nombre de logements achevés au Royaume-Uni, les services de planification locale étaient en cours de réorganisation pour relever les défis de ces plans et de la croissance économique et spatiale.  Ces services étaient de plus en plus composés de jeunes planificateurs « polyvalents » qui sortaient d’écoles d’urbanisme alors en rapide expansion. Portant un regard rétrospectif sur cette période, Peter Hall conclut que c’était l’apogée d’une croyance dans un système de planification centralisée, de logique descendante, guidée par les experts, et « bénigne ». Mais cet âge de confiance a été de courte durée. Déjà avant la fin du gouvernement Wilson on assiste à l’effondrement du Plan national (1967) et puis à la disparition du Département des affaires économiques.  Les mécanismes de mise en œuvre à hauteur de la vision ambitieuse ne sont donc désormais plus au rendez-vous. Ensuite la planification spatiale (aussi bien dans les sens de l’urbanisme réglementaire de la « town planning » que dans le sens de la planification économique spatialisée de la « regional policy ») est tombée dans une longue spirale descendante, critiquée pour être trop normative et trop restrictive. Peter Hall nous rappelle l’étude majeure (voir aussi l’article de Desjardins sur le blog RIU) qu’il a mené avec ses collègues sur The Contaminent of Urban England en 1973. Celle-ci a conclu que la loi fondatrice du système de planification (la « Town and Country Planning Act de 1947 »)  était trop radicale : fondée sur l’hypothèse que les planificateurs prendraient l’initiative, et que les promoteurs privés – perçus comme des acteurs « résiduels » dans un monde qui serait dominé par le logement public – allaient tout simplement répondre aux plans et préconisations des planificateurs[3]. Pendant les années 1970 et les années 1980, la désindustrialisation a décimé les économies des villes, et l’attention de l’action publique s’est déplacée vers la régénération urbaine, même si le métier d’urbaniste et le système d’urbanisme réglementaire pour les villes et les zones rurales sont restés.

Pour Peter Hall, sous les gouvernements de Tony Blair (1997-2007), le Royaume-Uni a vu un bref retour à la planification stratégique. En 2003 on propose un « Sustainable Communities Plan » qui avec sa proposition de trois principaux corridors de développement rayonnant à partir de Londres, n’allait pas sans rappeler la stratégie alors presque oubliée de 1967. On a même cherché à développer une nouvelle génération de stratégies spatiale régionales, surtout pour faire face aux défis du logement. Toutefois,  en 2004 les électeurs dans le nord-est de l’Angleterre ont rejeté la proposition d’une assemblée régionale démocratiquement élue. Cet échec est qualifié de « tragique » par Peter Hall. Faute de légitimité démocratique pour le processus de planification régionale, c’était trop facile pour le nouveau gouvernement de coalition Conservateur-Liberal élu en 2010, d’abandonner l’ensemble de la structure régionale, ce qui pour Hall, nous a ramené aux années 1980 – ou peut-être, « cercle complet », au début des années 1920.

Cependant, Peter Hall nous rappelle qu’en 2014, les pressions économiques et démographiques sous-jacentes à la société et aux territoires du Royaume-Uni, restent plus fortes que jamais, et d’importantes tensions en résultent. Nous vivons un déséquilibre régional massif, à travers lequel Londres et sa région se détachent du reste de l’économie britannique. Nous construisons moins de logements neufs qu’à n’importe quelle année de paix, depuis les années 1920 : seulement deux sur cinq des nouvelles maisons dont nous avons besoin. Et le résultat physique est trop souvent médiocre provoquant des réactions « NIMBY » (Not in My Back Yard – pas dans mon arrière-cour)[4] face à de nouvelles propositions de développement.  Hall observe que  la planification est devenu « le méchant », tenue pour responsable d’une aggravation de la pénurie de logements. Elle est, de plus, perçue comme impuissante à arrêter les développements médiocres.  Le « planning » et les « planners » semblent pour Hall avoir perdu la capacité de planifier des « good urban places » (des ‘bons endroits urbains’), et se « couchent » face à des propositions de projets de mauvaise qualité urbanistique et architecturale, soutenus pars des appels juridiques dans les cas où le permis de construire n’est pas accordé à la premier demande. Assez pessimiste, Peter Hall trouve que la planification et les planificateurs ont ainsi été progressivement marginalisés et qu’ils se retrouvent de nouveau avec un statut près de celui qu’ils avaient en 1914 : «we have been borne back ceaselessly into the past » (nous avons été sans cesse porté vers le passé).

Face à cette situation il demande comment on peut  « alors commencer à reconstruire le système à partir du bas » (“from the ground up“) ? Hall fait d’abord le constat que le système de planification spatiale au Royaume-Uni qui, à une certaine époque, faisait figure d’exemple au niveau international a subi un déclin. Il raconte comment les nouveaux exemples de projets phares et de bonnes pratiques, qui sont souvent visités par les planificateurs britanniques, se trouvent aujourd’hui dans les pays comme la Suède, les Pays Bas, la France et l’Allemagne (Hall, 2013). La leçon de ces exemples est la nécessité d’avoir en place des équipes municipales d’urbanisme ou des agences d’urbanisme fortes, bien équipées, avec la compétence et la volonté d’élaborer des « master plans », et la capacité (y compris des mécanismes financières adéquates) de travailler avec le secteur privé ou coopératif pour leur mise en œuvre. Il soutient une planification positive comme elle a pu exister à Milton Keynes :

« Nous l’avons fait une fois, il n’y a pas si longtemps: à Milton Keynes, où la Development Corporation (Société de développement) a produit des plans que les promoteurs voulaient suivre parce qu’ils ont trouvé que la qualité signifiait plus de rentabilité et de bénéfices pour leurs projets»

Et cela  « nous pouvons certainement le faire à nouveau ». Selon Hall si l’on veut favoriser ces réalisations il faut refonder la formation des urbanistes. Celle-ci a été restructurée dans les années 1960 avec une base solide dans les sciences sociales, notamment la géographie, la sociologie et l’économie. Une telle modification ne s’est pas produite dans la formation architecturale qui a continué à être solidement fondée sur les pratiques d’atelier ou la tradition du studio. Les élèves apprennent leur métier en petits groupes autour d’un maître individuel selon une tradition artistique et créative plutôt que de recherche « scientifique ». Paradoxalement, sur la même période, le contenu architectural de la « town planning », qui relevait de la tradition dite du « urban design », a été progressivement réduite à un minimum absolu. Hall constate que, dans les années 1990 au Royaume-Uni, il était possible de devenir un « town planner » qualifié sans aucune connaissance ou sensibilité architecturale.

L’argumentaire de Hall est que nous ne pouvons plus – si tant est que nous n’aurions jamais pu – inculquer toutes les compétences dont un planificateur a besoin. Les compétences nécessaires peuvent englober jusqu’à une vingtaine de spécialités, allant de l’économie foncière à l’environnement. Ce qui est nécessaire, dans l’éducation de ceux qui ont pour vocation à travailler sur la ville et « l’environnement bâti » est de les exposer  à une réelle coopération entre les disciplines.  En concluant ses propos, Hall fait référence à un autre grand observateur anglais des sociétés et du fait urbain au vingtième siècle – George Orwell. Pour Hall l’état actuel de la planification présente une version spéciale de ce dilemme qu’Orwell avait énoncé dans son essai sur Charles Dickens: « comment pouvez-vous améliorer la nature humaine sans avoir au préalable modifié le système? » Hall se pose alors la question de savoir s’il est utile de chercher à modifier le système sans avoir au préalable changé la nature humaine. Sa conclusion est que nous aurons besoin d’accomplir les deux en mêmes temps. Nous aurons donc besoin de reconstruire un meilleur système de planification, tout en éduquant les planificateurs et leurs « co-professionnels » à fonctionner efficacement pour que ce système puisse livrer un monde meilleur.  Pour Hall c’est cela qui devrait être le message de départ pour le prochain siècle.

Olivier Sykes

(La version originale du « point de vue » résumé ici, est parue dans la Town Planning Review, publiée par Liverpool University Press)


[2]Par exemple la stratégie du sud-est d’Angleterre proposait de relier Londres à ses nouvelles villes, et à d’autres grands projets et zones de développement en périphérie de la région, par des corridors de croissance discontinues le long des principales lignes de chemin de fer, et le réseau autoroutier qui était alors à la mi-construction.

[3] Hall souligne que cette hypothèse assez étonnante, a été abandonnée peu de temps après le retour d’un gouvernement conservateur en 1951, élu sur la promesse de construire 300 000 nouveaux logements par an, la moitié eux par des promoteurs privés. Il suggère aussi que cette contradiction, ou confusion, est resté au cours des 60 années suivantes.

[4] « NIMBY ou Nimby est l’acronyme de l’expression « Not In MyBackYard », qui signifie « pas dans mon arrière-cour ». Le terme est utilisé péjorativement pour décrire soit l’opposition par des résidents à un projet local d’intérêt général dont ils considèrent qu’ils subiront des nuisances, soit les résidents eux-mêmes » (Source :http://fr.wikipedia.org/wiki/Nimby )