Sir Peter Hall, une figure de l’urbanisme (1)
Peter Hall : un géographe en urbanisme, un urbaniste universitaire transformé par l’action
Le point de vue de Xavier Desjardins
Sir Peter Hall est décédé au cours de l’été 2014. Né en 1932, cet universitaire a marqué pendant plus de 50 ans la géographie et l’urbanisme par des ouvrages et des prises de position au retentissement mondial. Cette courte note ne se veut pas une présentation biographique de son parcours, ni une exégèse académique de sa production, mais une réflexion libre, inspirée par ce parcours exceptionnel, sur les liens entre la recherche et l’action en urbanisme. Cette réflexion est notamment inspiré par la fréquentation de nombreux travaux de Peter Hall ainsi que par l’ouvrage édité en 2014 par Mark Tewdr-Jones, Nicholas A. Phelps et Robert Freestone intitulé The Planning Imagination, Peter Hall and The Study of Urban and Regional Planning. Ce livre propose 19 contributions signées par des universitaires britanniques et nord-américains sur les travaux de Peter Hall et son héritage intellectuel.
L’œuvre de Peter Hall est extrêmement vaste. S’il a écrit plus de 200 articles dans des revues académiques, ce sont ses ouvrages qui restent les pièces les plus importantes de sa production. Beaucoup portent sur les enjeux de l’aménagement de la Grande-Bretagne, notamment London 2000 paru en 1963 puis London 2001 paru en 1981. En 1974, The Containment of Urban England, édité avec R. Drewett, H. Gracey et R. Thomas, est une étude très approfondie des effets de la limitation de l’étalement urbain mise en œuvre au sortir de la seconde guerre mondiale. Il s’est intéressé plus largement aux grandes métropoles mondiales, avec The World Cities en 1966. Il a publié Technopoles of The World : The Making of the 21st-Century Industrial Complexes en 1994 avec Manuel Castells. Il a également produit de nombreux travaux sur les enjeux de la planification, notamment The Great Planning Disasters en 1980 qui revient sur de grands échecs tels que le plan autoroutier de Londres ou le programme aéronautique du Concorde. Ces travaux portent également sur l’histoire de l’urbanisme, dont la somme Cities of Tomorrow, parue pour la première en 1988, qui fait une fresque des pères fondateurs de l’urbanisme et des débats contemporains. En 1998, il publie Cities in Civilization, ouvrage de plus d’un millier de pages sur l’innovation dans les villes, à travers les cas d’Athènes, Berlin, Detroit, Florence, Glasgow, Londres, Los Angeles, Paris, Stockholm et Tokyo et des exemples glanés de l’époque de Périclès à la nôtre. Ajoutons qu’il a également écrit de multiples travaux sur les transports, notamment les effets de la grande vitesse, les transports collectifs urbains ou encore les aéroports.
Sa production écrite a donc trois caractéristiques tout à fait singulières. La première est la qualité de son écriture. Ces ouvrages – dont aucun n’est traduit en français – sont d’une écriture simple, accessible, loin du jargon ou du pédantisme qui marquent tant de productions universitaires. Cette écriture pédagogique et souple est le résultat d’une pratique simultanée du journalisme. Il a écrit de nombreux articles courts pour les revues Planning, Town and Country Planning et New Society. Quelques tribunes dans la presse généraliste l’ont fait connaître au grand public et remarquer par les décideurs. Pour l’écriture de Great Planning Disasters, il souligne la dimension journalistique d’une recherche qui nécessite de croiser les sources et de mener des investigations. La seconde caractéristique de ces ouvrages est leur large érudition. Auteur d’une thèse en 1962 sur l’histoire de l’industrie à Londres, Peter Hall ne s’est jamais départi d’une volonté de toujours restituer ces travaux dans les dynamiques de temps long. Il pratique ainsi une forme d’interdisciplinarité réelle, empruntant à l’histoire, à la géographie, aux sciences sociales mais aussi aux sciences de l’ingénieur, pour nourrir une ambition qui refuse une trop forte spécialisation. La troisième caractéristique de sa production est son tropisme « anglo-américain ». Il a exercé à partir de 1968 l’université de Reading. Au cours des années 1980 et 1990, il a travaillé à Berkeley, en Californie, où il a notamment collaboré avec Manuel Castells et Robert Cervero. A partir de 1994 et jusqu’à sa mort, il est professeur à la Bartlett School of Planning de l’University City of London. Ses travaux portent bien sûr sur des territoires où l’anglais n’est pas la langue pratiquée. Il aborde l’aménagement français à de nombreuses reprises, depuis le récit des villes nouvelles jusqu’à son dernier ouvrage, Good Cities, Better Lives, paru en 2014 qui présente un chapitre très informé sur la transformation des villes françaises par les tramways. L’Allemagne revient aussi souvent dans ses travaux, tout comme l’Europe du Nord. En Asie, dès les années 1970, il écrit sur Singapour, Hong-Kong et le Japon. Dans ses travaux sur le polycentrisme, il s’intéresse aux systèmes polycentriques du Delta de la Rivière des Perles. Toutefois, ses travaux, comme sa culture et ses références bibliographiques sont d’abord britanniques et états-uniens.
Peter Hall a toujours souhaité que sa production universitaire soit connue et utile. Aussi, a-t-il choisi des sujets souvent particulièrement vifs et débattus des politiques urbaines. Dans ses travaux sur l’ « urban containment », son verdict principal est que la politique de contingentement de l’urbanisation menée depuis les années 1940 a contribué à ralentir l’extension spatiale des villes et la coalescence entre les aires urbanisées. Toutefois, cette politique a eu un coût social important parce qu’elle a contribué à accentuer la séparation entre les résidences et les emplois, parce qu’elle a accru la ségrégation entre villes et campagnes et parce qu’elle a renchéri le prix du foncier. Peter Hall va ainsi, tout au long de sa vie, souligner les effets néfastes des politiques de densification urbaine, ce qui ne paraît pas étonnant de la part d’un admirateur d’Ebenezer Howard, l’inventeur des cités jardins à la fin du XIXe siècle auquel il a consacré un ouvrage en 1998, Sociable Cities. Autre sujet majeur sur lequel Peter Hall est intervenu : les politiques de régénération des centres urbains. Dans les années 1970 et alors que les premières politiques menées par les gouvernements travaillistes échouent à faire revenir habitants et, surtout, activités, au centre des grandes villes marquées par la désindustrialisation, Peter Hall propose dès 1977 de pratiquer une « non-planification » pour les quartiers dégradés, par exemples à Liverpool ou dans les Docklands de Londres. Inspiré par les exemples de Singapour et de Hong-Kong, il lui apparaît que seule une suspension des règles d’urbanisme peut permettre un retour des investisseurs, et donc, une renaissance de ces quartiers anciens. Ces prises de position retiennent l’attention des Conservateurs, qui, une fois au pouvoir, s’en inspirent à travers les grands projets des Docks de Londres ou de l’Albert Dock à Liverpool, dont la réalisation a été permise par la suspension des règles locales d’urbanisme et des règles fiscales particulières. Ses travaux sur les lignes à grande vitesse ou les transports urbains ont également contribué à éclairer ou à orienter les politiques d’aménagement. Cette capacité à interpeler les décideurs publics et privés est liée à une proximité avec les décideurs. Dans les années 1960, il participe aux travaux de la Fabian Society, proche du parti travailliste. Au cours des années 1970 et 1980, il nourrit de nombreuses désillusions sur les politiques menées par le Labour. Dans les années 1980, ses idées sur les « Entreprise zones » sont reprises par les Conservateurs. Il devient à partir de 1990 conseiller spécial de Michaël Heseltine, ministre conservateur du gouvernement John Major qui a relancé la planification territoriale et lancé de grands projets d’aménagement, notamment pour le Sud-Est de l’Angleterre. Il reste néanmoins attaché à des politiques « sociales-démocrates », ce dont ces derniers travaux témoignent.
Cette pratique d’une recherche au plus près de la décision publique ne conduit-elle pas à une forme d’affaissement des ambitions de la planification ? Peter Hall s’attache à la « substance » des politiques urbaines, à leurs effets concrets, bien plus qu’aux processus et mécanismes de décision, qui occupent aujourd’hui beaucoup les milieux académiques. Dans Cities of Tomorrow, il moque les théories de la planification qui n’ont aucun effet réel sur la pratique des urbanistes. S’il en reconnaît l’intérêt, les théories marxistes lui paraissent d’un faible secours quand il s’agit d’apporter des améliorations concrètes à la vie des habitants. Dans la cinquième et dernière édition d’Urban and Regional Planning, édité avec Mark Tewdr-Jones, Peter Hall souligne ainsi que la planification a un rôle relativement modeste qui est de « fournir des ressources pour un processus de décision informée et démocratique ». On est loin des objectifs des urbanistes pionniers, au tournant des années 1900, qui envisageaient, par l’urbanisme, de transformer la société et d’œuvrer à la justice sociale. La modestie des objectifs assignés à l’urbanisme est-il le signe d’un renoncement ou de la sagesse ?
Xavier Desjardins
Castells M., Hall P. (1994), Technopoles of the World: The Making of the 21st-Century Industrial Complexes, London: Routledge.
Hall P. (1966), The World Cities, London: Weichfeld.
Hall P. (1980), The Great Planning Disasters, London: Weidenfeld.
Hall P. (1988), Cities of Tomorrow: An Intellectual History of Urban Planning and Design in the Twentieth Century, Oxford : Basil Blackwell.
Hall P. (1998), Cities in Civilization : Culture, Innovation and Urban Order, London: Weidenfeld and Nicolson.
Hall P. (2014), Good Cities, Better Lives : How Europe Discovered the Lost Art of Urbanism, London: Routledge.
Hall P., Thomas R., Gracey H., Drewett R. et al. (1973), The Containment of Urban England,2 volumes, London: George Allen and Unwin.
Hall P. Ward C., (1998), Sociable Cities: The Legacy of Ebenezer Howard, Chichester: Wiley.
Tewdr-JonesM., Phelps N.and Freestone R. (ed.), (2014), The Planning Imagination, Peter Hall and the Study of Urban and Regional Planning, London: Routledge
Hall P., Tewdr-Jones M. (2011), Urban and Regional Planning (5th edition), London: Routledge.
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